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La démonstration de la primauté métaphysique du cogito1

Published online by Cambridge University Press:  13 April 2010

Georges J. D. Moyal
Affiliation:
Collége universitaire Glendon/Université York

Abstract

That the cogito is the first truth discovered amidst the universal doubt achieved in Descartes' Meditation I is not what ensures its primacy as a metaphysical principle, i.e., its epistemic priority over scientific knowledge. This primacy depends rather on two conditions which Descartes sets forth in a letter to Clerselier. Meditation II contains the demonstration of the cogito's conformity to each of these conditions, and hence of its primacy over knowledge of nature. It seems, however, that the cogito enjoys this primacy over truths of mathematics and of metaphysics (including the principle of non-contradiction) as well.

Type
Articles
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References

Notes

2 C'est bien ego sum, et non cogito ergo sum, qui incarne le premier principe de la métaphysique cartésienne. Nous en donnons les raisons plus loin (n. 11). Nous suivons néanmoins, pour sa commodité, l'usage courant qui le substantive en le désignant du nom de cogito.

3 Elle est d'autant plus compréhensible que Descartes contribue lui-même en large mesure à la propager. La quatrième partie du Discours contient en effet ce texte que l'on aurait pourtant bien du mal à taxer d'ambiguïté ou d'équivoque : «Mais, aussitôt après, je pris garde que, pendant que je voulais ainsi penser que tout était faux, il fallait nécessairement que moi, qui le pensais, fusse quelque chose. Et remarquant que cette vérité :je pense, donc je suis, était si ferme et si assurée, que toutes les plus extravagantes suppositions des sceptiques n'étaient pas capables de l'ébranler, je jugeai que je pouvais la recevoir, sans scrupule, pour le premier principe de la Philosophie, que je cherchais» (AT VI, 32). Les Méditations ne sont d'ailleurs pas tout à fait innocents non plus de ce qui est ici relevé dans le Discours. La référence á Archimède, précédant immédiatement la première apparition du cogito et l'anonçcant, annonce aussi ce qu'on pourrait attendre éventuellement d'une première certitude : elle suffirait pour qu'une bonne partie du reste de nos connaissances suive (AT VII, 24; IX–1,19). Or, nous allons le voir, la suite dément on ne peut plus catégoriquement l'impression que laisse aussi bien ce passage de la Seconde Méditation que le texte du Discours. (Ce dernier s'explique peutêtre par le fait que Descartes, s'adressant à des hommes de science, aurait omis de la quatrième partie du Discours tout ce qui dans sa métaphysique ne se rapporterait pas directement aux sciences proprement dites, et en particulier aux découvertes qu'il leur propose comme le fruit de sa méthode, pour ne leur présenter, en gros, que les fondements de la certitude en science et leur démontrer ainsi qu'une telle certitude est possible et réalisable. L'espérance de certitude dans les sciences n'est-elle pas justement l'essentiel du propos du Discours?)

4 Ce dont Locke donnera plus tard l'imparable démonstration dans sa polémique contre l'innéisme des Platoniciens de Cambridge. Cf. Essay Concerning Human Understanding, livre I, chap. 2, §18.

5 Juin ou juillet 1646, AT IV, 444.

6 Deux cas sont à envisager ici: celui du rapport entre le cogito et les deux autres principes métaphysiques. et celui du rapport entre le cogito et les premières vérités de physique :

a) II se peut que par premier principe, Descartes ne désigne ici que le cogito, ce que peut suggérer la fin du même passage de cette lettre : «[…] c'est avec très grande utilité qu'on commence à s'assurer de l'existence de Dieu, et ensuite de celle de toutes les créatures, par la consideration de sa propre existence» (AT IV, 445). Pourtant, hormis le fait que c'est a partir de l'idée de Dieu qu'il trouve en lui-même que Descartes démontre l'existence de Dieu, on ne saurait identifier de lien matériel entre le cogito et l'existence de Dieu; on ne saurait dire en tout cas que l'une se déduise de l'autre. II en va de même pour le troisième principe métaphysique. D'ailleurs, comment ces deux principes demeureraient-ils tels s'ils étaient déduits de quoi que ce soit ? Dans les Secondes Réponses, en effet, Descartes se sert aussi du mot d'axiome pour désigner aussi bien le cogito que l'affirmation de l'existence de Dieu (AT VII, 140; IX–1, 110).

