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Le spectacle de l'exécution dans la France d'Ancien Régime

Published online by Cambridge University Press:  26 July 2017

Michel Bée*
Affiliation:
Université de Caen

Extract

« Rappelons-nous », suggère Lucien Febvre, dans un de ses articles consacrés aux alliances et appuis de l'histoire auprès de la psychologie, « tel récit de ce temps, le coupable agenouillé, les yeux bandés, la tête sur le billot… Déjà l'homme rouge brandit sa redoutable épée nue. Et brusquement des cris, un cavalier à fond de course qui envahit la place en brandissant un parchemin, Grâce,grâce… ». Temps fort de l'expression des émotions, le spectacle de l'exécution met en jeu, dans chaque individu, des sentiments instinctifs aussi puissants qu'ils peuvent être changeants : haine, colère, mépris, peur, compassion, admiration. Exprimés et renforcés par des comportements collectifs, ces sentiments individuels reposent sur un climat affectif ou un climat de sensibilité parfois propre à un petit groupe, mais aussi capable de déferler sur le grand nombre comme une épidémie mentale. Champ du combat des idées et des volontés politiques, ce climat d'une époque ou d'une génération, qui s'exprime dans le discours dominant ou dans les changements institutionnels, implique à la fois une certaine nouveauté, mais aussi la prise en compte des comportements acquis de longue date.

Summary

Summary

In observing modes of behavior related to public executions in various societies and in different periods, one is struck by the repetition of certain acts and gestures, codified as rites and providing a universally familiar and recognizable language. The pervasiveness of these images and representations reveals the religious substratum in which social life was rooted. Executions called forth an enduring strategy of the collective imagination struggling against the anxiety provoked by the contagious presence of a type of violence both horrid and familiar : this strategy is that of the sacrificial System.

Type
Fait Divers, Fait D'Histoire
Copyright
Copyright © Copyright © École des hautes études en sciences sociales Paris 1983

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References

Notes

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2. Concluant, en 1961, son Introduction à la France moderne, 1500-1640, Robert Mandrou qui insiste sur « l'infinie variété des mentalités individuelles et la grande complexité des mentalités collectives », retient, au bilan, les caractères communs à tous les hommes de l'époque, en quelque sorte le fonds du décor mental sur lequel viennent brocher les différenciations souvent mieux connues. Et au programme il indique deux démarches jugées essentielles : d'une part la mise en place « des visions du monde », c'est-à-dire des structures mentales, d'autre part la recherche des « conjonctures mentales sous la forme des climats de sensibilité plus faciles d'accès ». Visant à faire un essai de psychologie historique, son effort reste de déboucher sur une dialectique nécessaire entre tous les Éléments d'une histoire sociale.

3. Le plus subtil et le plus expérimenté des historiens dans ces domaines qui exigent large culture et esprit de finesse, est Alphonse Dupront, dont l'œuvre essentielle se diffuse en articles denses, jamais indifférents, et parfois exigeants pour le lecteur. Aucun ne traite directement de l'exécution. Je note : « L'histoire après Freud », Revue de l'enseignement supérieur, nc 44-45, 1969, pp. 27-63 ; « La religion, anthropologie religieuse », Faire de l'histoire, t. 2, Nouvelles approches, pp. 105-136, Paris, Gallimard, 1974 ; « Problèmes et méthodes d'une histoire de la psychologie collective »,AnnalesESC, n° 1, 1961, pp. 3-11.

4. Bien que ne prenant pas spécialement appui sur l'histoire de l'Occident moderne, les hypothèses de René Girard stimulent l'historien à repenser l'anthropologie sociale de la violence et du sacré ; celle-ci sont à l'arrière-plan de cette Étude.

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6. Cette anecdote prise à un livre de raison intitulé Journal d'un bourgeois de Caen, et Édité par Gabriel Vanel dans un Recueil de journaux caennais, 1661-1777, Paris, Picard, 1904, pp. 173- 176, est citée par Perrot, Jean-Claude dans Genèse d'une viiie moderne, Caen au XVIIIe siècle, Mouton, 1977.Google Scholar

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21. L'utilisation, par l'historien, de la complainte ne se fait pas au premier degré. Au-delà de l'affabulation et de l'amplification, qui adoptent des voies en elles-mêmes révélatrices, la complainte suit en fait des règles de fabrication et des codes symboliques qui renvoient à des strates culturelles et non à une fantaisie sans norme. Utilisée avec prudence, elle constitue une voie d'accès privilégiée au mental populaire. Les travaux de J.-P. Seguin sur les canards en offrent une bonne introduction, ainsi Nouvelles à sensations, canards du XIXe siècle, Paris, A. Colin, 1959.

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