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La « plèbe moyenne » sous le Haut-Empire romain

Published online by Cambridge University Press:  04 May 2017

Paul Veyne*
Affiliation:
Collège de France

Résumé

Deux auteurs de la Rome impériale parlent d'une plebs média, opposée à la plebs humilis. Il existait une classe moyenne dans cette société à ordines, qui se manifeste par son énorme présence matérielle (maisons, inscriptions, art funéraire). Sa définition est négative et hétérogène : les plébéiens moyens ne sont ni membres des ordines privilégiés, ni réduits à gagner quotidiennement leur pain, ni positivement riches (ils sont pauvres au sens antique du mot), ni de naissance servile ; ils incarnent le citoyen moyen et aussi le « lecteur idéal » de la semiotique littéraire. Pour la classe gouvernante, ils sont la « partie saine » du peuple. On appartient à la plèbe moyenne dès qu'on ne vit plus au jour le jour et qu'on est rentier du sol qui vit de loisir ou boutiquier ayant un gros outillage ou un entrepôt. Cette catégorie se signale par la conscience de soi des marchands ou artisans, par le concept de métier comme exploit et non comme identité, par l'entraide par le crédit entre confrères ; le souci de faire des affaires s'oppose à avoir un patrimoine ; la morale d'Horace, l'iconographie du banquet dit funèbre et le fantasme compensatoire : « vous avez la richesse, nous avons la bonne vie » ; les Disticha Catonis sont « un miroir de bourgeoisie » qui renvoie aux plébéiens leur propre sagesse, sous prétexte de la leur enseigner. La plebs de l'Urbs n'était pas une tourbe dépolitisée ; sous des leaders issus de la plèbe moyenne, elle conserve une légitimité politique et parfois militaire. Mais une économie d'échanges au processus très morcelé, sans vrai système bancaire, sans marché large et transparent, mais avec de la corruption, des squeezes et des pots-de-vin partout, a maintenu la plèbe moyenne dans une dépendance économique à la classe gouvernante.

Summary

Summary

Two authors of imperial Rome talk of the plebs media, contrasting with the plebs humilis. This middle-class existed in a social ordines-organization and had a big material presence (houses, inscriptions, funeral art). Its definition is negative and heterogeneous: the middle plebeians were neither members of the privileged ordines, nor reduced to earn their daily bread, nor positively rich (they were rich in the ancient meaning of this world), nor of slavish birth. They personified the average citizen as well as the “ideal reader” according to the semiotics of literature. In the opinion ofthe ruling class, they were the “sane part ofthe People”. Man belonged to the middle plebeians as soon as man did not live from hand to mouth, as a landowner and man of leisure or as a shopkeeper owning some equipment or warehouse. For the self-awareness of tradesmen and craftsmen, a job was an achievment and not an identity; one had to aid his colleagues through credit between friends; being in business was the opposite of having a patrimony. Ethics of Horace. Iconography of the so-called funeral feast. A compensating fantasy; “you are rich, but we get an easy life ”. The Disticha Catonis are “a mirror of middle-class ”, which sent back their own wisdom to the plebeians, on the pretext of teaching it. In the Urbs itself plebeians were not a depoliticized mob, but, under some leaders born ofthe middle-class, they retained a political legitimacy and an ethical strictness, in the name of which they judged the emperors andplayed a political and sometimes military role. But a trade economy of which the process was too fragmented, without a true banking system nor a large and transparent market, but with squeezes and bribery everywhere, keeped the middle-class in an economical dependence on the ruling class.

Type
Catégories Sociales de L'espace Politique
Copyright
École des Hautes Études en Sciences Sociales, Paris, 2000

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References

1. Comme l'écrit Pleket, dans Weiler, Henry Willy, I. et Grasst, H. (éds), Soziale Randgruppen und Auflenseiter im Altertum, Graz, Leykam, 1988, p. 267 Google Scholar, c'est « a rather académie dispute ». On peut, je crois, cliver une société selon mille critères différents : aucun de ces clivages n'est plus « vrai » que les autres ; il suffit qu'il y ait à dire quelque chose de vrai (et, si possible, d'intéressant) sur le groupe ainsi clivé. Alföldy, Pour Géza ﹛Rômische Sozialgeschichte, Wiesbaden, Franz Steiner, 1979, p. 87)Google Scholar, « une véritable classe moyenne ne pouvait pas prendre naissance » ; oui, mais seulement si l'on décrète qu'une classe sociale se définit par les moyens de production ou l'intérêt de classe. Abramenko, Pour Andrik (Die municipale Mittelschicht im kaiserzeitlichen Italien : zu einem neuen Verständnis von Sevirat und Augustalitàt, Francfort, Peter Lang, 1993)Google Scholar, dans les villes municipales cette « classe » est un ordo, celui des Augustales, qui, dans certaines régions d'Italie, n'était pas réservé aux affranchis ; oui, si l'on pose que la société romaine ne pouvait pas comporter d'autre classe sociale qu'un ordo de droit public. En revanche, pour Friedrich Vittinghoff (” Soziale Struktur und politisches System der hohen Kaiserzeit », Historische Zeitschrift, CcXXX, 1980, p. 49) : « ce serait proprement une absurdité que de refuser de voir l'équivalent d'une classe moyenne » dans l'Empire, malgré le développement urbain, et de tout ranger dans la catégorie socialement confuse de petit peuple ou à'humiliores ».Voir aussi la contribution de Friedrich Vittinghoff dans Wirtschaft und Gesellschaft des Imperium Romanum, Handbuch der europàischen Wirtschafts- und Sozialgeschichte, Stuttgart, Klett-Cotta, 1990, t. 1, p. 205.

2. que, Maladie pas, nous ne savons identifier, selon Grmek, Mirko D., Histoire du sida, Paris, Payot, 1989, p. 163,Google Scholar qui ajoute que c'est « la première mention historique d'un kissing disease ».

3. Pline L'ancien, Histoire naturelle, 26. 1. 3 : Nec sentire id malum feminae aut seruitia plebesque humilis aut média, sed proceres, ueloci transitu osculi maxime. […] Haec proceres sentire, illa pauperes. Texte cité par Andrew Wallace-Hadrill, « The Social Spread of Luxury, Roman, Sampling, Pompeii and Herculaneum, », Papers ofthe British School of Rome [Pbsr], 58, 1990, p. 147 Google Scholar, et Paul Veyne, Annuaire du Collège de France, résumé des cours, 1991-1992, p. 721 ; aussi, voir Pleket, Henry Willy, « Political Culture and Political Practice in the Cities of Asia Minor », Politische Théorie und Praxis im Altertum, Darmstadt, 1998, p. 208.Google Scholar

4. Friedlànder, Ludwig, Darstellung aus der Sittengeschichte Roms in der zeit von Augustus bis zum Augsgang der Antonine, Leipzig, S. Hirzel, t. 1, [1901] 1919, pp. 9394 Google Scholar ; Alfûldi, Andrâs, Die monarchische Reprdsentation im rômischen Kaiserreiche, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchges, 1980, pp. 27 Google Scholar, 41-42, 64.

5. Ainsi le Corpus inscriptiones latinarum [CIL], III 2835 : Uixi semper pauper honeste ; VI, 2489 : Uixi semper bene pauper honeste, fraudaui nullum.

6. Tacite, Histoires, 1. 4.

7. Cicéron, Ad Atticum, 1. 16. 11.

8. Tacite, Annales, 2. 77 ; Histoires, 3. 31. Et, encore chez Ammien Marcellin, 28. 4. 28 : Otiosam plebem et desidem.

9. C'est la célèbre anecdote de Vespasien refusant une machine, afin de laisser ses moyens de vivre à la plebecula (Suétone, Vespasien, 18), discutée par Peter Ashbury Brunt, « Free Labour and Public Works at Rome », Journal of Roman Studies [JRS], LXX, 1980, pp. 81- 100. L'achèvement du temple de Jérusalem mit 18 000 ouviers au chômage (Flavius Josèphe, Antiquités judaïques, Xviii, p. 219). Au Bas-Empire, un évergète prenait soin des pauvres en leur donnant du travail (Inscriptions grecques et latines de Syrie, V, n° 2000).

10. Tacite, Histoires, 4. 38 : Uulgus, alimenta in dies mercari solitum, cui una ex re publica annonae cura. En Inde, de nos jours, m'écrit mon collègue Gérard Fussman, la coupure passe entre ceux qui sont assurés du lendemain — et forment la classe moyenne —, et ceux qui ne le sont pas.

11. Digeste, 47. 2. 90 (89) : Si libertus […] uel cliens uel mercennarius […] furtum fecerit, furti actio non nascitur; ibid., 48. 19. 11. 1 : Domestica furta uocantur, quae seriii […] uel liberti […] uel mercennarii […] subripiunt.

