À la cour des Abbassides, « amour » devint le nom d'un jeu social. Cet
article cherche à reconstruire les donnes particulières de ce modèle
culturel, en termes de statut, de structures et de fonctions à l'intérieur
de la société de cour. Il est vraisemblable que l'amour chez les Abbassides
s'éloignait nettement des traditions héritées. C'était l'élément moteur pour
acquérir l'adab, le raffinement culturel. Dans le «
vocabulaire des motifs » abbasside, être amoureux donnait aux courtisans un
motif acceptable pour acquérir l'adab. Cependant, une
culture raffinée était aussi un ajout politique. En comparant cet amour avec
les modèles du nord de l'Europe, présentes dans le Roman de la
Rose au XIIIe siècle, l'article suggère que, dans les deux cas,
l'émergence d'un code de l'amour courtois était liée à des structures de
pouvoir spécifiques. Par le respect d'un code commun,
l'adab donnait aux élites une cohésion sociale. Dans le
cas des Abbassides, on a pu dire que l'affinité culturelle remplaçait la
parenté, par sa capacité à lier entre eux les membres de l'élite. Par
ailleurs, le jeu de l'amour exigeait de suspendre les hiérarchies de pouvoir
entre les participants. Ce qui impliquait d'accorder aux femmes — dans le
cas des Abbassides, des femmes esclaves — une possibilité d'action reconnue.
En conclusion, l'article suggère que l'enjeu dépassait la codification d'une
compétence culturelle. En participant au jeu de l'amour contrôlé et
formalisé, les courtisans pouvaient acquérir d'autres éléments de la culture
de cour, moins visibles mais non moins importants : les stratégies
appropriées pour agir efficacement à la cour. L'amour servait ainsi à
cultiver une compétence sociale spécifique.