Depuis près de deux ans, la Belgique a traversé une des périodes les plus mouvementées et les plus décisives de son histoire financière.

Après cinquante-deux mois d’occupation allemande, au cours desquels les ressources économiques et financières du pays furent systématiquement mises à sac par l’ennemi, la Belgique recouvrait, en septembre 1944, sa souveraineté et sa liberté d’action. Tandis que la guerre se poursuivait et connaissait même une recrudescence en décembre 1944, les autorités avaient à résoudre une série de problèmes urgents et particulièrement délicats. Il fallait assurer le ravitaillement, remettre l’industrie en marche, participer militairement, économiquement et financièrement à l’effort de guerre allié, et, en même temps, assainir la monnaie et les finances, combattre l’inflation et préparer la reconstruction du pays.

Lé volume des dépôts au moment de la libération reflétait l’inflation monétaire provoquée par plus de quatre années d’occupation. Au 30 septembre 1944, les dépôts à vue et à terme atteignaient un total de frs 43.631 millions, soit une augmentation d’environ 245 % sur le chiffre du 31 décembre 1939.

La mise en application des mesures de blocage et d’assainissement monétaire par les arrêtés du 6 octobre 1944, modifia profondément cette situation.

Les dépôts bancaires furent scindés en «comptes nouveaux libres», «comptes provisoirement bloqués» et «comptes définitivement bloqués». Les comptes libres furent alimentés par les versements nouveaux et par certains transferts des comptes anciens autorisés par la loi. Etaient libres, au choix des intéressés, soit 10 % du montant des comptes anciens au 8 octobre 1944, soit l’équivalent des dépôts existant en date du 9 mai 1940, soit 1.000 frs par membre de personnel d’une personne physique ou morale titulaire d’un registre de commefce.

L’ampleur de la législation sociale promulguée en Belgique au cours de l’année, ne permet d’en donner ici qu’un aperçu tout à fait succinct et très incomplet.

Dans ses grandes lignes, cette législation se caractérise par le souci d’assurer aux travailleurs un revenu minimum de base. Ainsi qu’on s’en rendra compte à l’analyse des arrêtés relatifs à la Sécurité sociale, le législateur n’a pas seulement visé à remédier à telle ou telle situation particulièrement pénible, mais il a surtout cherché à couvrir, dans la mesure du possible, l’ensemble des risques auxquels sont exposés les travailleurs «économiquement faibles».

Un second trait distinctif de la politique sociale de 1945, se trouve dans le fait que les pouvoirs publics ont été amenés à inclure dans leur sphère d’activité les questions relatives à la fixation du montant des rémunérations. Cette nouvelle orientation s’explique davantage peut-être par des considérations économiques que par des nécessités sociales.

L’a dernière étude que nous avons publiée dans le Bulletin de l’Institut de Recherches Economiques — en février 1940 — signalait déjà que le déclenchement de la deuxième guerre mondiale avait modifié du tout au tout l’aspect du problème charbonnier belge (!). Celui-ci, disions-nous, «était précédemment, comme nous l’avons montré à plusieurs reprises, un problème d’écoulement des quantités produites: il devient aujourd’hui, à titre temporaire tout au moins, un problème de production…»

«Accroître fortement notre production de charbon, ajoutions nous encore: tel doit être en ce moment l’objectif principal du pays… L’occasion s’offre à nous de tirer parti des circonstances passagères issues de la guerre actuelle, pour reprendre définitivement la maîtrise de notre marché intérieur de la houille, que la guerre précédente nous avait fait perdre, et pour asseoir ainsi sur des bases saines notre économie de demain».

La Belgique, qui fût à l’avant-garde dans l’industrie du fer et de l’acier, occupait encore à la veille de la guerre une position enviable et, si l’on considère sa production par habitant, elle se plaçait en tête de tous les pays. Livrant une grande partie de ses produits à l’étranger, la sidérurgie belge devait, par suite du développement de la production mondiale et de l’industrialisation de plusieurs de ses anciens clients, soutenir une lutte très âpre sur les marchés mondiaux. Dans l’ensemble cependant, nos industriels se défendaient honnêtement. Ils étaient conscients de certains problèmes de structure qui se posaient dans leur secteur. Lorsqu’éclata la seconde guerre mondiale, on entrevoyait la mise au point d’un programme de modernisation et de rationalisation qui devait permettre de conserver notre place parmi les grands pays industriels. En mai 1940, pour la seconde fois en l’espace de 25 ans, la Belgique était envahie. La période de guerre devait porter un coup très dur à notre sidérurgie.