12. Digeste, 38. 1.1: Operae sunt diurnum officium ; 40. 5. 23. 4 : Mercedem diurnam.

13. Sur la vie du prolétariat urbain, voir Dion DE Pruse, VII, Euboïque, §§ 104-105 : « Parlons maintenant de l'existence et des métiers des pauvres (pënëtes) qui vivent en ville, dans les cités ; comment doivent-ils vivre et que doivent-ils faire pour ne pas mener une vie mauvaise, une vie pire que les prêteurs à taux usuraire qui savent si bien compter les mois et les jours, ou que les propriétaires de grands immeubles collectifs, de navires ou de foules d'esclaves ? Puissent-ils ne jamais manquer de travail dans les cités et n'avoir pas besoin de trouver ailleurs des ressources ! Car il leur faut payer un loyer pour se loger et tout acheter, manteau, vaisselle, nourriture, jusqu'au bois pour alimenter chaque jour leur foyer, même si ce ne sont que des sarments ou des rameaux, jusqu'à la moindre chose dont ils ont besoin. Bref, sauf l'eau, ils doivent tout acquérir contre argent. » Dans cette partie de son discours, Dion imite le style des Lois de Platon, mais dans un esprit de philanthropia bien différent et pour louer la vie rustique.

14. C'est le « aujourd'hui, donne-nous ce qu'il nous faut de pain » (si tel est bien le sens d'epiousios, que saint Jérôme lui-même ignorait visiblement) de l'Évangile (Mt 6, 11 et Le 11, 3 ) ; et la «nourriture quotidienne” de l'Epître de Jacques (2, 15); c'est le «gain quotidien » dont parle Cicéron, Quatrième Catilinaire, 8. 17 : les egentes atque imperiti qui ne possédaient, dans leur taberna, que sellae atque operis et quaestus cotidiani locum, cubile (” chambre ») ac lectulum suum. Voir aussi la note 10. Les archéologues connaissent bien ces tabernae : une pièce unique au rez-de-chaussée, largement ouverte sur la rue (ce qui permettait à l'artisan d'entrer en contact avec ses clients) et qui servait à la fois d'atelier et de chambre (le lit était souvent installé sous une soupente) : Jean-Pierre Morel, « La topographie de l'artisanat et du commerce dans la Rome antique », L'Urbs : espace urbain et histoire, Rome, École française de Rome, 1987, pp. 134 et n. 30 ; J. E. Packer, « Housing and Population in Impérial Ostia and Rome », JRS, Lvii, 1967, p. 85. Vers 1950, on pouvait voir des tabernae semblables dans le vieux Naples (Spaccanapoli).

15. L. Friedländer, Darstellung…, op. cit., pp. 158-160. Pour Judas, voir les salaires mentionnés par Joachim Hengstl, Private Arbeitsverhàltnifie fréter Personen in den Papyri, Bonn, Habelt, 1972 ; prenons garde que ces salaires sont ceux de métiers très qualifiés, puisque les travailleurs sont engagés par contrat écrit. Dans le papyrus d'Oxyrhynchos Xviii, 2190, vers 100 de notre ère, un étudiant fait croire à ses parents qu'un apprenti charpentier gagne deux drachmes par jour ; il négocie son propre argent de poche (J. REA, « A Student's Letter », Zeitschrift fur Papyrologie und Epigraphik, 99, 1993, p. 85). Richard Duncan-Jones, The Economy ofthe Roman Empire, Quantitative Studies, Cambridge, Cambridge University Press, 1974, p. 54. P. A. Brunt, « Free Labour… », art. cit., p. 88 : les égaux de Juvénal, qui exerçaient des artes honestae, pouvaient payer pour leur appartement un loyer à l'année et possédaient assez de mobilier pour en charger un chariot ; s'ils quittaient VUrbs, ils achetaient un petit domaine rural.

16. Aristote, Politique, 2. 11 (1295 b 1).

17. CIL, VI 10 097 = 33 960; Friedrich Buecheler, Carmina epigraphica, n ° l l l l. Commentaire de Theodor Mommsen au CIL et dans son Rômisches Staatsrecht, Leipzig, 1888, t. 3, vol. 1, p. 277, n. 2, et p. 443, n. 10. Époque de Domitien.

18. Il avait pour gentilice Ti. Claudius, Esquilina Aug. : il appartenait donc à la tribu Esquiline, où étaient inscrits les gens de théâtre (malgré leur infamia, en avaient-ils été rachetés, comme le mimographe Labérius le fut par César ?) ; dans cette tribu, il était inscrit dans le corpus Aug(ustale) comme centuriate, ce qui est certainement flatteur puisqu'il prit la peine de le préciser ; sans doute ce corpus jouait-il un rôle dans les comices fictifs qui perpétuaient les apparences républicaines. Il a été gratus populo notusque fauore, et c'était sans doute un soliste virtuose, comme Néron, car il chantait des vers méliques, ainsi que les oeuvres de poètes, ses contemporains, qu'on voyait, dit-il, chez les libraires du forum impérial (de Domitien), au début de la rue de l'Argilète (l'actuelle Via délia Madonna de'Monti, en contrebas de la Via Cavour). Sans doute chantait-il les textes méliques dans le concours thymélique de Domitien.

19. Veyne, Cf. Paul, La société romaine, Paris, Le Seuil, 1990, p. 278,Google Scholar n. 140. Ou bien ils étaient d'origine servile, ou bien ils étaient vendus en esclavage (de telles ventes, qui n'avaient rien d'exceptionnel, étaient un sujet tabou sur lequel on faisait silence).

20. Horace, Épîtres, 1.1, 57-59 : Plebs eris.

21. Voir le livre novateur de Egon Flaig, Den Kaiser herausfordern : die Usurpation im rômische Reich, Francfort-New York, Campus Verlag, 1992, p. 38.

22. Lucien, Nekyom, 12, et Nigrinos, 21 fin, décrivant les moeurs à Rome même.

23. Tacite, Annales, 16. 13, distingue les seruitia et l'ingenua plèbes ; la précision qu'apporte ingenua montre qu'on pouvait englober ou non dans la plèbe ceux qui étaient nés dans l'esclavage, selon l'humeur du locuteur.

24. Galien (à Pergame), De locis affectis, 2. 5 (t. 8, p. 132, Kiihn, éd.). Horace, quant à lui, avait trois esclaves (Satires, 1, 6. 116). Chez juvénal, 9. 135-147, un triste personnage souhaite seulement pouvoir se dire pauper, et non misérable, s'il a cinq mille deniers de revenu par des prêts sur gage, deux esclaves pour l'escorter partout et deux esclaves artisans qui travailleront pour lui.

25. CIL, I2 1203-1205 et VI, 1958 ; Herman Dessau, Inscriptiones latinae selectae [ILS], Berlin, Weidmann, 1962, 5 vols, 7460 ; Paolo Ciancio Rossetto, // sepolcro del fornaio Virgilio Eurisace, Rome, Istituto di studi romani, 1973 ; Jean-Paul Morel, « L'artisan », in A. Giardina (éd.), L'homme romain, Paris, Le Seuil, 1992, pp. 274-275. Autre somptueux tombeau, celui du redemptor Haterius, richissime entrepreneur de travaux publics colossaux : Filippo Coarelli, La riscoperta del sepolcro degli Haterii, in J. Augustin (éd.), Studies in Classical Art and Archaeology, Locust Valley, 1979, p. 266 ; Wolfgang Helbig, Ftihrer durch die öffentlichen Sammlungen klassischer Altertumer in Rom, 4e éd., Tiibingen, E. Wasmuth, 1963, t. 1, 1071-1077. Comme le dit J.-P. Morel, « on voit le rôle que jouent les marchés publics dans l'édification des fortunes à base non agraire » (” La manufacture, moyen d'enrichissement dans l'Italie romaine », in P. Leveau (éd.), « L'origine des richesses dépensées dans la ville antique » (Actes du colloque organisé par l'UER d'Histoire à Aix-en Provence les 11 et 12 mai 1984), Aix-en-Provence, Université de Provence, 1985, p. 96).

26. Virgile, Catalecton, 10 (ce mulio a fini duumvir) ; on s'enrichissait dans ce métier : voir l'histoire d'Hybréas de Mylasa chez Strabon, 13 630 et 14 659. Pour le mulio aux pieds nus, Sénèque, Ad Lucilium, 87. 4.

27. Meeks, Wayne A., The First Urban Christians, New Haven, Yale University Press, 1983, p. 52.Google Scholar Sanders, E. P., Paul, Oxford, Oxford University Press, 1991, pp. 1011 Google Scholar : «Paul se prévaut, dans la Première aux Corinthiens, 4. 12, de gagner sa vie de ses propres mains ; c'est révélateur : un pauvre n'aurait pas pensé que travailler de ses mains méritât une remarque spéciale. Paul avait été formé pour être propriétaire ou manager » (voir aussi note 127).

28. Propriétaire d'un petit domaine (3. 25 : far modicum), le poète Perse tient à préciser qu'il est de rang équestre et prend part à la transuectio equitum (tel est le vrai sens du vers 3. 29). Martial aussi, propriétaire d'une terre à Nomentum (2. 38, 6. 43), fait souvent sonner son titre de chevalier (3. 95, 5. 13, 5. 17, 9. 49, 12. 26).

