Published online by Cambridge University Press: 24 May 2019
Le début de l’imprimerie en Europe est l’histoire non seulement d’un grand succès économique et commercial, mais aussi de risques importants pris par les individus. Le nécessaire approvisionnement en papier est l’occasion de conflits et exige une disponibilité constante en capital ; la rentabilité de l’industrie du livre est soumise à une bonne appréciation du marché de la consommation. À Venise, n’importe qui peut se lancer dans l’industrie du livre et cette concurrence est amèrement décriée par les imprimeurs à la fin du xve et au début du xvie siècle. Cette situation les conduit à formuler les risques économiques qu’ils prennent dans les suppliques de privilèges qu’ils demandent aux autorités vénitiennes et à conceptualiser des réalités de leur milieu, en particulier la concurrence. Ce terme, toujours pris dans un sens négatif, est pourtant extrêmement rare dans les documents de la pratique comme dans les textes théoriques de cette époque. Cette formalisation de la concurrence est contrebalancée par la nécessité de collaborer au sein de cette industrie. Celle-ci peut être abordée par le biais de l’analyse des réseaux sociaux. La confiance est restaurée par les collaborations dans un groupe restreint et se nouent des réseaux de collaborations denses dans lesquels les concurrents deviennent partenaires. Cela permet aussi à certains acteurs de créer autour d’eux de larges consortia, entraînant la constitution d’une économie oligopolistique, typique des industries sans réglementation étatique.
The early history of printing in Europe is one of great economic and commercial success, but also of significant risks taken by those involved. The supply of paper, essential to the functioning of a press, could cause conflicts and required constantly available capital: the profitability of the book industry depended on the growth of the market. In Venice, anyone could set up as a printer, creating competition that was strongly criticized by printers and booksellers in the late fifteenth and early sixteenth century. This prompted them to formulate the economic risks they faced in supplica addressed to the Venetian authorities, and to conceptualize the realities of their situation, especially in terms of competition. This word, always used in a pejorative sense, is nevertheless rare in both theoretical and practical documents of the time. However competitive this economic milieu was, it was counterbalanced by the necessity of collaboration, a phenomenon that can be studied through Social Network Analysis. Trust was restored through the constitution of dense collaborative networks, in which competitors became partners. Yet this also enabled some actors to establish strong consortia, leading to the kind of oligopolistic economy typical of industries without state regulation.
1 Cité dans Martin Lowry, Le monde d’Alde Manuce. Imprimeurs, hommes d’affaires et intellectuels dans la Venise de la Renaissance, trad. par S. Mooney et F. Dupuigren et Desroussilles, Paris, Promodis/Éd. du Cercle de la librairie, [1979] 1989, p. 16.
2 Pour une vue d’ensemble classique sur les débuts de l’imprimerie en Europe et ses répercussions intellectuelles, voir Brian Richardson, Print Culture in Renaissance Italy: The Editor and the Vernacular Text, 1470-1600, Cambridge, Cambridge University Press, 1994 ; Id., Printing, Writers and Readers in Renaissance Italy, Cambridge, Cambridge University Press, 1999.
3 Sur la situation lyonnaise, voir Fédou, René et al. (dir.), Cinq études lyonnaises, Genève/Paris, Droz/Minard, 1966Google Scholar ; Chartier, Roger et al. (dir.), Nouvelles études lyonnaises, Genève, Droz, 1969Google Scholar ; Fau, Guillaume et al., « L’imprimerie à Lyon au xve siècle : un état des lieux », Revue française d’histoire du livre, 118-121, 2003, p. 195-275Google Scholar ; Andreoli, Ilaria, « ‘Lyon, nom et marque civile. Qui sème aussi des bons livres l’usage’. Lyon dans le réseau éditorial européen (xve-xvie siècle) », in J.-L. Gaulin et S. Rau (dir.), Lyon vu/e d’ailleurs, 1245-1800. Échanges, compétitions et perceptions, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 2009, p. 109-140Google Scholar ; Id., « Ex Officina erasmiana. Vincenzo Valgrisi et l’illustration du livre entre Venise et Lyon à la moitié du xvie siècle », thèse de doctorat, Université Lumière Lyon 2/Ca’Foscari, 2006. Sur Milan, voir Rogledi Manni, Teresa, La tipografia a Milano nel xv secolo, Florence, L. S. Olschki, 1980Google Scholar.
4 Infelise, Mario, I libri proibiti. Da Gutenberg all’Encyclopédie, Rome, Laterza, 1999Google Scholar ; Id., I padroni dei libri. Il controllo sulla stampa nella prima età moderna, Rome, Laterza, 2014.
