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En Andalousie occidentale : systèmes de transports et développement économique (XVIe-XIXe siècle)*

Published online by Cambridge University Press:  25 May 2018

Pierre Ponsot*
Affiliation:
Université de Lyon-II

Extract

Apprécier, évaluer, et si possible mesurer l'effet d'un système de transports sur les mouvements de fond d'une économie dans un cadre régional, c'est une entreprise difficile et pourtant digne d'être tentée. Pour analyser le jeu et le poids respectif des facteurs qui concourent au développement d'une région, ou l'inhibent, il peut paraître de saine méthode de les isoler dans un premier temps. C'est ce que nous tentons dans cette étude, bien que le domaine considéré, l'Andalousie occidentale — ou basse —, ne soit pas le lieu idéal pour un exercice de ce genre. D'abord parce que ce n'est pas une région naturelle ou économique aux limites incontestables. Ensuite parce que la documentation, sans être négligeable, laisse à désirer. Une source essentielle, les recettes des péages, n'a cependant pas encore été exploitée systématiquement comme instrument de mesure.

Summary

Summary

Can it be said that a system of transportation deficient in its beginning because of natural conditions is one of the major factors responsible for a certain stagnation in western Andalusia today? The system was essentially based on pack animals—mules and donkeys—in the absence of passable roads and navigable rivers. Even if the large commercial exchanges at Seville and Cadix were barely affected, since they were based on maritime navigation, coastal trafic and, for light-weight valuable goods, pack animais, the resuit was, nevertheless, that it was impossible to create a dynamic activity in the region.

Thus, self-subsistance, even in the 18th century, remained the way of life in numerous villages situated only a few leagues from the capitals of international trade. The coast, however, and the lower valleys with their navigable waterways were favored in comparison to the interior, somewhat like the situation in Catalonia.

This article describes the network of communications, the trade channels, and shows the failure of the large public works projects. A series of quantitative data, namely the number of mule drivers and their geographic distribution, provides an indication of transport activity. The few figures obtainable suggest that the cost of transportations was truly prohibitive for heavy local products, thus leading to the absence of a regional market.

Type
Les Domaines de l'Histoire
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1976

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Footnotes

*

Cet article a fait l'objet, sous une première version, d'une communication à la 5e Semaine d'Études de Prato, en mai 1973.

References

Notes

1. Voir l'excellent article de Molenat, J.-P., «Chemins et ponts du nord de la Castille au temps des rois catholiques», Mélanges de la Casa de Velázquez, t. VII, 1971.Google Scholar

2. Bennassar, B., « Facteurs sévillans au XVIe siècle d'après des lettres marchandes », Annales ESC, 1957, pp. 60-70.Google Scholar

3. Le banditisme ne sévit que là où passent les grosses proies, celles du grand commerce surtout. Mais s'il existe assez pour alimenter contes et romances, il n'apparaît pas comme une hantise dans les témoignages, d'ailleurs rares : la législation, par exemple, s'en préoccupe peu avant le début du XIXe siècle. C'est qu'il ne constitue lui aussi qu'un coût, celui de sa prévention, et le commerce de luxe peut en payer le prix ; face aux bandits se dressent les escopeteros, véritable gendarmerie privée qui, pour quelques réales, escorte les voyageurs, groupés, dans les passages dangereux : ainsi traverse le désert entre Écija et Cordoue, en 1687, le mercader gaditan Raimundo de Lantery (cf. notre contribution aux Mélanges en l'honneur de Fernand Braudel, 1973, t. I, pp. 471-486). Au XVIIIe siècle l'État sera devenu assez riche, ou assez intéressé, pour prendre ce coût à sa charge : la grande route royaleMadrid-Séville et les Nouveaux Établissements de Sierra Morena et d'Andalousie (précisément dans le « désert » de La Parrilla cité plus haut) seront construits à grands frais en partie dans le but d'assurer la sécurité des communications (cf. sur cet aspect Julio CARO BAROJA, « Las nuevas poblaciones de Sierra Morena y Andalucia ; un experimento sociológico en tiempo de Carlos III », Clavileño, n° 18, 1952, pp. 52-64).