29. Il y a des évolutions si massives qu'elles permettent de raisonner par analogie. Vers 1950, la valeur de la terre représentait la moitié du capital national de l'Inde, l'autre moitié consistant en actifs reproductibles (logements, équipements, stocks, cheptel, etc.) ; à la même époque, la valeur de la terre ne représentait que le sixième du capital national des États-Unis et de la France, où cette valeur était inférieure au revenu national d'une seule année (Jean Marczewski, Comptabilité nationale, Paris, Dalloz, 1965, pp. 462-469). De même, avant la révolution démographique due à Pasteur, la moitié de la population mourait avant l'âge de trente ans. Et, disent les économistes (dont Paul Bairoch, « Écarts internationaux des niveaux de vie avant la Révolution industrielle », Annales ESC, 34-1, 1979, pp. 145-171), les sociétés occidentales actuelles sont peut-être vingt fois plus riches que l'Empire romain ou la France de Louis XIV. En revanche, autrefois, l'inégalité économique entre deux régions du globe pouvait être de 1 à 2, et non de 1 à 30 comme aujourd'hui ; vers 1700, l'Angleterre et l'Inde avaient le même niveau de vie : Paul Bairoch, Economies and World History, Myths and Paradoxes, New York, Harvester Wheatsheaf, 1993, pp. 102-110.

30. Pour les agrimenseurs, voir Gromatici veteres, éd. Lachmann, 1.1, pp. 56, 154-155, et ApulÉE, Les Métamorphoses, 2. 15. On songe aussi à ce qu'un sondage d'archives a révélé sur la population d'Aix-en-Provence au xvf siècle : les maisons des riches abritaient une population beaucoup plus dense que celles des pauvres, à cause d'une nombreuse domesticité. Sur la nature rurale de la middle class urbaine, Macmullen, voir Ramsay, Roman Social Relations, New Haven, Yale University Press, 1974 Google Scholar, et Les rapports entre les classes sociales dans l'Empire romain, trad. Tachet, Paris, Le Seuil, 1986, p. 86. Sur les rapports villecampagne, se reporter aux travaux de Philippe Leveau. Sur l'économie de la cité antique et les « cercles » qui la constituaient (les rentiers du sol, leur domesticité, les boutiquiers qui fournissent les précédents et se fournissent entre eux), voir l'Essai sur la nature du commerce en général de Cantillon toujours éclairant pour tout « Ancien Régime » économique (Paris, Institut National d'Études Démographiques, [1755] 1952, pp. 7-9). À lire certains auteurs, on croirait qu'au long des siècles de l'histoire romaine la propriété terrienne « ne cesse de se concentrer ». Mais il subsistait encore beaucoup de petits propriétaires au début de l'ère byzantine (Jones, Arnold H. Martin, The Later Roman Empire, 284-602: A Social, Economie and Administrative Survey, Oxford, Blackwell, [1964] 1973, t. 2, pp. 773 et 779).Google Scholar

31. Logomachie à laquelle j'ai jadis contribué. Lire ce qui est peut-être la meilleure synthèse actuelle : Pleket, Henry Willy, « Wirtschaft und Gesellschaft des Imperium Romanum », Handbuch der europàischen Wirtschafts- und Sozialgeschichte, 1, 1990, pp. 36 Google Scholar, 41-42 et 45 ; Trimalcion continue à faire des affaires après avoir placé ses bénéfices en biens-fonds. Voir maintenant, sur Trimalcion, la belle étude de Peter Garnsey, « Independent Freedmen and the Economy of Roman Italy », Klio, Lxiii, 1981, pp. 359-371 ; à comparer avec Jacqueline Kaufmann-Rochard, , Origines d'une bourgeoisie russe, xvie et xvu” siècles, Paris, Flammarion, 1969, pp. 139143.Google Scholar

32. Ainsi faisait le vieux Caton, selon Plutarque, on s'en souvient ; H. W. Pleket, « Wirtschaft und Gesellschaft… », art. cit., p. 125 : « Une partie non médiocre de la ville de Rome a été construite au moyen de matériaux [à savoir les briques] issus des domaines sénatoriaux, et par des personnes qui dépendaient de familles sénatoriales. Les mêmes familles sénatoriales, qui disposaient d'affranchis dans les activités de construction, les plaçaient ainsi que des esclaves dans la production textile à Rome ; d'autres employaient des affranchis comme marchands d'étoffes. Si nous synthétisons ces données, nous obtenons l'image de familles de la classe dirigeante qui, en fait, participaient indirectement à la production et à la vente. »

33. Le grammairien et capitaine d'industrie Remmius Palaemon était « très appliqué à son patrimoine : il tenait des boutiques de vente de vêtements et il cultivait si bien ses terres qu'il est assuré qu'un pied de vigne qu'il avait planté de sa main a pu remplir 365 vases à boire » (Suétone, De grammaticis, 23). Voir J.-P. Morel, « La manufacture… », art. cit., pp. 268 et 276. Il en est ainsi dans une société où le commerce ne fait pas déroger : en Chine, telle riche famille possédait plus de 1 500 hectares de terre au-delà de la Porte du Sud, ainsi qu'une épicerie en ville dont le rapport s'élevait à la moitié de celui des terres, lit-on chez Lieou NGO (1854-1909), L'odyssée de Lao Ts'an, trad. Cheng Tcheng, Paris, Gallimard/Unesco, 1964, chap. 13, p. 161.

34. J.-P. Morel, « La manufacture… », art. cit., p. 96. Voir le Digeste, 50. 6, De iure immunitatis, 6 (5). 6 et 8 : Si quis maiore pecuniae suae parte negotiationem exercebit.

35. En effet, ces objets manufacturés étaient, pour la plupart, utilisés par d'autres que leur fabricant et sont donc passés par les mains de négociants ; leur fabrication même implique l'existence d'une strate privilégiée d'entrepreneurs, souvent urbains (et de créanciers qui en tirent un revenu, comme on verra) ; or, ces entrepreneurs et leurs travailleurs n'auraient pu exister si les cultivateurs n'avaient eu une productivité assez élevée pour laisser un surplus permettant de nourrir, outre eux-mêmes et leur famille, des travailleurs et entrepreneurs urbains ; une autre partie du même surplus était accaparée comme rente au profit d'une strate de propriétaires ruraux. En un mot, l'existence de produits manufacturés prouve un niveau de civilisation matérielle déjà élevé, inséparable de l'existence d'une classe moyenne trop nombreuse pour se réduire au groupe politique dirigeant.

36. J.-P. Morel, « La manufacture… », art. cit., p. 267.

37. A. Abramenko, Die municipale…, op. cit., pp. 232-233.

38. W. A. Meeks, The First Urban…, op. cit. ; G. Theissen, « Soziale Schichtung in der korinthischer Gemeinde : ein Beitrag zur Soziologie des hellenistischen Urchristentums », Zeitschrift fiir die neutestamentliche Wissenschaft, LXV, 1974, pp. 232-272 ; The Social Setting of Pauline Christianity, Edimbourg, Clark, 1982.

39. Au début du me siècle, Callistrate estime qu'en cas de besoin de simples vendeurs d'objets à usage domestique (ustensilia) peuvent être admis dans la curie bien que les édiles municipaux aient le droit de faire fouetter les gens comme eux (Digeste, 50. 2. 12). Au IVe siècle, tel duumvir d'une cité africaine est un boutiquier qui prenait ses repas avec ses ouvriers (A. H. M. Jones, The Late Roman Empire…, op. cit., t. 1, p. 860).

40. « Plebeius an decurio », répète le Digeste, 22. 5. 3 pr., 48. 19. 9. 14 et 15, 50. 4. 7 pr. ; « decurionum honoribus plebei fungi prohibentur », ibid., 50. 2. 7. 2.

41. Non pas de «haillons», d'habits en loques, mais de vêtements d'occasion, faits de pièces et de morceaux cousus ensemble, comme le manteau du pauvre Arlequin (par opposition à la riche « robe sans coutures » du Christ) ; les habits étant coûteux, les habits neufs étaient pour les nantis, et le costume de la majorité pauvre de la population était un vêtement d'occasion, acheté chez un des nombreux centonarii de l'époque. Notre nummularius, membre de la plebs média, s'habille comme un membre de la plebs sordida. La province d'Aquitaine était si prospère que personne n'y était vêtu de frustis pannorum, ce qui était le cas partout ailleurs (Ammien Marcellin, 15. 12. 2) ; la plèbe romaine des chômeurs (des « fainéants et désoeuvrés ») n'avait pas de souliers (Ammien Marcellin, 28. 4. 28). Une province était considérée comme prospère si les maisons y étaient couvertes de tuiles (Strabon, 13. 1. 27, p. 594).

42. ApuléE, Les Métamorphoses, 4. 9. 5. Cet « homme de métier et de boutique », comme l'appelle Jean Andreau, « ignore le splendor et la liberalitas » et reste « étranger aux habitudes de l'aristocratie » (La vie financière dans le monde romain : les métiers de manieurs d'argent, iv” siècle av. J.-C.-m’ apr. J.-C, Rome, École française de Rome, 1987, pp. 393-394 et 440). Cf. Fergus Millar, « The world of the “Golden Ass” », JRS, Lxxi, 1981, pp. 69-70.

