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La déesse et le saint. Acculturation et « communalisme » hindou-musulman dans un lieu de culte du sud de l'Inde (Karnataka)

Published online by Cambridge University Press:  26 July 2017

Jackie Assayag*
Affiliation:
Centre d'Études de l'Inde et de l'Asie du Sud (EHESS)

Extract

Une nuit d'orage un fakīr (musulman) s'abrita dans un temple en ruine dont le

shiva-Linga était intact. Le fakīr s'assit dessus et mangea des kebabs. Un

paysan hindou déboula dans le temple afin de se protéger du temps peu clément.

Il fut abasourdi à la vue du fakīr. Celui-ci ne desserra pas les lèvres, mais

le dieu fut moins amical. D'une voix terrible le linga déclara: «Mon cher

fakīr, déplacez légèrement vos pieds ; laissez-moi passer afin que je brise le nez

de cet hindou ! Comment ose-t-il, cet individu de basse extraction, entrer dans

mon temple les pieds boueux et les vêtements sales ?

C. DATTA, Purano Katha, Calcutta, reprint Vishva-Bharati 1962, 24.

Nombreuses sont les monographies d'anthropologie sociale consacrées en partie ou en totalité à des temples de l'Inde, ceux du sud notamment . Qu'elles analysent par le menu leur fonctionnement actuel ou privilégient l'approche ethno-historique, toutes, conformément à la nature de l'objet décrit, focalisent logiquement sur les caractères proprement hindous de ces institutions essentielles, hier comme aujourd'hui, à la vie sociale indienne. Or, ce faisant, elles adoptent la perspective des membres dominants de la société, des «propriétaires » du temple ou des clients. Comment d'ailleurs pourrait-il en être autrement dans un univers social où les hindous représentent une incomparable majorité ? A plus forte raison lorsque l'enquête s'effectue dans un cadre socioreligieux aussi circonscrit qui, de surcroît, sert de plus en plus aux hindous à définir leur identité. Rares sont les études qui mentionnent l'éventuelle participation aux activités du temple de communautés plus ou moins étrangères à l'hindouisme — que ce soit un fait historique avéré ou un phénomène actuel limité.

Summary

Summary

The ethnography of a South-Indian place of worship shared by a Hindu goddess and an Islamic saint, enables us to shed light on the complexities of relations between Hindus and Muslims. It also exposes the richness of a symbolic code produced by a nearly millenary co-existence — which has not always been peaceful. This mutual accomodation, today still the basis of Indian identity, results from the continous construction of a tradition: a reconstruction of the past which often serves to legitimize the state of the present. However, in conformity with general developments in contemporary Indian history, a polarization is taking place, pointing to a rupture, or at least a decrease in previous collaboration: it is the sign of a communitary cristalization and a withdrawal into separate identities.

Type
L'Invention de la Tradition : Le Cas Indien
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1992

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References

Notes

1. Sans chercher à être exhaustif, on retiendra les ouvrages suivants : Appadurai, A., Worship and Conflict under Colonial Rule. A South Indian Case, New Delhi, 1981 Google Scholar ; Beck, B.E.F., «The Goddess and the Démon. A local South Indian festival and its wider context», Purusartha, 5, 1981 Google Scholar ; Fuller, C. J., Servants ofthe Goddess. The Priests of a South Indian Temple, Cambridge, 1984 Google Scholar; Goswami, B.B. & Morab, S. G., Chamundari Temple in Mysore (AnthropologicalSurvey of India), Calcutta, 1975 Google Scholar ; Presler, F. A., Religion under Bureaucracy Policy and Administration for Hindu Temple in South India, Cambridge, 1989 Google Scholar ; Preston, J. J., Cuit ofthe Goddess. Social and Religion Change in a Hindu Temple, Delhi, 1980 Google Scholar ; Reiniche, M.L., La Configuration Sociologique du temple Hindou, Tiruvannamalai, un lieu saint sivaite du sud de l'Inde, Pondichery, 1989.Google Scholar

2. Afin de donner un ordre de grandeur, le tableau suivant rassemble les principales données de la répartition démographique (en milliers de personnes, puis en pourcentage de la population totale) des hindous et des musulmans en Inde et dans le Karnataka (État appelé Mysore dans le recensement de 1961).