4. Voir l'article classique de José Tudela, « La Cabaña real de carreteros », Homenaje a Don Ramón Carande, 1963.

5. Il n'existe pas d'étude spécialement consacrée au char andalou. Pour l'Espagne en général, voir le Diccionario de la Academia Española, éd. du XVIIIe siècle ; l'Enciclopedia Espasa Calpe, article « carro » et « carreta » ; l'article de J. Caro Baroja, « La vida agraria tradicional reflejada en el arte español », Estudios de Historia Social de España, t. I, 1949. Antonio Collantes, jeune médiéviste sévillan, m'a aimablement communiqué un document des Archives Municipales de Séville (Actas Capitulares, 1494, IV-21) qui mentionne le « chirrión », une variété de char nettement distinguée de la « carreta ». Qui répondra à la curiosité scientifique du savant professeur de l'Université de Budapest, L. Makkai, concernant l'époque de l'introduction du char à axe mobile en Espagne, et son origine ? Un examen des miniatures et dessins du Moyen Age, avec les méthodes fines et les questions précises de L. Makkai, permettrait peut-être de répondre à sa question. Mentionnons enfin que la litière (litera), portée par des mules ou par des hommes, était couramment employée par les riches voyageurs, comme le montrent de nombreux textes littéraires.

6. Cette conséquence de la chaleur est indiquée par Matilla, A. Tascón dans son livre : Historia de las minas de Almadén, vol. I, Madrid, 1958, p. 162.Google Scholar

7. David Ringrose a parfaitement mis en évidence le caractère saisonnier des transports en Espagne dans son livre fondamental Transportation and economic stagnation in Spain, 1750- 1850, Durham, 1970 (cf. notre compte rendu dans Annales ESC, , 1974, n° 1). Nous y renvoyons pour une description technique plus poussée des méthodes de transport.

8. Voir Gonzalo Menéndez Pidal, Los caminos en la historia de España, Madrid, 1951, qui utilise les « répertoires » classiques de Villuga (1546), Ruedas (1758), Escribano (1757), Santiago López (1812). Sur la construction de cette route voir les lettres et rapports au Superintendant Floridablanca de son délégué Bernardo Belluga, en 1785-1786 (Archivo Histórico Nacional, Madrid, fonds. Estado, legajo 3165). De Bailen à Cordoue, sur « le plus mauvais chemin du monde », la chaise de Monsieur l'Inspecteur s'enlisa, accident fréquent puisque les gens de Bailen s'étaient fait une industrie de désembourber chars et carrosses sur la grande route ; entre Andujar et El Carpio il vit une berline à huit chevaux qui n'arrivait pas à vaincre la boue. L'ouvrage le plus important à reconstruire était le pont d'Alcolea, sur le Guadalquivir, un peu avant Cordoue ; l'architecte italien Juan Nebroni s'y employait depuis deux ans, il en avait encore pour deux autres, mais Belluga déclare qu'il ne lui aurait pas confié sa maison à construire.

9. Voir Félix Hernandez, « Ragwal y el itinerario de Musa, de Algesiras a Mérida », Al- Andalus, XXVI, 1961. Ferdinand le Catholique emprunte ce chemin en 1508 pour se rendre de Séville à Cáceres ; Charles Quint, en 1526, de Mérida à Séville. C'est ce vieux chemin que décrivent Villuga et Meneses, au XVIe siècle. Pourquoi cet itinéraire était-il appelé « camino de la plata » ? Il n'y avait pas de mines d'argent sur le parcours, pas plus qu'à Almadén « de la plata ». L'arabisant E. Saavedra proposa jadis l'étymologie balat= chemin, chaussée, en arabe, et Felix Hernández l'appuie. Voir aussi sur ce point l'Enciclopedia Espasa Calpe, article « Caminos », t. X.

10. Un itinéraire nord-sud reste mystérieux : celui emprunté par le mercure descendant de la mine d'Almadén, dans la province de Ciudad Real mais sur la frontière de l'Andalousie, à Séville, son point d'embarquement pour les Indes espagnoles. Antonio Matilla Tascón ne l'indique pas dans son livre (op. cit., cf. note 6), ni Hermann Kellenbenz dans le sien sur les contrats des Fuggers (Die Fuggersche Maeztrazgopacht, 1525-1542, Tübingen, 1967). Les spécialistes que nous avons consultés, dont les deux auteurs précités, n'ont pu résoudre l'énigme. Il y a donc là une petite enquête à mener ; nous espérons l'avoir suscitée.

11. Nous avons relaté l'exemple du négociant Lantery qui, en 1673, voulant passer de Majorque à Alicante se retrouva à Malaga, et sa famille voulant le rejoindre à Cadix, depuis Alicante, fit une première partie du voyage si mouvementée sur le bateau qu'elle préféra terminer par chaise, sur les mauvais chemins (Mélanges Fernand Braudel, op. cit.).