43. Martial, 3. 16, 59, 99 ; JUVÉNAL, 1. 22, 2. 34 ; Zvi Yavetz, « The Urban Plebs in the Days of the Flavian, Nerva and Trajan », in Opposition et résistances à l'Empire d'Auguste à Trajan, vol. Xxxiii des Entretiens sur l'Antiquité classique, K. A. Raaflaub et alii, préparés par A. Giovannini (éd.), Fondation Hardt, 1986, p. 152.

44. Voir par exemple Jean Andreau, « À propos de la vie financière à Pouzzoles : Cluvius et Vestorius », in Les « bourgeoisies » municipales italiennes aux n’ et i” siècles av. J.-C, Paris-Naples, Cnrs/Centre Jean Bérard, 1983, pp. 9-20. Il y a aussi quelques raisons de supposer que la pédérastie, ce trait de moeurs lettré et aristocratique, n'était pas bien vue dans la plèbe moyenne.

45. Tacite, Histoires, 1. 4. 3 ; cf. note 6. Sur ce texte, voir Zvi Yavetz, Plebs and Princeps, Londres, Oxford University Press, 1969 ﹛La plèbe et le prince : foule et vie politique sous le Haut-Empire romain, trad. M. Sissung, Paris, La Découverte, 1984, p. 191) ; E. Flaig, DenKaiser…, op. cit., p. 41, n. 11. Mais, à mon avis, l'opposition entre populus et plebs n'a rien d'institutionnel, et il ne faut pas non plus chercher la plèbe frumentaire sous ces mots : c'est l'opposition entre deux modes de classement ; l'un, laudatif et selon le droit public (populus), l'autre (plebs) plus « social » et conforme aux préjugés.

46. Sénèque, dans le De constantia sapientis, 12. 2, met sur la même ligne le Sénat, le forum et le Champ de Mars (c'est-à-dire les Saepta Iulia, où votaient toujours, fictivement certes, les comices centuriates, aux termes de la loi Valeria Aurélia) ; cf. la mention du Corpus Augustale [note 18], et, plus généralement, Nicholas Purcell dans la nouvelle Cambridge Ancient History, t. 10, The Augustan Empire, 1996, pp. 798-801. Cette position moyenne du populus céda devant l'opposition binaire des honestiores et des humiliores et ce fut l'armée, cette fidèle alliée de l'empereur, qui reprit le rôle de populus (Angela Pabst, Comitia imperii, Darmstadt, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, 1997).

47. Tacite, Annales, 5. 4. 2.

48. À Pompéi, les domus de la classe moyenne ont de 120 à 350 m2, celles de l'aristocratie, de 450 à 3 000 m2 (Roger Hanoune, « La maison romaine : nouveautés », in Colloque Apamée de Syrie, Bruxelles, Musées royaux d'art et d'histoire, 1980, p. 437). Sur les cenacula, J. E. Packer, « The Insulae of Impérial Ostia », Memoirs of the American Academy in Rome [Maar], Xxxi, 1971, p. 97 ; Meiggs, Russel, Roman Ostia, Oxford, Clarendon Press, 1973, p. 249 Google Scholar ; Boersma, Johannes Sipko, Amoenissima civitas, Assen, Van Gorcum, 1985.Google Scholar

49. Les dizaines de milliers d'épitaphes de l'Urbs ne permettent aucune conclusion sur la structure quantitative de la population de Rome, Huttunen, selon P., The Social Strata of the Impérial City of Rome, University of Oulu Press, 1974, p. 195.Google Scholar

50. CIL, V, 4020 : Si maior auctoritas patrimoni mei fuisset, amplius titulo te prosecutus essem, piissime pater ; XII 106 (Buecheler, n° 203) : Qualem paupertas potuit memoriam dedi ; XI 6842 : E paruo nobis quod labor arte dédit, patrono et una coniugi feci meae ; c'est un boulanger qui parle (Zimmer, Gerhard, Rômische Berufsdarstellungen, Berlin, 1982, p. 119, n°31).Google Scholar

51. Kleiner, Diana E., Roman Group Portraiture: The Funerary Reliefs ofthe Late Republic and Early Empire, Londres-New York, Garland Publisher, 1977.Google Scholar

52. Margaret Bieber estime que, dès la fin de la République, le commun des Romains, dans la vie quotidienne, était habillé (mais non chaussé) à la grecque, avec le pallium — ou avec une toge drapée comme un pallium, Ancient Copies: Contribution to the History of Greek and Roman Art, New York, New York University Press, 1977, pp. 129-147. Nous ignorons quel était l'aspect des passants dans une rue romaine… Il peut être utile de noter comment distinguer pratiquement un togatus d'un palliatus : d'après le sinus sur la poitrine (malheureusement il n'est guère marqué sur la toge républicaine et le pallium aussi en a un) ; avant tout, d'après le long bout étroit de la toge qui tombe entre les jambes et pend à côté du pied gauche ; d'après le fait que la toge de laine ne laisse pas deviner les formes du corps ; et d'après la sandale, particulière aux Romains, dont les courroies se croisent sur le cou-depied, tandis que le haut du pied est couvert par une bande de cuir.

53. Paul Zanker, « Zur Rezeption des hellenistischen Individualportràts », in Hellenismus in Mittelitalien, Gôttingen, Vandenhoeck und Ruprecht, 2, 1976, p. 595.

54. Dans le monde grec (dont le réalisme, quoi qu'on dise, ne le cède en rien à l'art romain), les mêmes images s'enrichissent d'objets qui sont autant de symboles de richesse (l'esclave qui attend debout, jambes croisées, les ordres de son maître, une bourse, le coffrefort ; le coffre à bijoux, le flacon de parfum et le miroir, pour l'épouse), de loisir (l'ombrelle), de vertus domestiques (la corbeille de laine, la quenouille), de piété (la table à offrandes, sans doute pour Zeus Philios), de culture (capsa à livres, tablettes) : Pfuhl, Ernst et Môbius, Hans, Die ostgriechischen Grabreliefs, Mayence, Von Zabern, 1979 Google Scholar, par exemple n° 2002, 2009, 2016, 2303, 2304.

55. Seyrig, Henri, Antiquités syriennes, Paris, Geuthner, IV, 1953, p. 212 Google Scholar : « Le repas des morts et le banquet funèbre à Palmyre » : c'est un tableau de famille, un repas somptueux, où les vivants voisinent avec le défunt. Les Parentalia sont représentés sur le tombeau de Naevoleia Tyché à Pompéi, nécropole de la Porta Ercolano.

56. CIL, VI, 25 531 (Buecheler, n°1106), sous l'image d'un banquet: «Tel qui vivait toujours avarement tant qu'il lui fut donné de vivre, se refusant tout et épargnant tout pour son héritier, a voulu qu'après son trépas la main ingénieuse du sculpteur le représentât ici attablé, afin qu'au moins après sa mort il pût s'étendre pour se reposer et, couché, jouir d'un repos assuré. Mais à quoi bon une image de fête pour les défunts ? Ils auraient mieux fait de vivre sur ce mode. » Et CIL, VI, 17 985 (Buecheler, n° 856), sous l'image d'un banquet : « Je suis attablé comme vous le voyez ; c'est ainsi que, chez les vivants, durant les années où le destin m'a donné de vivre, j'ai cultivé mon animula, et le vin n'était jamais loin. Amis qui lisez ceci, mêlez le vin (songez-y bien), buvez dans votre coin, le front ceint d'une couronne, et ne refusez pas aux filles l'étreinte de Vénus, car, après la mort, la terre et le feu consument tout le reste. » Ce sont les conseils inscrits sur la tombe de Sardanapale (Athénée, 12. 530 B). Sur un autre relief de banquet, le défunt, bien vivant, porte un toast à son génie pour son anniversaire, avec l'inscription genio ﹛CIL, VI, 25 531 ; F. Matz et F. von Duhn, Antike Bildwerke, n° 3885, Leipzig, 1981 ; réimp. Rome, Bretschneider, s. d.). Autres conseils pour mener la bonne vie : CIL, VI, 10 081 ; Buecheler, n° 1259, 243, 244, 1318, 1499.

57. Schàfer, Thomas, Imperii insigna : sella curulis undfasces, Mayence, von Zabern, 1989.Google Scholar

58. Tacite, Histoires, 3. 31 : Inops uulgus.

59. Horace, Épîtres, 1. 4. 7 : diuitias, mais aussi artem fruendi ; 1. 5. 13 : Parcus ob heredis curam ; 1. 7. 57 : il faut savoir et quaerere et uti.

60. CIL, IX, 2114 (Buecheler, n° 187), épitaphe d'un vétéran de la 30e légion, déduite en pays bénéventin : Dum uixi, uixi quomodo condecet ingenuum ; quod comedi et bibi tantum meu(m) est.

61. Sénèque, Ad Lucilium, 108. 8-11 ; Horace, Satires, 1. 1. 66, 85 et 86.

62. L'Année épigraphique, 31, 1947 : l'épitaphe en vers d'Aelius Apollonius recèle un acrostiche qui est la signature du poète : Lvpvs Fecit.

