Au petit matin d’une journée d’automne 1964, l’écrivain italien Leonardo Sciascia parvenait à se faufiler clandestinement dans le palais Chiaramonte, un bâtiment massif du xiv e siècle aux abords austères, sis piazza Marina à Palerme. Connu également sous le nom d’ Hosterium Magnum – ou plus communément sous son abréviation Steri –, le palais avait appartenu à une riche famille de la noblesse sicilienne, les comtes Chiaramonte de Modica, avant de devenir une résidence royale et vice-royale, puis d’abriter, à partir des premières années du xvii e siècle, le tribunal du Saint-Office et ses « prisons secrètes », construites à partir de 1603 dans la cour adjacente à l’édifice. Transformé au xix e siècle en dépôt d’archives de différentes magistratures, puis en cour pénale, le Steri , finalement réaffecté au rectorat de l’université de Palerme, était en chantier depuis la fin des années 1950. Sciascia avait été averti par l’un de ses amis, le journaliste Giuseppe Quatriglio, que les travaux de restauration du bâtiment menaçaient de détruire une série de graffiti et d’inscriptions réalisés par les prisonniers de l’Inquisition Footnote 1 . Face aux risques de perte irrémédiable qui pesaient sur ces témoignages remarquables de la vie carcérale et de l’histoire des persécutions, l’écrivain entreprit de faire photographier, par Ferdinando Scianna, les écritures et les dessins apposés sur les parois de plusieurs cellules. Dix ans plus tard, il constatait que les travaux avaient bel et bien détérioré une partie des images et lançait une nouvelle campagne de documentation photographique des graffiti des prisons du Steri .
En 1977, Sciascia faisait publier chez l’éditeur palermitain Sellerio un petit ouvrage présentant les photographies des cellules. L’auteur de Mort de l’inquisiteur introduisait également dans ce livre un texte posthume de Giuseppe Pitrè : à la faveur de travaux de restauration au début du xx e siècle dans le bâtiment des prisons secrètes et grâce à la vigilance des ouvriers du chantier, ce grand folkloriste et historien sicilien avait, lui aussi, exhumé des inscriptions et des dessins recouverts d’enduits Footnote 2 . Pendant six mois, en 1906, il écailla patiemment ces couches superficielles de chaux et de plâtre qui dévoilèrent des murs entiers d’écritures en tous genres : noms, initiales, dates, figures de saints et d’orants, dessins de paysages, maximes, ou encore poèmes écrits dans différentes langues, en italien, en latin, en sicilien pour la plupart Footnote 3 .
Fameux pour avoir collecté de nombreux contes de fées, légendes et chansons du folklore sicilien – au point d’être considéré comme le fondateur de l’ethnographie sicilienne –, Pitrè souhaitait également sauver de l’oubli, au moyen de transcriptions, de commentaires et de photographies, ces dessins et ces textes qu’il appelait des « palimpsestes de prison » Footnote 4 . L’expression n’était pas nouvelle : Cesare Lombroso avait titré ainsi l’un de ses recueils d’anthropologie criminelle qui répertoriait (pour les « hommes de science » uniquement) les écrits des prisonniers figurant sur une grande variété de supports : murs, meubles, poteries, etc. Ces inscriptions, qui formulaient des plaintes, des protestations, et parfois des obscénités, constituaient d’après lui autant d’indices de l’existence d’une « graphie criminelle » renseignant la physionomie d’un criminel-né, voire d’une race « très malheureuse », dangereuse et inférieure Footnote 5 . La démarche de Pitrè était tout autre : volontaire garibaldien, attaché aux arts et aux cultures populaires, le folkloriste tentait, à travers toutes les « manifestations graphiques » retrouvées dans les prisons secrètes du Saint-Office, de sauvegarder, à l’instar des fables qu’il avait collectées, les voix et les messages d’une « génération perdue » et oubliée de prisonniers de l’Inquisition Footnote 6 . Si tous deux cherchaient à récolter dans ces « palimpsestes de prison » l’expression de la douleur et de la dureté de la vie carcérale, Lombroso et Pitrè témoignaient de deux opérations disciplinaires et cognitives différentes : tandis que la première visait à produire une documentation destinée à la science médicale et pénale en vue de la construction d’une « criminologie positive », la seconde entendait ressusciter des écritures ordinaires et anonymes, des voix du passé qui permettaient d’accéder de façon plus littéraire et suggestive à une histoire polyphonique et sensible Footnote 7 .
Malgré Pitrè, malgré Sciascia, il fallut attendre de nouveaux travaux de restauration du Steri , entre 2000 et 2007, et la découverte d’inscriptions, dessins et graffiti au rez-de-chaussée des prisons de l’Inquisition pour susciter un regain d’intérêt pour ces écritures carcérales. On doit à Maria Sofia Messana, spécialiste de l’Inquisition en Sicile, d’avoir entrepris un premier travail d’inventaire des graffiti et des dessins conservés sur les murs des geôles du Steri : à mesure que les restaurateurs mettaient au jour de nouvelles inscriptions, elle tentait de les relier aux procès et aux individus qu’elle était parvenue à identifier dans une riche base de données d’environ 6 500 personnes traduites devant le tribunal sicilien du Saint-Office, de son instauration au tournant du xvi e siècle jusqu’à son abolition à la fin du xviii e siècle Footnote 8 . Un an après la fermeture officielle du tribunal en 1782, le vice-roi Domenico Caracciolo avait donné l’ordre de jeter au feu une grande partie des archives siciliennes des procès du tribunal, des interrogatoires et des témoignages des prisonniers et prisonnières. L’Archivo Histórico Nacional de Madrid conserve néanmoins la correspondance entre l’Inquisition de Palerme et son autorité de tutelle, le Conseil de l’Inquisition Suprême et Générale (appelé communément la Suprema ), des relaciones de causas , des résumés de procès envoyés en Espagne, des dossiers sur des cas litigieux ou encore des controverses sur des points de droit ou de théologie particuliers, rédigés par les juges comme par les adversaires de l’Inquisition. Les graffiti des cellules du Steri venaient par conséquent ajouter une autre strate documentaire à l’histoire de l’Inquisition espagnole de Palerme.
Après la disparition prématurée de M. S. Messana en 2011, Giovanna Fiume, professeure à l’université de Palerme, a poursuivi les recherches sur les écritures murales des prisonniers du Saint-Office. Elle fut bientôt rejointe par toute une équipe de chercheuses et chercheurs, en particulier Rita Foti, Mercedes García-Arenal, Valeria La Motta, Gianclaudio Civale et Anna Clara Basilicò, qui a contribué à identifier les parcours judiciaires d’auteurs possibles des graffiti afin d’en interpréter les significations et les enjeux. Reconnue pour ses travaux sur l’histoire de l’esclavage et de la captivité en Sicile Footnote 9 , sur les morisques Footnote 10 , sur les saints africains (comme Benoît le Maure ou Antoine de Noto) révérés en Sicile et en Amérique du Sud Footnote 11 , G. Fiume a consacré plus d’une dizaine d’années de recherche à l’histoire des graffiti des prisons du Steri , multipliant les rencontres, les colloques et les séminaires destinés à étudier et à mettre en valeur la richesse de ces marques visuelles de l’enfermement à l’époque moderne. Elle a ainsi transformé l’analyse des graffiti palermitains en véritable enquête collective, sollicitant les regards, les méthodes et les interprétations de spécialistes de la Méditerranée, de l’Inquisition, des arts et de l’écrit Footnote 12 . Elle s’est par ailleurs efforcée d’accompagner cette opération historiographique d’actions institutionnelles et politiques, menées auprès des autorités académiques palermitaines qui ont la tutelle des lieux, pour protéger et tenter de préserver ces inscriptions fragiles Footnote 13 – à l’instar des grottes ornées classées au patrimoine mondial de l’UNESCO.