5 Sur les différents types de privilèges libraires à cette époque, deux ouvrages en particulier font des points historiographiques et bibliographiques détaillés : Nuovo, Angela et Coppens, Christian, I Giolito e la stampa nell’Italia del xvi secolo, Genève, Droz, 2005Google Scholar ; Nuovo, Angela, The Book Trade in the Italian Renaissance, trad. par L. G. Cochrane, Leyde, Brill, [2003] 2013CrossRefGoogle Scholar.
6 Carnelos, Laura, « La corporazione e gli esterni. Stampatori e librai a Venezia tra norma e contrafazzione (secoli xvi-xviii) », Società e storia, 130, 2010, p. 657-688Google Scholar, a bien mis en évidence que la création d’une corporation ne règle pas les conflits entre les membres de celle-ci et ceux qui n’en font pas partie, mais qui continuent de participer à la production et au commerce du livre dans la ville.
7 Venise, Museo Correr, Mariegola dell’arte dei depentori, ms. 163, fol. 12-13 : « l’arte e mestier delle carte et figure stampide » ; cité dans Brunello, Franco, Arti e mestieri a Venezia nel Medioevo e nel Rinascimento, Vicenza, Neri Pozza, 1981, p. 79Google Scholar.
8 Venise, Archivio di Stato di Venezia (ci-après ASVe), Arti, b. 312, Marzeri. Mariegola, 1471-1487, fol. 10r-14r : en 1446, quand les merciers élargissent leur profession à de nombreux biens, ils souhaitent intégrer le commerce de carta da zugar; cité dans MacKenney, Richard, « The Guilds of Venice: State and Society in the Longue Durée », Studi veneziani, 34, 1997, p. 15-43, ici p. 32Google Scholar.
9 MacKenney, Richard, Tradesmen and Traders: The World of the Guilds in Venice and Europe, c. 1250-c. 1650, Londres, Croom Helm, 1987Google Scholar.
10 ASVe, Collegio, Notatorio, reg. 11, image 113, 18 sept. 1469.
11 On considère que le nombre de noms présents aux colophons des ouvrages est une bonne estimation du nombre d’ateliers actifs à un moment précis. Les données utilisées sont extraites de l’Incunabula Short Title Catalogue (Istc), British Library.
12 Kikuchi, Catherine, « Des vagabonds des lettres ? Les typographes à Venise aux temps des débuts de l’imprimerie », in Chamboduc de Saint-Pulgent, D., Houdebert, A. et Troadec, C. (dir.), Précarité, instabilité, fragilité au Moyen Âge, Paris, Pups, à paraîtreGoogle Scholar.
13 Salzberg, Rosa, Ephemeral City: Cheap Print and Urban Culture in Renaissance Venice, Manchester, Manchester University Press, 2014CrossRefGoogle Scholar.
14 Sur le taux de survie des exemplaires des éditions, voir Hermand, Xavier, Ornato, Ezio et Ruzzier, Chiara, Les stratégies éditoriales à l’époque de l’incunable. Le cas des anciens Pays-Bas, Turnhout, Brepols, 2012Google Scholar ; Green, Jonathan, McIntyre, Frank et Needham, Paul, « The Shape of Incunable Survival and Statistical Estimation of Lost Editions », The Papers of the Bibliographical Society of America, 105-2, 2011, p. 141-175CrossRefGoogle Scholar.
15 On pense en particulier aux écrits de Turgot, de Smith ou de Boisguilbert. Voir Albert O. Hirschman, Les passions et les intérêts. Justifications politiques du capitalisme avant son apogée, trad. par P. Andler, Paris, Puf, [1977] 1980 ; Grenier, Jean-Yves, L’économie d’Ancien Régime. Un monde de l’échange et de l’incertitude, Paris, Albin Michel, 1996Google Scholar ; Steiner, Philippe, « La liberté du commerce : le marché des grains », Dix-huitième siècle, 26-1, 1994, p. 201-219CrossRefGoogle Scholar.
16 Les autres sources où l’on pourrait trouver une auto-représentation des imprimeurs (dédicaces, correspondances, textes publicitaires, documents privés et notariés) ne traitent généralement pas de la situation économique du métier dans son ensemble. On renvoie néanmoins à des travaux importants sur la représentation de certains imprimeurs : Lowry, Martin, « The Manutius Publicity Campaign », in Zeidberg, D. S. (dir.), Aldus Manutius and Renaissance Culture: Essays in Memory of Franklin D. Murphy, Florence, L. S. Olschki, 1998, p. 31-46Google Scholar ; Lowry, Martin, Nicholas Jenson and the Rise of Venetian Publishing in Renaissance Europe, Oxford, Blackwell, 1991Google Scholar ; M. Lowry, Le monde d’Alde Manuce…, op. cit. ; Salzberg, Rosa, « Masculine Republics: Establishing Authority in the Early Modern Venetian Printshop », in Broomhall, S. et Van Gent, J. (dir.), Governing Masculinities in the Early Modern Period, Farnham, Ashgate, 2011, p. 47-64Google Scholar.