De toutes les branches de l’industrie, la métallurgie des métaux non-ferreux est probablement celle dont la reprise a été à la fois la plus tardive et la moins complète. C’est qu’en effet les arrivages de matières premières, déjà fortement ralentis au cours de la période s’étendant de septembre 1939 à mai 1940, avaient été pratiquement arrêtés depuis cette date. Les quantités de ces matières disponibles dans le pays au moment de l’invasion étaient assez importantes et elles ont permis aux producteurs de maintenir une certaine activité, du moins au cours des premières années d’occupation. Elles ne tardèrent cependant pas à s’épuiser et, en 1944, les parcs à minerais et à produits intermédiaires étaient pratiquement vides.

Il ne pouvait être question d’importer des matières premières de l’étranger dès le lendemain de la libération.

Avant de dresser un tableau de l’activité de l’industrie textile en Belgique au cours de l’année 1945, nous voudrions mettre le lecteur en’garde contre une interprétation trop hâtive des chiffres et des données que nous lui présentons.

La toile de fond d’une pareille étude devrait être constituée par l’activité de l’industrie textile avant la guerre. Seules des comparaisons répétées avec une situation pouvant être considérée comme normale donneraient à notre exposé le relief souhaitable. Malheureusement, et c’est ici que gît une première difficulté, de telles comparaisons sont souvent très difficiles, sinon impossibles. C’est ce qui nous a amené à faire abstraction de toutes les questions relatives aux prix et aux salaires et à ne considérer que le volume de la production. Encore sommes-nous bien mal renseignés, à cet égard, sur la période d’avant-guerre. Si nous possédons des statistiques assez complètes pour certains secteurs textiles, il en est beaucoup pour lesquels nous n’avons presque pas de données en dehors de celles relatives au commerce extérieur. La seule année pour laquelle notre information soit assez complète est l’année 1938. Et pour cause: placés devant la nécessité de répartir des stocks de matières premières insuffisants entre toutes les firmes intéressées, pouvoirs publics et groupements professionnels ont dû faire le choix d’un critère et d’une année de base.

Est-il nécessaire d’insister sur l’importance qu’offre aujourd’hui l’industrie de la construction? Non sans doute, et nous nous bornerons à rappeler les tâches devant lesquelles celle-ci va être placée. Il s’agira en effet pour elle de reconstruire ce que la guerre a détruit, de poursuivre l’extension de notre domaine immobilier et de résoudre le problème de l’habitation. Il s’agira aussi de permettre la modernisation de notre outillage industriel, qui pour une grande partie est constitué par des bâtiments. Enfin, l’Etat devra, si l’on pratique une politique de conjoncture, mettre sur pied un grand programme de travaux publics, dont l’exécution appartiendra à l’industrie de la construction.

Le problème le plus urgent est la mise en route de la réparation des dommages de guerre. Au point de vue administratif et législatif, on sait qu’à cet égard nous devons déplorer depuis la libération et depuis la paix une carence singulière. En fait, nous ignorons même l’importance de la tâche qui nous attend et les devoirs financiers qui vont incomber de ce fait à l’Etat.

L’effort considérable de production réalisé par l’agriculture belge, a permis d’assurer des rations alimentaires minima à la population pendant les années d’occupation.

Certes ces rations étaient insuffisantes, mais personne n’ignore que, pendant les cinq années de guerre, au total 850.000 tonnes de panifiables seulement ont pu être importées, alors qu’avant la guerre l’importation de froment, à elle seule, représentait 1.100.000 tonnes par an et que la Belgique était alors tributaire de l’étranger pour 50 % de ses besoins alimentaires.

Le commerce extérieur de la Belgique pendant les seize mois qui ont suivi la libération fut conditionné par un cadre juridique établi en vertu des conventions signées depuis plusieurs années. La mise en œuvre de l’organisation des échanges internationaux prévue par ces accords a nécessité la création de diverses institutions qui ont joué un rôle important dans les échanges de la Belgique avec l’étranger. Aussi est-il indispensable de faire précéder l’analyse des mouvements du commerce extérieur d’un exposé sur le cadre juridique dans lequel se sont placées les opérations d’échange de la Belgique avec l’étranger et sur les institutions qu’ont fait naître les accords auxquels il a été fait allusion.

Durant la période sous revue, les moyens de transport raréfiés à la suite des hostilités, sont restés limités en raison de circonstances économiques. Toutefois, les adaptations successives du marché ont été relativement aisées. En conséquence, le trafic a subi des modifications profondes et diverses. Depuis le second semestre de 1945, les conditions tendent à se normaliser et les problèmes de structure reviennent en discussion.