Avec l’ouvrage Del Santo Uffizio in Sicilia e delle sue carceri (Du Saint-Office en Sicile et de ses prisons) – un titre en forme de clin d’œil au texte posthume de Pitrè Footnote 14 –, G. Fiume tire de cette somme de recherches, individuelles et collectives, une vaste synthèse, abondamment documentée et illustrée, qui retrace non seulement l’histoire du tribunal de l’Inquisition espagnole à Palerme, avec ses procédures et son fonctionnement, mais aussi celle des prisonniers et prisonnières, du quotidien carcéral et des convictions religieuses des accusés. À partir de l’analyse fouillée d’un tribunal et de ses prisons, elle parvient à faire dialoguer plusieurs domaines très actifs de la recherche historique, depuis les études sur le Saint-Office en Méditerranée jusqu’à celles consacrées aux cultures de l’écrit et aux patrimoines carcéraux. En cela, son ouvrage et les travaux collectifs qu’elle a conduits offrent l’occasion d’un état des lieux historiographique qui permet de réfléchir plus largement au rôle, à la fonction et à l’heuristique des archives murales.
Écrire une « prison de la foi »
Les recherches de G. Fiume sur le tribunal de Palerme sont d’abord une contribution importante à l’histoire et à l’historiographie du Saint-Office. L’Inquisition espagnole de Sicile a fait l’objet de plusieurs travaux centrés sur les aspects institutionnels et procéduraux de la magistrature Footnote 15 ainsi que sur l’histoire locale et diplomatique des conflits politiques et religieux entre la Sicile, le Saint-Siège et l’Espagne Footnote 16 , avant d’intéresser davantage les spécialistes de l’histoire des hérésies, des frontières confessionnelles et religieuses ou encore de la magie et de la sorcellerie Footnote 17 . L’ouverture des archives secrètes du Saint-Office romain, au mitan des années 1990, a suscité une nouvelle vague de recherches, qui ont abordé aussi bien les procédures des tribunaux inquisitoriaux que les conflits de compétences avec les autorités laïques et ecclésiastiques ou encore les pratiques religieuses et les savoirs des hommes et des femmes traduits devant le tribunal Footnote 18 . Par-delà la controverse, déjà vive à l’époque moderne Footnote 19 , entre légende noire et légende dorée de l’Inquisition, les archives des procès du Saint-Office ont pu renseigner sur la fabrique – religieuse et politique – des catégories de l’hérésie et des comportements jugés anomaux dans différentes parties du monde, des péninsules italienne et Ibérique jusqu’à la vice-royauté du Pérou ou à Goa Footnote 20 . Malgré les rapports de force inégaux instaurés lors des procès, en dépit du caractère biaisé d’aveux parfois obtenus sous la torture, les procès de l’Inquisition recèlent des informations d’une évidente valeur ethnographique et historique Footnote 21 .
Les graffiti viennent ajouter une strate documentaire à cet important corpus d’archives, ouvrant des pistes nouvelles pour mieux comprendre le système judiciaire, pénal et carcéral du Saint-Office. La présence d’écritures murales est d’ailleurs attestée dans d’autres tribunaux de l’Inquisition : la Torre del Trovador, dans le palais de l’Aljafería à Saragosse, abrite des murs remplis de noms et de dessins, dont un damier destiné au jeu d’échecs ou de dames, des étoiles, une caricature, des barques et des poissons, ou encore des oiseaux Footnote 22 . À Narni, en Ombrie, une cellule de l’ancien couvent de Santa Maria Maggiore, siège du tribunal local de l’Inquisition, est recouverte de noms, de dessins en tous genres (un fauconnier, un soleil, une lune, des oiseaux, etc.) ou de dates Footnote 23 . À Malte également, les prisons du palais de l’Inquisiteur conservent de nombreux graffiti de navires, de croix, des inscriptions en arabe et en grec, des dessins de tulipes et de roses Footnote 24 . En s’appuyant sur les écritures murales, et notamment les dessins de chaînes et de geôliers représentés sur les parois des cellules du Steri , G. Fiume réfléchit aux mécanismes judiciaires qui mènent à l’enfermement et, plus largement, aux rôles joués par la détention dans les différentes étapes de la procédure et de la discipline inquisitoriales Footnote 25 .
Del Santo Uffizio in Sicilia dialogue ainsi avec les travaux consacrés à l’histoire des prisons et des expériences de la réclusion, au carrefour de l’histoire du droit, de celle des institutions, et de l’anthropologie. Loin de s’en tenir, dans le sillage de Michel Foucault (dans l’ Histoire de la folie ou Surveiller et punir ), aux discours produits par les pouvoirs sur le monde pénitentiaire, il s’agit de s’intéresser aux pratiques sociales et aux comportements des acteurs de l’incarcération (détenus comme geôliers) afin de mieux saisir ce qu’il pouvait se passer entre et hors les murs Footnote 26 . Plusieurs travaux récents d’histoire moderne ont ainsi proposé de scruter les interactions sociales et économiques non seulement au sein de la prison, entre les prisonniers et/ou les gardiens, mais aussi avec le milieu urbain et les sociétés environnantes Footnote 27 . Dans une ambitieuse étude comparative sur l’enfermement des minorités religieuses à l’époque moderne, Natalia Muchnik s’est demandé comment les détenus pour faits de religion (catholiques anglais, marranes, morisques, crypto-protestants français) investissaient les espaces carcéraux, c’est-à-dire comment, par-delà d’éventuels signes de résistance, ils se les appropriaient pour les transformer en véritables lieux communautaires Footnote 28 . G. Fiume en retient l’idée d’un « espace péri-carcéral » composite : les prisons de l’époque moderne n’étaient pas des isolats coupés du monde, mais bien des espaces sociaux et relationnels poreux Footnote 29 . Les graffiti constituent précisément l’une des manifestations visibles, matérielles, de cette appropriation de l’espace carcéral par les prisonniers, fonctionnant comme autant d’empreintes graphiques d’une présence, d’une mémoire, d’une transmission de gestes, d’idées, de désaccords, de revendications (religieuses et politiques) ou de formes de dévotion Footnote 30 . Destinés à être lus, observés, commentés, annotés le cas échéant, ils témoignent d’un dialogue – parfois à distance – entre codétenus, mais aussi avec l’institution carcérale, les geôliers et les pouvoirs Footnote 31 . En effet, ces « graffiti judiciaires », comme on serait tenté de les appeler, semblent mettre en cause des dimensions constitutives du procès d’Inquisition, à commencer par le secret de la procédure. Cependant, l’ampleur, en nombre et en taille, des graffiti de Palerme interrogent leur caractère subversif : faut-il les interpréter comme des actes de résistance et des protestations politiques – à la façon des études sur la « délinquance graphique » du xix e siècle Footnote 32 ? Ou bien traduisent-ils des formes d’accords et d’ententes entre détenus et gardiens ? Plus simplement, ne s’agit-il pas d’une pratique courante et tolérée dans les prisons, voire les sociétés de l’époque moderne ?
