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Expériences naturelles et causalité en histoire économique: Quels rapports à la théorie et à la temporalité ?

Published online by Cambridge University Press:  11 September 2018

Sacha Bourgeois-Gironde
Affiliation:
Université Paris 2 et Institut Jean Nicod
Éric Monnet
Affiliation:
Banque de France, École d’économie de Paris, Cepr

Résumé

Un courant récent et influent, porté principalement par des économistes, propose de renouveler l'analyse historique à partir des notions d'expérience naturelle et de causalité. Il a la double ambition d'unifier diverses disciplines autour d'une acception commune de la causalité afin de réinterroger des grandes questions historiques (comme le rôle de la colonisation, des régimes politiques ou de la religion dans le développement économique) et de rendre l'analyse de l'histoire plus scientifique. La définition de la causalité qu'il promeut – de type interventionniste – vise à traiter les événements historiques comme un protocole d'expérience de laboratoire. Celle-ci s'articule avec une perspective néo-institutionnaliste visant à mesurer les effets dans la longue durée de certains changements institutionnels passés, considérés comme exogènes. Dans un premier temps, cet article présente les ambitions, les apports, les méthodes et les hypothèses (implicites et explicites) de ce courant de recherche, avant de montrer comment il se différencie de l'histoire économique quantitative plus traditionnelle, et de le resituer dans le contexte des récents tournants empirique et néo-institutionnaliste de la discipline économique. Dans un second temps, cet article fait état des critiques – souvent virulentes – formulées par des historiens ou des économistes à l'encontre de cette méthode et de ses objectifs. Enfin, nous insistons sur les difficultés de cette approche à prendre en compte l'historicité des phénomènes, à produire des énoncés généraux à partir de cas particuliers, et à proposer une définition complète et cohérente de la causalité en histoire.

Abstract

A recent and influential research methodology, mainly endorsed by economists, proposes to renew historical analysis based on the notions of natural experiment and causality. It has the dual ambition of unifying various disciplines around a common understanding of causality in order to tackle major historical questions (such as the role of colonization, political regimes, or religion in economic development) and of making the analysis of history more scientific. The definition of causality it promotes—of the“interventionist”type—tends to liken historical events to laboratory experiments. This is articulated with a neoinstitutionalist perspective aimed at measuring the long-term effects of past institutional changes, which are considered as exogenous. In the first part of this article, we present the ambitions, contributions, methods, and hypotheses (implicit and explicit) of this approach, showing how it differs from more traditional quantitative economic history, and placing it in the context of the recent empirical and neonstitutionalist“turns”of the economic discipline. In a second stage, we consider the criticism—often scathing—voiced by historians or economists against this method and its objectives. Finally, we emphasize the many difficulties posed by this approach when it comes to taking into account the historicity of phenomena, to producing general statements based on particular cases, and to providing a complete and coherent definition of causality in history.

Type
Économie et expérience naturelle
Copyright
Copyright © Éditions de l'EHESS 

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Footnotes

*Une première version de ce texte avait été présentée lors des conférences « Les expériences de pensée » (Ens Ulm, 2014) et « Histoire et causalité » (Ehess, 2015). Nous tenons à remercier les organisateurs et les participants pour leurs nombreux commentaires et suggestions. Denis Cogneau, Sophie Cras, Claude Diebolt, Jacques Revel et Alain Trannoy ont fourni d'utiles remarques détaillées sur les versions précédentes. Les discussions avec Guillaume Calafat et François Keslair furent particulièrement précieuses. Nous demeurons seuls responsables des interprétations et des thèses ici défendues.

