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La fabrique des droits hydrauliques

Histoire, traditions et innovations dans le nord de la Chine

Published online by Cambridge University Press:  20 January 2017

Christian Lamouroux
Affiliation:
EHESS/CNRS UMR 8173
Dong Xiaoping
Affiliation:
Université normale de Pékin

Résumé

Grâce aux matériaux recueillis dans un groupe de villages du Shanxi (Chine), les auteurs analysent l’histoire des anciens droits hydrauliques qui lient ces villages entre eux. Au sortir de la collectivisation socialiste, la nouvelle alliance que leurs chefs ont choisi de réactiver visait à préserver les ressources en eau tout en maintenant les liens entre les villages. La gestion de l’eau collective se fonde sur une hiérarchie, légitimée par la longue durée de l’histoire, en tendant ainsi à figer des rapports inégalitaires.

Abstract

Abstract

Thanks to the materials collected in a cluster of villages in the Shanxi province (China), the authors analyse the history of the old water rights that bind these villages together. At the end of the socialist collectivisation, leaders chose to renew this alliance, both to preserve water resources and keep the villages linked. Thus, the collective water management is based on a hierarchy, justified by the longue duréeof history, freezing ancient inequalities between villages.

Type
Gouverner les resources
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 2011

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Footnotes

*

Cet article reprend plusieurs des matériaux et des analyses du livre publié après cinq missions conduites entre 1999 et 2002 dans des villages du Shanxi : voir DONG Xiaoping et LAN Keli (Christian Lamouroux), Bu guan er zhi: Shanxi sishe wucun shuili guanli ge’an – Gestion de l’eau et hiérarchies rurales, Pékin, Zhonghua shuju/EFEO, 2003 (désormais BGEZ). Ce programme (RG-010-U-97) avait été financé par la Chiang Ching-kuo foundation for international scholarly exchange que nous remercions pour sa générosité. Nous tenons à exprimer notre gratitude à Jérôme Bourgon, Marianne Bujard, Alice Ingold et Pierre-Étienne Will qui ont pris le temps de discuter avec nous la mise en perspective des données.

References

1- Publié en chinois puis en anglais, le livre de Elvin, Mark et Ts’ui-jung, Liu (dir.), Sediments of time: Environment and society in Chinese history, Cambridge/New York, Cambridge University Press, [1995] 1998,Google Scholar marque la première entreprise d’envergure pour constituer l’environnement en un champ d’étude autonome au sein de la sinologie. Sur la situation de l’histoire environnementale en Chine, on se reportera à Bao Maohong qui a consacré plusieurs articles à la définition de ce champ et au dialogue avec des historiens non chinois : voir BAO Maohong, « Environmental history in China », Environment and History, 10-4, 2004, p. 475-499 (repris de « Histoire environnementale : histoire, théorie et méthodes » (en chinois), Shixue lilun yanjiu, 4, 2000, p. 70-82), ainsi que ses deux articles consacrés à Mark ELVIN, « Une nouvelle catégorie explicative de l’histoire chinoise : l’histoire environnementale. Compte rendu du nouveau livre du professeur Mark Elvin, The retreat of the Elephants: An environmental history of China » (en chinois) et « Recherches sur l’histoire environnementale en Chine : un entretien avec le professeur Mark Elvin » (en chinois), Zhongguo lishi dili luncong, 19-1, 2004, p. 124-137 et 19-3, 2004, p. 93-103. MEI Xuejin vient de publier un bilan d’étape dans « Passé, présent et avenir des recherches sur l’histoire environnementale en Chine » (en chinois), Shixue yuekan, 6, 2009, p. 17-38.

2- Voir le dossier dirigé par Isabelle Thireau, « D’une illégitimité à l’autre dans la Chine rurale contemporaine », Études rurales, 179, 2007.

3- Une analyse des rapports entre formes actuelles d’organisation rurale et modèles impériaux est proposée par Harald Bøckman, « The background and potential of Chinese village compacts (Xiang gui min yue) », désormais inacessible sur Internet. Un résumé de sa contribution, « The re-emergence of village compacts (xiang gui min yue) in the Chinese countryside », est consultable sur http://www.sino.uni-heidelberg.de/eacs2004/ content/abstracts/section-d.php?section=6&subsection=65#bockman, consulté le 6/01/ 2011.

4- Outre son grand livre, A. Wittfogel, Karl, Oriental despotism: A comparative study of total power, New Haven, Yale University Press, 1957,Google Scholar résume ses positions dans un article publié la même année : « Chinese society: An historical survey », Journal of Asian Studies, 16-3, 1957, p. 343-364.

5- Voir, par exemple, W. Mote, Frederick, « The growth of Chinese despotism: A critique of Wittfogel's theory of oriental despotism as applied to China », Oriens Extremus, 8-1, 1961, p. 141,Google Scholar ainsi que Denis C. Twitchett, « The fragment of the T’ang ordinances of the department of waterways discovered at Tun-huang », Asia Major, 6-1, 1957, p. 23-79.