12. Espinalt y García, Atlante español, t. XII, Madrid, 1789, notice Fernan-Nuñez, p. 5.

13. Niemeyer, G., Siedlungsgeographische Untersuchungen in Niederandalusien, Hambourg, 1935.Google Scholar Chapitre sur les voies de communications.

14. On a retrouvé dans les dépôts des Marismas deux amphores romaines : cf. Carte géologique d'Espagne, feuille 1003 (référence dans un article de Michel Drain, qui intéresse l'ensemble de notre sujet, surtout la navigation sur le Guadalquivir : « Note sur l'évolution des rapports entre la terre et les hommes dans la vallée inférieure du Guadalquivir », dans Mélanges de la Casa de Velázquez, t. VIII, Madrid, 1972, p. 598). On a également retrouvé des restes d'une embarcation romaine, trouvaille signalée dans plusieurs publications du géologue Juan Gavala y Laborde : commentaires des cartes géologiques au 1/50 000 de El Asperillo, El Rocio, Palacio de Doñana, et de la carte géologique de Cadixau 1/100 000 ; Memoria…, dans Boletín del Instituto Geolôgico de España, 1916.

15. Fernân Pérez de Oliva, « Razonamiento sobre la navegación del Guadalquivir», dans Obras, Madrid, 1787, t. II.

16. Prólogo par Ambrosio de Morales, neveu de Pérez de Oliva, à l'édition des œuvres de celui-ci. Cf. l'édition de 1787, t. II.

17. Guillamas, Cf. F., Historia de Sanlúcar de Barrameda, Madrid, 1858, p. 216,Google Scholar et Archives Municipales de Jérez, Memoranda, n° 5, Proyecto del canal Guadalete-Guadalquivir, copia de documentos.

18. Guillamas, op. cit.,-p. 216, et Memoranda, n° 5, Actes capitulaires de 1622, 1624, 1810 et 1822. En 1622 une Junte est formée au sein du Conseil de Castille pour étudier le projet ; un croquis (pintura) du fleuve est demandé au délégué de Jérez à la Cour. Le Conseil de ville de Jérez exulte : on va faire déboucher le Guadalquivir dans le Guadalete ! (sic). Le coût du projet varie de 400 000 à 2 millions de ducados selon les tracés. Une bataille d'experts eut lieu sur la question de savoir si c'était le Guadalquivir qui allait se déverser dans le Guadalete, ou l'inverse. Une copie du rapport de Turriano, datée du 14 mai 1624, est conservée dans les Actas Capitulares de Jérez, année 1810 ; il examine plusieurs solutions pour que les cargaisons des Indes arrivent à Jérez, avant de gagner Séville : la plus coûteuse — et ce témoignage est important pour la question qui nous occupe — serait de construire des « chemins de pierre » de Sanlúcar à Puerto de Santa María et de Jérez à Séville (3 et 15 lieues), reliés entre eux par un canal de Puerto à Jérez (1/2 lieue) ; la plus simple serait un canal de Jérez au Guadalete et… l'installation de la Casa de Contratación à Jerez !

19. Cf. Memoranda, n° 5 déjà cité, pour tous ces projets. Les derniers ont quelque relent démagogique, ou romantique si l'on veut : ils suivent de près les révolutions politiques.

20. Archives Saavedra, Résidence des PP. Jésuites de Séville, legajo 24. Projet daté du 23 février 1797.

21. La Compagnie du Guadalquivir était dirigée par un ex-ministre de Charles IV, Francisco de Saavedra. Elle se proposait de rendre le fleuve navigable jusqu'à Cordoue. En fait, elle se borna à couper un méandre en aval de Séville, travail qui a été poursuivi de nos jours avec autant d'obstination que de lenteur. Cf. Archives Saavedra, legajo 32 notamment. Saavedra assignait deux buts à son œuvre : assurer l'approvisionnement en blé de Séville par les provinces de Cordoue et Jaén, redonner à la cité son ancienne splendeur par la renaissance du grand commerce maritime ; ce projet témoigne de l'emprise paralysante, même sur un esprit éclairé, des schémas hérités d'un passé glorieux mais révolu : l'Espagne décadente ne sait que réver d'un retour à l'âge d'or, croit possible de ressusciter au lieu de créer.

22. Lettre de Belluga, référence plus haut. Autres péages à Andujar, Séville, Lebrija, etc., sur l'axe nord-sud.

23. Une mise à jour (comprobaciones)a été effectuée en 1770 : une comparaison serait possible. Sur la présentation du document et son utilisation pour une étude des transports, voir D. Ringrose, op. cit., appendices A et B.

