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Ce qu'on peut trouver dans une série d'inventaires mobiliers

De la Renaissance à la Contre-Réforme : changements de climats1

Published online by Cambridge University Press:  25 October 2017

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Que chaque époque ait — faut-il dire son style, ou plus modestement, mais plus largement aussi, son climat — voilà qui n'est pas vrai seulement de l'art, ou de la littérature. Si l'histoire se souciait davantage d'être autre chose qu'un psittacisme, elle trouverait sans doute dans ces notions de style, de climat, un moyen de caractériser nettement les époques successives de la vie d'un groupe, d'une communauté humaine — et de les caractériser, qu'on ne s'y trompe point, par le dedans. Voire même, par ce qui, dans le dedans, peut sembler le plus intime, le plus secret, ce qui ne tombe pas sous les prises d'une conscience claire — mais cependant se manifeste, avec force, dans tout ce qui émane d'un pays donné à une époque donnée — qu'il s'agisse d'œuvres matérielles ou d'œuvres intellectuelles, de systèmes politiques ou de théories philosophiques, de croyances religieuses ou d'activités sociales.

Type
Enquêtes et Suggestions
Copyright
Copyright © Les Éditions de l'EHESS 1941

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Footnotes

1

Je remercie les historiennes de l'Ecole Normale Supérieure de Sèvres, de m'avoir donné l'occasion, cet été, de leur fournir les quelques suggestions de recherche qui vont suivre. Partout où le hasard de leur carrière de professeurs lesenverra en France (ou à peu près partout) il y a des Archives. Que ces dépôts, rendus facilement accessibles à tous par l'admirable labeur collectif de nos archivistes, ne leur fassent pas trop peur ! Et si elles n'ont pas le temps de se livrer a de grands travaux — qu'elles accomplissent des tâches limitées comme celles à quoi je les ai conviées. Mais mon appel ne s'adresse point qu'à elles seules !

References

2. Il est cependant certains de ces recueils qui ont fait leurs preuves. Tout historien de Bourgogne sait, par exemple, ce qu'on peut tirer des inventaires publiés, jadis par Prost. Ce sont, il est vrai, des inventaires princiers — quel qu'en soit cependant l'intérêt pour la connaissance des simples gens, de l'outillage rural, etc. Les séries de testaments, est-il besoin de te dire (et par exemple l'admirable série des Testaments de l'Officialité bisontine, telle que l'a publiée jadis Ulysse Robert en deux gros volumes de la Collection des Documents Inédits), rendent des services comparables, mais, en ce qui concerne notre présent dessein, infiniment moindres.

3. A quoi l'incitait sa prétention d'être la seconde ville du royaume” Cf. encore ce qu'en dit en 1655 Louis Huygens dans son Journal de Voyage publié dans la Gazette des Beaux-Arts en 1937 (II, p. 93 sqq.) : « A ce que nous peusmes juger, elle est beaucoup plus grande qu'aucune ville de Hollande, excepté Amsterdam, à laquelle on croit qu'elle ne cède pas beaucoup. Depuis Paris, on croit qu'elle est la première en grandeur de toute la France. »

4. Amiens. Archives Communales antérieures a 1790. Tomes II et III, série BB, par G. Durand, Amiens, 1894-1897, in-4° ; T. IV et V, série CC, ibid, 1901-1905 ; T. VI et VII, série FF., ibid., 1911-1925.

5. Je laisse entièrement de côte, dams cette esquisse, tout ce qui est spécialement histoire de l'art. Qui étaient îles peintres, les sculpteurs qui travaillailant alors à Amiens ? Que valaient les œuvres qui figurent dans les inventaires ? Peut-on s'en faire une idée ? D'où provenaient-elles parfois ? Il y a là tout un domaine où je n'ai pas le temps de pénétrer ; mais il « paierait » le travailleur patient qui tenterait le voyage.