17 Giacomo Todeschini, Richesse franciscaine. De la pauvreté volontaire à la société de marché, trad. par N. Gailius et R. Nigro, Lagrasse, Verdier, [2004] 2008 ; Quaglioni, Diego, Todeschini, Giacomo et Varanini, Gian Maria (dir.), Credito e usura fra teologia, diritto e amministrazione. Linguaggi a confronto, sec. xii-xvi, Rome, École française de Rome, 2005Google Scholar ; Todeschini, Giacomo, Il prezzo della salvezza. Lessici medievali del pensiero economico, Rome, Nuova Italia scientifica, 1994Google Scholar.
18 À Venise, on estime qu’une presse peut s’acheter entre 15 et 30 ducats ; les fontes, selon leur qualité, coûteraient entre 15 et 100 ducats. Voir Zorzi, Marino, « Stampatori tedeschi a Venezia », in Cozzi, G. et al. (dir.), Venezia e la Germania. Arte, politica, commercio, due civiltà a confronto, Milan, Electa, 1986, p. 115-133, ici p. 123Google Scholar. À titre de comparaison pour la France, on peut se référer à Febvre, Lucien et Martin, Henri-Jean, L’apparition du livre, Paris, Albin Michel, [1957] 1999, p. 166-167Google Scholar ; Parent-Charon, Annie, « Humanisme et typographie. Les ‘Grecs du Roi’ et l’étude du monde antique », in Blanchot, R. et al. (dir.), L’art du livre à l’Imprimerie nationale, Paris, Imprimerie nationale, 1973, p. 55-67Google Scholar.
19 ASVe, Giudici di petizion, Sentenze a giustizia, b. 159, fol. 44-47, 1473.
20 Érasme, Colloques, trad. et présenté par É. Wolff, Paris, Imprimerie nationale, 1992, p. 315 : « En comptant sa femme, ses fils, sa fille, son gendre, ses ouvriers et ses servantes, il avait chez lui environ trente-trois bouches à nourrir. »
21 ASVe, Senato, Deliberazioni, Terra, reg. 14, image 224, 17 oct. 1502. M. Lowry, Le monde d’Alde Manuce…, op. cit., p. 165-167, considère qu’il s’agit d’une estimation raisonnable.
22 Fulin, Rinaldo, « Documenti per servire alla storia della tipografia veneziana », Archivio veneto, 45-23, 1882, p. 84-212, ici p. 100-101Google Scholar. Pour des exemples lyonnais ou florentins, voir Febvre, L. et Martin, H.-J., L’apparition du livre, op. cit., p. 169-170Google Scholar ; Pettas, William A., « The Cost of Printing a Florentine Incunable », La bibliofilía, 75-1, 1973, p. 67-85, ici p. 69Google Scholar.
23 ASVe, Giudici di petizion, Sentenze a giustizia, b. 159, fol. 44-47, 1473 : l’imprimeur insiste sur le fait que ses ouvriers ne peuvent pas « vivre d’esprit » et qu’il a dû leur procurer « pain, viande et autres nourritures en suffisance, avec encore une partie de leur salaire » (sauf mention contraire, les traductions des sources sont de l’auteure). Voir aussi Gasparrini Leporace, Tullia, « Nuovi documenti sulla tipografia veneziana del Quattrocento », in Studi bibliografici. Atti del Convegno dedicato alla storia del libro italiano nel v centenario dell’introduzione dell’arte tipografica in Italia, Florence, L. S. Olschki, 1967, p. 25-46Google Scholar.
24 Franceschi, Franco, Oltre il « tumulto ». I lavoratori fiorentini dell’arte della lana fra Tre et Quattrocento, Florence, L. S. Olschki, 1993, p. 43-45 et 55-61Google Scholar. Même en considérant que le ducat, vers 1500, a une fois et demie la valeur du florin florentin vers 1400 (ce qui est une estimation très large), les frais des imprimeurs restent nettement supérieurs.
