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Homère, Hipparque et la bonne parole

Published online by Cambridge University Press:  26 July 2017

Annie Schnapp-Gourbeillon*
Affiliation:
Université de Paris VIII

Extract

L'intérêt pour le développement de l'écriture, et en particulier le système alphabétique, est assez récent. Il a fallu attendre les travaux de E. Havelock et de J. Goody pour révéler l'existence d'un problème d'ordre conceptuel plutôt que simplement technique dans les premières productions écrites de la Grèce ancienne. Mais comment et où cette écriture intervient-elle ? Pour l'épigraphiste, la réponse est claire : les premiers documents, graffiti ou peintures sur vases, remontent certainement au milieu du VIIIe siècle, sans préjuger de ce qui a pu exister à une date encore plus haute (l'apparition de l'alphabet est plausible au moins dès le début de ce siècle). Les études récentes ont renouvelé un débat qui faisait rage depuis la parution en 1921 du remarquable travail de M. Parry, L'épithète traditionnelle chez Homère, sur l'oralité, totale ou partielle, d'un des trésors littéraires de l'humanité, composé à l'aube de la culture grecque : la poésie homérique. Épineuse question, que je me garderai d'affronter directement, tant elle a suscité de pages imprimées. Mais comment résister à la tentation de l'évoquer une fois encore, de façon détournée, en empruntant des chemins de traverse peu explorés, susceptibles de diriger un éclairage inattendu sur des questions trop rebattues ? Un texte de Platon, relatif au tyran Hipparque, fils de Pisistrate, et à son goût pour la poésie, en fournit le moyen.

Summary

Summary

The question as to the date of the writing down of Homeric poetry is one of the major obsessions of the epic's specialists. The supporters of the notion of a “lower” period dating (i.e. the writing down taking place rather late, that is in the 5th century B.C.) generally base their claim on Plato's depiction of Hipparcus, in which we see the tyrant boasting of having “brought” Homer's poems to Athens. Aside from the narrative's historical inconsistancy, an in-depth examination of the paradigm taken as a whole shows something other that what these authors had hoped to find: an exaltation of orality in an elitist culture in which the “reading” (of inscriptions) concerned the populace alone, the only receiver of the tyrant's authoritative voice. A close study of other later sources provides no solution concerning a possible “writing down” of Homeric poetry, but instead reveals an attitude towards the respective values of writing and speech which was peculiar to ancient society.

Type
Oral/Écrit
Copyright
Copyright © École des Hautes Études en Sciences Sociales, Paris, 1988

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References

Notes

1. Havelock, E., Préface to Platon, Oxford, 1961 Google Scholar ; The Literate Révolution in Ancient Greece and its Cultural Conséquences, Princeton, 1982 ; « The Alphabetization of Homer », dans Havelock, E. et Hershbell, J. R. éds, Communication Arts in the Ancient World, New York, Hastings House Publishers, 1978 Google Scholar ; Goody, J., Literacy in TraditionalSocieties, Cambridge, 1968 ; La raison graphique, Paris, Éditions de Minuit, 1979 Google Scholar ; La logique de l'écriture. Aux origines des sociétés humaines, Paris, Armand Colin, 1986, 197 p.

2. Voir Jeffery, L., Local Scripts in Archaic Greece, Oxford, Clarendon Press, 1963.Google Scholar

3. Parry, M., L'épithète traditionnelle chez Homère, Paris, 1928 Google Scholar ; The Making of Homeric Verses : The Collected Papers ofMilman Parry, Oxford, 1961, rep. New York, 1980.

4. J'utilise pour l'ensemble de cet article les traductions des éditions Les Belles Lettres, à l'exception de la citation de Diogène Laërce (note 16) que j ‘ a i préféré traduire personnellement.

5. Voir sur ce point l'introduction à l'édition Budé (cf. n. 1) ; à ma connaissance ses conclusions restent valables en 1988.

6. Davison, J. A., « Peisistratus and Homer », TAPA 86, 1955, pp. 121.Google Scholar

7. Hérodote, V 55, THUCYDIDe, I, 20, VI, 54.

8. Aristote, Constitution d'Athènes, XVII, 3 et XVIII, 1.

9. Voir pour recension Finley, M. I., Le monde d'Ulysse, trad. frse, Paris, 1968 Google Scholar et thèse à paraître de E. Scheid.

10. Cf. Malinowski, B., Les Argonautes du Pacifique occidental, Londres, 1921 Google Scholar, trad. frse, Paris, 1967, et surtout Mauss, M., « Essai sur le don », dans Sociologie et Anthropologie, Paris, 1950 Google Scholar, 9e éd. 1985.

11. Aristote, Constitution d'Athènes, XVIII, 1.

12. Lycuroue, Contre Léocratès, 102 ss.

13. Voir à ce sujet l'article récent de Frontisi-ducroux, F., « Les limites de l'anthropomorphisme : Hermès et Dionysos », Corps des Dieux. Le temps de la réflexion, VII, 1986, pp. 193211.Google Scholar

14. Voir E. Pozner, Archives in the Ancient World, Harvard, 1972 et pour une mise au point récente S. Georgoudis, « Manières d'archivages et archives des cités grecques » dans L'écriture et ses nouveaux objets intellectuels en Grèce ancienne, sous la direction de M. Détienne, à paraître aux Presses Universitaires de Lille, 1988.