References

1 Maurice Lévy-Leboyer, « La ‘New Economic History’ », Annales ESC, 24-5, 1969, p. 1035-1069 ; Jean Heffer, « Une histoire scientifique. La nouvelle histoire économique », Annales ESC, 32-4, 1977, p. 824-842 ; Claudia Goldin, « Cliometrics and the Nobel », The Journal of Economic Perspectives, 9-2, 1995, p. 191-208. Plusieurs essais récents considèrent – avec un œil plus ou moins critique – le courant des expériences naturelles en histoire comme une continuation ou une possible relève de la new economic history, notamment Peter Temin, « The Rise and Fall of Economic History at Mit », History of Political Economy, 46-1, 2014, p. 337-350; Id., « Economic History and Economic Development: New Economic History in Retrospect and Prospect », in C. Diebolt et M. Haupert (dir.), Handbook of Cliometrics, Berlin, Springer, 2016, p. 33-51 ; Francesco Boldizzoni, The Poverty of Clio: Resurrecting Economic History, Princeton, Princeton University Press, 2011. Des débats animés ont eu lieu sur l'opportunité de qualifier de new economic history of Africa les nombreuses applications des expériences naturelles à l'histoire africaine. Pour une introduction à ces débats, voir Morten Jerven, « A Clash of Disciplines ? Economists and Historians Approaching the African Past », Economic History of Developing Regions, 26-2, 2011, p. 111-124 ; Denis Cogneau, « Histoire économique de l'Afrique. Renaissance ou trompe-l’œil ? », Annales HSS, 71-4, 2016, p. 879-896.

2 Ran Abramitzky, « Economics and the Modern Economic Historian », The Journal of Economic History, 75-4, 2015, p. 1240-1251, ici p. 1245-1247.

3 Jared Diamond et James A. Robinson (dir.), Natural Experiments of History, Cambridge, Belknap Press of Harvard University Press, 2010.

4 Randolph Roth, « Scientific History and Experimental History », The Journal of Interdisciplinary History, 43-3, 2013, p. 443-458.

5 Joel Mokyr, « Compte-rendu de Jared Diamond et James A. Robinson (dir.), Natural Experiments of History », The American Historical Review, 116-3, 2011, p. 752-755. J. Mokyr conclut en affirmant que cette approche – si elle revoit ses ambitions à la baisse – peut tout de même conduire à une meilleure utilisation de l'histoire comparative dans une perspective interdisciplinaire, comme y invitait Marc Bloch.

6 R. Abramitzky, « Economics… », art. cit.

7 Cela ne signifie évidemment pas que toute recherche qui repose sur ce type de causalité en économie s'inscrit nécessairement dans le paradigme néo-institutionnaliste. Cet article détaille les problèmes propres à l'application à l'histoire de telles méthodes qui s'appuient sur cette théorie sous-jacente des institutions et pourquoi ceux-ci diffèrent d'autres critiques à l'encontre de ce type de démarche causale appliquée à d'autres champs.

8 Jo Guldi et David Armitage, The History Manifesto, Cambridge, Cambridge University Press, 2014, p. 110 ; Dossier « La longue durée en débat », Annales HSS, 70-2, 2015, p. 289-318.

9 Michel De Vroey et Luca Pensieroso, « The Rise of a Mainstream in Economics », Ires Discussion Papers, 26, Université catholique de Louvain, Institut de recherches économiques et sociales, 2016, p. 2-27 ; Matthew T. Panhans et John D. Singleton, « The Empirical Economist's Toolkit: From Models to Methods », Working Paper, 3, Center for the History of Political Economy, 2015, p. 1-27.

10 Joshua D. Angrist et Alan B. Krueger, « Instrumental Variables and the Search for Identification: From Supply and Demand to Natural Experiments », The Journal of Economic Perspectives, 15-4, 2001, p. 69-85 ; Joshua D. Angrist et Jörn-Steffen Pischke, « The Credibility Revolution in Empirical Economics: How Better Research Design Is Taking the Con out of Econometrics », The Journal of Economic Perspectives, 24-2, 2010, p. 3-30. Pour une discussion de ces méthodes appliquées en sciences politiques, voir Allison J. Sovey et Donald P. Green, « Instrumental Variables Estimation in Political Science: A Readers’ Guide », American Journal of Political Science, 55-1, 2011, p. 188-200 ; Jasjeet S. Sekhon et Rocío Titiunik, « When Natural Experiments are neither Natural nor Experiments », American Political Science Review, 106-1, 2012, p. 35-57.

11 J. D. Angrist et J-S. Pischke, « The Credibility Revolution in Empirical Economics… », art. cit., p. 4.

12 J. Heffer, « Une histoire scientifique… », art. cit., p. 824-825.

13 R. Abramitzky, « Economics… », art. cit.

14 Dans le manifeste de J. D. Angrist et J.-S. Pischke, « The Credibility Revolution in Empirical Economics… », art. cit., les applications possibles de cette méthode à la macroéconomie sont ainsi essentiellement tirées de travaux utilisant les expériences naturelles en histoire économique.