25 Ce phénomène est rappelé notamment dans Barbieri, Edoardo, « L’accueil de l’imprimé dans les bibliothèques religieuses italiennes du Quattrocento », in D. Bougé-Grandon (dir.), Le livre voyageur. Constitution et dissémination des collections livresques dans l’Europe moderne (1450-1830), Paris, Klincksieck, 2000, p. 53-91, ici p. 56-57Google Scholar.
26 W. A. Pettas, « The Cost of Printing a Florentine Incunable », art. cit., p. 73.
27 Pour une mise au point sur les travaux portant sur ces sources, voir Nuovo, Angela, Il commercio librario nell’Italia del Rinascimento, Milan, Franco Angeli, 2003, p. 25-31Google Scholar. Ces sources comportent cependant un biais : certains ouvrages en sont sans doute à leur deuxième mise en vente, car le commerce du livre neuf et celui de seconde main se côtoient sur les mêmes étals ; voir A. Nuovo, The Book Trade in the Italian Renaissance, op. cit., p. 347. Pour une étude des catalogues d’Alde Manuce, voir Kikuchi, Catherine, La Venise des livres, 1469-1530, Ceyzérieu, Champ Vallon, 2018, p. 143-144Google Scholar.
28 Cité dans J.-Y. Grenier, L’économie d’Ancien Régime…, op. cit., p. 148.
29 A. Nuovo, The Book Trade in the Italian Renaissance, op. cit., p. 21-46.
30 Érasme, Les adages, éd. par J.-C. Saladin, Paris, Les Belles Lettres, 2011, vol. 2, adage 1001.
31 D’après les données de l’Istc.
32 Braunstein, Philippe, « À l’origine des privilèges d’invention aux xive et xve siècles », in Caron, F. (dir.), Les brevets. Leur utilisation en histoire des techniques et de l’économie, Paris, Ihmc/Éd. du Cnrs, 1984, p. 53-60Google Scholar ; Mandich, Giulio, « Privilegi per novità industriali a Venezia nei secoli xv e xvi », Atti della deputazione Veneta di storia patria, 5, 1963, p. 14-38Google Scholar ; Berveglieri, Roberto, Inventori stranieri a Venezia, 1474-1788. Importazione di tecnologia e circolazione di tecnici artigiani intentori. Repertorio, Venise, Istituto veneto di scienze, lettere ed arti, 1995Google Scholar.
33 Il s’agit du refus de renouvellement du privilège de Daniel Bomberg pour des œuvres en hébreu ; il est signifié par le Conseil des Dix et résulte de circonstances religieuses problématiques pour ce genre de publications : ASVe, Consiglio dei Dieci, Deliberazioni, Comuni, reg. 1, fol. 76r, 12-16 oct. 1525 ; filze, no 3 et no 7, 7 déc. 1525 ; Marin Sanudo, Diarii, éd. par R. Fulin et al., Venise, Visentini, 1831, vol. 40, p. 56 et 75 ; vol. 41, p. 56 et 118.
34 Il peut cependant y avoir un biais dans l’obtention des privilèges. Les acteurs d’origine italienne avaient plus de facilités à recevoir plusieurs fois des privilèges.
35 A. Nuovo, The Book Trade in the Italian Renaissance, op. cit., p. 222.
36 Entre 1469 et 1530, on compte 267 privilèges accordés à 169 individus différents. Ils sont conservés dans ces fonds : ASVe, Collegio, Notatorio ; Senato, Deliberazioni, Terra ; Consiglio dei Dieci, Deliberazioni ; Capi dei Consiglio dei Dieci, Notatorio. Ne sont pas prises en compte ici les autorisations d’imprimer que l’on trouve également dans ces registres.
37 Nous avons renoncé à en produire une analyse lexicologique pour plusieurs raisons. Les textes sont écrits en latin ou en vénitien, ce qui rend leur traitement commun difficile. Le latin lui-même est très vulgarisé et l’orthographe n’est en aucun cas fixe. De plus, pour ce que nous voulons étudier, l’analyse précise des termes n’est pas toujours éclairante, mis à part dans certains cas très précis, notamment l’utilisation de « concurrence », mais cela se fait aisément sans recours à la lexicologie quantitative à proprement parler.
38 Il serait intéressant d’opérer une comparaison avec les textes provenant d’autres artisanats vénitiens. Cependant, l’imprimerie est la seule industrie à offrir un tel gisement de sources ; l’octroi des privilèges libraires est, si l’on en croit la composition des registres, l’une des principales occupations de certains conseils dans les années de forte demande.