63. CIL, VI, 25 531, traduit note 56.

64. CIL, VI, 142 ; Robert Turcan, Les cultes orientaux dans le monde romain, Paris, Les Belles Lettres, 1989, p. 320.

65. L'Ecclésiaste 2, 24 ; 3, 12. 22 ; 5, 17 ; 8, 15 : tout le reste est vanité. À l'évidence, Iahvé n'était pas toujours le seul ni même le principal souci de toute la société juive ; comme à Rome, les flatteurs y louaient le Riche d'« avoir pris soin de lui-même » (Ps 49, 19). Le Juste Moqué des psaumes (à distinguer du Juste Souffrant, opprimé par les Puissants qui forment l'entourage du roi) vivait dans une Jérusalem visiblement plus jouisseuse que pieuse, où les dévots constituaient une minorité moquée qui se rendait odieuse par son zèle (Sagesse 2, 12-16). L'Ecclésiaste prétend concilier la piété affichée et un goût pour une jouissance très terrestre.

66. Références chez Jeanne et Louis Robert, Bulletin épigraphique, 1976, n° 720.

67. Zanker, Paul, Pompei, società, immagini urbane e forme dell'abitare, Turin, Einaudi, 1993, p. 23 et pp. 4448.Google Scholar

68. G. Zimmer, Rômische…, op. cit.

69. P. Huttunen, The Social Strata…, op. cit., pp. 121-129.

70. CIL, VI, 9222, ; Dessau, ILS, 7695 et 7742 C.

71. CIL, Viii, 7457 ; Buecheler, n° 1238 ; Dessau, ILS, 7457.

72. De même, parfois, dans le monde grec, à Corycos (ainsi qu'à Aphrodisias), les deux tiers des epitaphes (Monumenta Asiae Minons antiqua, t. 3, n° 200-788) indiquent le métier du défunt : telle était la mode locale ; elles sont étudiées par William V. Harris, « Literacy and Epigraphy », Zeitschrift fur Papyrologie und Epigraphik, LU, 1983, p. 93 : on y trouve de nombreux boutiquiers, marchands d'habits, orfèvres, marchands de vins, de chaussures (kaligarioi), mais il n'y a qu'un seul marchand de légumes, un seul barbier et aucun savetier. Or, on connaît, dans le monde musulman, la distance qui sépare le riche marchand (et fabricant) de babouches d'avec le pauvre savetier dans son échoppe (Roger LE Tourneau, La vie quotidienne à Fès en 1900, Paris, Hachette, 1965, pp. 117-123).

73. Ainsi Buecheler, n°91, 107, 219, 226, 462, 463, 471, 481, 489, 495, 512, 513, etc.

74. P. Huttunen, The Social Strata…, op. cit., pp. 122-124.

75. Corpus inscriptiones graecorum [CIG], 5834 ; CIL, VI, 9892 ; XIV, 2793, 2812, 3712.

76. Buecheler, n°512.

77. Par exemple CIL, VI, 33 887 (Dessau, ILS, 7481) : Negotiator celeberrimus suariae et pecuariae ; Dessau, ILS, 1410 : Cocus optimus ; 7477 : Popinaria nota, 7589 et 7710. Voir L'Année épigraphique, 1974, n° 123 bis : Nummularius celeber ; Jeanne et Louis Robert, Bulletin épigraphique, 1980, n° 511 : un « marchand de laine qui était le premier de son art ».

78. E. Wirth, « Zum Problem des Bazars : Versuch einer Théorie des traditionellen Wirtschaftszentrums », Der Islam, 1974, particulièrement p. 251.

79. Sur les locations de locaux à destination commerciale (meritoria) occupant une partie d'une domus, voir Digeste, 1. 1. 13. 8 : par exemple une auberge (deuersorium) ou un foulon.

80. C'est ce que laisse entendre l'épitaphe métrique d'un forgeron, sévir de naissance ingénue, avec représentation de ses instruments de travail (CIL, XI, 1616 ; Buecheler, n° 1190 ; G. Zimmer, Rômische…, op. cit., p. 194, n° 136).

81. G. Zimmer, Rômische…, op. cit., p. 85 : certains reliefs (ceux d'un boucher, d'un meunierboulanger, d'un orfèvre) ont la qualité de l'art officiel, certes, mais non sans humour : sur l'enseigne de boutique n° 7 de Zimmer (une boucherie), les deux vendeuses sont devenues des déesses à péplum et kolpos, et l'inscription cite deux vers de l'Enéide (mais le boeuf écorché est très réaliste). On dit parfois que ces reliefs professionnels témoignent de « l'esprit réaliste romain » ; la psychologie des peuples a bon dos. Ces sculptures reflètent seulement un sujet, qui avait eu du succès et était à la mode en Italie ; en Grèce aussi, il y avait des modes locales réalistes : les épitaphes grecques ne précisent presque jamais l'activité professionnelle du défunt, sauf dans deux ou trois cités où la mode voulait qu'on la mentionnât souvent ou toujours [note 71] ; et les innombrables reliefs funéraires grecs avec repas de famille ne sont pas moins réalistes [note 54]. On dit aussi qu'ils prouvent l'originalité de l'art romain. Mais l'histoire de l'art romain ne devrait pas confondre ainsi le sujet d'une oeuvre et son style ; pour le style, l'art qu'on dit romain (dont ces sculptures qui ont le travail pour sujet) s'inscrit dans le langage naturaliste de l'art grec ; par exemple, l'« image conceptuelle » du corps humain y est celle de l'art grec, et non celle des arts égyptien, chinois, aztèque, bantou, etc. Cf. Otto Brendel, Etruscan art, Londres, Penguin Books, 1978, pp. 15-16. Comme l'écrit Pierre Gros (qui parle aussi d'une « internationale des ateliers »), l'art romain a été « la dernière province vivante de l'art hellénistique » (Revue d'études latines [REL], LVI 1978, p. 313). Le langage de l'art plastique romain — ou, aussi bien, les « ordres » de son architecture — ne se distingue pas du langage grec comme s'en différencie, par exemple, le langage de l'art égyptien. Mieux vaut donc parler, avec André Chastel, d'une koinè grécoromaine et d'un art impérial plutôt que d'art romain. « Romain » d'après quoi ? D'après la « nationalité » généralement inconnue des artistes et, lorsqu'elle l'est, souvent grecque ? D'après le lieu de trouvaille de l'oeuvre ? L'histoire de l'art a ses exigences, qui ne se confondent pas avec les laudes Romae et avec la « défense de l'originalité romaine », cette myopie qui voit un arbre et non la forêt. Il n'est pourtant pas rare qu'un peuple adopte la culture d'un autre : Japon et Chine, puis Japon et Occident, Grèce vaincue conquérant son vainqueur, « conquête persane de l'Islam ».

82. Rome ne ressemblait donc pas à ces villes musulmanes auxquelles on la compare à d'autres égards : on ne voit pas de femmes dans les souks. Cf. Digeste, 14. 3. 8 : Plerique pueros puellasque tabernis praeponunt.

83. G. Zimmer, Rômische…, op. cit., p. 218, n° 185 (décor d'un sarcophage à Ancône ; ne ou ni0 siècle). La pipette dont le marchand de vin se sert pour puiser dans le tonneau est encore en usage aujourd'hui. Le sarcophage est reproduit dans Philippe Ariès et Georges Duby (éds), Histoire de la vie privée, t. 1, De l'Empire romain à l'an 1000, Paris, Le Seuil, 1985, p. 136, ou dans Veyne, Paul, The Roman Empire, Harvard, Harvard University Press, 1997, p. 130.Google Scholar

84. Le commentaire le plus concret de ces images antiques d'une boutique, de la présence et des gestes du patron, de la gestion d'un entrepôt, et même du montant du chiffre d'affaires, pourrait être une nouvelle de Tchékhov au réalisme exceptionnel, Trois années (parue en 1895). Un gros marchand moscovite s'y enrichit grâce à un oligopole ou un monopole sur des denrées rares et précieuses, comme souvent dans le commerce d'autrefois (ainsi à Londres, au xvie siècle).

85. CIL, II, 3304, Buecheler, n° 1556, à Castulo, cité romanisée de longue date, près de Linarès, dans la Sierra Morena, région minière.

86. Mommsen, Theodor, Juristische Schriften, Berlin, 1905-1907, p. 225 Google Scholar ; on pouvait vendre aux enchères ses récoltes, un lot de vin ou de viande, sa villa, une terre cultivée (Caton, De agricola, 1.1 ; J. Andreau, La vie financière…, op. cit., p. 586). Les praecones, ces crieurs publics, y jouaient leur rôle. Or ce métier, qui n'exigeait pas de capital (Cicéron, Pro Quinctio, 3. 12), enrichissait proverbialement son homme ﹛Pro Quinctio, 3.11; Quintilien, 1. 12. 17 ; Martial, 5. 56), car le praeco touchait une commission sur les ventes ; voir J. Andreau, La vie financière…, op. cit., pp. 122, 134, 156 (sur le père d'Horace), 594, et Nicholas K. Rauh, « Auctioneers and the Roman Economy », Historia, Xxxviii, 1989, pp. 451-471.

