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Le duc et l'archevêque : action politique, représentations et pouvoir au temps de Richelieu

Published online by Cambridge University Press:  26 July 2017

Christian Jouhaud*
Affiliation:
CNRS - Centre de Recherches Historiques

Extract

Le duc et l'archevêque : ce n'est pas le titre d'un roman ou d'une pièce de théâtre romantique sur le XVIIe siècle français, mais une appellation commode pour une affaire politique de première importance. Le spectaculaire conflit qui, en 1633, dresse l'un contre l'autre le duc d'Épernon gouverneur de Guyenne et Henri d'Escoubleau de Sourdis, archevêque de Bordeaux, eut alors un retentissement énorme. Ce fut à la fois un scandale et une démonstration. Le pouvoir, dont l'efficience était désormais concentrée au cœur de l'appareil d'État, y donna à voir son ubiquité, cette puissance d'agir que l'on nommait vertu.

Summary

Summary

In November of 633 a conflict between the Duke of Epernon, one of the richest and most powerful men in the kingdom, and the Archbishop of Bordeaux broke out in the public arena, creating a scandal and an important political affair. The main object of this study is to attempt to make an autopsy of this event, bringing out the way it was staged and the stakes involved, and following up lines of inquiry which lead us to the very heart of the state apparatus. This quarrel over precedence (which turned out for the worse) can be read as a symptom and an illustration of the state of monarchical power in France in the 1630's. It also allows us to glimpse an aspect of Cardinal Richelieu's politics in action, and leads to reflections on the very notion of political action at the time of his ministry.

Type
État et Société Sous L'Ancien Régime
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1986

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References

Notes

* Une première version de ce texte a été présentée au séminaire de Roger Chartier à l'École des Hautes Études en Sciences Sociales. Je remercie tous ceux qui m'ont fait part, à cette occasion, de leurs remarques ou de leurs critiques.

1. Vertu : « puissance d'agir qui est dans tous les corps naturels suivant leurs qualités ou propriétés » indique le dictionnaire de Furetière qui souligne également que le mot se dit « en termes de méchanique » des forces mouvantes.

2. La reddition de Montauban le 20 août 1629, après la prise de La Rochelle le 29 octobre 1628 et l'édit de grâce d'Alès le 27 juin 1629, met fin aux guerres anti-protestantes de Louis XIII.

3. Girard, Guillaume, Histoire du duc d'Épernon divisée en trois parties, Paris, 1655, p. 443.Google Scholar

4. C'est l'année de la célèbre « journée des dupes » (10 novembre) et de l'offensive contre « le parti dévot ». Cf. Georges Pages, « Autour du Grand Orage : Richelieu et Marillac, deux politiques », Revue historique, 1937.

5. L'expression est certes sujette à discussions, je compte en justifier l'emploi dans une prochaine étude.

6. L'édition utilisée est celle de 1690, reproduite récemment par les dictionnaires Robert (1978).

7. Ce procès-verbal a été reproduit plusieurs fois à l'initiative de Sourdis ; il figure avec toutes les pièces concernant cette affaire dans deux registres manuscrits qui ont fourni la base documentaire la plus importante de cet article :— Histoire particulière en forme de journal du différend entre Mssres. Henry d'Escoubleau de Sourdis archevesque de Bourdeaux primat d'Aquitaine et Jean Louis de La Valette duc d'Espernon Pair et colonel général de France, gouverneur et lieutenant général pour le Roy en Guyenne, avec tous les actes intervenus de part et d'autre depuis le 10e octobre 1633 jusqu'au 29e jour d'avril 1635, Bibliothèque Nationale, Nouvelles acquisitions françaises 7314. — Actes ecclésiastiques et procès-verbal sur les violences, attentats et outrages commis en la personne de Très illustre et très révérend Père en Dieu Msre. Henry Descoubleau de Sourdis archevesque de Bourdeaux et primat d'Aquitaine par Monsieur le duc d'Espernon gouverneur et lieutenant général pour le Roy en Guyenne au mois d'octobre et novembre 1633, Bibl. Nat., N.a.f. 7310. — Quelques autres pièces se trouvent dans les recueils suivants : Bibl. Nat., fonds français 15503 et 15714, et Cinq Cents Colbert 158.