39 Pierre de Jean Olivi, Traité des contrats, éd. et trad. par S. Piron, Paris, Les Belles Lettres, 2012 ; Sylvain Piron, « Recherches d’histoire intellectuelle des sociétés médiévales », dossier d’habilitation à diriger des recherches, vol. 5, Université d’Orléans, 2010. Voir aussi G. Todeschini, Richesse franciscaine…, op. cit. ; D. Quaglioni, G. Todeschini et G. M. Varanini (dir.), Credito e usura fra teologia, diritto e amministrazione…, op. cit.
40 ASVe, Collegio, Notatorio, reg. 14, image 162, 16 févr. 1493, demande de Simone Bevilacqua : « avec une très grande industrie et un très grand travail de [sa] part, ainsi que des frais intolérables » (maxima ipsorum industria et labore, nec non impensa intolerabili).
41 ASVe, Collegio, Notatorio, reg. 17, image 188, 26 juin 1514.
42 Piron, Sylvain, « L’apparition du resicum en Méditerranée occidentale, xiie-xiiie siècles », in Collas-Heddeland, E. et al. (dir.), Pour une histoire culturelle du risque. Genèse, évolution, actualité du concept dans les sociétés occidentales, Strasbourg, Éd. Histoire et anthropologie, 2004, p. 59-76Google Scholar.
43 ASVe, Senato, Deliberazioni, Terra, reg. 25, image 84, 29 avril 1528.
44 ASVe, Collegio, Notatorio, reg. 14, image 312, 18 avril 1497 : « Ne voulant pas qu’après avoir imprimé ces dites œuvres avec de très grands frais et efforts, que quelqu’un d’autre en concurrence le fasse réimprimer et puis le vende à vil prix, comme cela arrive souvent, ce qui entraînerait la ruine et le dommage du suppliant » (« Non volendo, che dapoi che cum grandissima spesa et faticha l’havera facto stampar le dicte opere che qualche altro a concorrentia le fesse restampir et poi le vendesse a vil pretio come molto vole achade, che tornaria a ruina et damno de lui supplicante »).
45 Certains auteurs avaient noté l’emploi de ce terme dans les privilèges de façon extrêmement précoce : Trovato, Paolo, Con ogni diligenza corretto. La stampa e le revisioni editoriali dei testi letterari italiani (1470-1570), Bologne, Il Mulino, 1991, p. 46Google Scholar.
46 ASVe, Collegio, Notatorio, reg. 14, image 275, 25 févr. 1496 : « Craignant, lui suppliant, qu’on ne lui fasse concurrence par envie et que d’autres aient le fuit de ses secrets et de ses efforts » (« Temendo lui supplicante che per invidia non li sia facto concorrentia, et che altri habia el fruto di sui secreti et fatiche »).
47 ASVe, Collegio, Notatorio, reg. 14, image 276, 10 févr. 1496 : « que d’autres en le faisant imprimer ne lui fasse concurrence et ainsi que lui soit enlevé le fruit de ses efforts et de ses frais très importants » (« che altri emuloi fazandolo stampar li fesseno concorrentia, e cussi a lui fusse levato el fructo de le fatiche e spexe sue grandissime »).
48 M. Lowry, Le monde d’Alde Manuce…, op. cit., p. 136-137.
49 Par exemple : ASVe, Collegio, Notatorio, reg. 15, image 165, 27 nov. 1502.
50 C’est le cas dans les privilèges, mais également dans d’autres documents où des témoignages d’imprimeurs sont rapportés, par exemple : ASVe, Giudici di petizion, Sentenze a giustizia, b. 159, fol. 47r, 6 nov. 1473 : « les pratiques de cet art » (« i pratichi de questa arte ») ; b. 168, fol. 19r, 19 juin 1478 : « quelques pratiques de ce métier » (« qualche praticha del mestier »).
51 ASVe, Collegio, Notatorio, reg. 14, image 346, 14 mars 1498 (« per non esser ruinato dalla perfida ravia de la concorrentia consueta fra questa miserabel arte »).
52 ASVe, Collegio, Notatorio, reg. 16, image 18, 18 juin 1508 (« esso supplicante teme esser e ruinato dala perfida concorrentia, laquale regna in questa povera et miserabel arte, che seria total ruina de casa sua, laquel concorrentia solum mediante lo adviso et benigna gratia di questa Serenissimo et sapientissimo conseglio potra fugera »).
53 ASVe, Collegio, Notatorio, reg. 16, image 214, 11 févr. 1512.
54 Sivéry, Gérard, « La notion économique de l’usure selon saint Thomas d’Aquin », Revue du Nord, 356-357, 2004, p. 697-708CrossRefGoogle Scholar. Pour la doctrine scolastique en matière de monopole, voir Raymond De Roover, La pensée économique des scolastiques. Doctrines et méthodes, Montréal/Paris, Institut d’études médiévales/J. Vrin, 1971. La place de la concurrence dans le juste prix, pour les scolastiques, fait l’objet de débats, mais elle semble établie au moins pour ce qui concerne l’école thomiste.