3. Les temples sont devenus des enjeux cruciaux dans les conflits « communalistes » en Inde. Bien que le résultat du travail de repérage s'avère ambigu — sous prétexte d'inventaire il alimente la querelle entre hindous et musulmans en adoptant exclusivement la perspective des premiers —, on consultera les deux volumes de Shourie, A. et alii, , Hindu Temples. What happened to them (A preliminary Survey), New Delhi, 1990 et 1991.Google Scholar

4. Une exception de taille ; le temple de Jagannâtha à Puri en Orissa. Il est vrai que les Daitas, descendants d'origine tribale des prêtres qui célébraient la forme originale du dieu Jagannâth sous le nom de Sabari-Nârâyana, continuent aujourd'hui d'occuper une position dominante lors des fêtes solennelles dans et autour du temple; cf. Eschmann, A., Kulke, H. & Tripathi, G. C. eds, The Cuit of Jagannâtha and the Régional Tradition of Orissa, Delhi, 1978 Google Scholar ; Mohanty, S., Lord Jagannâtha, Bubaneshwar, 1982.Google Scholar

5. Afin de mieux comprendre les rapports entre religion, politique et société, les travaux récents ont tendance à mettre l'accent sur l'étude des conflits ; dans les lieux de culte hindous, par exemple (P. VAN DeR VEER, Gods on Earth. The Management ofReligious Expérience and Iden-tity in a North Indian Pilgrimage Centre, London, 1988), mais pas seulement, comme la monographie de N. B. Dirks, The Hollow Crown, Ethnohistory of an Indian Kingdom, consacrée au royaume sud-indien de Pudukottai, vient d'en apporter magistralement la preuve. Les institutions islamiques n'échappent heureusement pas à cette nouvelle approche, ainsi E.A. Mann, « Religion, Money and Status : Compétition for Ressources at the Shrine of Shah Jamal, Aligarh », dans Troll, C. W. éd., Muslims Shrines in India. Their Character History and Significance, Delhi, 1989.Google Scholar

6. Nous empruntons la notion de « subaltern », d'origine gramcienne, aux études d'historiens, d'anthropologues, de sociologues, informellement rassemblés autour de R. Guha, qui ont publié a ce jour 5 volumes de Subaltern Studies, Delhi, 1982-85. En se proposant d'étudier l'histoire de la société indienne non plus du point de vue des « élites », ou des « dominants », mais par « le bas », ils ont renouvelé l'historiographie sur le sous-continent. Il reste que l'intérêt porté aux seuls « subalterns » aboutit à leur attribuer une sorte d'autonomie volontariste qui n'évite pas Pessentialisme que ces auteurs reprochaient à leurs prédécesseurs…

7. C'est dans le cadre d'une recherche collective sur les formes d'acculturation en Inde, financée par le MRT, que j'ai étudié, au cours de deux enquêtes dans le Karnataka (en 1990 et 1991) des lieux de cultes, tant hindous que musulmans, où se juxtaposent et se mêlent les fidèles et les symboles.

8. Démonstration tentée dans un article, à propos du problème des danseuses de temple (devadast): Assayag, J., «L'État, le Temple et 1'“esclave divine”. Transformation institutionnelle et micro-histoire en Inde», Diogène, 142, 1990.Google Scholar

9. Idée développée avec pertinence par Amahd, A., Studies in Islam in the Indian environment, Oxford, 1964 Google Scholar; cf. p. VII.

10. Sur les mouvements réformistes musulmans en Inde, on se reportera aux travaux de longue haleine de M. Gaborieau. Son article, «A xixth Century Indian “Wahhabi” Tract against the Cuit of Muslim Saints », in Troll, C. W., Muslims Shrines in India. Their Character, History and Significance, Delhi, 1989 Google Scholar (qui traduit un tract en persan attribué à Shah Walïullâh, publié en 1890 mais diffusé à grande échelle en urdu depuis 1964) éclaire la nature des arguments théologiques invoqués contre le culte des saints. Un autre article du même auteur, « Hiérarchie sociale et mouvements de réforme chez les Musulmans du sous-continent indien », Social Compass, XXXIII/2-3, 1986, montre que, loin de critiquer la vision hiérarchique de la société, les réformateurs, modernistes, traditionalistes ou fondamentalistes, tous issus de la bonne société des Ashrâf, l'ont, au contraire, entérinée. Pour faire bonne mesure enfin, on notera avec Das, V., « For a folk-theology and a theological anthropology of Islam », Contribution to Indian Sociology, 18, 2 Google Scholar, que nombre d'études (celles de I. Ahmad et de F. Robinson notamment) tendent à figer la notion d'« orthodoxie », en en faisant un modèle unique, alors qu'en réalité la « tradition » s'invente continûment.

