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Théorie de l'inceste et construction d'objet. Françoise Héritier, la Grèce antique et les Hittites

Published online by Cambridge University Press:  26 July 2017

Bernard Vernier*
Affiliation:
Université Lumière Lyon II

Extract

Dans Les deux sœurs et leur mère, Françoise Héritier propose de dépasser l'interprétation dite lévi-straussienne de la prohibition de l'inceste. Pour Claude Lévi-Strauss l'interdit s'explique par son effet positif, l'échange qui, en reliant les familles biologiques, permet l'existence des sociétés et le passage de la Nature à la Culture. Mais cette théorie laisse inexpliquées les prohibitions portant sur des alliées : belle-mère, bru, sœur de la femme, etc. Pour comprendre ces dernières, il faut supposer l'existence d'un inceste du deuxième type entre consanguins du même sexe (mère/fille, père/fils, sœur/ sœur, etc.) se partageant le même partenaire.

Summary

Summary

In her effort to elaborate a unified theory regarding the prohibition of incest, which takes into account ally tabous, Françoise Héritier postulates the existence of a secondary form of incest between blood relations of the same sex who share the same partner. The example of ancient Greece and the Hittites shows ail that this theory owes to the construction of an object in which the encounter of identical moods becomes the sole dimension in a complex system of psychological and social relations. A sociology of power interests and relations facilitates the defense of another theory which owes a lot to B. Malinowski, B. Seligman and E. B. Tylor.

Type
L'Inceste. de L'Anthropologie à L'Histoire
Copyright
Copyright © Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1996

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References

1. Françoise Héritier, Les deux soeurs et leur mère. Anthropologie de l'inceste, Paris, Éditions Odile Jacob, 1994, 376 p. On poursuit ici les réflexions autour de l'inceste entamées dans La genèse sociale des sentiments, Paris, EHESS, 1991 et dans « Fétichisme du nom, échanges affectifs intra-familiaux et affinités électives », Actes de la Recherche en Sciences sociales, 78, 1989. Cet article a fait l'objet d'une présentation dans le séminaire de Maurice Godelier, le 20 février 1995, puis dans celui d'André Burguière, Christiane Klapisch et Françoise Zonabend, le 3 mars.

2. Claude Lévi-Strauss, Les structures élémentaires de la parenté, Mouton, 1967 (1949).

3. Les deux soeurs et leur mère…, op. cit., p. 11.

4. Id., p. 307.

5. Id., p. 37. Voir « F. Héritier et les interdits de la Bible », Social Anthropology, 1996, 3.

6. Id., p. 305.

7. Id., pp. 307-308.

8. là., p. 61. Il s'agit en réalité de cinquante cousins et de cinquante cousines.

9. La bibliothèque d'Appolodore, pp. 55-56.

10. F. Héritier, op. cit., p. 29.

11. Les fils de Persée, Alcée et Sthenelos avec les filles de Pelops, Astydamie et Nicippé, les fils d'Actor avec Theonice et Theraponte, les filles de Dexamène (Pausanias, Voyage historique de la Grèce, vol. II, debarle éd., 1797, p. 316), les fils d'Atrée, Agamemnon et Ménelas avec Clytemnestre et Hélène. Notons au passage qu'Apollon dans YOrested'Euripide, promet même de marier Hermione la fille de Ménelas et d'Hélène à Oreste le fils d'Agamemnon et Clytemnestre. Les époux potentiels Oreste et Hermione sont pourtant des cousins parallèles bilatéraux à la fois des enfants de soeurs et des enfants de frères. Dans Stichusune pièce de Plaute imitée de Ménandre (Les Adelphes)deux frères, Pamphilippe et Épignome, épousent deux soeurs, Panégyris et Pamphila. Théâtre complet, II, Paris, Gallimard, p. 906.

12. Les filles de Thersandre, Lathria et Anaxandra avec les fils d'Aristomède.

13. Ovide donne bien le sens de cette histoire en faisant dire à Hypermnestré : « Ils n'ont pas mérité la mort en convoitant le royaume de leur oncle. De toute façon, il devait être donné à des gendres étrangers », Ovide, Les Héroïdes, Paris, Les Belles Lettres, 1991, p. 88.

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24. Sans craindre de faire se rencontrer le père et le fils dans une même matrice.

