L’historiographie en arabe du xixe siècle a souvent été abordée au prisme du rapport à la modernité et au nationalisme, c’est-à-dire selon la perspective téléologique induite par les procès de constructions étatiques au xxe siècle. Cet article propose de relire l’œuvre du grand historien Rifāʿa Rafīʿal-Ṭahṭāwī (1801-1873) en la situant dans son moment historique – un moment où l’Égypte est encore un État dynastique lié à l’Empire ottoman, où les historiens travaillent à l’intérieur de l’édifice des sciences religieuses et de l’historiographie islamiques, et où la modernité occidentale s’incarne dans le régime de la monarchie de Juillet et l’histoire de François Guizot et de Edward Gibbon. C’est dans ce complexe de discours et de pratiques qu’il faut comprendre l’œuvre historique d’al-Ṭahṭāwī. On peut alors retrouver la polyphonie des attachements nationaux du cheikh et historien, qui s’inscrivent plus largement dans une conception renouvelée de la tradition – et donc de son revers, la modernité –, mais qui participe aussi d’une mise en tension sensible de la conception de la temporalité historique propre à l’historiographie arabe moderne avec celle de l’histoire produite par l’historiographie de la fin du xviiie siècle et par l’histoire romantique bourgeoise en Europe.