6- Les manuscrits relatifs à l’irrigation, retrouvés au début du XXe siècle à Dunhuang, montrent que sous les Tang la gestion des systèmes et la distribution de l’eau dépendaient à la fois des prescriptions réglementaires édictées par l’administration centrale au VIIIe siècle et d’usages locaux maintenus et appliqués par des organisations regroupant les usagers. Voir D. C. TWITCHETT, « The fragment of the T’ang ordinances… », art. cit., et Id., « Some remarks on irrigation under the T’ang », T’oung Pao, 48/1-3, 1961, p. 175-194. D. C. Twitchett précise sa dette à l’égard de l’étude de NABA Toshisada, « Tôdai no nôden-suiri ni kansuru kitei ni tsukite », qui date de 1943.

7- Les documents ont fait l’objet d’une réédition dans Ke, Ning et Chunwen, Hao, Édition annotée de documents sur les sociétés et communautés de Dunhuang(en chinois), Nankin, Jiangsu guji chubanshe, 1997, p. 364403.Google Scholar

8- Elvin, Mark et al., Japanese studies on the history of water control in China: A selected bibliography, Canberra/Tokyo, Australian National University/Toyo Bunko, 1994.Google Scholar Le présent paragraphe reprend plusieurs points de l’introduction signée par M. Elvin.

9- On se reportera particulièrement à Pasternak, Burton, Kinship & community in two Chinese villages, Stanford, Stanford University Press, 1972,Google Scholar et, malgré une orientation nettement plus économique, à Id., « The sociology of irrigation: Two Taiwanese villages », in W. E. WILLMOTT (dir.), Economic organization in Chinese society, Stanford, Stanford University Press, 1972, p. 193-213 ; Kenneth DEAN, « Lineage and territorial cults: Transformations and interactions in the irrigated Putian plains », in LIN Meirong (dir.), Belief, ritual, and society: Papers from the Third international conference on sinology, Taipei, Institute of Ethnology, Academia Sinica, 2003, p. 87-129. Sur les relations entre pouvoir d’État et organisations locales et villageoises, on lira W. Esherick, Joseph et B. Rankin, Mary (dir.), Chinese local elites and patterns of dominance, Berkeley, University of California Press, 1986,Google Scholar ainsi que Duara, Prasenjit, Culture, power, and the state: Rural North China, 1900-1942, Stanford, Stanford University Press, 1988.Google Scholar

10- Nous pensons en particulier aux travaux sur les subaks balinais, étudiés après Clifford Geertz par Lansing, J. Stephen, Priests and programmers: Technologies of power in the engineered landscape of Bali, Princeton, Princeton University Press, 1991.Google Scholar J. Lansing avait déjà démontré le rôle institutionnel fondamental du réseau des « temples hydrauliques » dans Id., « Balinese ‘water temples’ and the management of irrigation », American Anthropo- logist, 89-2, 1987, p. 326-341.

11- Pierre-Étienne Will, «Clear waters versus muddy waters: The Zheng-Bai irrigation system of Shaanxi province in the late-Imperial period », in Elvin, M. et L.|Ts’ui-jung (dir.), Sediments of time…, op. cit., p. 283343.Google Scholar

12- En plus des manuscrits de Dunhuang qui font référence au canal, plusieurs monographies locales précisent les règlements relatifs à la répartition des tâches dues pour l’entretien annuel des canaux et de la tête du canal, où un barrage était reconstruit chaque année après les crues de l’été.

13- Les observations de terrain de Pierre Gentelle ont conduit à critiquer la notion d’un enfoncement rapide du lit de la Jing. Nous reprenons ici plusieurs de ses conclusions, présentées dans l’introduction au volume publié par BAI Erheng, LAN Keli (Christian Lamouroux), Pixin, Wei (Pierre-Étienne Will), Gouxu yiwen zalu – Gestion locale et modernisation hydraulique : Jingyang & Sanyuan, Pékin, Zhonghua shuju/EFEO, 2003, p. 1940.Google Scholar

14- Dongfeng, Zheng(dir.) et al.Hongdong shuili zhi, Taiyuan, Shanxi renmin chubanshe, 1993, p. 347349. Google Scholar

15- BGEZ, p. 224-225.

16- Le chiffre total peut varier entre quatorze, quinze et seize. En effet, d’une part, la communauté de Chouchi, qui est formée des deux villages de Qiaodong et Qiaoxi, peut être comptabilisée pour un ou pour deux. D’autre part, le village situé près du temple, Shawo, jouit d’un statut particulier, et il est ou non inclus selon les besoins du comptage.

17- Voir les tableaux de fréquence et de périodicité des sécheresses enregistrées entre les VIe et XXe siècles, BGEZ, p. 173-174.

18- Les différentes versions du registre avec leurs photos ainsi que les résultats des enquêtes qui s’y rapportent sont présentés dans BGEZ, respectivement p. 31-78 et p. 192-277.

19- BGEZ, p. 198-199.

20- BGEZ, p. 207-214.

21- BGEZ, p. 197-198.

22- BGEZ, p. 201-202.

23- Dongfeng, Zheng et al. (dir.), Hongdong shuili zhi, op. cit., p. 347349.Google Scholar

24- Nous remercions Marianne Bujard d’avoir attiré notre attention sur cette similitude avec les stèles de commémoration des temples.