15 Ce lien est notamment étudié par F. Boldizzoni, The Poverty of Clio…, op. cit.

16 Daron Acemoglu et James A. Robinson, Why Nations Fail: The Origins of Power, Prosperity, and Poverty, New York, Crown Business, 2013, distinguent deux types d'institution, les « extractives » ou les « inclusives », qui s'observent à des périodes et dans des régions différentes.

17 Pour une introduction très complète à la méthode néo-institutionnaliste et à son application en histoire économique, voir Avner Greif, Institutions and the Path to the Modern Economy: Lessons from Medieval Trade, Cambridge, Cambridge University Press, 2006, et la présentation critique de Robert Boyer, « Historiens et économistes face à l’émergence des institutions du marché », Annales HSS, 64-3, 2009, p. 665-693. Voir aussi Guillaume Calafat, « Familles, réseaux et confiance dans l’économie de l’époque moderne. Diasporas marchandes et commerce interculturel », Annales HSS, 66-2, 2011, p. 513-531 ; D. Acemoglu et J. A. Robinson, Why Nations Fail…, op. cit., présentent leur conception néo-institutionnaliste ainsi que la distinction entre institutions extractives et inclusives, qui reprend en fait celle opérée par Douglass North dans ses derniers travaux, en particulier Douglass C. North, John Joseph Wallis et Barry R. Weingast, Violence and Social Orders: A Conceptual Framework for Interpreting Recorded Human History, Cambridge, Cambridge University Press, 2009. Pour une discussion critique de la filiation entre ces auteurs et de leurs références, voir Martin Daunton, « Rationality and Institutions: Reflections on Douglass North », Structural Change and Economic Dynamics, 21-2, 2010, p. 147-156.

18 Techniquement, l'exogénéité est garantie lorsque la variable explicative d'un modèle économétrique n'est pas corrélée avec le terme d'erreur (les résidus). En plus des deux conditions énoncées ci-dessus, des erreurs de mesure d'une variable explicative peuvent aussi créer une corrélation avec les résidus.

19 L'expérience est dite « contrôlée » lorsque le chercheur demeure à l'initiative de l'intervention et du protocole. C'est le cas quand on compare par exemple un groupe d’élèves qui a bénéficié d'une réforme de l'enseignement à un autre groupe d’élèves qui n'en a pas bénéficié.

20 J. D. Angrist et J.-S. Pischke, « The Credibility Revolution in Empirical Economics… », art. cit.

21 Ibid. ; Mark R. Rosenzweig et Kenneth I. Wolpin, « Natural ‘Natural Experiments’ in Economics », Journal of Economic Literature, 38-4, 2000, p. 827-874. Pour une discussion épistémologique des variables instrumentales, voir Julian Reiss, « Causal Instrumental Variables and Interventions », Philosophy of Science, 72-5, 2005, p. 964-976.

22 J. D. Angrist et J.-S. Pischke, « The Credibility Revolution in Empirical Economics… », art. cit.

23 Il va sans dire que le contrôle total des paramètres extérieurs est rarement possible, même lors d'expériences dites « aléatoires et contrôlées ». Agnès Labrousse, « Apprendre des expérimentations aléatoires. Promesse de scientificité, complications pratiques, expériences historiques », La vie des idées, 2016, http://www.laviedesidees.fr/Apprendre-des-experimentations-aleatoires.html ; Angus Deaton et Nancy Cartwright, « Understanding and Misunderstanding Randomized Controlled Trials », NBER Working Paper 22595, National Bureau of Economic Research, 2016. L’économie expérimentale a largement recours à des expériences en laboratoire avec des individus pour tester des théories économiques sur les comportements, mais paradoxalement elle ne fait que très peu usage de la notion de causalité employée par l’économie appliquée qui étudie les mesures de politique économique hors du laboratoire. Les sources de la référence à l'idéal de l'expérience de laboratoire demeurent un sujet à approfondir. Nous nous contentons ici d'analyser les présupposés de la définition de la causalité associée à la référence au laboratoire.