L’intérêt historiographique porté aux écritures murales doit beaucoup à la reconnaissance des graffiti comme objets d’histoire à part entière. Ces derniers ont suscité des recherches pionnières, en particulier pour les périodes anciennes, depuis l’étude des graffiti de Pompéi par Raffaele Garrucci au milieu du xix e siècle (qui a joué un rôle dans la diffusion même du terme « graffiti »), jusqu’à celle menée, dans les années 1960, par Violet Pritchard sur les inscriptions et les dessins médiévaux gravés ou apposés sur les colonnes et les murs des églises de Grande-Bretagne Footnote 33 . Ces importants corpus d’inscriptions ont plus récemment intéressé les spécialistes d’histoire moderne, qui se sont penchés sur les écritures que l’on peut encore observer sur les parois de monuments en tous genres : bibliothèques, palais, églises, lieux de pèlerinage ou encore galeries de peintures Footnote 34 . En faisant dialoguer l’histoire de l’art et l’anthropologie des artefacts et de l’écriture, Charlotte Guichard a proposé de scruter au plus près la multitude des noms, signatures, dates, ébauches dessinées, parfois minuscules, inscrits par des artistes de passage sur les fresques de la Rome moderne. Ces écritures murales ne sont plus envisagées (anachroniquement) comme des actes de vandalisme, de simples objets de curiosité ou traces documentaires, mais bien comme des pratiques courantes et longtemps acceptées, des actions et des empreintes qui manifestent l’existence d’un rapport familier et incorporé aux artefacts Footnote 35 . En réintégrant pleinement les graffiti dans l’œuvre, C. Guichard propose de repenser les temporalités de l’histoire de l’art et le rôle joué par l’expérience physique et tactile dans la trajectoire des artistes et dans leurs manières d’attester, par leurs noms et leurs signatures, la rencontre avec les œuvres et les chefs-d’œuvre Footnote 36 . Les graffiti sont ici conçus comme des « écritures exposées », plus ou moins lisibles, visibles et déchiffrables, qui nouent « la question du geste, de l’inscription et du lieu », c’est-à-dire celle de la culture et de la raison graphiques, des actions d’écriture et de l’appropriation individuelle et collective des hauts lieux.
Dans le sillage de ces travaux d’histoire de l’art, nourris eux-mêmes des recherches fondatrices d’Armando Petrucci sur l’anthropologie des écritures, G. Fiume inscrit les graffiti de l’Inquisition de Palerme au sein d’une « graphosphère » urbaine plus vaste qui lui permet d’analyser tout à la fois la « forte signification figurative » des écritures et des dessins réalisés sur les parois des prisons du Steri et la façon dont ils réverbèrent et intègrent une culture graphique ordinaire et quotidienne, visible sur les murs de la ville (affiches, bans, inscriptions, enseignes), les objets, les gravures, les libelles, les almanachs, ou encore les décors d’église Footnote 37 . En cela, les murs des prisons fonctionnent comme de véritables « espaces graphiques », envisagés par les détenus comme des supports et des moyens de communication Footnote 38 . Dans un article récent, Laurent Cuvelier a d’ailleurs rappelé qu’on trouvait partout à l’époque moderne, sur les murs des intérieurs domestiques, des cabarets et des auberges, des inscriptions de noms, des petites figures, des extraits de la Bible, des recettes, des prières, des jeux : ce ne fut qu’à partir des dernières décennies du xviii e siècle que les graffiti commencèrent à être associés à la transgression, au vandalisme et à l’illégalisme Footnote 39 .
En écrivant non seulement sur les murs des prisons, mais aussi plus directement les murs des prisons, les victimes de l’Inquisition documentent des pans méconnus de la vie carcérale, dans leur dimension matérielle comme intellectuelle. Il ne s’agit plus uniquement de s’intéresser aux écrits de réclusion produits depuis les cellules, à l’instar des correspondances, des carnets ou des cahiers de prisonniers, mais bien de s’attacher à des inscriptions souvent plus anonymes et hétéroclites. Del Santo Uffizio in Sicilia participe à ce titre d’une attention historiographique en plein essor pour les « écritures prisonnières » – entre arts et archives –, et d’une reconnaissance, plus globale, d’un « patrimoine carcéral » spécifique à collecter, mais aussi à sauvegarder et à protéger Footnote 40 . À la Libération, à l’initiative du ministère des Prisonniers, Déportés et Réfugiés, Henri Calet fit publier un recueil des graffiti inscrits par les résistants de la prison de Fresnes, pour identifier les disparus et les fusillés, et recueillir les récits des victimes de la torture et des condamnés à mort Footnote 41 . Si la collecte de Calet répondait d’abord à l’urgence de conserver des informations et des témoignages décisifs sur l’histoire de la Seconde Guerre mondiale, elle mettait aussi en lumière l’importance d’une « mémoire des murs » contemporaine, émouvante et édifiante, digne de conservation et d’enregistrement Footnote 42 . Tout comme Pitrè puis Sciascia, Calet avait en effet conscience du caractère précaire et fragile des écritures de prison, parfois effacées, détruites ou recouvertes à l’occasion de travaux ou de déménagements. Parallèlement à ces collectes, les artistes contemporains, à l’image de Jean Dubuffet et de Brassaï, contribuaient à ériger les graffiti au rang d’« art brut », faisant des murs des rues, des prisons et des hôpitaux psychiatriques les réceptacles éphémères des paroles émouvantes des « sans voix » Footnote 43 .
Il fallut cependant attendre les années 1990 pour que soit reconnue la double valeur, à la fois patrimoniale et scientifique, esthétique et ethnographique, des graffiti de prisonniers, à la confluence des études littéraires, de l’anthropologie et de l’histoire Footnote 44 . La fermeture et la reconversion de nombreux centres pénitentiaires, au tournant du xxi e siècle, ont fait prendre conscience, en effet, du risque de voir disparaître ces témoignages précieux de la vie carcérale Footnote 45 . Des relevés photographiques, des moulages, des « enquêtes-collectes » ont ainsi permis d’inventorier et de conserver la trace de graffiti – comme les prisons des Baumettes à Marseille ou Sainte-Anne à Avignon – menacés de destruction Footnote 46 . Ces campagnes photographiques documentaires ne visent pas – ou tout du moins pas seulement – à rendre compte de la dimension esthétique de ces graffiti : les sciences sociales s’en emparent également pour réfléchir aux souffrances des détenus comme à leurs actions et à leurs transactions dans l’espace carcéral. Aussi Emmanuel Fureix a-t-il récemment proposé de « faire parler » les murs du château d’If et de la tour de Crest (dans la Drôme) pour penser les graffiti révolutionnaires des prisonniers du xix e siècle comme des techniques, des « arts de faire » protestataires, des actes subversifs et politiques qui transforment l’espace et le temps de la prison Footnote 47 .