87. Horace, Épîtres, 1. 7. 58 : Praeconem tenui censu […] gaudentem paruisque sodalibus […] et ludis ; […] negotia.

88. Un agriculteur de Sulmona le dit aux passants : [Hojmines ego moneo ni quel diffidat [sibi] (Buecheler, n° 184).

89. CIL, X, 6053-6054 ; Buecheler, n° 71 (industria, uigilantia) ; CIL, XI, 1122, Buecheler, n° 1273 ﹛labor […] iustas concïliauit opes ; non périt esse bonos) ; Inscriptions latines de l'Algérie [ILAlg], I, 2195 ; Friedrich Buecheler et Ernst Lommatsch, n° 1868 (laborum patiens, frugi, rem parauit non mediocrem […] ad equestrem promouit gradum).

90. Ce qui ne les empêchait pas de s'occuper de leurs terres et de leurs créances ; ne seraitce que par l'intermédiaire de leur actor, uilicus ou oikonomos qui « gère toutes les affaires de son maître » (Galien, t. 14, pp. 633 et 670, Kiihn éd.) et de qui dépend le succès d'une exploitation (Pline L'Ancien, Histoire naturelle, 18. 37). On savait très bien comment meliorare proprietatem ﹛Digeste, 1. 1. 13. 5), on distinguait l'amortissement et l'investissement productif ﹛Digeste, 7. 1. 13. 4-6, 23. 5. 18 pr, 50. 16. 79). « De nos jours encore, les agriculteurs découvrent sans cesse de nouvelles méthodes qui accroissent la fertilité », écrit Sénèque, Ad Lucilium, 90. 21).

91. CIL, V, 3415 ; Buecheler, n° 1095 ; Dessau, ILS, 6699 : Labor a puero mihi semper erat […] Quaerere consueui semper neque perdere desi.

92. Quaesiui semper, cessaui perdere nunquam, répètent, en termes presque identiques CIL, V, 2986 et 6842 (Buecheler, n° 1093) ainsi que CIL, VI, 30 111.

93. CIL, I2, 1210 et VI, 32311 ; Buecheler, n° 53 ; Dessau, ILS, 1932 ; Attilio Degrassi, Inscriptiones latinae liberae rei publicae, Florence, La Nuova Italia, t. 2, 1963, p. 198, n° 808.

94. CIL, III, 2835 : Uixi semper pauper honeste ; VI 2489 : Uixi semper bene pauper honeste, fraudaui nullum.

95. Le défunt a vécu sine lite, disent plusieurs épitaphes ; si l'on s'est engagé dans une mauvaise affaire, il est louable de s'en dégager sans faire de procès (CIL, XIV, 2605 ; Buecheler, n° 477 : Sine lite recessi).

96. CIL, VI, 8012 (un ancien esclave pédagogue, qui n'a pas manqué de se lancer dans les affaires) : Sine lite, sine rixa, sine contumelia, sine aère alieno, amicis fidem bonam praestiti. Toutes les vertus de l'homme d'affaires sont énumérées dans CIL, XIV ; Buecheler, n° 249 (dîme d'un gros marchand de blé à la Fortune de Préneste) : Fama fidesque ; duiuitias uincit pudor ; cura studiumque laboris.

97. Pétrone, Satiricon, 58. 11. Comme l'enseignent les linguistes, fides sert de substantif au verbe credere, qui veut dire « se fier à » et « croire » ; avec le jeu de l'objectif et du subjectif, les trois sens du mot fides sont donc : « croyance » (obtenue ou accordée), « confiance » et « loyauté ».

98. Ernest Rogivue, L'amitié d'affaires : essai de sociologie économique sur la corrélation des affinités et des intérêts dans les échanges, Lausanne-Paris, F. Roth et C'e, 1939, est un livre fin et utile.

99. Buecheler, n°477, 512, 1002, 1103.

100. Ou peut-être : « Il a été déçu de cette espérance et des nombreux amis de qui il avait (pourtant) bien mérité » (CIL, VI, 9659 et 33814) ; Dessau, ILS, 7519 : Spe deceptus erat et a multis bene meritus amicis.

101. Buecheler, n° 192 : Ab alio speres altero quod feceris (cf. Publilius Syrus, 2 : Ab alio exspectes alteri quod feceris) ; et non pas quod tibi fieri non vis alteri ne feceris.

102. L'affranchi d'un ancien esclave public le dit en vers : Co(a)gulaui semper amicos et praestiti quod potui ; en retour, son grand ami lui praestiût omnia semper honeste (CIL, XIV, 2605 ; Buecheler, n°477) ; en outre, mari irréprochable et respectueux de l'épouse d'autrui.

103. « Praestare » sera le verbe panroman (sauf le roumain) « prêter », « prestare », au sens de prêt, « darlehen » : Wilhelm Meyer-Lûbke, Romanisches etymologisches Wôrterbuch, Heidelberg, C. Winter, 1911, n°6725. Dans la langue sentimentale de l'amitié d'affaires, praestare a pu remplacer tôt les termes techniques credere ou mutuum dare, probablement parce qu'il avait plus de charge affective.

104. CIL, VI, 21 975 ; Buecheler, n° 67 ; et, malgré ses nombreux « clients », elle n'a, une fois morte, aucun autre lopin de terre que son tombeau.

105. Voir par exemple Claudine Vidal, Sociologie des passions (Côte-d'Ivoire, Rwanda), Paris, Éditions Karthala, 1991, p. 88.

106. Un mercator suarius, CIL, IX, 2128 ; Buecheler, n° 83. Cet affranchi, qui fut augustal à Bénévent, épousa la fille d'une concubine d'homme libre (une spurii fûia) et leur fils, duumvir et préfet des ouvriers, fut proche de l'ordre équestre. Comme Trimalcion (Pétrone, 76. 9), il a dû « prêter aux affranchis », ses frères de classe, après enrichissement.

107. Hendrik Bolkestein, Wohltàtigkeit und Armenpflege im vorchristlichen Altertum, Utrecht, A. Oosthoek Verlag, 1939, p. 473 ; M. Macguire, « Epigraphical Evidences for Social Charity in the Roman West », American Journal of Philology [AJPh], 1946, pp. 129-150 (peu convaincant); Andréa Giardina, «Le marchand», in A. Giardina (éd.), L'homme romain, op. cit., p. 327.

108. CIL, I2, 1212 ; VI, 9545 ; Dessau, ILS, 7602 ; A. Degrassi, Inscriptiones latinae…, op. cit., p. 797. L'accusatif pluriel en -is est fréquent à la fin de la République.

109. Il était tentant, en effet, de rapprocher Giovanni Battista DE Rossi, Inscriptiones christianae urbis Romae, t. 1, n° 124 et 262 : Amicus pauperum. Mais le sens est différent, je crois. Pour les chrétiens aussi, les pauperes peuvent être aussi beaucoup plus que les indigents : ils forment une moitié de l'humanité en ce bas monde et lors du Jugement. On lit, à Constantine (CIL, Viii, 7854) : Timui [Deum ?], colui potentes nec dispexsi pau[peres]. L'humanité se divise entre les Grands, qui connaissent d'immenses prospérités, de fortes tentations et des infortunes majeures, qui sont autant de leçons, et les Pauvres, dont l'humble condition rend moins difficile le salut éternel ; voir Bernhard Groethuysen, Origines de l'esprit bourgeois en France, t. 1, L'Église et la bourgeoisie, Paris, Gallimard, 1927, p. 167.

110. CIL, Viii, 7156, ILAlg, II 820 ; Buecheler, n°512 ; Cholodniak, Carmina Epigraphica, Supplementum, n° 1138. Un argentarius n'est jamais un marchand d'objets d'or ou d'argent, mais toujours un banquier : voir, sur ce sujet, J. Andreau, La vie financière…, op. cit., pp. 44, 137, n. 94.

111. CIL, IX, 4796 ; Buecheler, n° 437 : Notus in Urbe Sacra, vendenda pelle caprina […] ; solui semper fiscalia manceps. Il a pu prendre à ferme des travaux publics ou l'un des impôts indirects de l'Italie. Ou même affermer les victimes destinées aux sacrifices (Tertullien, De idololatria, 11.6: Publicarum uictimarum redemptor).

112. Cette sagesse des nations s'enseigne dans les psaumes (Ps 37, 21 : «Le Méchant emprunte et ne rend pas » ; 112, 5 : «L'homme compatissant est prêteur” ; 112, 9 : «Le Juste est compatissant, il donne », se retrouve sous la plume du Siracide (Si 29, 1 : « Qui pratique la miséricorde prêtera à son prochain » et dans l'Evangile de Matthieu (Mt 25, 14-30).

113. CIL, IX, 60; Buecheler, n° 1533 : Aima Fides, tibi ago grates, sanctissima diua : fortuna infracta, ter me fessum recreasti.

114. Sur les prêts bancaires, voir J. Andreau, La vie financière…, op. cit., pp. 583-588 (l'auteur a eu l'amabilité de répondre à mes questions et je l'en remercie). Un commerçant pouvait obtenir une avance d'un banquier (p. 656). Les rares prêts dont on connaît la durée vont d'une quinzaine de jours à un an. La destination de ces emprunts est presque toujours inconnue. Mieux connues sont les avances consenties à l'acheteur dans les ventes aux enchères (où le banquier avait une fonction d'enregistrement, voir p. 70). En tout cas, me semble-t-il, il ne saurait s'agir de banque d'affaires, de création d'entreprises, mais de simples avances monétaires. À quel terme ? Certains processus (la fabrication et la revente de vêtements de prix, par exemple) devaient bien prendre deux ou trois années.