24 J. Diamond et J. A. Robinson (dir.), Natural Experiments…, op. cit., p. 2.

25 Ibid., p. 1.

26 Adopter une conception temporelle de la causalité (la cause précède l'effet) ne signifie pas que la temporalité (la succession des événements et de toute la chaîne de cause à effet) puisse être pleinement prise en compte par les chercheurs. Voir infra, p. 1104-1116.

27 Pour une analyse plus approfondie de ce postulat d'asymétrie temporelle des causes et des effets, ainsi que sur la possibilité conceptuelle de la causalité inversée, voir Sacha Bourgeois-Gironde, Temps et causalité, Paris, Puf, 2002.

28 L'exemple paradigmatique est la détermination des prix dans le modèle néoclassique.

29 Voir en particulier, pour une version très aboutie, James Woodward, Making Things Happen: A Theory of Causal Explanation, Oxford, Oxford University Press, 2005. Pour une discussion de la technique des variables instrumentales dans ce cadre, voir J. Reiss, « Causal Instrumental Variables… », art. cit.

30 Judea Pearl, « Causal Inference », in I. Guyon, D. Janzing et B. Schölkopf (dir.), « Causality: Objectives and Assessment », Proceedings of Machine Learning Research, 6, 2010, p. 39-58.

31 Cela apparaît dans les articles discutés ici, notamment dans les citations de J. D. Angrist et J.-S. Pischke (design-based studies) et de D. Acemoglu et al. (designed institutional change). Plus généralement, la notion de « research design » est commune pour décrire les méthodes de l’économie appliquée et celle d’« institutional design » est récurrente chez les néo-institutionnalistes.

32 J. Diamond et J. A. Robinson (dir.), Natural Experiments…, op. cit., p. 271-274.

33 Nancy Cartwright, « Are RCTs the Gold Standard ? », BioSocieties, 2-1, 2007, p. 11-20 ; A. Deaton et N. Cartwright, « Understanding and Misunderstanding Randomized Controlled Trials », art. cit.

34 François Simiand, « Méthode historique et science sociale. Étude critique d'après les ouvrages récents de M. Lacombe et de M. Seignobos », Revue de synthèse historique, 16, 1903, p. 1-22 ; Id., « La causalité en histoire », Bulletin de la Société française de philosophie, 6, 1906, p. 245-290. Sur le contexte et les débats suscités par la position de F. Simiand sur la causalité, voir Jacques Revel, « Histoire et sciences sociales. Lectures d'un débat français autour de 1900 », Mil neuf cent. Revue d'histoire intellectuelle, 25-1, 2007, p. 101-126.

35 J. Diamond et J. A. Robinson (dir.), Natural Experiments…, op. cit., p. 271-274. Dès l'introduction, les auteurs affirment toutefois qu'ils considèrent comme similaires les « expériences naturelles » et la « méthode comparative », mais celles-ci sont définies uniquement en référence à l'expérience de laboratoire et non à d'autres stratégies comparatives en histoire.

36 Ibid., le statut de la généralisation, du rapport à la théorie, et donc de ce que peuvent être des lois, est si peu défini qu'on ignore, par exemple, si les auteurs iraient jusqu’à conclure qu'il existe des « lois de l'histoire » que l'analyse causale viserait à dévoiler.

37 Daron Acemoglu et al., « From Ancien Régime to Capitalism: The French Revolution as a Natural Experiment », in J. Diamond et J. A. Robinson (dir.), Natural Experiments…, op. cit., p. 221-256 ; Daron Acemoglu et al., « The Consequences of Radical Reform: The French Revolution », The American Economic Review, 101-7, 2011, p. 3286-3307.

38 D. Acemoglu et al., « From Ancien Régime to Capitalism… », art. cit., p. 249-250.

39 D. Acemoglu et al., « The Consequences of Radical Reform… », art. cit., p. 3303.

40 Daron Acemoglu, « Oligarchic versus Democratic Societies », Journal of the European Economic Association, 6-1, 2008, p. 1-44.

41 Sur l'application de méthodes et de raisonnements similaires dans d'autres contextes, voir Daron Acemoglu, Tarek A. Hassan et James A. Robinson, « Social Structure and Development: A Legacy of the Holocaust in Russia », The Quarterly Journal of Economics, 126-2, 2010, p. 895-946 ; Sara Lowes et al., « The Evolution of Culture and Institutions: Evidence from the Kuba Kingdom », Econometrica, 85-4, 2017, p. 1065-1091. Dans ces deux cas, c'est également la théorie institutionnaliste qui fait le lien entre actions, règles et comportements humains et qui permet d'interpréter comme causale une corrélation entre deux observations réalisées à plusieurs siècles d'intervalle.