La démarche de G. Fiume sur les graffiti de Palerme obéit quant à elle à une double opération, patrimoniale et historiographique, qui ne sépare pas, comme nous allons le voir plus en détail, la conservation et l’analyse des inscriptions et des dessins du Steri . C’est à cette aune qu’il faut également mesurer l’importance du volumineux Inventario publié par R. Foti qui répertorie et reproduit, à l’initiative de M. S. Messana et de G. Fiume, tous les graffiti des prisons de l’Inquisition de Palerme, depuis les six cellules du rez-de-chaussée jusqu’aux quatre cellules du premier étage, parois après parois, dessins après dessins, inscriptions après inscriptions. L’enjeu de cet ouvrage consiste à la fois à sauvegarder et préserver sur un autre support ces riches inscriptions du xvii e siècle, et à constituer un véritable corpus des écritures prisonnières palermitaines qu’il s’agit de repérer, de photographier, de décrire, de transcrire et de commenter, comme on organiserait l’inventaire d’un fonds d’archives Footnote 48 . Le choix du terme « archives », à l’ère du « tournant archivistique », n’est pas anodin : en le mobilisant, R. Foti invite à penser l’étude critique des graffiti de Palerme comme une opération historiographique et le travail d’inventaire comme un outil de la réflexivité historienne Footnote 49 . Elle envisage chaque signe apposé sur les murs de l’Inquisition comme des documents à déchiffrer afin de relier les graffiti les uns aux autres, de donner des informations sur leurs éventuels auteurs, de penser le rapport entre les textes et les images à l’intérieur des cellules et, enfin, d’identifier de véritables cycles poétiques et picturaux. Elle tire de cette collecte minutieuse et de ce patient travail paléographique plusieurs conclusions : les graffiti et inscriptions des cellules du Steri datent pour l’essentiel de la première moitié du xvii e siècle. Leurs auteurs sont peu nombreux, mais ils ont beaucoup écrit. En se référant elle aussi à l’histoire et à l’anthropologie des « écritures exposées », R. Foti repère plusieurs « programmes d’exposition graphique » entendus, avec A. Petrucci, comme « une série de produits écrits homogènes et rendus cohérents par des affinités graphiques formelles et textuelles » : chacun est pourvu d’une marque (un nom, des initiales, un signe) qui permet d’en identifier l’auteur, le dominus ou « maître de l’espace graphique » Footnote 50 . Plusieurs scripteurs ont ainsi circulé de cellule en cellule, contribuant à une dissémination de leurs écritures en différents endroits des prisons du Steri . Quelques cellules ont par ailleurs fait l’objet d’une véritable appropriation collective, où l’on peut identifier de multiples strates d’interventions, difficiles à rapporter à un unique auteur Footnote 51 . Cet inventaire ne clôt évidemment pas l’étude de ce fascinant corpus : comme le rappelle R. Foti en préambule, il est une invitation faite aux chercheuses et aux chercheurs à s’emparer d’un instrument décisif pour étudier et approfondir l’histoire de ces archives murales Footnote 52 .
Inquisition, prisons et hérésies méditerranéennes
Le livre de G. Fiume, Del Santo Uffizio in Sicilia e delle sue carceri , peut être décomposé en trois grandes parties, qui resserrent peu à peu la focale sur les parois et les graffiti des cellules du palais Chiaramonte. Les trois premiers chapitres relatent l’histoire de l’établissement, du fonctionnement de l’Inquisition en Sicile et de ses cibles. Les deux suivants s’intéressent au complexe du palais Chiaramonte et à la façon dont le Saint-Office parvint à y établir son tribunal et ses prisons. Les quatre derniers chapitres se concentrent sur les graffiti des prisonniers et proposent différentes pistes pour lire et interpréter les dessins et les écritures exposés sur les parois du Steri .
Remontant à la période normande de l’île et à l’Inquisition épiscopale du Moyen Âge, G. Fiume s’attache tout d’abord à déplier l’écheveau complexe des juridictions ecclésiastiques et civiles de la vice-royauté aragonaise puis espagnole. Elle s’intéresse aux nombreux conflits de compétence entre la juridiction de l’Inquisition espagnole, instituée en 1487 en Sicile et en vigueur jusqu’en 1782, et les autorités locales : les vice-rois, les juges royaux, le parlement sicilien ou encore l’archevêque de Palerme. L’extension considérable des pouvoirs juridictionnels de l’Inquisition passa par la protection de nombreux « familiers » du tribunal, à savoir des membres de l’aristocratie sicilienne au service de l’institution, qui bénéficiaient du privilège du for ecclésiastique et de nombreuses immunités juridictionnelles (en particulier le droit de porter des armes et de ne pas ressortir de la justice vice-royale) Footnote 53 . La concordia de 1553 décidée en Castille visait à la fois à réduire la juridiction du tribunal de la foi et à limiter le nombre considérable de ces « familiers » (ils étaient encore 1 572 en 1577 et protégeaient une parentèle élargie d’à peu près 25 000 personnes sur une population totale d’environ 800 000 habitants). De nouvelles concordias , notamment celle promulguée par Philippe II en 1597, parvinrent davantage à réduire les compétences du tribunal du Saint-Office en Sicile, ce qui n’empêcha pas l’institution de connaître l’acmé de sa politique répressive entre les dernières décennies du xvi e et le milieu du xvii e siècle. Lorsque la Sicile passa aux mains du duc de Savoie en 1713, puis à celles des Habsbourg en 1720, le tribunal resta sous l’égide de la Suprema de Madrid, mais les Inquisiteurs généraux étaient désormais nommés par les souverains à Turin puis Vienne, entraînant de nouvelles controverses diplomatiques et juridictionnelles. En 1738, un bref du pape Clément XII émancipait le tribunal sicilien de la tutelle madrilène : l’Inquisition de Palerme devenait une magistrature locale du nouveau royaume des Deux-Siciles, dont l’utilité était de plus en plus contestée par les réformateurs des Lumières. L’abolition du tribunal en 1782 fut d’ailleurs annoncée avec fierté par le vice-roi Caracciolo à son ami d’Alembert dans une lettre publiée en juin par le Mercure de France , où il s’enorgueillissait d’avoir fait abattre un « terrible monstre ». Après avoir fait effacer les armoiries du Saint-Office et l’inscription Deus judica causam tuam (Dieu, juge ta propre cause) sur le bâtiment, il fit saisir les archives (pour, bientôt, les jeter aux flammes) et « ouvrir la porte des prisons », où il trouva « trois vieilles femmes, le rebut de l’humanité, accusées de sortilège », qu’il renvoya chez elles Footnote 54 .