11. L'importance du soufisme dans la diffusion de l'Islam a souvent été relevée ; s'agissant du sud de l'Inde, on lira Nizami, K. A., « Sufi Movement in the Deccan », dans Sherwani, H. K. (éd.) : History of Médiéval Deccan (1295-1724), vol. II, Hyderabad, 1974, 175199 Google Scholar, et une reconsidération du problème par I.H. Siddiqui, «A New Look at Deccani Sufism» dans Troll, C. W. (éd.), Islam in India, New Delhi, 1985 Google Scholar, provoquée par l'étude de Eaton, R. M., Sufls ofBijapur (1300- 1700): Social Rôle of Sufls in Médiéval India, Princeton, 1978.Google Scholar Ajoutons que, l'Islam s'étant propagé dans le sud de manière plus pacifique que dans le nord, la discussion sur le problème des conversions est régulièrement relancée en dépit du manque d'informations historiques ; pour une série d'études de cas portant sur des confessions différentes, cf. Oddie, G. A., Religion in South Asia. Religious conversion and revival movements in South Asia in Médiéval and Modem Times, New Delhi, 1991.Google Scholar

12. Le terme de « communalisme » peut-être interprété de multiples façons. Il peut désigner le sentiment d'animosité que les membres d'une quelconque communauté entretiennent contre une autre, définie par des critères qui permettent d'établir leur différence. Mais, dans le contexte indien, il renvoie principalement à des distinctions religieuses. Parmi donc tous les « communalismes » que connaît l'Inde, c'est assurément celui entre les hindous et les musulmans qui engendra, depuis l'Indépendance (1947), le plus grand nombre de conflits s'accompagnant de violence. Pour une vue synoptique du problème, qui devient un des topos de la littérature socio-politique, on retiendra le livre de Chandra, P., Communalism in Modem India, New-Delhi, 1987 Google Scholar, et le recueil d'articles de Ansari, I. A., The Muslim Situation in India, New Delhi, 1989.Google Scholar

13. Qu'il suffise d'évoquer ici l'affaire devenue un enjeu national, dite Babri Masjid-Ram Janmabhumi, c'est-à-dire la revendication d'une fraction importante de l'opinion hindoue, aidée en cela par les militants hindouistes du Bharatiya Janata Party (BJP), du Vishwa Hindu Parishad (VHP) et du Rashtriya Swayamsevak Sangh (RSS), de détruire la mosquée d'Ayodhya dans l'Uttar-Pradesh afin d'y reconstruire un temple consacré au dieu Râma ; pour une présentation historique, religieuse, archéologique, politique, sociologique, économique et mythologique du problème, on consultera avec profit les ouvrages équilibrés publiés sous la direction de Engineer, A. A., Babri-Masjid-Ramjanma Bhoomi Controversy, Delhi (1990)Google Scholar et de Gopal, S., Anatomy ofa Confrontation. The Babri Masjid-Ramjanbhumi issue, New-Delhi, Viking, 1991.Google Scholar veer, P. Van Der développe un point de vue davantage polémique dans son article : « God must be Liberated ! A hindu Liberation Movement in Ayodhya», Modem Asian Studies, 21, 2, 1987.Google Scholar

14. Bien qu'il concerne principalement les sociétés amérindiennes, la contribution de N. Wachtel, «L'acculturation», dans Nora, P., Faire de l'histoire, I, Paris Google Scholar, énumère les problèmes que pose l'utilisation de la notion, mais son intérêt heuristique aussi, dans la mesure où elle rend compte de la force d'acculturation des acculturés.

15. La thèse est devenue classique dans l'historiographie indienne et anglo-saxonne et les travaux sur cette question sont nombreux ; le meilleur est peut-être celui de Gopal, S., British Policy in India, 1858-1905, Cambridge, 1965.Google Scholar Sans toujours échapper à la diabolisation du colonisateur britannique A. Mukherjee, dans « Colonialism and Communalism », dans S. Gopal, opus. cit. (cf. note 13), la résume et la discute. Un incisif article de Bayly, C. A., « The Pre-history of “communalism ” ? Religious Conflict in India, 1700-1860 », Modem Asian Studies, 19, 2, 1985 Google Scholar, met cependant en évidence, mais en distinguant soigneusement le « conflit religieux » du « conflit “ communaliste” », que des luttes entre hindous et musulmans existèrent avant la fracture causée par la « Grande Mutinerie » de 1857.