42 Réka Juhász, « Temporary Protection and Technology Adoption: Evidence from the Napoleonic Blockade », Centre for Economic Performance Discussion Papers 1322, London School of Economics, 2014 ; Peter Koudijs, « The Boats That Did Not Sail: Asset Price Volatility in a Natural Experiment », The Journal of Finance, 71-3, 2016, p. 1185-1226. Notons tout de même que la critique énoncée dans la dernière partie de notre article – infra, p. 1104-1114 – s'applique aussi à ce type de travaux.

43 Daniel M. Hausman (dir.), The Philosophy of Economics: An Anthology, Cambridge, Cambridge University Press, [1984] 1994 ; Julian Reiss, Error in Economics: Towards a More Evidence-Based Methodology, Londres, Routledge, [2008] 2016.

44 Pensons par exemple à ces deux articles célèbres : Rajnish Mehra et Edward C. Prescott, « The Equity Premium: A Puzzle », Journal of Monetary Economics, 15-2, 1985, p. 145-161 ; Karl E. Case et Robert J. Shiller, « The Efficiency of the Market for Single-Family Homes », The American Economic Review, 79-1, 1989, p. 125-137.

45 Outre les textes de J. Diamond et J. Robinson déjà cités et de D. Acemoglu et J. A. Robinson, Why Nations Fail…, op. cit., les articles suivants sont particulièrement clairs sur ce point : Nathan Nunn, « The Importance of History for Economic Development », Annual Review of Economics, 1-1, 2009, p. 65-92 ; James Fenske, « The Causal History of Africa: A Response to Hopkins », Economic History of Developing Regions, 25-2, 2010, p. 177-212.

46 Daron Acemoglu, Simon Johnson et James A. Robinson, « The Colonial Origins of Comparative Development: An Empirical Investigation », The American Economic Review, 91-5, 2001, p. 1369-1401 ; Id., « Reversal of Fortune: Geography and Institutions in The Making of the Modern World Income Distribution », The Quarterly Journal of Economics, 117-4, 2002, p. 1231-1294.

47 Gareth Austin, « The ‘Reversal of Fortune’ Thesis and the Compression of History: Perspectives from African and Comparative Economic History », Journal of International Development, 20-8, 2008, p. 996-1027 ; Antony G. Hopkins, « The New Economic History of Africa », The Journal of African History, 50-2, 2009, p. 155-177 ; Id., « Causes and Confusions in African History », Economic History of Developing Regions, 26-2, 2011, p. 107-110 ; M. Jerven, « A Clash of Disciplines… », art. cit.

48 Pour une revue de littérature récente de ces travaux, voir Sascha O. Becker, Steven Pfaff et Jared Rubin, « Causes and Consequences of the Protestant Reformation », Explorations in Economic History, 62-3, 2016, p. 1-25. Les auteurs mettent en avant les caractéristiques principales de ce nouveau champ de recherche : identification de la causalité à partir de procédures économétriques et estimations des effets de long terme dans une perspective institutionnaliste. Une exception concerne le « test » de la relation établie par M. Weber entre éthique protestante et développement : Davide Cantoni, « The Economic Effects of the Protestant Reformation: Testing the Weber Hypothesis in the German Lands », Journal of the European Economic Association, 13-4, 2015, p. 561-598. L'auteur ne trouve pas d'effet positif sur la croissance économique lorsqu'une région est devenue protestante et en conclut que la théorie de M. Weber est invalidée. Alors que l'article n’évalue, stricto sensu, que le lien entre les conséquences différenciées de la paix d'Augsbourg (présentée comme la source d'une expérience naturelle) et la croissance de la population de certaines villes allemandes, l'ambition initiale de généralisation incite l'auteur à continuer à présenter son travail comme le test économétrique d'une grande théorie, tout en devant à la fin revoir à la baisse cette ambition.