L’examen des procédures rappelle le secret qui entourait toutes les étapes, depuis la phase inquisitoire des accusations et le recueil des témoignages – nécessaire à l’établissement du libelle d’accusation – jusqu’à la phase défensive du procès durant laquelle les inquisiteurs pouvaient recourir à la torture (en particulier le supplice de l’estrapade) pour obtenir les confessions du prévenu. Les prérogatives du tribunal, doté de larges pouvoirs d’enquête et d’une puissante milice de « familiers », s’étendaient non seulement aux hérésies et à la discipline des âmes, mais aussi aux rébellions et conjurations considérées, au même titre que la sorcellerie, comme des crimes de lèse-majesté. Avec ses sentences irrévocables, le tribunal devenait ainsi un puissant instrument de contrôle politique au xvii e siècle. Il organisa, de 1487 à 1782, 315 cérémonies d’autodafés, ponctuées de musique et de jeux équestres, et largement relayées par des gravures et des chroniques. Ces grands spectacles judiciaires publics contrastaient de façon manifeste avec le secret de la procédure. Les accusés devaient abjurer publiquement leurs péchés et être recouverts le cas échéant d’un san-benito , une casaque infamante (pour un temps ou à vie) Footnote 55 . Ils étaient condamnés à des peines de prison ou aux galères. Dans les cas les plus graves, ils étaient « relâchés au bras séculier », c’est-à-dire condamnés à mort : sur 6 500 procès recensés, l’Inquisition sicilienne prononça la peine capitale pour 201 accusés et en brûla en effigie 279 autres Footnote 56 .
La réclusion dans les prisons était également un rouage crucial de la procédure d’Inquisition : le dur traitement des prisonniers était censé accélérer l’obtention d’aveux modelés pour correspondre aux questions et aux accusations des juges. La vie carcérale était également scrutée par les inquisiteurs : certains codétenus ou surveillants avaient le statut de testigos de cárcel et pouvaient accuser un prisonnier d’avoir blasphémé ou rapporter des propos qui l’incriminaient. Le tribunal avait même la réputation de stipendier des espions dans les cellules Footnote 57 . Les détenus communiquaient parfois entre cachots voisins : un graffito écrit en sicilien, daté de 1644 et situé dans une latrine d’une cellule du premier étage du Steri fait ainsi la mention de trous ( pirtusi ) au travers desquels les prisonniers parvenaient à se faire passer des billets et autres menus objets ou par lesquels, plus simplement, ils parlaient et se transmettaient des informations Footnote 58 . Les prisonniers et prisonnières de l’Inquisition disposaient en effet de papier, d’encre, parfois de livres ; ils se prodiguaient des conseils sur les stratégies défensives à adopter (abjurer et vanter les mérites de la religion catholique, en appeler au pape, etc.). On retrouve des recommandations apposées discrètement sur les murs du Steri : toujours dans l’embrasure d’une latrine, écrit à la combustion d’une chandelle, un prisonnier inscrit NEGA (« NIE »), invitant les codétenus à parler le moins possible aux juges durant les interrogatoires Footnote 59 .
G. Fiume propose également une analyse très documentée des différents délits et hérésies poursuivis par le Saint-Office. Membre de la revue Quaderni storici , rompue à l’analyse microhistorienne des procès, elle articule finement études de cas, trajectoires individuelles (parfois détaillées dans d’abondantes notes de bas de page) et fabrique des catégories juridiques et théologiques de l’hérésie. Elle les rapporte aussi aux spécificités locales de la Sicile, qu’il s’agisse de sa position de carrefour au cœur des trafics méditerranéens, de son rôle dans la guerre de course (le corso ) et le commerce des captifs musulmans, ou encore de sa discipline confessionnelle jugée déficiente par des missionnaires jésuites comparant volontiers le sud et les îles de l’Italie aux « Indes » (les Indie di quaggiù ) Footnote 60 . Les principales cibles de l’Inquisition dans l’île étaient les personnes suspectées de crypto-judaïsme : la méfiance des pouvoirs ecclésiastiques et politiques à l’égard des néophytes, pour la plupart convertis au catholicisme à cause du décret d’expulsion des juifs de 1492-1493, avait d’ailleurs été l’un des moteurs essentiels de l’implantation de l’Inquisition espagnole en Sicile. On surveillait les habitudes alimentaires des convertis, leurs activités le jour du shabbat ou des fêtes juives, d’éventuelles participations à des cérémonies et rituels : sur 1 965 « judaïsants » (dont 620 « judaïsantes »), soit près de 31 % des accusés traduits devant l’Inquisition sicilienne, seuls 5 furent absous. Durant la première moitié du xvi e siècle, des familles entières de crypto-juifs furent condamnées aux peines les plus sévères : 149 « judaïsants » périrent sur le bûcher pour la seule période 1511-1550 Footnote 61 . Les « réconciliés » subissaient quant à eux des peines de prison et la confiscation de leurs biens. En outre, l’Inquisition sicilienne poursuivait massivement ceux que les documentations produites en chrétienté appelaient les « renégats », ces captifs et esclaves au Maghreb convertis à l’islam Footnote 62 . Ces derniers présentaient aux inquisiteurs des récits souvent identiques et stéréotypés pour justifier leur apostasie : la violence de la capture, les mauvais traitements et les brimades des maîtres musulmans pour les pousser à la conversion, la peur de ne jamais être rachetés, la fausse pratique de l’islam pour espérer fuir leur condition, voire l’Afrique du Nord Footnote 63 . Le tribunal tendait à absoudre ou à réconcilier ces anciens captifs, et ne « relâchait au bras séculier » que les récidivistes et celles et ceux qui étaient accusés de vouloir regagner le Maghreb. L’Inquisition traquait également les morisques, expulsés d’Espagne en 1609-1614 : outre les réfugiés, nombre d’entre eux, hommes, femmes et surtout enfants, étaient réduits à un état servile en Sicile après une étape en Afrique du Nord où ils étaient ouvertement retournés à l’islam. Leur stratégie défensive commune consistait à comparaître spontanément devant l’Inquisition pour expliquer leur passé, abjurer et demander à être réconciliés Footnote 64 . La majeure partie de ces crypto-musulmans fut traduite devant les juges du tribunal sicilien au cours de la période 1550-1650.
En plus des cas de crypto-judaïsme et de crypto-islam, l’Inquisition pourchassait les hérétiques, des luthériens et calvinistes jusqu’aux Alumbrados, en passant par les quiétistes disciples de Miguel de Molinos à la fin du xvii e siècle. Une particularité sicilienne consistait en la poursuite de « schismatiques » orthodoxes et gréco-albanais, pour la plupart réfugiés en Sicile dans les premières décennies du xvi e siècle et accusés d’avoir dénigré le rite latin ou le pape Footnote 65 . Il n’était pas toujours aisé de distinguer entre « hérésies », « blasphèmes » et « propositions hérétiques » (sur l’enfer, la nature du Christ et de la Vierge, le péché originel) des accusations souvent combinées à celles de magie, d’adoration du diable, de messes noires et de sorcellerie. G. Fiume évoque par exemple la croyance largement partagée en Sicile dans les figures de donne di fora , ces magiciennes mi-fées mi-sorcières qui, à l’image des benandanti étudiés par Carlo Ginzburg, participaient à des sabbats nocturnes pour guérir les enfants malades ou assurer de bonnes récoltes Footnote 66 . Sorciers, magiciens, rebouteux, kabbalistes, alchimistes, nécromanciens appartenaient à toutes les strates de la société sicilienne : laïcs comme ecclésiastiques, nobles et paysans, médecins et avocats, soldats et marins, esclaves et mendiants. Les accusées étaient, elles aussi, aristocrates comme vendeuses ambulantes, religieuses, aubergistes ou gitanes. Sur les 976 inculpés pour sorcellerie par l’Inquisition de Sicile, on trouve 516 femmes et 460 hommes, soit une proportion féminine moindre que dans le reste de l’Europe à l’époque moderne Footnote 67 . Le Saint-Office étendit également sa juridiction à la bigamie (des hommes à 85 %) et au concubinage, ainsi qu’aux délits de nature sexuelle, comme la sodomie ou les avances sexuelles sollicitées par les prêtres lors de la confession.