56 Il semble que le terme n’était pas utilisé dans les suppliques de privilège d’invention avant l’imprimerie, mais ce point nécessiterait de plus amples investigations.
57 Scherman, Matthieu, Familles et travail à Trévise à la fin du Moyen Âge (vers 1434-vers 1509), Rome, École française de Rome, 2013, p. 147Google Scholar.
58 Maud Harivel, « Entre justice distributive et corruption : les élections politiques dans la République de Venise (1500-1797) », thèse de doctorat, Université de Berne/Ephe, 2016.
59 M. Sanudo, Diarii, op. cit., vol. 15, p. 554, et vol. 25, p. 426.
60 Par exemple, Pincio et Paganini faisaient partie de la scuola de San Rocco, le second en étant même l’un des officiers en 1489 et 1498 : Dondi, Cristina, « Printers and Guilds in Fifteenth-Century Venice », La bibliofilía, 106-3, 2004, p. 231-265Google Scholar.
61 ASVe, Procuratori di San Marco de Supra, Commissaria, b. 6, Commissaria Pietro Francesco Barbarigo, Giornale di Cassa 1499-1511, édité par Pastorello, Ester, « Di Aldo Pio Manuzio : testimonianze e documenti », La bibliofilía, 67, 1965, p. 163-220, ici p. 189-192Google Scholar.
62 ASVe, Giudici di petizion, Capitoli pubblicati, b. 13, fol. 80r, 11 avril 1494. Voir pour la famille Gradenigo : ASVe, Giudici del Proprio, Lezze, b. 6, fol. 68 sq., 11 sept. 1522 ; pour la famille Badoer : ASVe, Giudici di petizion, Sentenze a giustizia, b. 194, fol. 38r sq., 26 juil. 1494.
63 Ne pouvant faire référence à toute la bibliographie en sciences sociales sur le sujet, nous renvoyons à la mise au point bibliographique dans Thierry Dutour, « ‘Que chacun fache bon ouvrage et loyal’. La construction et le maintien de la confiance impersonnelle dans la vie sociale à la fin du Moyen Âge (espace francophone, xiiie-xve siècle) », Quaestiones medii aevi novae, 17, 2012, p. 355-377, ici p. 355-356. Voir aussi Id., Sous l’empire du bien. « Bonnes gens » et pacte social, xiiie-xve siècle, Paris, Classiques Garnier, 2015.
64 Cusin, François, « Relations marchandes et esprit d’entreprise : la construction sociale de la confiance », Interventions économiques, 33, 2006, https://interventionseconomiques.revues.org/766Google Scholar.
65 Sur la question de la confiance dans les relations économiques et le marché du travail, voir Granovetter, Mark, « Economic Action and Social Structure: The Problem of Embeddedness », American Journal of Sociology, 91-3, 1985, p. 481-510CrossRefGoogle Scholar. Voir aussi Michel Ferrary et Yvon Pesqueux, L’organisation en réseau, mythes et réalités, Paris, Puf, 2004, chap. 2, paragr. 5.
66 Buchholzer, Laurence et Lachaud, Frédérique (dir.), no spécial « Le serment dans les villes du bas Moyen Âge », Histoire urbaine, 39-1, 2014, p. 7-27CrossRefGoogle Scholar ; Gauvard, Claude, « Introduction », in Laurent, F. (dir.), Serment, promesse et engagement : rituels et modalités au Moyen Âge, Montpellier, Presses universitaires de la Méditerranée, 2008, p. 13-32Google Scholar ; Raymond Verdier (dir.), Le serment, Paris, Éd. du Cnrs, 1991 ; Auzépy, Marie-France et Saint-Guillain, Guillaume (dir.), Oralité et lien social au Moyen Âge (Occident, Byzance, Islam). Parole donnée, foi jurée, serment, Paris, Achcbyz, 2008Google Scholar.
67 Voir, par exemple, les contrats de Jacques Le Rouge en 1473 (Trévise, Archivio di Stato di Treviso, Notarile, ser. I, b. 1436, 27 nov. et 24 mai 1473, publié dans Agostino Contò, Calami e torchi. Documenti per la storia del libro nel territorio della Republica di Venezia, sec. xv, Vérone, Della Scala, 2003), le contrat de Leonard Wild avec Nicolas de Francfort en 1478 (publié dans R. Fulin, « Documenti per servire alla storia della tipografia veneziana », art. cit., doc. 2) ou le contrat entre Annibale Fosio, Marino Saraceno et Francesco de Madiis en 1486 (publié dans Predelli, Riccardo, « Contratto per la stampa di un libro », Archivio veneto, 32-16, 1886, p. 190-192)Google Scholar.