49 Max Weber, The Protestant Ethic and the Spirit of Capitalism, trad. par T. Parsons, Londres, Routledge, [1906] 2005, p. 123-124. À notre connaissance, cette remarque cruciale de M. Weber ne semble pas avoir reçu d’écho dans les études économiques sur le lien de long terme entre religion protestante et croissance économique.

50 A. Greif, Institutions…, op. cit. ; Robert D. Putnam, Making Democracy Work: Civic Traditions in Modern Italy, Princeton, Princeton University Press, 1993. Pour une introduction sur la manière dont les économistes se sont appropriés ces deux écoles de pensée, voir Guido Tabellini, « Presidential Address Institutions and Culture », Journal of the European Economic Association, 6‐3, 2008, p. 255-294. Pour une critique de l'utilisation des travaux de R. Putnam par les économistes et du déterminisme historique qui en découle, voir Nicolas Delalande, « Une histoire de la confiance est-elle possible ? Remarques sur l'imaginaire historique de deux économistes », La vie des idées, 2008, http://www.laviedesidees.fr/Une-histoire-de-la-confiance-est.html.

51 Notre démarche rejoint ici celle de Quentin Deluermoz et Pierre Singaravélou, Pour une histoire des possibles, Paris, Éd. du Seuil, 2016, p. 219, qui invitent à s'interroger sur les usages politiques des contrefactuels en histoire et critiquent les prétentions à la scientificité de conceptions mécanistes de la causalité qui n'appliquent pas le raisonnement contrefactuel pour « remettre en question leur cadre d'analyse ».

52 Outre les références citées plus bas, voir F. Boldizzoni, The Poverty of Clio…, op. cit.

53 M. R. Rosenzweig et K. I. Wolpin, « Natural ‘Natural Experiments’… », art. cit. ; N. Cartwright, « Are RCTs the Gold Standard ? », art. cit. ; A. Deaton et N. Cartwright, « Understanding and Misunderstanding Randomized Controlled Trials », art. cit. ; J. S. Sekhon et R. Titiunik, « When Natural Experiments… », art. cit.

54 Dans le domaine des politiques publiques, il est également peu souhaitable, voire dangereux, de conditionner la mise en œuvre de politiques à leur possibilité d’évaluation par des méthodes statistiques. Stephen T. Ziliak et Deirdre N. McCloskey, The Cult of Statistical Significance: How the Standard Error Costs Us Jobs, Justice, and Lives, Ann Harbor, University of Michigan Press, 2008.

55 Naomi Lamoreaux, « The Future of Economic History Must Be Interdisciplinary », The Journal of Economic History, 75-4, 2015, p. 1251-1257, ici p. 1255. L'auteure mentionne explicitement les travaux de N. Nunn sur l'histoire africaine cités infra, n. 64.

56 Cette critique pouvait déjà s'appliquer aux tentatives des économistes d'utiliser des outils statistiques et théoriques pour étudier l'histoire, y compris donc à la première génération de new economic historians. Toutefois, N. Lamoreaux a raison de dire que, au fil du temps, une partie des économistes historiens a pu abandonner ou ajuster ses présupposés néoclassiques et articuler la démarche quantitative à des approches plus contextuelles. Clément Dherbécourt et Éric Monnet, « Les angles morts de The Poverty of Clio », Tracés, 16, 2016, p. 137-150.

57 Witold Kula, « Histoire et économie. La longue durée », Annales ESC, 15-2, 1960, p. 294-313 ; Jean-Yves Grenier et Bernard Lepetit, « L'expérience historique. À propos de C.-E. Labrousse », Annales ESC, 44-6, 1989, p. 1337-1360; Claire Lemercier, « Une histoire sans sciences sociales ? », Annales HSS, 70-2, 2015, p. 345-357.

58 Nathan Nunn et Nancy Qian, « The Potato's Contribution to Population and Urbanization: Evidence from an Historical Experiment », The Quarterly Journal of Economics, 126-2, 2011, p. 593-650.

59 Voir la critique des données de population utilisées comme proxy de la croissance économique en Afrique par A. G. Hopkins, « The New Economic History… », art. cit.