16. Dans Communalism and the Written oflndian History, New-Delhi, 1977, R. Thapar, H. Mukhia & B. Chandra ont montré, en s'appuyant sur des données archéologiques et des faits d'histoire ancienne, c'est-à-dire en procédant à ce que Vidal-Naquet appelle le « bon usage de la trahison », les dangereux fantasmes qu'alimente l'utilisation frauduleuse de l'idée d'« aryanité », tant chez les historiens que chez les principaux « leaders » des groupes hindous extrémistes.

17. L'ouvrage de Robinson, F., Separatism Among Indian Muslims: ThePolitics ofthe United Provinces’ Muslims, 1860-1923, Cambridge, 1974 Google Scholar, insiste sur l'importance de l'idéologie «revivalist » dans la naissance du nationalisme et du séparatisme musulman, en particulier sur l'exemple du conflit Hindi/Urdu, p. 66-78. Excellent panorama des réactions musulmanes à la colonisation de Hardy, P., The Muslims of British India, Cambridge, 1972.Google Scholar

18. G. Devereux, «Acculturation antagoniste (1943)», dans Devereux, G., Ethnopsychanalyse complémentariste, Paris, 1985.Google Scholar

19. A partir de matériaux africanistes, Auge, M. procède à une synthétique mise au point sur « Les syncrétismes », dans Atlas des Religions, Encyclopedia Universalis, Paris, 1988.Google Scholar En dépit du fait qu'il n'y a, à l'ordinaire, nul cumul ni chevauchement dans l'islam indien, la notion fut utilisée dans les travaux indianistes, et Ahmad, I. en justifie l'usage dans son «Introduction” au recueil Ritual and Religion among Muslims in India, New Delhi, 1981.Google Scholar De leur côté, Roy, A., The Islamic Syncretistic Tradition in Bengal, New Jersey, 1983 Google Scholar et Ahmad, R., Bengal Muslims, 1871-1906, New Delhi Google Scholar, ont focalisé sur l'érosion du syncrétisme musulman, notamment la dilution de ce que symbolisaient les dargâh pour les masses, sous la poussée du réformisme orthodoxe (cf. pour le premier p. 251, et pour le second p. 184).

20. Bien qu'il faille plus exactement traduire « délivrance syndiquée », c'est ainsi que nous rendons le titre de son article, «Syndicated Moksha? », Seminar, 313, 1985, consacré aux diverses croisades hindouistes contemporaines.

21. C'est la leçon, particulièrement utile à méditer en cette époque de « castéismes » rampants, de régionalismes militants et de « communalismes » combattants, de la somme de Bayly, C. A., Saints, Goddesses and Kings. Muslims and Christians in South Indian Society, 1700-1900, Cambridge, 1989.Google Scholar Si cet auteur détaille le haut degré de syncrétisme atteint par l'Islam, et le christianisme, dans le sud de l'Inde, c'est afin de montrer que le partage des pratiques et des croyances entre les différentes religions aujourd'hui dominantes (hindouisme/islam/christianisme) résulte d'un bi-séculaire processus d'interaction entre elles. L'hindouisme ne fut donc jamais une orthodoxie préalable, ce cadre « éternel » accueillant des religions étrangères ! Et l'intérêt de ce renouvel-lement de perspective ne se limite pas au monde indien. Ainsi, bien que décrivant des islam différents, ceux du Maroc et de l'Indonésie, c'est exactement ce défaut — consistant à partir d'une supposée tradition établie et théoriquement homogène de l'islam — qui grève la pourtant belle étude comparative de Geertz, C., Islam Observed, Religious Development in Morocco and Indonesia, London, 1968.Google Scholar

22. A partir des observations de terrain, les anthropologues ont remis à l'honneur depuis les années 80 les notions de faste et de néfaste pour contrebalancer l'accent mis trop longtemps sur celles du pur et de l'impur ; cf. en particulier Carman, J. B. & Marglin, F. A. eds., Purity andAuspiciousness in Indian Society, Leiden, 1985 Google Scholar et Rajeha, G. G., The Poison in theGift. RitualPrestations and the Dominant Caste in a North Indian Village, Chicago, 1988 Google Scholar qui fait de ces deux doublets le thème central de sa monographie, (chap. 2).

23. Pour les détails mythologiques, rituels, festifs, que nous ne pouvons expliciter ici, on renverra à Assayag, J., La Colère de la Déesse décapitée. Etude d'un temple dans sa région (Karnataka., Inde du sud), à paraître aux Éditions du CNRS.Google Scholar

24. Aspect développé dans le désormais classique Asceticism and Eroticism in the mythology o/Siva, London, 1973, de W. D. O'flaherty.