115. Horace, Art poétique, 421 (cf. Épîtres, 2. 1. 104-105) ; Pline LE Jeune, Lettres, 3. 19. 8 ; cf. Tacite, Annales, 6. 16. J. Andreau, La vie financière…, op. cit., p. 643, et P. Veyne, La société romaine…, op. cit., p. 149, n. 33. On sait que la noblesse sénatoriale se mêlait aussi d'affaires de toute espèce : John H. D'Arms, Commerce and Social Standing in Rome, Cambridge, Cambridge University Press, 1981, pp. 155-159.

116. Sénèque, Ad Lucilium, 119. 1.

117. Sur les pararii, mentionnés seulement par Sénèque, De beneficiis, 1. 23. 2 et 3. 15. 2 ; se reporter à J. Andreau, La vie financière…, op. cit., p. 704. Sur les proxénètes, voir le titre 50. 14 du Digeste.

118. Il lui rendait visite chaque matin (Sénèque, Ad Lucilium, 101. 1-4).

119. Élizabeth Deniaux, Clientèle et pouvoir à l'époque de Cicéron, Rome, École française de Rome, 1993, particulièrement pp. 213-247.

120. Grenier, Jean-Yves, L'économie d'Ancien Régime. Un monde de l'échange et de l'incertitude, Paris, Albin Michel, 1996, particulièrement pp. 84128 Google Scholar.

121. Alfred, Marshall, L'industrie et le commerce, Paris, Marcel Giard, t. 2, 1934, p. 465 Google Scholar. Jusqu'au xixe siècle, les navires constitueront l'outillage industriel le plus coûteux du monde, si bien que H. W. Pleket, « Wirtschaft und Gesellschaft… », art. cit., p. 44, peut se demander d'où venait leur financement.

122. H. W. Pleket, « Wirtschaft und Gesellschaft… », art. cit., p. 124 ; Aldo Schiavone in A. Momigliano et A. Schiavone (éds), Storia di Roma, t. 4, Caratteri e morfologie, Turin, Einaudi, 1989, p. 40.

123. L'absence d'économies d'échelle n'empêchait pas des croissances, mais elles étaient linéaires et locales.

124. Macmullen, Ramsay, Corruption and the Décline ofRome, New Haven, Yale University Press, 1988 Google Scholar (Le déclin de Rome et la corruption du pouvoir, Paris, Les Belles Lettres, 1991) ; Veyne, Paul, « Clientèle et corruption au service de l'État : la vénalité des offices au Bas-Empire», Annales ESC, 36-3, 1981, pp. 339360 Google Scholar. Voir Vanonymus De rébus bellicis, 2 et 4, Fondazione Lorenzo Valla, 1989 et Flavius Josèphe, Antiquités judaïques, 18. 6. 172 : sur les gouverneurs de province qui n'ont de pouvoir que pour un temps sont d'autant plus portés au vol. Sur leur malhonnêteté au siècle d'or de l'Empire romain, Peter Ashbury Brunt, « Charges of Provincial Maladministration under the Early Principate », Historia, 1961, p. 189 ; repris dans ses Roman Impérial Thèmes, Oxford, Clarendon Press, 1990, p. 53. Gouverneur de province désintéressé, Cicéron n'empocha que deux millions en un an et le fit savoir.

125. Pierre-Etienne Will, «The Problem of Officiai Corruption in Late Impérial China: Tentative Définition and a Few Anecdotes », New School for Social Research, avril 1990 ; id., « Bureaucratie officielle et bureaucratie réelle à l'époque des Qing », Etudes chinoises, 8, 1989, pp. 103-105, 119, 135-137. La corruption va partout de soi, sauf dans les rares sociétés « marquées » qui séparent l'administrateur et sa personne privée et posent le principe absolu que l'administration doit fonctionner sans « aides » ni cadeaux. La séparation entre l'administrateur et l'homme a sans doute une aussi grande importance historique que la séparation, dont parle Max Weber, entre la caisse d'une entreprise et celle de son propriétaire.

126. En Chine, les lettrés vendaient les monopoles aux marchands. Pour la corruption sous l'Ancien Régime, Werner Sombart, Der moderne Kapitalismus, première partie, Die vorkapitalistische Wirtschaft, Munich, Duncker & Humblot, 1928, t. 2, pp. 664-668 : c'était le seul moyen d'enrichissement qui permît de réunir une grosse fortune.

127. On cite trop peu la réponse de saint Paul au centurion : « J'ai payé cher pour acquérir la cité romaine » (Act. 22, 28) ; cf. Sénèque, Apocoloquintose, 9. 4 : Diespiter, consul désigné, endere ciuitaculas solebat ; l'allusion ne vise pas seulement la politique de Claude envers les Gaules… Le procurateur Félix espère que saint Paul lui paiera sa libération (Act. 24, 26 ; cf. 23, 24). Jésus dit aux soldats : « Contentez-vous de votre solde » (Le 3, 14) ; en effet, des inscriptions montrent des soldats qui se font offrir un stephanos ou bakchich par les villageois du voisinage.

128. Je m'inspire de Lin Foxhall, « The Dépendent Tenant: Land Leasing and Labour in Italy and Greece », JRS, Lxxx, 1990, p. 111. Il n'y a pas de grand marché unifié : d'une province à l'autre, d'une cité à l'autre, d'une saison à l'autre, les prix locaux peuvent être très différents ; les marchands spéculent sur ces différences, les gens bien informés le font aussi (ainsi faisait Trimalcion, comme, plus tard et ailleurs, l'aristocrate Samuel Pepys).

129. Digeste, 50. 5. 2. 8 : Qui pueros primas litteras docent […] siue in ciuitatibus siue in uicis magistri.

130. Dicta Catonis, A. M. Duef (éd.) dans les Minor Latin Poets de la coll. Loeb : 1 prol. 16 : Mutuum da ; 1. 34 et 4. 8 : Concède roganti […] ; in parte lucrorum ; 1 prol. 47 : Minorem ne contempseris ; 1. 20 : Munus cum dat pauper amicus.

131. Il me semble impossible de placer les Dicta plus tard que le ne siècle, à lire leurs sentences très « séculières » sur la religion (voir plus loin). N'entrons pas dans la question des rapports entre les Dicta et ces Praecepta Delphica (Hermann Diels, Sylloge Inscriptionum graecarum, n° 1268, Leipzig, Wilhelm Dittenberger, [1881] 1915-1924) qu'on a retrouvés jusqu'à Aï Khanoum ; l'un de ces préceptes delphiques dit : « Emprunt sur gage : la ruine n'est pas loin ».

132. Sur cet enseignement ﹛Dicta Catonis ou Publilius Syrus) et sur le prix que le philosophe et sénateur Sénèque attachait à ces maximes, voir Ad Lucilium, 33. 7, 94. 27 et 43, 119. 2.

133. On y apprend à jouer au cerceau, à aimer sa femme, à fuir les courtisanes et, devenu vieux, à ne pas critiquer les jeunes gens.

134. Dicta, 1 prol. 16 : Mutuum da (cf. note 110). Ce sera un défaut de la fourmi que de n'être pas prêteuse, mais il ne faudra pas être cigale non plus : c'est une fable pour les économies d'Ancien Régime.

135. Dicta, 1. 24, 28 et 39 (cf. Sénèque, Ad Lucilium, 101. 2) ; 2. 3 (sentence qui se retrouve dans l'épitaphe CIL, VI, 11252) ; 3. 6, 4. 17.

136. Dicta, 1. 40 ; 2. 17 et 19 ; 3. 21 (utere quaesitis) ; 4. 5 et 16. Cf. 3. 6 : devenu vieux, avoir le geste large envers ses amis.

137. Pétrone, 7 1 . 1 ; Dicta, 4. 44 : Homines esse mémento.

138. Dicta, 1. 8 et 3. 10.

139. Dicta, 1. 39 (labore), 1 prol. 39 (litteras disce), 1. 28, 4. 19 et 21 ; Pétrone, 46. 5-8.

140. Dicta, 2 prol. 3. 13 et 18, 4. 48.

141. Pétrone, 71. 12, et les propos d'un centurion chez Perse, 3. 77. CIL, XI, 600. On doit se reporter à Arthur Darby Nock, « Orphism or popular philosophy ? », Harvard Theological Review [HTR], XXXIII, 1940, pp. 301-315, repris dans ses Essays on Religion and the Ancient World, Oxford, Oxford University Press, 1972, t. 1, pp. 503-515.

142. CIL, XI, 7856 ; voir aussi Notizie degli scavi, 1913, p. 361.

143. Il ne faut pas se demander si les dieux existent, mais s'occuper des affaires d'ici-bas (2.2; cf. Philémon, fr. 118 Koch), ne pas chercher à savoir quel avenir les dieux nous réservent (2. 12) ; ne pas interroger ses rêves (2. 31) ; ne pas sacrifier de veau (4. 14), conseil qu'on lit de Caton L'Ancien, De Agricultura, 143, à Columelle, 1. 8. 6 et 11. 1. 22, mais seulement de l'encens (4. 38 ; cf. Horace, Ode, 3. 23. 3), ce qui est moins coûteux.