25- Sur ces deux sacrifices, BGEZ, p. 207-214.

26- BGEZ, p. 199-201.

27- Nous avons recensé neuf inscriptions qui sont présentées avec des photos des stèles dans BGEZ, p. 80-152 ; les enquêtes s’y rapportant se trouvent p. 277-315.

28- BGEZ, p. 84-87 pour le recto et p. 88-91 pour le verso.

29- David Faure a justement remarqué qu’un caractère « yu » a été ajouté à tort dans la première ligne de la stèle dans notre édition, voir BGEZ, p. 85 et 87 (les deux paginations indiquent respectivement la transcription de l’épigraphie et son édition ponctuée). Sans ce caractère, on peut dès lors comprendre que Kongjian est la « commu- nauté amont » (shangshe).

30- BGEZ, p. 98-101.

31- Les deux caractères yicheng sont suivis d’un caractère illisible qui précède le caractère cun, « village », BGEZ, p. 86 et 87.

32- BGEZ, p. 92-97.

33- BGEZ, p. 220-222.

34- BGEZ, p. 102-103 pour le recto et p. 104-105 pour le verso.

35- BGEZ, p. 54-56. Pour ajouter aux ambiguïtés introduites par l’ordre entre les villages, le registre de 1827 place Xin’gou devant Chouchi, le « frère aîné ».

36- BGEZ, p. 110-113 pour le recto et p. 114-117 pour le verso.

37- Les deux responsables du « second groupe avant » (qianerjia) de la « quatrième communauté des Jin » (Jinsili) – le « groupe » (jia) et la « communauté » (li) désignant les deux niveaux des unités fiscales du village – déplorent que : « Contre toute attente, la famille Yan a soudain réaffecté sa contribution de plus de 40 taëls à sa communauté d’origine, et progressivement d’autres se retirèrent », BGEZ, p. 111 et 113.

38- On trouve une analyse très suggestive des conflits qui utilisent l’eau et les conflits autour de l’eau pour construire une identité hiérarchique entre villages dans Wateau, Fabienne, Partager l’eau. Irrigation et conflits au Nord-Ouest du Portugal, Paris, CNRS Éditions/ Éd. de la MSH, 2002.CrossRefGoogle Scholar

39- BGEZ, p. 115-117, 118-124, 127-129, 137-139, 141-143.

40- BGEZ, p. 262-264, p. 322. C’est à Fiorella Allio que nous devons l’idée féconde du travail en direction de l’action particulière des femmes. Notre collègue, que nous remercions, avait établi un premier questionnaire sur le site de Jingyang dont nous nous sommes inspirés pour cette enquête sur les « quatre communautés ».

41- BGEZ, p. 255-256.

42- BGEZ, p. 251-262.

43- BGEZ, p. 251.

44- BGEZ, p. 255.

45- Lors des semailles, les familles sont autorisées à verser de l’eau sur les semences. Cet usage de l’eau, qui entre en contradiction avec la règle imposant de réserver l’eau des sources à une utilisation strictement domestique, s’explique apparemment par la possibilité de recourir aujourd’hui à l’eau des puits.

46- BGEZ, p. 258-259.

47- BGEZ, p. 259-261.

48- BGEZ, p. 193-194.

49- Sur les différents tracés évoqués dans les paragraphes qui suivent, voir BGEZ, p. 233-239.

50- Sur les effets de la politique de modernisation, voir BGEZ, p. 322-328.

51- Numéro spécial sur «Le droit chinois », Études chinoises, 28, 2009.

52- H. BØCKMAN, « The background and potential of Chinese village compacts », art. cit., p. 30-31.

53- L’approche du droit chinois présentée par certains historiens comme une rationalisation des « coutumes » a été critiquée par Jérôme BOURGON, « La coutume et le droit en Chine à la fin de l’Empire », Annales HSS, 54-5, 1999, p. 1073-1107, et Id., « Coutumes, pratiques et droit en Chine. Quelques remarques sur des termes couramment employés dans des ouvrages récents », Études chinoises, 22-1, 2003, p. 243-282.

54- L’expression, qui se rapporte au « pluralisme légal », est de Geneviève Bédoucha, dans son introduction au dossier sur la « prégnance du droit coutumier » : Geneviève BÉDOUCHA, « L’irréductible rural. Prégnance du droit coutumier dans l’aire arabe et berbère », Études rurales, 155-156, 2000, p. 11-24.

55- Les informations que nous ont transmises des fonctionnaires provinciaux en 2010 attestent que la logique du « don maternel » de l’eau de la montagne ne préside plus guère aux relations entre les villages : les fondations de l’autoroute, dont nous avions vu les premiers travaux de construction, ont détruit en partie le réseau de distribution, et les conflits pour l’eau entre les deux entités administratives, Hongdong et Huozhou, auraient désormais pris le dessus, en conduisant les alliés de la veille à se battre entre eux…

56- Halbwachs, Maurice, Morphologie sociale, Paris, A. Colin, [1938] 1970, p. 168.Google Scholar