60 Rafael La Porta et al., « Law and Finance », Journal of Political Economy, 106-6, 1998, p. 1113-1155.

61 Claire Lemercier, « Napoléon contre la croissance ? À propos de droit, d’économie et d'histoire », La vie des idées, 2008, http://www.laviedesidees.fr/Napoleon-contre-la-croissance.html ; Jérôme Sgard, « Do Legal Origins Matter ? The Case of Bankruptcy Laws in Europe, 1808-1914 », European Review of Economic History, 10-3, 2006, p. 389-419 ; Aldo Musacchio et John D. Turner, « Does the Law and Finance Hypothesis Pass the Test of History ? », Business History, 55-4, 2013, p. 524-542.

62 Dossier « Économie de l'Afrique contemporaine », Annales HSS, 71-4, 2016, p. 841-921 ; M. Jerven, « A Clash of Disciplines… », art. cit ; Denis Cogneau et Yannick Dupraz, « Institutions historiques et développement économique en Afrique », Histoire et mesure, 30-1, 2015, p. 103-134.

63 G. Austin, « The ‘Reversal of Fortune’… », art. cit.

64 Nathan Nunn, « The Long-Term Effects of Africa's Slave Trades », The Quarterly Journal of Economics, 123-1, 2008, p. 139-176. Voir aussi Nathan Nunn et Leonard Wantchekon, « The Slave Trade and the Origins of Mistrust in Africa », The American Economic Review, 101-7, 2011, p. 3221-3252.

65 Ewout Frankema et Marlous van Waijenburg, « Structural Impediments to African Growth ? New Evidence from Real Wages in British Africa, 1880-1965 », Centre for Global Economic History Working Paper 24, 2011.

66 Edward E. Leamer, « Tantalus on the Road to Asymptopia », The Journal of Economic Perspectives, 24-2, 2010, p. 31-46, ici p. 44.

67 Christopher A. Sims, « But Economics Is Not an Experimental Science », The Journal of Economic Perspectives, 24-2, 2010, p. 59-68, ici p. 59.

68 Nous ne pouvons développer ici l'ensemble des conceptions alternatives de la causalité développées en macroéconomie. Nous en citerons trois – tout en signalant qu'aucune n'est dénuée de problèmes ou supérieure. Une définition probabiliste de la causalité (dite « au sens de Granger ») repose sur des postulats beaucoup moins forts que la causalité de type interventionniste et affirme simplement que A cause B lorsque A précède chronologiquement B et que les variations de A permettent de prévoir (en partie) celles de B. Une autre démarche courante en macroéconomie consiste à estimer un modèle stylisé de l’économie puis de simuler des chocs exogènes dans ce modèle, en discutant ensuite comment ces chocs peuvent correspondre à des variations observées réellement. La causalité est de type interventionniste et structurel car toutes les interactions résultant du choc exogène sont modélisées. Une troisième, plus proche d'une théorie processuelle, consiste plus simplement à documenter des évolutions statistiques communes, des régularités, et à les étudier au regard de développements historiques généraux.

69 Wesley C. Salmon, Causality and Explanation, Oxford, Oxford University Press, 1998 ; Phil Dowe, « Process Causality and Asymmetry », Erkenntnis, 37-2, 1992, p. 179-196.

70 Phil Dowe, « On the Reduction of Process Causality to Statistical Relations », The British Journal for the Philosophy of Science, 44-2, 1993, p. 325-327.

71 Sur l'analogie entre modèles et expériences de pensée, voir Mary S. Morgan, The World in the Model: How Economists Work and Think, Cambridge, Cambridge University Press, 2012. Cette analogie est par ailleurs assez fréquemment employée par les économistes eux-mêmes : E. E. Leamer, « Tantalus on the Road to Asymptopia », art. cit, p. 44.

72 Puisque ce sont des modèles d’équilibre partiel et non des modèles d’équilibre général. Voir le test d'un modèle standard d’économie du crime faisant usage d'un changement exogène dans la probabilité que la faute soit identifiée : Steven D. Levitt, « Testing the Economic Model of Crime: The National Hockey League's Two-Referee Experiment », Contributions to Economic Analysis and Policy, 1-1, 2002, p. 1-21.