8. G. Girard, op. cit., analyse longuement cet épisode ; ses récits toujours écrits d'une plume alerte témoignent de la finesse de ce fidèle du duc d'Épernon. Cette biographie parut en 1655, dédiée au fils du duc qu'il avait défendu avec sa plume pendant la Fronde.

9. Colonel général de l'infanterie, Épernon était en permanence entouré de plusieurs centaines de jeunes nobles à la recherche d'emplois dans ce corps.

10. On sait que les évêques étaient alors souvent désignés par le nom de la capitale de leur diocèse.

11. G. Girard, op. cit., p. 484.

12. Comme toujours, les exemples du dictionnaire de Furetière sont très significatifs : « On doit traiter tout le monde avec civilité… Il n'y a que les paysans, les gens grossiers qui manquent à la civilité. »

13. Je m'étais laissé prendre à la généalogie fabuleuse de Sourdis, je remercie vivement Jean- Marie Constant qui m'a ouvert les yeux et indiqué la bonne référence (B.N., titres, dossiers bleus 250).

14. Op. cit., p. 484.

15. C'est ainsi qu'on appelait les échevins dans plusieurs villes de Guyenne et de Gascogne.

16. Archives municipales de Bordeaux, Inventaire sommaire des registres de la Jurade, Bordeaux, 1896, vol. l , p . 230.

17. G. Girard, op. cit., p. 485.

18. Carabins : « Chevau-léger armé d'une petite arme à feu qui tire avec un rouet… ils servoient à la garde des officiers généraux, à se saisir des passages, à charger les premières troupes que l'ennemi faisoit avancer, et à les harceler dans leurs postes : souvent aussi ils ne faisoient que lâcher leur coup et ils se retiroient. Il n'y en a plus guère que parmi les Gardes-du-corps. » (Furetière). Il faut ajouter que ces troupes de choc avaient une exécrable réputation.

19. « … Ils seront publiés à tout le peuple, pour les fuir et éviter comme membres retranchés de la Sainte Église. Livrons et baillons comme parle l'Apostre leur corps à Satan… déclarons leurs peines être préparées telles qu'aux fils de Bélial et au traître Judas disposés aux ardeurs des flammes éternelles s'ils ne viennent promptement à résipiscence. »

20. Apologie pour Monseigneur l'Archevesque de Bordeaux et pour Monseigneur l'Evesque de Nantes. Touchant l'excommunication déclarée contre le Sieur Naugas et ses complices gardes de Monsieur d'Espernon, MDCXXXIV, 80 p., p. 30 : « plusieurs jours avant la susdite plainte, chacun savoit que Monsieur d'Espernon avoit résolu de faire un affront au Seigneur Archevesque et qu'il avoit dit en bonne compagnie que s'il le rencontroit il le démonteroit et peut-être passeroit outre : cela fut rapporté de la sorte par ceux qui l'avoient ouy aux fins que Monseigneur l'Archevesque le sceust et qu'il évitast la rencontre. Tout Bordeaux estoit plein de ce bruit… », Bibl. Nat., Lb36 2959.

21. Gaufreteau, Jean De, Chronique bordeloise, publiée par Jules Delpit, Bordeaux, 1878, t. II, pp. 177188 Google Scholar et procès-verbaux.

22. Léo Mouton, « Le duc d'Épernon et l'archevêque de Bordeaux », Revue des Études historiques, 1914, pp. 418-440 et 1915, pp. 6-26.

23. Procès-verbal dans Histoire particulière…, Bibl. Nat., N.a.f. 7310.

24. Idem.

25. Actes ecclésiastiques et procès-verbal…, Bibl. Nat., N.a.f. 7310.

26. J. De Gaufreteau, op. cit., p. 486.

27. G. Girard, op. cit., p. 486.

28. D'autres ennemis du duc ont eu à subir de comparables facéties infamantes, en particulier des parlementaires.

29. Apologie pour Monseigneur…, p. 34.

30. Sur cette question je me permets de renvoyer à Descimon, Robert et Jouhaud, Christian, « De Paris à Bordeaux : pour qui court le peuple pendant la Fronde (1652) ? », Mouvements populaires et conscience sociale, Colloque de l'Université Paris VII-CNRS, Paris, 1985, pp. 3142.Google Scholar