6. Ici, il contiendrait d'instaurer un beau débat de méthode. Je m'en dispense. Je tiens, une fois pour toutes, que tout lecteur des Annales est muni de bon sens, et qu'il est inutile dès lors de pédantiser à son intention. Oui, un inventaire ajnrès décès ne nous fournit qu'une seule date précise : celle du décès de l'inventorié J mais le vieil homme qui meurt en 1620 n'a pas acheté tout son mobilier, tous ses tableaux s'il en a, et tous ses livres en 1619 ; et d'ailleurs, il n'a pas tout acheté dans ce qu'il possède ; il a hérité. — Parfait. C'est entendu. Mais d'abord, pour les livres, nous pouvons dater. On n'achète pas en 1530 un. livre publié en 1500… Pour les modes d'art on peut dater aussi, avec moins de rigueur, mais par masse. Il y a des objets d'art type, qui apparaissent brusquement, à date a peu près fixe. Une table en bois, avec des pieds contournés, ornés de têtes de libellules stylisées et un plateau de marqueterie, figurant des branches de vigne vierge — cela se date sans hésitation possible de 1900 (école de Nancy). C'est peut-êtite 1989, ou 1904, ou même 1910. C'est 1900 en gros. Ne raffinons pas. Dater des styles à deux ans près, c'est déjà une belle ambition, s'il s'agit de pensées ou de réactions morales. — Et, s'il s'agit d'objet, il n'est pas interdit — il est même recommandé à rhistorien qui se laisserait tenter par de pareilles recherches, d'aller prendre l'avis, en cas de besoin, du premier bel antiquaire du lieu. Lequel, ayant beaucoup vu, peut avoir beaucoup retenu…

7. Ce que je sais sur le sujet ne peut guère servir : Saint-Claude était un patrimoine des Francs-Comtois, et les textes francs-comtoie renseignent mal sur sa vogue. Je note que celle-ci coïncide avec les événements, mal connus, qui aboutirent au pillage de l'abbaye, dans le Haut-Jura, et peut-être à la destruction du corps saint (Cf. l'Histoire de S. Claude de Dom Benoît, au tome II). Mais le (ait de la vogue amiénoise est indiscutable. Cf., série FF., II, p. 732-33 (1579) ; 793 (15818) ; 803-804 (1591-1592), etc…

8. On connaît les belles pages de Bremond sur le culte de la Madeleine au XVIIe siècle en France, son développement et sa signification. — Déjà commencent les poèmes épiques en l'honneur de la Sainte (1606 ; 1608 ; 1617 ; 1638). Voir les statistiques de R. Toinet (Quelques recherches autour des poèmes héroïques-épiques, Tulle, 1897-1907).

9. Un Saturnin sans doute ? Saint Saturnin, protecteur de la gent moutonnière. Je relève, parmi les apax, Betremieu, Ernoul, Enguerran, Eletre, Flourens, Guérard, Gentien, Hutin, Ildevert, Jacotin, Raoulant. Saturnin. Tassin, Valent. On voit qu'il n'y avait pas à Amiens que de vieux Amiénois, fidèles aux gloires du diocèse : saint Firmin, dressé au portail de la cathédrale et qui semble bénir du fond de sa certitude ; les martyrs Gentien, Fuscien, Victorix ; les anciens évoques, saint Honoré en tête ; et tes autres saints, Domice, Geoffroy et sainte Ulphe — tout ce qu'on peut apprendre à connaître dans Gorblet, Hagiographie du diocèse d'Amiens. (D« 1610 à 1622, on relève 18 Firmin, 3 Fuscien, 1 Honoré et 1 Gentien.)

10. Cf. Febvre, Lucien, Philippe II et la Franche-Comté, Paris, Champion, 1911 Google Scholar, chap. X et XI, la Vie bourgeoise, la Vie noble.

11. Voici ce qu'on trouve, par exemple, en 1585, chez Pierre Poitevin : quatre tableaux de bois représentant l'un, l'image de la Cène ; le second, l'histoire de Loth ; le troisième, les Trois Vertus ; le dernier, Apollon’ et les 7 arts libéraux. A distance de temps, et toutes proportions gardées, ce bourgeois reproduisait le mélange de goûts qu'offrait la riche collection de Mme Charlotte d'Ailly, veuve de haut et puissant Adrien de Pisseleu, inventoriée en 1575 : 4 tableaux de bois peint, l'un, d'une fille qui donne le têton à son père ; l'autre, du roi François ; l'autre de Lucrèce ; l'autre, du comte de Rhingrave ; sans préjudice « du vieillard qui a uzé de ses deux filles » ; d'Adam et Eve ; de deux tableaux, l'un de Madeleine, et l'autre de Vénus, etc.