73 D. Hume défendait l'idée que la balance des paiements allait toujours s’équilibrer en raison du lien entre la masse monétaire, les prix et le commerce. Construisant un modèle qui lie ces variables entre elles, il imaginait l'expérience de pensée suivante : « Supposez que les quatre cinquièmes de toutes les espèces monnayées de la Grande-Bretagne disparaissent en une nuit et que la nation n'en possède plus que la même quantité qui y était sous les règnes des Henri et des Edouard : quelle serait la conséquence ? » Une fois l'expérience de pensée utilisée pour isoler et caractériser les mécanismes théoriques à l’œuvre, D. Hume explique alors pourquoi ce qu'il a supposé ne peut arriver dans la réalité : « Or il est évident que les mêmes causes qui corrigeraient ces inégalités extrêmes [hausse ou baisse exogène de la quantité de monnaie], si par miracle elles se produisaient, doivent aussi prévenir leur apparition dans le cours ordinaire de la nature. » David Hume, Essais et traités sur plusieurs sujets, vol. 2, Essais moraux, politiques et littéraires, trad. par M. Malherbe, Paris, J. Vrin, [1752] 2009, p. 87-88.

74 François R. Velde, « Chronicle of a Deflation Unforetold », Journal of Political Economy, 117-4, 2009, p. 591-634, a étudié les effets de la réduction arbitraire de la masse monétaire en France en 1724, événement qui pourrait apparemment correspondre à la réalisation de l'expérience de pensée de D. Hume. Mais il se refuse à parler d'expérience naturelle car, dans le contexte de la France du xviiie siècle, le pouvoir était coutumier de ce type de décision et les acteurs économiques le prenaient en compte.

75 Judea Pearl, Causality: Models, Reasoning, and Inference, Cambridge, Cambridge University Press, 2009. Dans sa relation à l’économétrie, la conception de la causalité de J. Pearl se fonde sur les travaux anciens de Trygve Haavelmo. Elle vise en particulier à effectuer une distinction claire entre une condition et une cause, la seconde reposant sur l'action de fixer un paramètre dans le modèle (et donc de l'exogénéiser par rapport à un ensemble d’équations). La condition, au contraire, est un concept purement statistique. L'approche de J. Pearl rappelle que ce que le statisticien ou l’économètre estime n'est toujours qu'une relation statistique et donc une condition. Pour parler de causalité, il est nécessaire de poser une hypothèse supplémentaire en décrivant pourquoi l'on considère que la variable est « fixée ». Pour une critique par J. Pearl lui-même de la confusion entretenue par les économistes sur le traitement statistique de la causalité, voir Bryant Chen et Judea Pearl, « Regression and Causation: A Critical Examination of Six Econometrics Textbooks », Real-World Economics Review, 65, 2013, p. 2-20.

76 John Leslie Mackie, « Causes and Conditions », American Philosophical Quarterly, 2-4, 1965, p. 245-264. Inus est le terme consacré dans la littérature internationale pour désigner la définition que donne J. Mackie de la causalité : Insufficient but Non-redundant parts of a condition which is itself Unnecessary but Sufficient, c'est-à-dire les parties elles-mêmes insuffisantes, mais non redondantes avec d'autres parties, d'une condition causale qui est elle-même non nécessaire mais suffisante pour l'occurrence d'un effet.

77 Benoît Rihoux et Charles C. Ragin (dir.), Configurational Comparative Methods: Qualitative Comparative Analysis (QCA) and Related Techniques, Thousand Oaks, Sage Publications, 2008. Nous sommes fortement redevables à l'un des commentateurs de la version soumise de notre article de nous avoir suggéré que les analyses de C. Ragin permettaient d'imaginer des solutions alternatives au type de causalité envisagé par les tenants des expériences naturelles.

78 Dans sa critique, J. Mokyr, « Compte-rendu… », art. cit., p. 274, rappelle que les institutions « progressistes » ont pu être adoptées sans conquête française et que, au contraire, en Espagne, il n'y a pas eu de réformes en dépit de l'invasion française.

79 Julian Reiss, « Causation in the Social Sciences: Evidence, Inference, and Purpose », Philosophy of the Social Sciences, 39-1, 2009, p. 20-40, explique que la méthode des expériences naturelles repose sur une conception « interventionniste » de la causalité.

80 Nous renvoyons ici aux références mentionnées en introduction, n. 1.

81 C'est sans doute le cas d'une partie des travaux sur les effets du protestantisme.

82 C. Lemercier, « Une histoire sans sciences sociales ? », art. cit.