31. Entre autres G. Girard, op. cit., et Mémoire de ce qui s'est passé au Parlement de Bourdeaux, en l'affaire que Monseigneur le duc d'Espernon a eu avec Monsieur l'Archevesque, Bibl. Nat. Lb36 2961. Comme il n'y a pas de trop petite démonstration, l'auteur dans le titre de ce libelle refuse d'appeler Sourdis « Monseigneur ». On remarquera que c'était l'inverse dans Y Apologie pour Monseigneur…, Épernon n'y avait droit qu'à « Monsieur ».

32. Duranthon, A., Collection des procès-verbaux des assemblées générales du clergé de France, Paris, 1789, 8 tomes en 9 volumes, t. II, pp. 145157 Google Scholar, « Séances tenues par les prélats qui se trouvaient à Paris, à l'occasion des plaintes de Mgnr l'archevêque de Bordeaux contre Mr le duc d'Épernon », séance du 5 janvier 1634.

33. Habermas, Jùrgen, L'espace public : archéologie de la publicité comme dimension constitutive de la société bourgeoise, trad. de l'allemand, Paris, 1978 Google Scholar, introduction.

34. J'ai tenté de débrouiller cette question dans mon livre Mazarinades, la Fronde des mots, Paris, 1985, pp. 25-26, 63-153, 240-242.

35. Le Mercure François donne un long récit de l'affaire à la fin de sa livraison de 1633 ; La Gazette se contente, à son habitude, d'informations brèves qui supposent connus du lecteur les grands traits de l'affaire : 1633, n° 121 (30 novembre) ; 1634, n° 2 (7 janvier) ; n° 4 (14 janvier) ; n° 8 (28 janvier) ; n° 10 (4 février) ; n° 14 (19 février) ; n° 32 (8 avril).

36. L'Hermite de Cordouan, MDCXXXIV, 24 pages, Bibl. Nat. Lb36 2962, et L'Hermite de Cordouan, traictant l'histoire véritable de tout ce qui s'est passé entre Monsieur d'Espernon et VArchevesque de Bourdeaux, MDCXXXIIII, 24 pages, Bibl. Nat., Lb36 2963.

37. Ibid., p. 19.

38. Response à la proposition et demande faicte à Monseigneur l'évesque de Nantes, de la part de Monseigneur le duc d'Espernon, MDCXXXIII, 51 pages, Bibl. Nat., Lb36 2956, p. 8.

39. « Description du foudre de Saint-Griz », dans Histoire particulière en forme de journal du différend…, Bibl. Nat., N.a.f. 7314, f° 111.

40. En abordant Sourdis, Épernon lui reproche de faire toujours des désordres et le traite de « brouillon » (« remuant, qui tasche de brouiller les affaires » dit Furetière) et de « méchant » (« ce qui est contre la raison, les lois et les bonnes moeurs », ibid.) ; mêmes arguments dans Relation véritable de tout ce qui s'est passé entre Monseigneur le duc d'Espernon et Mr l'Archevesque de Bourdeaux, Bibl. Nat., Lb36 2955 ; pour les accusations de Sourdis, voir note 32.

41. J. De Gaufreteau, op. cit., t. II, pp. 177-195.

42. Ibid.

43. Histoire particulière en forme de journal…, 17 novembre 1633.

44. G. Girard, op. cit., p. 496.

45. Ibid., pp. 494-495.

46. Vaissière, Pierre De, Un grand procès sous Richelieu. L'affaire du Maréchal de Marillac (1630-1632), Paris, 1924, surtout pp. 89102.Google Scholar

47. Léo Mouton, art. cit., 1915, p. 17.

48. Histoire particulière en forme de journal…, f° 101.

49. G. Girard, op. cit., p. 494.

50. Ibid., p. 493.

51. Mousnier, Roland, Les institutions de la France sous la monarchie absolue, Paris, 1980, t. II, pp. 455466.Google Scholar

52. Cette distribution hiérarchique des vertus royales est le thème de YEntrée de décembre 1628 à Paris, après le siège de La Rochelle. Thème repris en particulier dans La vérité religieuse en Esprit de charité, s.l.n.d., 317 pages, p. 73 et p. 94, catalogué sous le titre « Affaire du duc d'Épernon » (figurant sur la reliure), Bibl. Nat., Lb36 2958.