b) Quant au second rapport, on voit mal aussi comment les trois lois fondamentales de la physique cartésienne pourraient se déduire, au sens ordinaire du terme, du cogito ou même du cogito joint aux deux autres principes métaphysiques. Ces lois ne sont admises qu'à la faveur de leur clarté et distinction, elles-mêmes garanties par Dieu. Le cogito n'aura servi que de modèle à toute connaissance ultérieure, puisqu'il constitue le paradigme dont Descartes extrait, au début de la Troisième Méditation, ces critéres de toute vérité.

7 On en trouve un exemple remarquable de simplicité dans Taton, René, La Science antique et médiévale, PUF, coll. «Quadrige», Paris, 1994, p. 188.Google Scholar

8 En effet, cette premiere condition nous est donnée a priori. Nous savons que l'enjeu des Méditations est la recherche de la forme de toute connaissance, c'est-à-dire des conditions individuellement nécessaires et conjointement suffisantes de sa possibilité. Ces conditions en sont les principes premiers. Les Méditations en identifient trois : le cogito, l'existence d'un Dieu non trompeur et celle des choses corporelles. Le cogito, pris séparément, doit par conséquent être condition nécessaire de toute connaissance.

9 Cf. n. 6 a), ci-dessus, ainsi que la section 6, 3e paragraphe, ci-dessous.

10 AT VII, 33; IX–1, 25–26; c'est nous qui soulignons.

11 On pourrait objecter ici deux choses : la première serait que l'apparition du cogito au début de la Seconde Méditation, au cœur même du doute universel, montre bien que le cogito est inconditionné et qu'il n'y a pas lieu de chercher une preuve de la chose : nous aurons l'occasion de revenir sur ce point (cf. §6 ci-dessous). On pourrait objecter ensuite, et à l'inverse, que Je suis est conditionné par Je pense. À cela, la réponse qui s'impose est que Je suis n'est conditionné ni par une affirmation ni, a fortiori, par une connaissance, mais par un acte : celui de le dire ou de le penser. Le texte est on ne peut plus clair à cet égard : «[…] cette proposition : Je suis, j'existe, est nécessairement vraie toutes les fois que je la prononce ou que je la conçois en mon esprit» (AT VII, 25; IX–1, 19). Et à ce titre, Je suis demeure indépendant de toute autre connaissance ou vérité.

12 AT VII, 27–28; IX–1, 21–22; c'est nous qui soulignons.

13 La Sixième Méditation établira en effet que la faculté passive qu'est la sensation nécessite une faculté active correspondante dans les choses corporelles, lesquelles doivent done être, sans quoi Dieu serait trompeur.

14 On pourrait nous opposer ici qu'il est d'autres connaissances métaphysiques que les trois principes en question : celles que nous avons des degrés de réalité de la cause et de l'effet (dans la Troisième Méditation), par exemple. À supposer qu'il en soit ainsi, il demeurerait que ces autres connaissances n'auront jamais servi qu'à découvrir l'un ou l'autre des deux autres principes, mais non pas le cogito. Du moment que la connaissance de mon existence n'est pas conditionnée par ces derniers, elle ne l'est pas non plus par ce qui aura servi à les trouver.

15 Cette question nous a été posée par notre ancien maître, Monsieur André Gombay, à qui nous exprimons ici toute notre gratitude pour avoir accepté de lire la version antérieure de ce travail («The Investiture of Ego Sum as a Metaphysical Principle») et de nous faire part de ses observations.

16 «[…] l'arithmétique, la géométrie, et les autres sciences de cette nature, […] ne traitent que de choses fort simples et fort générales, sans se mettre beaucoup en peine si elles sont dans la nature, ou si elles n'y sont pas» (AT VII, 20; IX–1, 16).

