La ségrégation des juifs dans des ghettos, qui s’imposa comme une véritable technique de gouvernement dans certains États de la péninsule italienne à partir du xvie siècle, avait, pour les acteurs juifs et chrétiens, de nombreuses implications souvent imbriquées : politiques et idéologiques, économiques et sociales, spatiales, institutionnelles et juridiques. Discriminés et assignés à résidence dans des quartiers séparés et circonscrits, les juifs étaient notamment condamnés à devenir d’éternels locataires de leurs habitations. En effet, la ghettoïsation allait presque partout de pair avec un certain nombre de discriminations, comme l’interdiction de posséder les immeubles. De cette situation particulière émergea un droit particulier, le jus chazakah. Cette forme de propriété dissociée, que cet article se propose d’appréhender à travers une approche comparative où Rome et les États de l’Église occupent une place centrale, constitue un véritable laboratoire pour étudier aussi bien l’histoire d’une minorité que son rapport au groupe majoritaire et, plus largement, la complexité même des sociétés d’Ancien Régime. Le ghetto était un espace certes contraint et contraignant, mais toujours négocié par des minorités juives capables de mobiliser les différentes ressources économiques et juridiques à leur disposition pour négocier leurs droits, et ce même dans un contexte de plus en plus hostile.