25. Exposé aussi concis que lumineux sur la bhakti dans Biardeau, M., L'Hindouisme. Anthropologie d'une Civilisation, Paris, 1972 Google Scholar (revu et augmenté en 1981), p. 93 et suivantes.

26. Il faudrait, théoriquement, distinguer entre karâmat qui désigne les « pouvoirs spirituels » d'un saint et les « miracles » (mu'jizas) qu'il accomplit. Mais dans les récits que l'on peut recueillir la distinction tend à disparaître. Les exemples de ces exploits abondent dans la littérature sur le soufisme, mais on lira avec intérêt le papier de S. Digby, « Encounter with Jogïs in Indian Sufï hagiography » (texte non publié d'une conférence à la S.O.A.S. en 1970), qui a l'intérêt de les présenter dans leur rapport avec ceux des yogi; cf. également Fjlliozat, J., «Sur les contreparties indiennes du soufisme», Journal Asiatique, 1980, CCLXVIII, 3/4,259273 Google Scholar et Gaborieau, M., « Pouvoirs et Autorité des Soufis dans l'Himalaya », Purusartha 12, 1989, 215238.Google Scholar

27. Ce nom révèle peut-être un lien avec le saint non orthodoxe (be-shar’) du xve siècle, Badi'al-Zaman Shah Madâr, Syrien d'origine juive qui vulgarisa, en empruntant beaucoup aux yogi, les pratiques soufies en milieu musulman converti ; sur cette pittoresque et étonnante figure, cf. A. Ahmad, Studies in Islamic Culture, op. cit., p. 161-162 et S.A.A. Rizvi, A History of Sufism in India…, op. cit., p. 318 et suivantes.

28. Bien que le mujâwar puisse avoir des fonctions administratives et thérapeutiques, ainsi que l'a constaté au Maharashtra B. Pfeiderer, « Mira Datar Dargah : The Psychiatry of a Muslim Shrine», dans Ahmad, I., Ritual and Religion among Muslims in India, Delhi, 1981 Google Scholar, il est, au sens strict, le gardien du ta'ziya, c'est-à-dire de ces reproductions à échelle réduite des tombes de saints, en particulier celles de Hasan et Husain, construites lors de Muharram. Portées et emmenées en procession durant cette fête, leur usage n'est pas sans évoquer les « effigies divines mobiles » (utsava mûrti) de l'hindouisme; mais contrairement à ces dernières, elles sont pour leur part détruites, et fabriquées, chaque année.

29. J'ai rapporté en 1991 une vidéo sur une cérémonie, dite râtib bâzi («fixation de la timbale »), d'«exploits” mortificatoires accomplis par les faqïr de cette confrérie lors de l'anniversaire de la mort du saint, Khanjar-Shâh-Malcan, près duquel ils sont installés. Peu de référence à notre connaissance sur les jalâtt; Subhan, J.A., Sufism. Its Saints and Shrines, New York, 1970, 236237 Google Scholar, A. Ahmad, Studies in Islamic Culture… op. cit., p. 162, Trimingham, J. S., The Sufi Orders in Islam, Oxford, 1971, 20, 61 Google Scholar et la généalogie de l'appendice C. Suhrawardi Silsilas; concernant les activités des non-orthodoxes (bë-shar), et notamment les Qalandar, on lira le chapitre (cinq) que leur consacre Rizvi, S. A. A., A History ofSufism in India, Vol. I, Early sufism and its History in India to AD 1600, Delhi, 1975 Google Scholar, et surtout l'article suggestif de S. Digby, « Qalandars and Related Groups, Eléments of Social Déviance in the Religious Life of the Delhi Sultanate of the Thirteenth and Fourtheenth Centuries » dans Friedmann, Y. éd., Islam in Asia, vol. I, South Asia, Jérusalem, 1984.Google Scholar

30. On reprend l'explication de Golziher, I., Muslim Studies, London, 1967-71, p. 332 Google Scholar: « Wall: This word, derived from a root which in Semitic languages expresses the idea of adhérence, attachment, and nearness, means firstly : he who close, follower, friend, relative… In religious language the idea of nearness was extended to the relations of men to God… From the gênerai meaning of « someone who is close » in Old Arabie usage the word was extended also to the protector, helper and patron, curiously enough also applied to divinely venerate beings of whom man believes that they help those who venerate them. Watt, the devout, pious man became watt equipped with the attribute of miracles, the intermediary (shafï) between God and man ».