Avec l’attribution du Steri à la fin du xvi e siècle, le Saint-Office entreprit la construction de ses prisons secrètes, attenantes au prestigieux palais. Situées au rez-de-chaussée, les premières cellules furent achevées en 1610 ; face à l’augmentation du nombre de détenus, de nouvelles cellules furent ajoutées en 1630, au premier étage du complexe. Durant les années 1650, le quartier pour les femmes (jusqu’ici situé au premier étage) fut transféré dans de minuscules salles, dans une partie séparée du complexe. Les prisonniers, souvent au nombre de trois ou quatre par cellule, pouvaient demeurer en moyenne deux à cinq ans dans les geôles du Saint-Office, en attente de leurs jugements. Les cellules du Steri étaient un moyen de briser la résistance des inculpés durant le procès et, à ce titre, elles furent également utilisées par les vice-rois, notamment à partir des révoltes anti-espagnoles de 1647, pour enfermer des opposants politiques ou les auteurs de conjurations. De la même façon que les geôles du Saint-Office étaient considérées comme des prisons d’État, l’Inquisition s’appuyait sur un vaste « archipel carcéral » sicilien pour l’enfermement des condamnés : ceux-ci pouvaient être ensuite reclus dans des prisons royales, des hôpitaux, des couvents, des forteresses, des galères, des petites îles (comme Pantelleria ou Favignana), ou encore des résidences surveillées Footnote 68 . Les archives des Visiteurs des prisons de l’Inquisition (envoyés périodiquement par Madrid pour inspecter les prisons) permettent à G. Fiume de documenter des pans importants de la vie carcérale, qu’il s’agisse du maintien des hiérarchies sociales à l’intérieur de la prison, de l’inégalité de traitement des détenus en fonction de leurs statuts et de leurs niveaux de richesse, de leurs dévotions, des violences et des extorsions qu’ils et elles subissaient de la part des geôliers Footnote 69 . En 1633, le Visiteur Bernardo Luis Cotoner y Ballester décrit la présence dans les cachots du Steri d’un Anglais, d’un Algérien, d’un Grec de Santorin, d’un Arménien du Liban, d’un Égyptien originaire d’Alexandrie, d’un Turc né sur les rives de la mer Noire, d’esclaves de provenance inconnue, d’un Espagnol, de quelques Français, d’un Allemand et d’un Hongrois : on parle plusieurs langues dans les cellules et il n’est pas rare que les détenus, en particulier les victimes et les acteurs du corso , communiquent au moyen de la lingua franca , cette « langue métisse » particulièrement employée par les captifs en Méditerranée Footnote 70 .
Une histoire graphique des prisons de l’Inquisition
Les deux premières parties de l’ouvrage de G. Fiume peuvent être considérées comme un long préambule qui prépare à l’observation et à l’analyse des graffitis du Steri . Sans une description érudite des procédures, sans la description matérielle du bâtiment et des règles de la vie carcérale, il serait en effet difficile de définir l’orbe des enjeux historiques et anthropologiques des écritures exposées sur les murs du Steri . Les graffiti sont alors scrutés non pas pour compléter de façon ancillaire la documentation judiciaire archivée en Sicile et, surtout, en Espagne, mais pour interroger et analyser la prison en tant qu’espace d’expressions politiques, religieuses et intellectuelles.
La taille et la fréquence des graffiti laissent peu de doutes sur la tolérance des geôliers pour cette pratique. Pour écrire, les prisonniers utilisaient du charbon, du noir de carbone, de la terre cuite écrasée, de l’argile, des sauces et des aliments de divers types mélangés à des liants organiques (salive, urine), des agrumes, de l’huile de lin (extrait des lampes) ou du blanc d’œuf. La rouille de leurs chaînes leur permettait d’extraire de la poudre rouge. La spectroscopie de certaines parois a permis de mettre en évidence la présence d’ocre, d’émail ou de résine de cuivre Footnote 71 . Dans son Inventario , R. Foti a relevé 297 sujets figuratifs (des dessins composés parfois de plusieurs éléments) et 264 inscriptions. Très peu sont véritablement taillés sur les parois du Steri : la plupart étaient peints et tracés à l’aide de pigments de toutes sortes. Parmi les inscriptions, presque la moitié était rédigée en latin (46 %), loin devant l’italien toscan (22 %) et le sicilien (16 %). On relève également des écritures en anglais et en espagnol, ainsi que deux inscriptions en caractères hébraïques. Un petit groupe d’écrits (13 %), rongés par l’humidité et le temps, est illisible. La prose domine largement, mais 20 % des textes sont en vers Footnote 72 . Certaines inscriptions fonctionnent comme des phylactères ou viennent apporter des explications à des images, légendant les personnages (bibliques pour la plupart) représentés. D’autres constituent des prières accompagnant des images de saints ou de la Vierge. Enfin, on trouve des textes autonomes : poèmes, chansons, mais aussi courts récits personnels, noms et dates. Ainsi de ce prisonnier qui inscrit en italien : « au 30 août 1645, j’ai reçu la torture. Au 17 7[bre] je l’ai reçue de nouveau Footnote 73 ». La résonance est forte, ici, avec les textes des murs de Fresnes Footnote 74 . Si les inscriptions témoignent de la vie carcérale, elles ont aussi des fonctions expressives et conatives, adressées à la communauté des détenus ou à soi-même : « patience, pain et temps », « SILENCE », « NIE », « mon esprit m’abandonne » Footnote 75 . On donne son avis, comme un détenu qui écrit que « [d]e toutes les pièces, celle-ci est la meilleure » ; et de préciser : « cette pièce s’appelle de Saint Roch. Soyez pieux » Footnote 76 . En nommant, en identifiant et en comparant les cellules, les écritures murales des prisonniers témoignent d’une connaissance intime des lieux et d’itinéraires carcéraux à l’intérieur du bâtiment, qui participent de leur appropriation symbolique. Celle-ci passe non seulement par l’inscription graphique d’une présence, mais aussi par un véritable processus de sacralisation de l’espace Footnote 77 .
Les dessins apposés sur les parois des prisons du palais Chiaramonte renvoient en effet, pour l’essentiel, à des images saintes et à l’art sacré, au point de donner l’impression d’un véritable « inventaire des dévotions de l’époque moderne Footnote 78 ». On trouve ainsi de nombreux saints et saintes avec leurs attributs de martyrs, des Christs en croix marchant vers le Golgotha, des Madones souffrantes. G. Fiume commente ainsi la représentation d’un chemin de croix, qui comprend une impressionnante Descente du Christ aux Enfers , représentés par un monstrueux Léviathan. Jésus vient libérer des limbes les justes qui n’ont pas reçu le baptême, d’Adam et Ève à Job et Isaïe. La porte des Enfers, qui n’est pas sans rappeler celle d’un cachot de prison, surmonte l’inscription « NEXITI DIS SPERANZA VVI CHI INTRA », une version sicilienne du célèbre vers de Dante Lasciate ogni speranza, voi ch’intrate (Laissez toute espérance, ô vous qui entrez ; Enfer , III, 9), qui donne un indice de la fortune de la Divine Comédie , souvent apprise par cœur, mais aussi traduite en dialecte et insérée dans les sermons des missionnaires Footnote 79 .