24. On peut utiliser la carte, de grandes dimensions, que nous avons donnée dans notre article, en collaboration avec Michel Drain, sur l'itinéraire de Fernando Colon, dans Mélanges de la Casa de Velâzquez, t. II, 1966.

25. Une description de Mayrena del Alcor, village limitrophe, en 1744, Archivo Historico Nacional, Madrid, fonds Osuna, leg. 145, précise que les habitants d'El Viso sont spécialisés dans le transport par mules et qu'ils trafiquent dans toute l'Espagne.

26. D. Ringrose, op. cit., p. 43.

27. Nous empruntons ces coefficients à D. Ringrose, op. cit., pp. 44, 45, 47 et 90-91. Il distingue la capacité des ânes (4 à 8 arrobes), des mulets (8 à 13 arb.) et des chars (10 à 40 arb.) ; comme on le voit, ces coefficients sont élastiques mais acceptables pour une approximation.

28. C'est la thèse, rondement affirmée, de David Ringrose, op. cit., pour l'ensemble de l'Espagne. Elle n'est cependant l'objet d'une démonstration, plus logique d'ailleurs que quantitative, que pour la région madrilène.

29. D'après les chiffres donnés par Manuel Gonzales Ji'menez, El concejo de Carmona a fines de la Edad Media, 1464-1523, Séville, Publicaciones de la Diputacion Provincial, 1973, 358 p., pp. 341-343.

30. Archives Médina Sidonia, Sanlúcar de Barrameda, Libros de cuentas con particulares, t. III.

31. Idem. En considérant des distances de 24 lieues 1/2 (de 6 km) entre Osuna et Sanlúcar, et de 91 lieues 1/2 entre Arcos et Sanlúcar, et en estimant la charge (carga) à 4 fanègues.

32. Archives Medina Sidonia, Manuales de libramientos, t. XXXVIII.

33. Archives Medina Sidonia, Cuentas con particulares, t. VI.

34. Idem, t. VIII.

35. D'après Antonio Matilla Tascón, op. cit., p. 162.

36. Archivo Histórico Nacional, Madrid, fonds Jesuitas, livres 599 et 613, et Çlero, livre 1619.

37. Archives Medinaceli, Séville, Section Alcalá, legajo 95.

38. Archives Saavedra, leg. 32, pièce 10. Le prix moyen du blé à Séville, en 1816 était de 75 rs/fan. (d'après nos calculs, inédits). Nous comptons 46 lieues entre Jaen et Séville, 23 depuis Cordoue. Ces chiffres sont assez éloignés de ceux obtenus par D. Ringrose, op. cit., p. 80, dans la région de Ciudad Rodrigo, en Vieille-Castille, entre 1764 et 1785 : environ 9mrs/lieue, mais pour un déplacement plus court (50 km) et dans une meilleure conjoncture économique et monétaire.

39. Archives privées Rivero, Jérez : livres de comptes des vignes.

40. D. Ringrose, op. cit., p. 85.

41. Réf. en notes 34 et 39. Nous touchons là un trait structural de l'exploitation agricole en Andalousie : la dissociation entre le lieu de travail et le lieu d'habitation, et plus encore l'éclatement du lieu de production entre plusieurs centres ; dans la vigne il y a bien une maison, mais l'on n'y loge que pendant les vendanges, on y presse parfois le raisin (cas de Jérez ici étudié, mais pas de Trebujena), on n'y traite et n'y conserve jamais le vin ; le chaix (bodega) est toujours en ville. Cette structure occasionne des frais de transport internes.

42. Nous manquons de renseignements sur le coût du fret maritime. Voici cependant un exemple : pour envoyer 1 050 arrobes d'huile de Séville à La Vera Cruz, en 1785, il en coûte 34 125 réales vn., soit 32 1/2 rs/arb., pour un produit qui valait alors, au lieu d'embarquement, 23 3/4 rs/arb. année récolte 1785-1786, d'après nos calculs, inédits ; et 27 1/3 l'année suivante ; le fret maritime grève donc le produit de 12 à 13 % du prix au départ. L'énormité de ce pourcentage contredit d'autres données, plus classiques, sur le bon marché des transports maritimes par rapport aux transports sur terre (voir par exemple Fernand Braudel., La Méditerranée op. cit., t. II, pp. 523-524), mais il s'agit, il est vrai, dans notre cas, du long voyage transocéanique (Archivo General de la Nación, Mexico, Tierras, 1068 : Papiers de Francisco Durán ; microfilm aimablement communiqué par J.-P. Berthe).