Hostname: page-component-77c89778f8-m8s7h Total loading time: 0 Render date: 2024-07-19T19:24:18.431Z Has data issue: false hasContentIssue false

Culture folklorique et rapports de pouvoir (Note critique)

Published online by Cambridge University Press:  26 July 2017

François Delpech*
Affiliation:
CNRS

Extract

A travers toute une série de documents iconographiques, littéraires et folkloriques, Roberto Zapperi reconstitue dans un livre foisonnant l'histoire et les différents registres d'occurrence et de sens d'un thème qui a souvent été évoqué sans avoir fait l'objet, jusqu'à présent, d'une étude globale. L'un des principaux mérites de l'ouvrage est d'articuler, dans une perspective à la fois anthropologique et historique, un ensemble d'analyses qui permettent de poser plus subtilement qu'on ne le fait en général, la question des rapports entre ce qu'il est convenu d'appeler culture savante et culture folklorique. Nous ne ferons pas ici, à proprement parler, un compte rendu du travail de Roberto Zapperi et nous nous contenterons de formuler, autour de l'un des axiomes fondamentaux du livre, certaines remarques critiques et documentaires destinées à suggérer quelques voies pour une éventuelle prolongation de la recherche et de soulever quelques problèmes susceptibles d'alimenter les débats que ne manqueront pas de susciter les positions parfois paradoxales de l'auteur.

Type
Rites et Croyances
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1987

Access options

Get access to the full version of this content by using one of the access options below. (Log in options will check for institutional or personal access. Content may require purchase if you do not have access.)

References

Notes

1. Je reviens plus longuement sur le thème de l'homme enceint, notamment à partir des versions hispaniques, dans un article à paraître dans Nueva Revista de Filología Hispánica.

2. On en complétera utilement la lecture par celle de l'article consacré par l'auteur au thème iconographique de la naissance d'Eve : « Potere politico e cultura figurativa : la rappresentazione délia nascita di Eva », Storia dell'arte italiana, X, Turin, 1981, pp. 377-442.

3. Voir, pour l'Afrique, les belles études de Denise PAULME et d'Anne RETEL LAURENTIN — en particulier, de cette dernière, « Le mâle qui accouche. Essai d'analyse structurelle ou relationnelle d'un conte africain », Le conte. Pourquoi ? Comment ?, Paris, CNRS, 1984 — et pour l'Inde le livre de W. D. O'FLAHERTY, Women, Androgynes and other Mythical Beasts, Chicago, 1980. Georges DEVEREUX s'est penché récemment sur les grossesses des dieux grecs dans Femmes et mythe, Paris, 1982. On ne peut citer ici toutes les études, anciennes et plus récentes, sur les mythes et rites de l'androgynie, de la bisexualité ou du transvestisme, qui interfèrent souvent avec les représentations relatives à l'homme enceint (cf. les ouvrages classiques de M. Delcourt, M. Eliade, H. Baumann, etc.). Le motif de la grossesse masculine est souvent lié au débat entre filiations patrilinéaire et matrilinéaire (voir D. Paulme et A. Retel Laurentin), ainsi qu'au symbolisme de l'inversion-transgression articulé autour des personnages de tricksters, et il figure dans plusieurs mythes cosmogoniques. D'où son rôle dans un certain nombre de « rites de passage », notamment les rites initiatiques, où la transgression provisoire des normes et les pratiques d'inversion impliquent un retour fictif aux origines qui peut être interprété comme une tentative de réintégration dans l'Unité primordiale (M. Eliade) ou comme un effet de la fonction médiatrice du « transformateur » (Cl. Lévi-Strauss). Dans le monde indo-européen l'homme enceint est fréquemment annexé à une mythologie de la royauté et aux représentations relatives à la conquête des pouvoirs magiques. Ses rapports avec le chamanisme restent à examiner.

4. Roberto Zapperi, op. cit., pp. 48-49. En Espagne (Galice) l'immaculée conception est reculée d'un cran et enrichie d'une anecdote originale : on raconte que sainte Anne est issue d'une tumeur qu'un jardinier aurait eue à la jambe après y avoir essuyé le couteau avec lequel il avait coupé une pomme.

5. Voir Ernesto De Martino, La terre du remords, trad. frse, Paris, Gallimard, 1966, p. 215 ss, qui cite un cas (Venosa, 1596) où le tarentule mime le rôle d'une accouchée : on lui apporte un petit enfant qu'il cajole comme si c'était son fils. Dans d'autres cas on remet au malade une poupée qu'il feint d'allaiter. Voir aussi Clara Gallini, I rituali dell'argia, Padoue, 1967

6. Voir Max Caisson, « Le four et l'araignée. Essai sur l'enfournement thérapeutique en Corse », Études corses, 5, 1975, pp. 79-108 (repris dans Ethnologie française, 6, 1976).

7. Dans la plupart des versions examinées par R. Zapperi, il s'agit d'un renard, d'un lapin ou d'un veau. Les versions espagnoles ont une saveur particulièrement archaïque en ce que le protagoniste y est désireux d'enfanter (contrairement à l'immense majorité de ses équivalents européens) et cajole sa reptilienne progéniture dans le lit, où il feint parfois de l'allaiter. L'image finale de cette béatitude contraste avec la conclusion des autres versions, où l'animal s'enfuit sans que son « père » parvienne à le retenir : elle évoque irrésistiblement les traditions relatives à la couvade.