Les images pieuses ne sont pas les seules à figurer sur les parois du Steri : certaines compositions visent à orner les lieux et à atténuer, peut-être, la dureté de la réclusion. Ainsi de ces dessins de paliotti , les tapisseries qui recouvraient le devant des autels, de ces images de masques, de ces motifs floraux, ou encore de ces trompe-l’œil de balustrades et balcons, chandeliers et rangées d’arbres qui ouvrent une fenêtre sur l’extérieur et qui renvoient aux décors des scènes éphémères des fêtes et cérémonies publiques Footnote 80 . G. Fiume explore, pour mieux la rejeter, l’hypothèse que ces images aient pu être commissionnées par les inquisiteurs : si ces derniers toléraient sans aucun doute les graffiti, l’enjeu était bien pour le Saint-Office de faire des cellules de ses prisons une domus funesta Footnote 81 . D’autres dessins représentent des navires, des galères et des galéasses : dans une imposante scène de bataille navale qui évoque Lépante, on reconnaît les pavillons des Habsbourg, celui de la république de Venise, de la république de Gênes, ainsi que le croissant de lune des bannières de la flotte ottomane. L’auteur ou les auteurs du dessin se sont sans doute remémoré des fresques, des sculptures ou des gravures qui commémoraient, en Italie et en Espagne, la victoire de la Sainte Ligue en 1571.
D’autres motifs, plus discrets, fournissent de nombreux renseignements sur la fonction des images dans la vie des prisonniers du Steri . Une représentation figurée du palais Chiaramonte avec un homme tenant une balance et l’inscription : « OGNI PECATO AL FIN IVSTICIA ASPETTA » (Tout péché finit par être jugé) évoque l’attente des justes Footnote 82 . Plusieurs navires ou petits personnages se trouvent également représentés. Une carte de la Sicile, réalisée au noir de carbone, indique les dénominations de 36 localités littorales et 73 villes et bourgs à l’intérieur des terres. À côté, un cartouche sommaire précise que « dans cette carte de la Sicile, il y a de nombreuses erreurs et diverses villes et terres manquent, mais on ne peut tout avoir en mémoire Footnote 83 ». Dans une cellule du premier étage, une autre carte de la Sicile, réalisée vers 1645, n’indique que 29 localités littorales et 24 villes de l’intérieur des terres. L’auteur (« B. ») admet ne pas avoir su porter tous les bourgs et invite, en sicilien, ceux qui le peuvent à ajouter « lu restu » Footnote 84 . Les parois du Steri sont ainsi l’espace d’une écriture collective, collaborative, en partie « récréative », destinée à rythmer un temps difficile à mesurer et à compter. Dans ce registre, il n’est pas impossible de lire ces graffiti comme des activités destinées à rompre l’ennui de la vie carcérale, à l’instar de ces prisonniers français dans l’Angleterre du xviii e siècle qui taillaient de petits objets, faits d’os de mouton ou de bœuf, de cheveux et de bois, pour fabriquer des modèles de bateaux, des échiquiers ou des boîtes à bijoux Footnote 85 . De petites inscriptions, dans les prisons de Palerme, renvoient également à des aspects relativement méconnus et peu étudiés de la vie carcérale de l’époque moderne : une femme nue (Daniel Arasse l’aurait peut-être qualifiée de « pin-up ») est représentée sur la paroi d’une latrine dans une position qui n’est pas sans rappeler celle de la Vénus d’Urbin du Titien et sa charge érotique Footnote 86 . G. Fiume l’interprète comme un possible excitant sexuel, lié à la pratique de la masturbation en prison Footnote 87 .
Une partie du travail historien sur les graffiti a consisté à identifier et retrouver leurs auteurs : la plupart des dessins sont anonymes et non datés. Dans quelques cas, des fecit , pinsit , scripsit donnent de précieux indices sans qu’il soit néanmoins toujours possible d’attribuer avec certitude un nom à une image. Les multiples couches d’intervention, la difficile paléographie sur ces écritures murales, la multiplicité des noms inscrits sur une paroi invitent en effet à la prudence. Seule une image peut être attribuée, avec quelque certitude, à une femme prisonnière de l’Inquisition : il s’agit d’un petit dessin représentant une femme aux cheveux longs, à côté de laquelle une didascalie précise : « piange la misera perchè il luoco è di pianto » (« la misérable pleure parce que ce lieu est un lieu de larmes ») Footnote 88 . Quelques cas sont remarquables : plusieurs textes écrits en anglais (avec des vers en latin et en italien) sont signés par un jeune marin originaire des Cornouailles, le calviniste John Andrews, qui séjourna dans les geôles de l’Inquisition de Palerme de 1630 à 1633 Footnote 89 . Pris par les corsaires nord-africains, converti à l’islam, il est capturé de nouveau par un navire sicilien et accusé d’apostasie. Les textes d’Andrews sur les murs du palais Chiaramonte mélangent des balades populaires anglaises et des extraits de la Bible. Devant ses juges, le jeune homme défend l’idée hardie, que l’on retrouve cependant dans nombre de procès d’Inquisition, selon laquelle « chacun peut être sauvé dans sa propre loi », qu’il soit juif, chrétien ou musulman Footnote 90 . L’Anglais est finalement condamné à cinq années de galère Footnote 91 . G. Fiume établit des liens entre ces idées sceptiques et libertines du xvii e siècle, les pratiques nicodémites en Méditerranée et des textes et paraboles médiévales qui remontent à la fable des « trois anneaux » popularisée notamment dans le Décaméron de Boccace, ou encore à la dénonciation des trois imposteurs (Moïse, Jésus et Muhammad) attribuée à l’empereur Frédéric II Footnote 92 .
Des signatures ou des initiales permettent de mettre en évidence plusieurs trajectoires de prisonniers, telle celle du pêcheur palermitain Francesco Mannarino, capturé par des corsaires nord-africains à 13 ans ; du pêcheur de Trapani Paolo Confaloni, qui voyagea tout autour de la Méditerranée en quête d’un mage capable de faire bouger les objets par la seule force de son esprit ; du riche Messinois Paolo Mayorana, peut-être l’auteur des dessins de la bataille de Lépante, esprit fort poursuivi pour blasphème, qui n’hésite pas à se moquer des dévotions de ses codétenus ; ou celle de l’Algérois Gabriel Tudesco, né Ahmet, capturé par des corsaires toscans, converti au catholicisme et pris en flagrant délit de fuite vers le Maghreb avec d’autres esclaves nord-africains. Compagnon de cellule de John Andrews avec qui il parle « moresco », il défend lui aussi l’idée que toutes les religions se valent. On sait que Gabriel/Ahmet raya l’image de la Madone d’Itria dans sa cellule et barbouilla un dessin de crucifix avec ses excréments Footnote 93 . Les images invitent non seulement à identifier des prisonniers et des cas, mais on apprend, au-delà, qu’elles font pleinement partie de l’expérience carcérale et qu’elles s’intègrent même à la procédure d’Inquisition. La dégradation des graffiti religieux dessinés dans les cellules devient ici un motif incriminant pour le Saint-Office.