31. On regrettera qu'il n'existe pas, à notre connaissance, de bonne monographie en anglais du mausolée de ce saint, le plus important du sud de l'Inde, dans l'enceinte duquel, mentionnons-le en passant, un saint (hindou) Lingâyat-Vïrashaiva est enterré. On pourra consulter néanmoins les ouvrages de Hussaini, S. S. K., SayyidMuhammad Al-Husaynï-I Gïsûdiraz (721/1321-825/1422): on Sufism, Delhi, 1983 Google Scholar, et The Life, Works and Teachings of Kwajah Bandahnawaz Gïsûdiraz, Hyderabad, 1986.

32. R.M. Eaton, Suffi ofBijapur, op. cit., en particulier chap. 8 et 9.

33. La meilleure discussion sur ce problème rémanent de l'existence de caste chez les musulmans a été engagée par Ahmad, I. dans Caste and Social Stratification among the Muslims, Delhi, 1973 Google Scholar ; ce recueil contient une intéressante contribution sur le sud de M. Mines : « Social Stratification among Muslims Tamils in Tamil Nadu, South India ».

34. Ce qu'on appelle les « castes dominantes » des villages du nord Karnataka sont la plupart du temps hindoues, souvent Lingâyat. Mais il arrive parfois que les musulmans soient démographiquement majoritaires et économiquement les plus prospères, comme à Hirekumbi, où les castes, dites ici zât des Sayyad, Shaikh, Moghul et Pathan, pour les classer dans l'ordre statutaire, représentent environ 60 % de la population et détiennent 1/3 des terres ; le reste de la population étant composé essentiellement de Kuruba.

35. Je prépare, à partir de la seule tradition orale locale existante, un article sur le dargâh de ce saint dont la tombe se trouve d'ailleurs dans plusieurs villages de la région…

36. Cf. p. 96 et suivantes du chatoyant tableau que brosse Dermenghem, E. dans Le Culte des saints dans l'islam maghrébin, Paris, 1954.Google Scholar

37. Avec le livre de P.M. Curries, The Shrine and Cuit ofMu'Tn Al-Din ChishtJ of Ajmer, Delhi, 1989, on dispose depuis peu d'une monographie à la fois historique et anthropologique — elle décrit l'organisation et le fonctionnement de son mausolée — sur ce saint mystique vénéré (xive siècle) ; cf. également, S.L.H. Moini, « Rituals and Customary Practices at the Dargah of Ajmer », dans C.W. Troll, Muslims Shrines in India…op. cit..

38. Cet agrume, auquel on prête nombre de vertus thérapeutiques, est utilisé fréquemment dans les rituels, tant par les hindous que par les musulmans. Exemple parmi d'autres : si les premiers se passent un citron (entouré d'un tissu) sur les yeux lors de leurs prosternations répétées devant Yellamma, les seconds les plantent à l'aide d'un clou dans le tronc d'un arbre situé à proximité d'un pTr: manière de définitivement fixer les démons (bhuta) exorcisés ; un travail sur ce type de dargâh « thérapeutique » est en préparation.

39. La relation Yellamma-Mâtangi présente beaucoup d'analogies avec la déesse shri-lankaise Pattinî — toujours flanquée de sa courtisane Madevi — étudiée par Obeyesekere, G., The Cuit of the Goddess Pattinî, Chicago, 1984.Google Scholar En-deçà de différences régionales, par exemple « La multiplicité des divinités inférieures mâles” dans le Tamil Nadu ( Reiniche, , Les Dieux et les Hommes. Etudes des cultes d'un village du Tiruneveli. Inde du Sud, Paris, 1979, p. 233 Google Scholar) et le Kerala ( Tarabout, G., Sacrifier et Donner à voir en Pays Malabar, Pondichéry, 1986, p. 211 Google Scholar et sq.) par opposition au pays telugu ( O., Herrenschmidt, Les Meilleurs Dieux sont Hindous, Lausanne, 1989, p. 194 Google Scholar) et au Karnatak où prédominent les divinités féminines inférieures, l'hypothèse s'impose d'une structure au moins bi-polaire de la déesse hindoue. L'analyse de Mâriyamman faite par Beck («The goddess and the Démon… », op. cit., p. 126 et sq.) montre que la différentiation de la déesse vaut également pour le Tamil Nadu (Coimbatore district).

40. Une description de Muharram dans Grunenbaum, G.E., Mohammadan Festivals, London, 1976 Google Scholar ; pour le sud, cf. A.R. Saiyid, « Idéal and Reality in the Observance of Moharram : A Behavioural Interprétation», dans I. Ahmad, Ritual and Religion…, op. cit.