25. Les dieux écoutent favorablement les imprécations des parents, même quand ceux-ci sont dans leur tort. Ils écoutent, par exemple, celles de Thésée qui vouent son fils Hippolyte à la mort alors que ce dernier est totalement innocent.

26. Sophocle, Les Trachiniennes, Tragédies, Paris, Gallimard, pp. 77, 79.

27. A un moment, Thésée dit à Hyllos : « je te hais ».

28. Sophocle, Œdipe roi, Tragédies, Paris, Gallimard, p. 200.

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38. Callias accuse Andocide d'avoir commis un sacrilège en déposant sur l'autel un rameau de suppliant.

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40. Andocide, op. cit., pp. 120-121.

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42. L'expression « femme libre » ne signifie pas « célibataire » comme le suggère F. Héritier, mais indique un statut social qui s'oppose à celui d'esclave. Les versets cités suffisent à le démontrer. Pour confirmation, constatons par exemple que le verset 3 condamne ceux qui tuent un homme ou une femme libre à donner deux personnes en compensation, tandis que le verset 4 exige une compensation d'une seule personne pour la mort d'un(e) esclave.

43. F. Héritier ne le nie pas mais pense sauver le caractère universel de sa théorie en avançant que toutes les sociétés sont amenées à prendre position sur le problème des effets positifs ou négatifs d'une mise en contact des identiques. Les cas où la société est indifférente (cf. Plaute) suffisent pourtant à infirmer sa théorie.

44. Evans-Pritchard, E. E., Parenté et mariage chez les Nuer, Paris, Payot, 1973, pp. 5758 Google Scholar (Oxford University Press, 1951).

45. Constatons cependant que les Nuer parlent d'une mise en contact du fils et de sa mère et non d'un inceste père/fils.

46. Je ne nie pas pour autant que cette rêverie scientifique puisse être à l'origine de bien des découvertes parmi les plus inattendues.

47. F. Héritier, op. cit., p. 74.

48. F. Héritier, op. cit., p. 293

49. Il n'est pas rare que l'inceste à l'instar d'autres transgressions de l'ordre social soit censé provoquer des catastrophes naturelles.

50. C'est ce que montre bien Godelier, Maurice, La production des grands hommes, Paris, Fayard, 1982 Google Scholar.

51. A Karpathos, par exemple, le statut inférieur des cadets est fondé en nature sur des représentations qui en font les produits d'un sperme de qualité inférieure, B. Vernier, op. cit.

52. E. B. Tylor, « On a Method of Investigating the Development of Institution », Journal ofthe Royal Anthropological Institute, vol. 18, p. 267. Malinowski, B., La sexualité et sa répression dans les sociétés primitives, Paris, Payot, 1967 Google Scholar. Brenda Z. Seligman, « Incest and Descent : their Influence on Social Organization, JRAI, 59, 1929. Id., « The Incest Barrier : Its Rôle in Social Organization », The British Journal of Psychology, vol. 22, part. 3,1932. Id., « The Incest Taboo as a Social Régulation », The Sociological Review, vol. 27,1,1935. Id., « The Problem of Incest and Exogamy : A Restatement », American Anthropologist, vol. 52, n° 3, 1950.

53. B. Seligman note que le tabou de la relation avec la mère de la femme peut s'interpréter comme l'interdiction pour quelqu'un d'avoir des relations avec deux personnes qui se situent l'une vis-à-vis de l'autre dans un rapport de parent à enfant. Cette définition a l'avantage d'inclure les interdits parents/enfants (exemple : le père avec sa fille et sa femme) et de souligner que la prohibition, comme le disait Malinowski, protège la solidarité familiale en préservant l'autorité des parents : ici de la mère.

54. R. F. Fortune, article Incest dans Encyclopaedia ofthe Social Sciences, 1932. Williams, F. E., Papuans ofthe Trans-Fly, Oxford, 1936, p. 169 Google Scholar. Comme le rappelle Leslie White « The Définition and Prohibition of Incest », American Anthropologist, 1948-1940, pp. 416-435, saint Augustin dans la Cité de Dieu, 1400 ans avant Tylor, avait compris les avantages de l'exogamie qui, contrairement à l'inceste, permet de multiplier les relations « d'amitié » entre les personnes et de créer ainsi les conditions d'une concorde sociale utile à tous.

55. B. Seligman, op. cit., p. 90.

56. P. Bourdieu, Le sens pratique, Paris, Éditions de Minuit, 1980.