Les parois du Steri archivent également les initiales ou les noms de certains membres de l’Académie des Riaccesi de Palerme, espace de sociabilité érudit et littéraire institué en 1622, tels le docteur Angelo Matteo Bonfante ou Michele Remigio Moraschino. Des poèmes en sicilien signés « Lu mischinu » (le pauvre), « L’Abbandunatu » (l’abandonné) ou « lu turmintatu » (le tourmenté) sont à ce titre les témoignages d’une seconde école poétique sicilienne du premier xvii e siècle, qui fait des murs des prisons de l’Inquisition un petit Canzoniere insulaire Footnote 94 . Dante, Boccace, Pétrarque, les « Trois Couronnes » de la littérature italienne se retrouvent sur les parois des cellules du Steri , transformées en supports de la bibliothèque mentale des prisonniers. Plus largement, l’inscription des noms, des signatures et des initiales sur les murs fait songer à une sorte de mémorial, un monument qui identifie la présence et rappelle le souvenir de ces malheureux dans les geôles du palais Chiaramonte.
Par-delà cette fructueuse démarche « attributionniste », que l’ Inventario de R. Foti poursuit avec minutie (avec l’aide de V. La Motta et A. C. Basilicò), le « tournant iconique » en histoire de l’art invite à penser les pouvoirs propres des images, c’est-à-dire leurs effets, leurs intentionnalités et leurs puissances Footnote 95 . Les nombreuses figurations de souffrances et de martyrs renvoient aux prisonniers un évident miroir de leur vie carcérale, en attente d’une libération ou d’une expiation. Tels le Christ conduit au Golgotha ou les figures de l’Ancien Testament sorties des Enfers, les détenus identifient leur temps en prison à une passion, à une sorte de limbes – un tourment qui ne doit pas faire perdre espoir en une possible libération. Les images et les inscriptions peuvent également avoir une fonction apotropaïque ou dévotionnelle pour les détenus. De façon plus stratégique, elles fonctionnent comme un témoignage de foi aux yeux des geôliers et des inquisiteurs – les murs du Steri ne conservent d’ailleurs aucune trace d’inscriptions blasphématoires, sans doute effacées par les gardiens, voire par d’autres détenus. Sans qu’il soit possible de répondre de manière définitive, G. Fiume se demande si les dessins de l’Inquisition ont une dimension consolatoire ; s’ils cherchent, d’une certaine façon, à défier ou à dialoguer avec les inquisiteurs ; s’ils visent à montrer une stricte orthodoxie dévotionnelle et à contredire les accusations des juges, ou bien à faire passer implicitement des messages subversifs ou radicaux Footnote 96 . Les images ne sont pas de simples illustrations de ou dans la vie carcérale : elles transforment la cellule et, en retour, les prisonniers qui interagissent avec elles, par leurs dévotions et leurs prières, mais aussi par leurs gestes parfois hostiles, comme en témoignent les actes iconoclastes de Gabriel Tudesco. En cherchant à rendre présent ce qui est représenté, les auteurs de dessins essayaient sans doute de rendre vivable ce qui était vécu. Les images de navires ne sont sans doute pas ici que des réminiscences de gravures ou de scènes de bataille : comme Philippe Rigaud l’a suggéré à propos de la prison d’Arles, les graffiti de bateaux en prison (qu’on retrouve plus largement dans de nombreux univers carcéraux) renvoient à une quête de liberté, une façon de prendre la mer et le large Footnote 97 .
Histoire publique et histoire appliquée
Au carrefour de l’histoire religieuse, de l’histoire de l’art, de l’histoire du droit, l’apport de l’ouvrage de G. Fiume, qui érige l’analyse des parois du Steri en véritable champ d’études, est essentiel. Son travail invite en effet à des opérations minutieuses de repérage, d’inventaire et d’analyse de toutes les archives murales de l’enfermement, depuis les textes institutionnels jusqu’aux actes des procès et à l’archéologie des espaces de détention. Cette méthode, qui ne sépare pas l’histoire des procédures et l’histoire matérielle de la réclusion, permet de scruter en détail et de faire émerger des parcours biographiques de prisonniers, d’identifier des histoires et de déceler des dimensions que les actes judiciaires taisent. Elle invite aussi à un travail comparatif avec d’autres cicatrices murales repérables dans les lieux d’enfermement, non seulement à l’époque moderne, mais aussi à d’autres périodes historiques, afin de documenter la vie sociale et intellectuelle à l’intérieur des prisons. Sans doute de nouveaux relevés spectroscopiques permettraient-ils une meilleure identification des techniques employées par les prisonniers pour couvrir de graffiti les parois du Steri et de ses prisons secrètes : ils pourraient plus globalement donner lieu à de fructueuses collaborations entre sciences physico-chimiques et sciences historiques pour éprouver des hypothèses, mettre au jour de nouveaux palimpsestes ou des repentirs, poser de nouvelles questions ; autrement dit, considérer ce patrimoine graphique comme un problème épistémologique Footnote 98 .
En termes d’histoire appliquée et de patrimonialisation, en revanche, le bilan s’avère bien plus mitigé Footnote 99 . Dans les différents livres qui ont paru sur les graffiti du palais Chiaramonte sont rappelés avec insistance et urgence la précarité et le mauvais état des écritures – en particulier celles qui sont les moins « belles » et « spectaculaires », ce qui n’ôte rien, bien au contraire, à leur valeur documentaire. Dans son ouvrage comme dans sa préface à l’ Inventario de R. Foti (dont on mesure encore davantage l’importance à cette aune), G. Fiume n’a cessé de rappeler la fragilité des graffiti : des comparaisons avec les premières campagnes photographiques lancées par Pitrè montrent la rapide détérioration, voire la disparition complète, de certains dessins et inscriptions du Steri . Certes, par leur complexité et leur mise en contexte, les dessins de l’Inquisition de Palerme exposés aujourd’hui aux visiteurs déjouent les pièges du dark tourism des musées de la torture ou des visites de pénitenciers Footnote 100 . Toutefois, le rectorat de l’université de Palerme, qui a la tutelle du bâtiment, en favorisant l’accès aux curieux et aux touristes, a choisi de privilégier une logique marchande au détriment d’une patiente entreprise de restauration et de conservation. Tirés de l’oubli par G. Fiume et un groupe d’historiennes attachées à ce trésor d’archives murales, les prisonniers de l’Inquisition sont aujourd’hui menacés d’effacement mémoriel. Ce danger rappelle à quel point il est difficile de tenir ensemble tous les pans de l’histoire publique, de la valorisation touristique d’un monument jusqu’à la sauvegarde patrimoniale. Les recherches et les ouvrages dont il a ici été question permettront, on l’espère, de contribuer à préserver l’expression graphique de leurs histoires.