8. Je résume ici l'analyse de M. Caisson (« Guerre encore entre le stellion et l'araignée... », Études corses, 20-21, 1983, pp. 43-53, en particulier, pp. 47-52, « L'homme enceint »), qui voit dans le lézard, comme dans la tarentule, la projection d'une peur masculine, « celle d'une confusion féminine où les hommes perdraient leur virilité ».

9. Voir E. De Martino, op. cit., pp. 206-207 : dans la thérapie traditionnelle appliquée aux cas de tarentisme dans les Pouilles, ce nouvel équilibre de la personnalité est réalisé par une sorte de « symbiose avec l'esprit possesseur devenu esprit protecteur » et par une « normalisation, sous forme de transe provoquée, de l'état de crise ».

10. On a signalé la survivance en Galice d'un xogo do parto comportant une simulation d'accouchement par un homme. Il est significatif qu'y intervienne, comme dans beaucoup de contes étudiés par R. Zapperi, le personnage du « médecin ».

11. « Efforts are made to reduce the distance and différences between catégories in the interest of reducing the discomfort of being consigned to only one » (Anna S. MEIGS, « Maie Pregnancy and the Réduction of Sexual Opposition in a New Guinea Highlands Society », Ethnology, 15, 1976, p. 406). De même Gregory Bateson, La cérémonie du Naven, trad. frse, 1979, et V. Elwin, Maison des jeunes chez lesMuria, trad. frse, Paris, 1978, interprètent respectivement des rituels de transvestisme comme une tentative de rééquilibrage, au niveau des représentations, dans les sociétés où se manifeste un décalage entre un système symbolique patriarcal et une pratique sociale largement marquée par l'activité des femmes (V. ELWIN, op. cit., pp. 274-282), et comme une réduction des antinomies entre ethos masculins et ethos féminin, cependant clairement distingués et affirmés comme tels afin de stimuler les réciprocités et y réinjectant périodiquement une dose de bipolarité agonistique et ludique (G. Bateson, pp. 209-226).

12. On sait que le dossier théorique et ethnographique de la couvade est des plus confus, au point que, comme l'a fait remarquer Claude Lévi-Strauss, « nous ne savons plus du tout ce dont il s'agit, et même s'il existe une institution isolable et qui mérite un nom particulier ». Les coutumes les plus diverses, se situant à des échelles distinctes propres à des cultures hétérogènes, ont été rassemblées sous le même vocable.

13. Voir V. Propp, Edipo a la luz del folklore y otros ensayos de etnografi'a, trad. espagnole, Madrid, 1983, pp. 139-202 (« El motivo del nacimiento milagroso »), en particulier pp. 160-176 (« El nacimiento a partir de una estufa »). Souvent le héros n'est pas couché sur le poêle, mais installé à l'intérieur

14. Ibid., pp. 173-174

15. Pour la Corse, voir Raffaele Corso, « Il rito délia covata in un racconto popolare délia Corsica », dans Mélanges F. Krùger, t. 2, Mendoza, 1954, et pour la Sardaigne, Enrica DELITALA, « La documentazione sulla "covata" e sulla "parte del marito" in Sardegna », Studi Sardi, 20, 1966-1967, pp. 573-594. La couvade a été également attestée à Ibiza, voir C. Alarco von Perfall, Cultura y personalidad en Ibiza, Madrid, 1981, chap. 9.

16. Voir Carlo Ginzburg, « Présomptions sur le sabbat », Annales ESC, 1984, n° 2, pp. 341- 354. Je me propose d'examiner ailleurs le rôle des joutes calendaires intersexuelles induites par M. Granet dans la constitution de quelques-uns de ces phénomènes où interviennent, comme dans la couvade et le tarentisme, des données à la fois rituelles et psychosomatiques.

17. La majorité des cas cités, tant européens qu'exotiques, concernent le comportement du père après l'accouchement. On sait cependant qu'il faut distinguer les couvades prénatale et postnatale, propre et figurée, rituelle et psychosomatique, lourde et légère, etc. R. CORSO, op. cit., est le seul, à ma connaissance, qui se soit efforcé de mettre explicitement en relation les rituels de couvade, les mythes antiques de grossesse divine et les contes folkloriques sur l'accouchement masculin, pour une aire culturelle donnée

18. A. Fraguas Fraguas, « Literatura popular en torno al casamiento, embarazo y parto », Revista de dialectologia y tradiciones populares, 32, 1976, pp. 185-196.

19. E. Delitala, op. cit., pp. 589-590. Dans ce cas il n'y a pas, à proprement parler, « couvade », mais on voit à l'oeuvre le même mécanisme de désamorçage symbolique des éventuelles « représailles » redoutées par l'auteur de l'agression sexuelle, que discerne T. Reik dans les comportements de couvade (« La couvade et la psycho-genèse de la crainte des représailles », Le rituel, psychanalyse des rites religieux, trad. frse, Paris, 1974, pp. 41-104).