53. Hardino, Robert R., Anatomy of a Power Elite. The Provincial Governors of Early Modem France, New Haven-Londres, Yale Univ. Press, 1978.Google Scholar

54. A. Duranthon, Collection des procès-verbaux…, op. cit., séance du 5 janvier 1634.

55. G. Girard, op. cit., p. 498.

56. Ibid., en cette circonstance, l'abstention fut, pour Épernon, une véritable mortification ; son biographe le précise en indiquant, comme une constante de son comportement et de son caractère, qu'il ne pouvait « dans les intérêts d'honneur se relascher en faveur de qui que ce fût ».

57. Dictionnaire de Furetière, article Caractère, il donne comme exemple : « quelque pauvre que soit un Prestre, il faut honorer son caractère ».

58. Relation véritable de tout ce qui s'est passé…, op. cit., cf. note 4.

59. Marin, Louis, Le récit est un piège, Paris, 1978, II. Bagatelles pour meurtres, pp. 4047.Google Scholar

60. Correspondance de Henri d'Escoubleau de Sourdis… augmentée des ordres, instructions et lettres de Louis XIII et du cardinal de Richelieu à M. de Sourdis concernant les opérations des flottes françaises de 1631 à 1642 et accompagnée d'un texte historique, de notes et d'une introduction sur l'état de la marine française sous le ministère du cardinal de Richelieu. Publiée par Eugène SUE, Paris, 1839, 3 tomes. Sourdis a commencé par gouverner la Maison de Richelieu, il a ensuite été chargé — poste de première importance — du ravitaillement de l'armée qui assiégeait La Rochelle ; en 1633 il est devenu commandeur ecclésiastique de l'Ordre du Saint-Esprit ; en 1636 enfin, la charge de « chef des conseils du Roy en l'armée navale » le hissait tout au sommet de la hiérarchie militaire.

61. Histoire particulière en forme de journal…, op. cit., f° 84.

62. Mémoires de Richelieu, collection Michaud-Poujoulat, t. II, pp. 569-572.

63. Abbé D'Aubignac, La pratique du théâtre, oeuvre très nécessaire à tous ceux qui veulent s'appliquer à la composition des Poèmes Dramatiques, qui font profession de les réciter en public, ou qui prennent plaisir d'en voir les représentations. A Paris, chez Antoine de Sommaville, au Palais sur le deuxième perron allant à la Sainte-Chapelle, à l'escu de France, MDCLVII. Avec privilège du Roy, 514 p. D'Aubignac précise au début de son livre qu'il s'agit d'une commande de Richelieu. .

64. Ibid., livre I, chap. VI, p. 45.

65. Ibid., p. 17.

66. Miguel De Cervantes Saavedra, Don Quichotte de la Manche, t. II, chap. XII (De l'étrange aventure qui arriva au vaillant Don Quichotte avec le brave chevalier aux miroirs).

67. Quantes : « Ce mot ne se dit qu'en cette phrase : Toutefois et quantes » (Furetière).

68. Naudé, Gabriel, Considérations politiques sur les coups d'État, Paris, 1667 (première édition, Rome, 1639), p. 32.Google Scholar

69. G. Girard, op. cit., p. 481.

70. Léo Mouton, art. cit., 1915.

71. Bercé, Yves-Marie, Histoire des Croquants. Étude des soulèvements populaires au XVIIe siècle dans le sud-ouest de la France, Paris-Genève, 1974, t. I, lre partie, chap. II, pp. 294 316.Google Scholar

72. Par exemple contre Jean-Olivier Dussault, avocat général au parlement de Bordeaux, dont il fait saccager une terre par ses soldats ou contre le conseiller au parlement Briet dont il fait tuer les chevaux du carrosse par ses laquais, en pleine rue (Gaufreteau, op. cit., t. II, p. 195 et p. 208).

73. Madden, Sarah Hanley, « L'idéologie constitutionnelle en France : le Lit de Justice », Annales ESC, n° 1, 1982, pp. 3263.Google Scholar