12. Quelques échantillons. 1678, la femme d'un élu : deux tableaux de toile peinte : iSalomon et la reine de Saba ; l'homme mourant ; une Madeleine. — 1578, la femme d'un bourgeois : 1 tableau de toile painete où est emprins lat Charité ; 1 drap de toille painct, où est… l'histoire de la reine Esther ; 1 tableau de bois painct, où est… l'histoire de Suzanne. — 1578, la femme d'un notaire : 1 tableau de toile painct où est le miracle des 7 pains d'orge ; 6 feuilles de papier painct, où est l'histoire de S. iPaul. On trouve souvent mentionnées ces « feuilles de papier peint » : 1585, 6 plèces de papier peint contenant l'Histoire fie Tobie et Job.

13. Théâtre, art, dévotion : toute une nouvelle série d'études à entreprendre, à cette date et par ce temps. Las instruments, du moins côté théâtre, sont prêts. Il Tie manque que les travailleurs.

14. Quelques exemples. 1540 (la première mention, je crois ?) : un petit Jésus doré avec deux petites robtoes de satin de soye et de Bruges (chez un marchand). — 1540 également (chez un orfèvre) ung petit Jésus et l'image de N.-D., le tout de bois doré. — 1541, ung Jésus vestu d'une robbe de damas rouge et de bonnet de velours cramoisy. — Pour les deux images, cf. : 1587, deux images de Jésus de bois peint et doré, ohacun garni d'un habillement, savoir l'un, d'une robbe de velours violet figuré, picqué de fil d'or — l'autre, d'une robbe de damas gris, aussi pioquée de fil d'or. — 1595, deux images de Jésus, garniz de deux ohapeaux de velours, avec les aoooustremens de satin de soie rouge. — 1598, chez Marie Cantereine, femme de marchand : dans un caibinet de bois doublé de serge d'ascot, 2 petits Jhesus vestus de leur robbe, avec une couronne. Etc…

15. 1578, 2 petite pote de verre bleu servant à mettre bouoquets. — 1587, 2 images de Jésus…, 2 grands bouquets de soye, façon des Flandres. — 1587 également, 2 petits pots à bouquets garnis d'or et de soie, et plusieurs petites poupées et bouquets d'or et soie. — 1589, une image de la Vierge Marie avec plusieurs bouquets de soie ; un autre d'or, et plusieurs bouquets de soie et fil d'or. — 1610, un cabinet de bois de chêne, couvert de verre, dans lequel est une image de Jésus, avec autres petites images et bouquets de soie. Etc…

16. Cf. : 1566, 2 païsages ; 1568, 2 païsages ; 1580, un grand tableau de thoille paincte où est emprains un païsage ; 1595, un tableau où est représenté un païsage.

17. Par ex., en 1603, chez un plombier, les Chroniques de France « en roulleau, avec l'aumelle de bois ». Les Annales de France trouvent volontiers en ce tempB leurs invalides chez les petites gens : 1583, chez un menuisier ; 1598, chez un maître menuisier, avec une Bible, etc. — Un peu partout, chez ceux qui n'ont qu'un livre, la Yie des Saints.

18. On rencontre plusieurs fois le Nouveau Testament en grec et en latin chez les lettrés, et chez les libraires. (Chez Marie Cousin, femme d'un libraire, 1583 ; chez l'avocat Fournier, 1587, avec de l'Erasme, du Vives, du Ramus, les Emblèmes d'Alciat, le Décaméron et Rabelais.

19. II semble que la Bible devienne de plus en plus l'apanage, et le signe, des seuls réformés. On la trouve fréquement chez des artisans (p. ex., 1612, chez un maître saieljeur, avec un Du Bartas).

20. CC. 136, f” 112, 1540.

21. Zacarie de Celers, maistre architecteur, CC. 156, f° 22. Fréquentes mentions des activités de ce personnage dans les documents amiénois. Elle sont fort diverses. Un jour, il dore et étoffe d'or et d'azur la cheminée de la chambre du Consul (1545) ; un autre jour, il lire pour la justice le portrait du lieu où avaient été trouvés morts un homme et sa femme ; il fait fréquemment des plans, des relevés, notamment de fortifications, ce qui ne l'empêche pas de donner ses soins aux cibles des archers, aux bannières des paroisses, etc.

22. CC 164, f° 27. — Cf., plus tard : 1574 (CC. 201, f° 14 v°) « le pourtrait que le sieur Belmat le jeune, ingénieux, avait encommenché du cireuyt et forteresse de lad. ville d'Amiens ».