15. Isocrate, Panégyrique, 159 ss.

16. Diogène Laërce, Vie de Solon, I, 57.

17. Plutarque, Vie de Solon, XXIX, 6.

18. Plutarque, Vie de Périclès, XIII, 6.

19. Cicéron, Deoratore, III, 34, 137.

20. C MossÉ, l., « Comment s'élabore un mythe politique : Solon, “père fondateur” de la démocratie athénienne », Annales ESC, 3, 1979, pp. 425437.Google Scholar

21. Scholie à la Deuxième Néméenne de Pindare : recensuit, Drachmann, A. B., Scholia Vêlera in Pindari Carmina, vol. III, Amsterdam, 1966, p. 29 Google Scholar le.

22. Dans une bibliographie trop importante pour être citée ici, retenons Lord, A. B., The Singer of Taies, New York, 1968 Google Scholar, et sur la poésie orale Finnegan, R., Oral Poetry, Cambridge, 1977.Google Scholar

23. Brillante, C., « Episodi iliadici nell'arte figurata e conoscenza dell'Iliade nella Grecia arcaica », RHMUS, n. f. 126, Band 2, 1983, pp. 97125 Google Scholar parle de la « testimonianza quasi unanime délie fonti » (sic) p. 114, et commente d'ailleurs ainsi tout le récit platonicien : « il luogo pseudoplatonico tuttavia riveste un'importanza particolare perché descrive con efficacia e realismo quali furono le condizioni che favorirono l'arrivo ad Atene dei poemi » (p. 123). Le « réalisme » platonicien laisse rêveur.

24. Un des premiers jalons dans l'établissement d'une position nuancée sur la composition orale a été l'article de Parry, A., « Hâve we Homer's Iliad ? » Yale Class. Stud., 20, 1966, pp. 177216 Google Scholar ; voir aussi Heubeck, A., Die Homerische Frage, Darmstadt, 1974 Google Scholar et Schrift (Archaeologia Homerica), III, X, Gôttingen, 1979. Nagy, G., « An Evolutionnary Model for the Text Fixation of the Homeric Epos », Oral Tradition Literature : a Festchrift for Albert Bâtes Lord, Foley, J. M. éd., Columbus (Ohio), 1980, pp. 390393.Google Scholar Un bon dossier comportant l'essentiel des références bibliographiques a été récemment établi par Morris, I., « The Use and Abuse of Homer », Class. Ant., vol. V, n° 1, avril 1986, pp. 81138.Google Scholar

25. Voir note 2 et aussi le dossier établi par M. Cantilena, « Oralisti di ieri e di oggi », Quad. Urb. diCult. Class, n. s., 14, n° 2, 1983, pp. 165-186.

26. Platon, Phèdre, 275d.

27. Eschyle, Suppliantes, 957-958.

28. Iliade, VI, 171-180.

29. Voir à nouveau les travaux de Havelock, E., et particulièrement « The Greek Alphabet », dans The Literate Révolution in Greece and its Cultural Conséquences, Princeton, 1982.Google Scholar

30. Euripide, Iphigénie en Tauride, 759-765.

31. Platon, Protagoras, 325e ss.

32. Aristophane, Nuées, 957-983.

33. Hérodote, VII, 6.

34. Musée est connu également par une mention d'Aristophane dans les Grenouilles (1032) et une autre de Platon en République 364e ; dans les deux cas, il est présenté comme un proche d'Orphée.

35. Hérodote, V, 90.

36. Plutarque, Vie des dix orateurs (Lycurgue, 15).

37. Voir à ce sujet Vernant, J.-P., « De la présentification de l'invisible à l'imitation de l'apparence », Mythe et pensée chez les Grecs. Études de psychologie historique (nouvelle édition revue et augmentée), Paris, Éditions La Découverte, « Fondations », 1985 Google Scholar, et plus généralement Svenbro, J., La parole et le marbre, Lund, 1976.Google Scholar

38. Eschine, Contre Ctésiphon, III, 186.

39. Lycurgue, Contre Léocratès, 102 ss.

40. Platon, Lois, 680a.

41. Eschine, Contre Ctésiphon, 183-185 ; chez Plutarque, la même inscription est citée en termes semblables dans la Vie de Cimon, VII.

42. Voir Ion par exemple.

43. Un document archéologique de grand intérêt (une inscription sur un hermès qui pourrait être due à Anacréon) est étudié par J. Labarbe sur l'épigramme IG I 2 834, Akte des IV internationalen Kongresses fur griechische und lateinische Epigraphik, Vienne, 1964, pp. 202-213.

44. Plutarque, Vie de Nicias, XXIX.

45. Un travail important sur ce sujet a déjà été accompli, que l'on trouvera dans deux volumes à paraître. Le premier, sous la direction de M. Détienne, est cité à la note 14. Le second est dû à J. Svenbro et est actuellement sous presses aux Éditions La Découverte.