68 T. Dutour, « ‘Que chacun fache bon ouvrage et loyal’… », art. cit., p. 366 : « La parole des marchands l’est aussi [incontestable]. Leurs écritures manuelles sont garanties avant tout par l’honorabilité de leurs auteurs. » Voir aussi Alessandra Stazzone, « Parole de marchand. Serment promissoire et indices ordaliques dans la définition du ‘bon’ marchand (xive siècle) », in L. Buchholzer et F. Lachaud (dir.), no spécial, « Le serment dans les villes du bas Moyen Âge », op. cit., p. 105-120.
69 M. Ferrary et Y. Pesqueux, L’organisation en réseau…, op. cit., chap. 2, paragr. 4-5.
70 Ludwig, Gustav, « Antonello da Messina und Deutsche und Niederländische Künstler in Venedig », Jahrbuch der Königlich Preussischen Kunstsammlungen, 23, 1902, p. 43-65Google Scholar ; Braunstein, Philippe, « Les Allemands et la naissance de l’imprimerie vénitienne », Revue des études italiennes, 27-4, 1981, p. 381-389Google Scholar ; Lowry, Martin, « Venetian Capital, German Technology and Renaissance Culture in the Later Fifteenth Century », Renaissance Studies, 2-1, 1988, p. 1-13CrossRefGoogle Scholar ; Id., « The Social World of Nicholas Jenson and John of Cologne », La bibliofilía, 83, 1981, p. 193-218. Les travaux de Lowry sur les relations économiques et sociales de Jenson et d’Alde sont à ce jour inégalés. Pour une vision plus globale, voir Catherine Kikuchi, « Venise et le monde du livre, 1469-1530 », thèse de doctorat, Université Paris-Sorbonne, 2016, chap. 8, p. 423-498, et chap. 9, p. 499-550 ; ces deux chapitres proposent une analyse de la socialisation à Venise et dans le monde du livre, et de ses conséquences sur la formation d’une espace professionnel du livre.
71 Les informations contenues dans les colophons sont rassemblées dans la liste systématique établie par Paul Needham, « Venetian Printers and Publishers in the Fifteenth Century », in L. Balsamo et P. Bellettini (dir.), Anatomie bibliologiche. Saggi di storia del libro per il centenario de La bibliofilía, Florence, L. S. Olschki, 1999, p. 157-200. Pour le xvie siècle, nous faisons référence à Fernanda Ascarelli et Marco Menato, La tipografia del ’500 in Italia, Florence, L. S. Olschki, 1989 ; Ester Pastorello, Tipografi, editori, librari a Venezia nel secolo xvi, Florence, L. S. Olschki, 1924.
72 Nous avons complété ces informations quand nous savions que certaines collaborations existaient, mais toujours entre des acteurs qui apparaissaient déjà dans les colophons de cette période. Nous n’avons également tenu compte que des collaborations économiques, et non des collaborations littéraires. Ces relations ont été étudiées à travers les méthodes de l’analyse de réseaux, ou social network analysis. Voir Catherine Kikuchi, « Utiliser les réseaux pour comprendre le développement de l’imprimerie à Venise, 1469-1530 », Essais. Revue interdisciplinaire d’humanités, à paraître ; Id., « Venise et le monde du livre, 1469-1530 », op. cit., p. 139-144, 145-158 et 205-208. Étant donné la difficulté à dater précisément le début et la fin des collaborations, nous avons considéré qu’une collaboration existait pendant la durée d’activité commune des deux parties prenantes. Nous avons ensuite travaillé par grandes périodes, une analyse synchronique étant sujette à de nombreux aléas. Voir ces travaux essentiels sur l’analyse de réseaux en histoire médiévale : Padgett, John F. et Ansell, Christopher K., « Robust Action and the Rise of the Medici, 1400-1434 », American Journal of Sociology, 98-6, 1993, p. 1259-1319CrossRefGoogle Scholar ; Rosé, Isabelle, « Reconstitution, représentation graphique et analyse des réseaux de pouvoir au haut Moyen Âge. Approche des pratiques sociales de l’aristocratie à partir de l’exemple d’Odon de Cluny († 942) », Redes. Revista hispana para el análisis de redes sociales, 21-5, 2011, p. 199-272Google Scholar. Des doctorants ont également mis à l’honneur l’utilisation des réseaux en histoire : Dmitriev, Nikita, Maudet, Ségolène et Verschueren, Pierre (dir.), dossier « Analyser des réseaux. Pourquoi ? Comment ? », Hypothèses, 19-1, 2016, p. 177-252Google Scholar.