23. Recherche à instaurer. D'après nos sondages, la formule reste : le Roi notre Sire jusqu'au milieu du xvie siècle (5 janvier 1562, discours d'un échovin, BP. 35, f° 37, v° : soubs l'auctorité du Roy nostre sire. Id., février 1562, DD. 35, f° 35.) — Mais déjà, 1558 (CC. 169) : ung toison d'or de l'Empereur s'en va « devers la Majesté du Roy ». Et les textes se multiplient : 1574, CC. 201, f° 14 : faire rapport à S. M. — 1575, CC. 203, f° 23 v°, En ville cotisée par S. M., etc…

24. Et d'une histoire parfois très contemporaine. Voici la riche bibliothèque de Pierre Crocquoison, inventoriée en 1580 : on y rencontre Guichardin, les Discours de Machiavel, le Récit de Voyage du roi Charles, la généalogie des Rois, le Sommaire des Empereurs, la Chronique de Jean Carion, la République des Turcs, la Chronique de Pologne, les Discours politiques de La Noue, etc. — Avec de l'Erasme, un Alciat, la Marguerite des Marguerites, un Marot, un Rabelais et le Décaméron. — 15So. C'est avant les grandes polémiques des guerres de religion ; de celles-ci la trace est partout dans les inventaires de 1600, 1610, 1620.

25. 1561, FF. 717, 154 : un bourgeois d'Amiens assigne en justice Jean Prien, peintre, pour livraison de portraits en retard. — Mais c'est plus tard que dans les inventaires apparaissent en nombre les portraicts de bourgeois et de petites gens : 1587, un marchand tanneur ; 1587, un bourgeois et marchand ; 1587, un notairo royal (le portraict du deffunt et de D116 Marguerite de Miraulmont sa femme ; 1588, un sergent royal ; 1590, toute une tribu : quatre tableaux peints à l'huile, où sont emprins le grand-père, grand'mère, père et mère du défunt, père et mère des mineurs ; ceci, c'est un bourgeois.

26. Notons bien, du reste, que tous ces goûts nouveaux que nous attestent les mobiliers amiénois — goût de l'histoire, ancienne ou moderne ou contemporaine ; curiosités géographiques, attrait exercé par les cosmographies, les récits de voyage, les atlas ; affirmation du sens dynastique, à l'aide d'effigies royales ou princières — tout cela, nous l'avons trouvé, il y a longtemps déjà, attesté de la même façon, très exactement, dans les inventaires mobiliers des grands bourgeois et des riches anoblis de la Frandhe-Comté, de Bourgogne, dont le comte était alors Philippe II d'Espagne. Portrait® des quatre ducs Valois de Bourgogne, « avec leurs femmes », de Charles-Quint, de Philippe II, de Marie de Hongrie, etc. ; portraits de famille ; cartes géographiques (de Germanie, des Gaules, dia la Comté, et, dans la bibliothèque, rien qui sente le pédant ou l'école, mais des historiens anciens ; Plutarque naturellement ; la République de Platon voisinant avec celle de Bodin ; pas d'oeuvres de Ciceron mais toute l'ardente curiosité de la Renaissance pour l'homme, la nature et le monde habité : la belle Cosmographie de Munster ; le Theatrum Orbis d'Ortelius ; la Cosmographie de Thevpt, etc. ; pour l'histoire, les chroniques d'abord, la Nef des Histoires, la Mer des Chroniques, Froissard, les « Cronicques de Saint-Loys », Olivier de la Marche, le Loyal Serviteur ; puis les histoires provinciales et les mémoires, la Bretagne d'Argenteau, les Annales d'Anjou, rilisloire des neuf rois Charles de Belleforest, les Mémoires de Martin du Bellay, les Discours de La Noue, l'Histoire de Berry, Paradin, St-Julien-de^Balleure e*. d'autres ; surtout, des histoires de peuples plus lointains : Olaiis Magnus, de Gentibus Seplentrionalilbus ; Cromerus, de Gestis Polonorum ; la République des Suisses ; l'Histoire des Médicis, la République des Turcs — et Colomb, et Thevet, et Georges Castriot, sar16 préjudice d'André Vesale et de Paracelse ; voilà la Bibliothèque des Gauthiot d'Ancier — et l'on voit que, s'ils ne sont point d'obédience française, ils ont le mêmes curiosités que les Amiénois (Cf. pour le détail, L. FEBVRE, Philippe II et lu Franche-Cojnté, p. 355 sqq).