41. Cf. G. S. Colin, « Barakat », Encyclopedia of Islam (nouvelle édition.) p. 1032 : « Baraka can be translated by “ bénéficient force of divine origin, which causes superabondance in the physical sphère, and prosperity and happiness in the psychic order ” »

42. Gellner, E., Saints of the High Atlas, London, 1969, p. 8.Google Scholar

43. Dans son analyse des « translations culturelles » entre les traditions hindoue et musulmane au Bengale, A.R. Sayied explique comment le culte au pïr autorisa l'équation entre le concept islamique de nabi avec celui hindou, d'avatûra et que le Prophète lui-même fut conçu à la manière d'un avatara du Kal-Yug, «l'âge de fer” des hindous; cf. également Mujeeb, M., The Indian Muslims, London, 1967, 321322 Google Scholar et surtout A. Roy, « The Pir Tradition : A Case Study in Islamic Syncretism in Traditional Bengal », dans Clothey, F.W. éd., Image ofMan: ReligiousandHistorical Process in South Asia, Madras, 1982.Google Scholar Dans ce même ordre d'idée, mais appliquée à la relation maître/disciple, on se reportera à l'analyse des parallèles fonctionnels entre Shaikh et Guru de B.B. Laurence, « Early Indo-Muslim Saints and Conversion », dans Y. Friedman, Islam in Asia, op. cit., p. 134 et suivantes.

44. Thème illustré et commenté par D.D. Shulman, « The Enemy within : Idealism and Dissent in South Indian Hinduism » dans Einsenstadt, S. N., Orthodoxy, Heterodoxy and dissent in India, Amsterdam, 1984.CrossRefGoogle Scholar

45. Ce temple-dargSh, sur lequel un article devait paraître prochainement, est fascinant par le syncrétisme officiellement revendiqué de ses desservants à la fois hindous et musulmans. Notons en passant que ce saint chevauchant son tigre est toujours figuré avec un grand scorpion dans la main droite.

46. Une description de danses de Muharram assez différentes au Maharashtra, L. M. Fruzetti, «Muslim Rituals: The Household Rites vs the Public Festivals in Rural India», dans I. Ahmad, Ritual and Religion among Muslims…, op. cit., pp. 119-120.

47. Explicitation dans J. A. Stjbhan, Sufism, ils Saint…, op.cit., p. 114: «'Urs was originally the term used for marriage festivities, as opposed to nikah, the mariage ceremony. However, it has corne to be used to designate “ the ceremony observed at the anniversary of the death of any celebrated saint ”. Used in this way the word ‘urs has a “ subtle référence to the unitive stage attained by him (the saint) in his life time and consummated at the time of his death ” ».

48. Cf. E. Dermerghem, Le Culte des saints…, op. cit., p. 109.

49. Sur l'importance du culte des « démons » dans cette région de l'Inde, cf. P. Padmanabha & Prabhu, K.S., Spécial Study Report on Bhuta Cuit, Mysore, 1976.Google Scholar

50. Pour les détails on se reportera à J. Assayao, La Colère de la Déesse décapitée, op. cit.,

51. Pour les Brahmanes, cf. J. Assayag, idem, vol. III, p. 626 et suivantes. Pour les Intouchables, ibidem, p. 559 et suivantes. Des affaires similaires sont présentées par B.B. Goswamy & S.G. Morab, Chamundari Temple dans.., op. cit., p. 18 et suivantes, p. 52 et suivantes.

52. Sur les ambiguïtés et l'évolution de cette communauté sectaire, composée de sous-castes, on consultera : Mccormack, W., « Lingayat as a Sect », Journal of the Royal Anthropological Institute, 93, 1, 1963 Google Scholar ; Ramanujan, A.K., Speaking ofSiva, New York, 1973 Google Scholar ; Ishvaran, K., A populistic Community and Modernization in India, Leiden, 1977 Google Scholar ; Assayag, J., Religion et Société chez les LingBvat-Vlrashaiva du sud de l'Inde (Karnatakà), Paris X-Nanterre (thèse de IIIe cycle inédite), 1983.Google Scholar

53. Replacé dans un contexte politique plus large, ce processus est décrit par Assayag, J., « Modernisation de la caste et indianisation de la démocratie », Archives Européennes de Sociologie, XXVII, 1986.Google Scholar

54. Dans un ouvrage, publié en anglais en 1986, M. Douglas remarquait: «Les anthropologues ont tendance à renverser la question. Ils sont enclins à se demander non pourquoi on oublie mais pourquoi on se souvient, et ils font de la mémoire leur objet d'étude privilégiée » (Ainsipensent les Institutions, Paris, 1989, p. 63), or l'oubli appartient à la tradition qui est autant perte que mémorisation, système qui fait partie intégrante de l'organisation sociale comme on le sait depuis Halbwachs.