73 Une composante biconnexe est un réseau dont la densité de liens et d’interactions est suffisante pour que personne ne soit dépendant d’un seul individu pour son rattachement.
74 Lazega, Emmanuel, « Théorie de la coopération entre concurrents : interdépendances, discipline sociale et processus sociaux », Le libellio d’Aegis, 4-3, 2008, p. 1-5Google Scholar.
75 Id., « Théorie de la coopération entre concurrents : organisations, marchés et analyse de réseaux », in P. Steiner et F. Vatin (dir.), Traité de sociologie économique, Paris, Puf, 2009, p. 533-571, ici p. 538.
76 En termes d’analyse de réseaux, un k-noyau est un noyau dont tous les membres sont liés à k membres du groupe.
77 E. Lazega, « Théorie de la coopération entre concurrents : organisations, marchés et analyse de réseaux », art. cit., p. 537-538.
78 La question est ici compliquée car les collaborations ne sont pas symétriques : une personne apporte les fonds, une autre le capital matériel et technique. Il faut partir du principe que l’imprimeur qui collabore avec de nombreux éditeurs est un acteur tout aussi central et important que l’éditeur qui alimente le milieu en investissement ; le rapport de force lui est moins favorable, mais le fait d’être souvent choisi pour réaliser des éditions témoigne de son importance au sein d’un milieu concurrentiel. Le prestige de certains imprimeurs typographes justifie que cette dissymétrie ne soit pas rédhibitoire.
79 Voir l’étude des documents d’archives issus de la gestion de l’héritage de Barbarigo après sa mort : ASVe, Procuratori di San Marco de Supra, Commissaria, b. 6, Commissaria Pietro Francesco Barbarigo, Giornale di cassa 1499-1511, édités par E. Pastorello, « Di Aldo Pio Manuzio… », art. cit., ici p. 189-192. Voir aussi M. Lowry, Le monde d’Alde Manuce…, op. cit.
80 Il s’agit de deux ouvrages de philosophie : Jean Duns Scot sur la Métaphysique d’Aristote (Istc : 00373000) et Dinus de Garbo sur Avicenne (Istc : 00196000).
81 ASVe, Giudici di petizion, Terminazioni, b. 40, fol. 76v, 29 oct. 1529.
82 Sur la famille Giunti, voir William A. Pettas, The Giunti of Florence: A Renaissance Printing and Publishing Family: A History of the Florentine Firm and a Catalogue of the Editions, New Castle, Oak Knoll Press, 2013.
83 D’après les ouvrages recensés par l’Istc.
84 Selon tous les indicateurs de centralité : de degré (le nombre de voisins directs), de proximité (par rapport aux autres nœuds du réseau) et d’intermédiarité (la présence sur les chemins passant entre un acteur et un autre).
85 Jean Tirole, Théorie de l’organisation industrielle, trad. sous la dir. de M. Moreaux, Paris, Economica, [1988] 2015 ; Encaoua, David, « Pouvoir de marché, stratégies et régulation. Les contributions de Jean Tirole, Prix Nobel d’Économie 2014 », Revue d’économie politique, 125-1, 2015, p. 1-76CrossRefGoogle Scholar.
86 Ces questions, qui dépassent largement le cadre de cette étude, trouvent néanmoins des échos importants dans les préoccupations de projets de recherche actuels. Voir les programmes Erc conduits respectivement par Angela Nuovo et Cristina Dondi : « The Early Modern Book Trade » (Udine/Milan, 2016-2021) vise à étudier de façon systématique les prix et les transactions financières liés au livre en Europe ; « 15th Century Book Trade » (Cambridge, 2014-2019) entend examiner la diffusion des incunables en Europe à partir d’une étude matérielle des exemplaires survivants. Concernant la formation de marchés et les mécanismes sociaux qui y contribuent, voir Sandrine Victor et Juliette Sibon (dir.), no spécial « Normes et marchés en Occident, xiiie-xve siècle », Rives méditéranéennes, 55, 2017 ; Canepari, Eleonora, Montenach, Anne et Pernin, Isabelle (dir.), no spécial « Aux marges du marché », Rives méditerranéennes, 54, 2017Google Scholar.
Translation available: Competition and Collaboration in the Venetian Book World from 1469 to the Early Sixteenth Century