17 Sur le caractère non formel du cogito, voir §6, ci-dessous.

18 Lettre à Clerselier de juin ou juillet 1646 (AT IV, 444).

19 En effet, Descartes, faisant état de l'impossibilité «que quelque jour il soit vrai que je n'aie jamais été, étant vrai maintenant que je suis» (AT VII, 36; IX–1, 28), l'assujettit, avec les vérités de mathématiques, à «la souveraine puissance d'un Dieu» à qui il serait «facile, s'il le veut, de faire en sorte que je m'abuse». Or, pour que cette impossibility soit l'effet d'une tromperie, il faudrait que pardevers cette souveraine puissance, les propositions X existait au moment t et X n'existait pas au moment t soient simultanement vraies.

20 «Pour la difficulté de concevoir, comment il a été libre et indifférent à Dieu de faire en sorte qu'il ne fût pas vrai […], que les contradictoires ne peuvent être ensemble, on la peut aisément ôter, en considérant que la puissance de Dieu ne peut avoir aucunes bornes; puis aussi en considérant que notre esprit est fini, et créé de telle nature, qu'il peut concevoir comme possibles les choses que Dieu a voulu véritablement être possibles, mais non pas de telle, qu'il puisse aussi concevoir comme possibles celles que Dieu aurait pu rendre possibles, mais qu'il a toutefois voulu rendre impossibles. Car la première considération nous fait connaître que Dieu ne peut avoir été déterminé à faire qu'il fut vrai, que les contradictoires ne peuvent être ensemble, et que, par conséquent, il a pu faire le contraire.» (AT IV, 118; voir aussi AT I, 146; AT V, 223–224 et 272).

21 Entretien avec Burman, AT V, 147. Voir aussi ibid., 150–151.

22 Cette dernière remarque ne devrait pas surprendre : le cas de l'existence d'un Dieu verace lui est parallèle. En effet, dans l'ordre des choses, l'existence de Dieu est condition nécessaire de la mienne et la précède; dans l'ordre des connaissances ou des découvertes, c'est l'inverse qui est vrai. Il est done tout à fait possible que, de même, le principe de non-contradiction determine mes énoncés et en assure l'intelligibilité avant que j'en aie pris connaissance. Rien d'extraordinaire à cela, d'ailleurs, puisque c'est justement la découverte de tells incontournables que vise le projet cartésien : ils sont done la et lè précédent (cf. n. 27, ci-dessous, et le texte auquel elle renvoie).

23 Elle ne le serait pas, en tout êtat de cause, puisque, outre son caractère inconditionné, il faudrait encore pouvoir établir que le cogito remplit l'autre function qui lui est imposée : être condition nécessaire de toute connaissance; ce qui ne s'accomplit qu'à la faveur de l'expérience faite avec le morceau de cire.

24 La deuxième preuve de l'existence de Dieu part de la question de savoir «si moi-même, qui ai cette idée de Dieu, je pourrais être, en cas qu'il n'y eût point de Dieu» (AT VII, 47–48; IX–1, 38). Descartes écrit par ailleurs : «il faut considérer qu'il [Dieu] est un esprit, ou une chose qui pense, en quoi la nature de notre âme ayant quelque ressemblance avec la sienne, nous venons à nous persuader qu'elle est une émanation de sa souveraine intelligence, et divince quasi particula aura [et presque une parcelle du souffle divin]» (lettre à Chanut, 1er février 1647; AT IV, 608).

25 La proposition Je suis est nécessairement vraie même pour une machine pouvant la «prononcer». On ne saurait cependant attendre de cette dernière qu'elle en vienne à découvrir Dieu.

26 Seconde Méditation, AT VII, 25; IX-1, 19–20.

27 AT VII, 27–28; IX-1, 21. Répondant aux Secondes Objections, Descartes fait savoir que par ces paroles, «j'ai voulu expressément avertir le lecteur, que je ne cherchais pas encore en ce lieu-là si l'esprit était différent du corps» (AT VII, 129; IX–1, 102). Ajoutons à cela que la preuve de la distinction réelle de l'âme et du corps ne survient qu'à la Sixième Méditation.