55. Comme Kant, déjà, le formulait avec concision: «Le droit ne vient pas au jour avec le droit ».

56. Leach, E., Lévi-Strauss, Glasgow, 1970, chap. 4.Google ScholarPubMed

57. Lévi-Strauss, , Les Mythologiques, I. Le Cru et le Cuit, Paris, 1964, 24.Google Scholar

58. Nous nous inspirons de la typologie de G. Devereux (cf. Supra, note 18.) qui appelle « acculturation dissociative par différenciation » : « l'adaptation du segment-moyen de la culture manifeste, mais non de la culture sous-jacente » (p. 283).

59. Gellner, E., Nations et Nationalisme, Paris, 1989, p. 146.Google Scholar

60. Cf. le recueil d'articles de cet auteur, Mythes, Emblèmes, Traces. Morphologie et histoire, Paris, 1989 (lre éd. 1986).

61. M. Gaborteau rappelle fort justement, dans «Les Ordres Mystiques dans le sous-continent indien, un point de vue ethnologique», dans Popovic, A. et Veinstein, G., Les Ordres Mystiques dans l'Islam. Cheminements et situation actuelle, Paris, 1986, p. 126 Google Scholar, que cette idée n'est pas nouvelle puisqu'elle a été avancée, dès 1831, par Garcin de Tassy.

62. Dumont, L., Religion, Politics and History in India, La Hague, 1970, p. 67.Google Scholar

63. Geertz, C., The Interprétation of Cultures, New York, 1973, p. 259.Google Scholar

64. Nous empruntons à l'ethnométhodologie la conception constitutive de l'interaction sociale, définie comme un ordre négocié et temporaire, grâce à laquelle les acteurs construisent la vie quotidienne.

65. R. Thapar retrace à grands traits dans son article déjà cité, « Syndicated Moksha? », les grandes tensions, quelquefois violentes, entre sectes ou communautés hindoues, que connut la civilisation indienne. Mentionnons surtout que les orientalistes contribuèrent à la fabrication de cette religion de l'Inde sur le modèle des religions monothéistes et de leur organisation ecclésiastique : « The work of integrating a vast collection of myths, beliefs, rituals and laws into a cohérent religion and of shaping an amorphous héritage into a rational faith know as « Hindouism » were endeavours initiated by Orientalists», Knopf, D., «Hermeneutics versus History», Journal of Asian Studies, 39, 3, 1980.Google Scholar

66. Desai, P.B., Jainism in South India, Sholapur, 1957, pp. 23 Google Scholar, 63, 82-3, 124, 397-402.

67. sastri, P. V. Parabrahma, The Kakativas of Warangal, Hyderabad, 1982, 17.Google Scholar

68. Au point que Hassan, M., «Sectarianism in Indian Islam: The Shia/Sunni Divide in the United Provinces », The Indian Economie and Social History Review, vol. 27, 2, 1990 Google Scholar, soutient que ce clivage fut, dans le nord de l'Inde, plus marqué et plus violent que celui entre hindous et musulmans.

69. De tels exemples sont donnés par M. Hasan, « Competiting Symbols and Shared Codes : Inter-Community Relations in Modem India», dans S. Gopal éd., Anatomy of a Confrontation…, op. cit., p. 112 et suivantes.

70. Sur les effets paradoxaux qu'a provoqué l'imposition du cadre démocratique dans la configuration sociologique indienne, un ouvrage reste essentiel : Kothari, R., Politics in India, Delhi, 1970 Google Scholar; l'exemple des Lingâyat, comparé à d'autres cas de figure, est présenté par Assayao, J. dans «Tocqueville chez Kipling. De la Démocratie en Inde — Tradition et Modernité», Archives des Sciences Sociales des Religions, 61, 1, 1989.Google Scholar

71. Sous l'impulsion notamment des vues de Mill, James, The History of British in India, London, 1826 Google Scholar (reprinted 1982). Cet ouvrage façonna la conception de l'Inde de générations d'historiens et d'administrateurs au xixe siècle ; cf. R. Thapar et alii, « Communalism and the writing of… », op. cit, p. 4.

72. Gandhi, Prisoner ofHope, Delhi, 1990, p. 374.

73. « Imagined Religious Community ? Ancient History and the Modem Search for a Hindu Identity », Modem Asian Studies, 23, 2, 1989.