144. N. Purcell, Cambridge Ancient History, t. 10, op. cit., p. 797. Sur la prétendue dépolitisation, E. Flaig, Den Kaiser…, op. cit., pp. 38-52. Joël LE Gall, « Rome, ville de fainéants ? », Rél, Xlix, 1971, p. 276. Giuseppe Pucci, in A. Momigliano et A. Schiavone (éds), Storia di Roma, op. cit., t. 4, pp. 385-387 (cf. note 8). Certes, en fait, les sans-travail étaient surtout des chômeurs, non des fainéants. Toutefois, la morgue de la classe élevée ne consistait même pas à imputer leur malchance à leur vice : elle ne leur concédait non plus cet honneur ; le simple fait d'être pauvres les disqualifiait, quelle qu'en soit la raison.

145. Flavius Josèphe, Antiquités judaïques, 19. 3. 228.

146. Ibid., 19. 1. 145.

147. Tacite, Histoires, 1. 4. 3 : Pars populi intégra et magnis domibus adnexa (cf. note 45). Je crois prudent de ne pas voir sous adnexa, comme on l'a fait, des liens de clientèle (qui en sont distingués à la ligne suivante, où il est question des clientes damnatorum) : ici le participe n'est pas un passif proprement dit (le peuple sain n'est pas annexé par les grandes familles), mais désigne un état : ce peuple est proche de celles-là, auxquelles il se rattache (par son attitude, son affection, ses intérêts peut-être) ; le participe « passé » passif équivalait souvent, pour le sens, à un participe présent/imparfait réfléchi.

148. Vers la fin de la République, les clients de la noblesse soutenaient les optimates contre les populares : Peter Ashbury Brunt, « The Roman Mob », in Finley, M. I. (éd.), Studies in Ancient Society, Londres, Routledge & Kegan Paul, 1974, p. 95.Google Scholar

149. Sous la République existait une littérature de propagande politique sous forme de prophéties post eventum, les « faux » Oracles sibyllins qui s'adressaient à toutes les classes de la société ; je persiste à croire que la Quatrième Bucolique, avec son annonce d'un prochain âge d'or, imite poétiquement ces prophéties, mises dans un sens politiquement souhaitable : Cicéron, Pro Rab. Post., 2. 4 ; Catil, 3. 4. 9 ; Divinat., 2. 54. 110 ; Adfam., 1. 7. 4. Salluste, Cat., 47. 2. Suétone, Caes., 79. 4 (fatales libri) ; Plutarque, César, 60. 2 ; Appien, Civilia, 2. 110. Cassius Dion, 39. 15. 2 ; 41. 14. 4 ; 44. 15. 3. Je me permets de renvoyer à mon Élégie erotique romaine. La poésie et l'Occident, Paris, Le Seuil, 1983, pp. 33-35.

150. Contre l'opinion de N. Purcell, Cambridge Ancient History, t. 10, op. cit., p. 805.

151. Suétone, Néron, 57. 1 ; Diondepruse, 21. 10.

152. Tacite, Annales, IV, 27. Dans un article du Voprosi istorii, n° 8, 1955, Sergeyenko, citant Vairon et Columelle, voit en ces esclaves de la Calabria des bergers nomades, et parle de leur sens de la dignité et de leur esprit d'initiative.

153. Cf. Columelle, 1. 8. 1, sur les mauvais esclaves urbains, qui passent leur temps à la promenade sur le Champ de Mars, au cirque, au théâtre, dans les tavernes et lupanars. Les spectacles auxquels la plèbe infime pouvait assister n'étaient pas les gladiateurs, selon E. Flaig, Den Kaiser…, op. cit. pp. 39-40, n. 7 et p. 48, n. 39, mais seulement le cirque. En effet, seules certaines rangées de gradins étaient gratuites à l'amphithéâtre, si bien que le petit peuple, pour y accéder, faisait la queue toute la nuit (Georges Ville, La gladiature en Occident des origines à la mort de Domitien, Rome, École française de Rome, 1981, p. 431, citant Suétone, Caligula, 26).

154. Tacite, Histoires, 2. 91. 3 (infimae plebis rumorem) ; 3. 58. 2-5 (superfluente multitudine ; etiam libertinis munus ultro flagitantibus) ; 80. 1, 82. 2, 83. 1.

155. Tacite, Histoires, 3. 58. 5 : Ac plerique haud perinde Vitellium quam casum locumque principatus miserabantur.

156. E. Flaig, Den Kaiser…, op. cit., pp. 389-390.

157. Scriptores Historiae Augustae [SHA], Didius Julianus, 3. 7, 4. 2, 6 et 8, 6. 1, 7. 9. Dion Cassius, 74. 13 (cf. 74. 12. 2). HéRodien, 2. 6. 12, qui emploie, lui aussi, le mot de démos et non de plêthos. Z. Yavetz, « The Urban Plebs… », art. cit., p. 28 ; A. Pabst, Comitia imperii, op. cit., pp. 133-134.

158. Hérodien, 7. 10 ; SHA, Maxim, duo, 20. 2 ; Max. et Balb., 3. 3 ; Gord. très, 22. 2.

159. Sur tous ces points (l'État romain comme République au IVe siècle encore, le poids de l'« idéologie »), on ne relit pas sans admiration Fustel DE Coulanges, Histoire des institutions politiques, t. 1, La Gaule romaine, Paris, Hachette, 1901, pp. 147-151.

160. Horace, Satires, 1. 8. 10.

161. Sous Caligula, un mouvement contre les impôts fut violemment réprimé (Dion Cassius, 59. 28. 11 ; Flavius Josèphe, Antiquités judaïques, 19. 24-26, cités par Wilfried, Nippel, Public Order in Ancient Rome, Cambridge, Cambridge University Press, 1995, pp. 87 et 90).Google Scholar

162. Hérodien, 5. 2. 33, 5. 4. 12.

163. Dion Cassius, 79. 20.

164. Intéressant témoignage sur la mode des acclamations en grec (ou décalquées du grec) dans la partie latine de l'Empire ; ainsi les acclamations is aona, « pour l'éternité » ou oceane, « ô toi qui es un océan (de munificence) », qu'on lit sur des mosaïques.

165. Tibère « populares tumultus grauissime coercuit » (SUÉTone, Tibère, 37).

166. Références et fines remarques chez Z. Yavetz, « The Urban Plebs… », art. cit., pp. 34-35.

167. Tacite, Histoires, 1.40.

168. La plèbe prenait encore parti en plein ive siècle. En 350, sous Magnence, le préfet du prétoire arme des plébéiens de Rome contre un usurpateur, neveu de Constantin, Népotien, qui parvint à les écraser (Zosime, II, 43, 2) et à s'emparer de la Ville.

169. Il faut renvoyer ici à E. Flaig, Den Kaiser…, op. cit., pp. 66-80, 206, 449 sq. E. Flaig cite souvent ma thèse, Le pain et le cirque : sociologie historique d'un pluralisme politique, Paris, Le Seuil, 1976, et la critique tout autant ; avec le recul d'un quart de siècle, magnum mortalis aeui spatium, ses critiques, qui ne sont ni académiques ni poUtically correct, me paraissent souvent justifiées et toujours intéressantes.

170. Elle manifeste auprès du prince, et contre le prince, en faveur d'Agrippine l'Aînée sous Tibère, d'Agrippine et d'Octavie sous Néron ; à la mort de Germanicus, écrit Suétone, la plèbe lapida les temples des dieux. Sous les Sévères, la dévotion à la domus diuina est de rigueur. Mais ce dévouement dynastique ne fonctionne, écrit E. Flaig, que si le prince régnant est accepté : s'il perd l'agrément du sénat, du peuple et de l'armée, nul compte ne sera tenu de son héritier.

171. E. Flaig, Den Kaiser…, p. 206. Rome fait quelquefois penser à une autre capitale (ou plutôt « ville royale »), Alexandrie sous les Lagides, politisée par la présence du souverain, où le vulgaire, pendant la nuit, couvrait les rues de la cité d'inscriptions politiques (Polybe, 15. 27. 3) et où des émeutes rythmaient la vie urbaine. L'historiographie romaine ne nous laisse pas ignorer cette indiscipline de Grecs dégénérés ; en revanche, lorsqu'il s'agit de Rome et non plus d'Alexandrie, elle préfère ne pas insister sur ce même caractère du peuple romain : ces émotions plébéiennes sont indignes de la grande histoire, qui se borne à parler dédaigneusement, comme Tacite, d'une plèbe qui, sans raison, par infantilisme, est avide de nouveautés (de même Polybe, 36. 13. 3).

172. François Jacques et Claude Lepelley, in A. Giardina (éd.), Società romano e impero tardoantico, t. 1, Istituzioni, ceti, économie, Rome et Bari, Laterza, 1986, pp. 81-244 ; Michel Christol, Essai sur l'évolution des carrières sénatoriales dans la 2’ moitié du ni’ siècle, Paris, Nouvelles Éditions latines, 1986.