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Une Allemagne, deux sociétés distinctes: les causes et conséquences culturelles de la réunification*

Published online by Cambridge University Press:  10 November 2009

Laurence H. McFalls
Affiliation:
Université de Montréal

Abstract

This article proposes a political culture explanation of the collapse of Communism in the GDR and of the current crisis of democracy in reunited Germany. Based on the qualitative and quantitative analysis of an original survey, it argues that the erosion of values that had stabilized East German society motivated the popular revolution of 1989. The conflict of surviving distinct values with those of the West has poisoned the socio-political climate in Germany and contributed to the rise of xenophobia. A constitutional debate accompanying reunification might have mitigated this conflict and the present crisis.

Résumé

Cet article propose une explication politico-culturelle de l'effondrement du communisme en RDA et de la crise actuelle de la démocratie dans l'Allemagne réunifiée. Se basant sur l'analyse qualitative et quantitative d'un sondage original, il affirme que l'érosion des valeurs qui avaient stabilisé la société est-allemande a motivé la révolution populaire de 1989. Le conflit des valeurs distinctes survivantes avec celles de l'Ouest a empoisonné le climat socio-politique allemand et contribué à la montée de la xénophobie. Un débat constitutionnel accompagnant l'unification aurait pu mitiger le conflit et la crise actuelle.

Type
Research Article
Copyright
Copyright © Canadian Political Science Association (l'Association canadienne de science politique) and/et la Société québécoise de science politique 1993

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References

1 Sur l'étendue de la violence raciste et du désenchantement politique voir deux articles récents: Étienne Sur, «À propos de l'extrême droite en Allemagne: de la conception ethnique de la nation allemande», Hérodote 68 (1993), 1840Google Scholar; et Roth, Dieter K., «Wandel der Politischen Einstellungen seit der Bundestagswahl 1990», German Studies Review 16(1993), 265–98.CrossRefGoogle Scholar

2 Il existe déjà une littérature abondante, quoique souvent de qualité journalistique, sur les processus révolutionnaires de 1989. Voir entre autres Ash, Timothy Garton, We the People (London: Granta Books, 1990)Google Scholar; Brown, J. F., Surge to Freedom (Durham: Duke University Press, 1991)Google Scholar; Fejtö, François, La fin des démocraties populaires (Paris: Seuil, 1992)Google Scholar; et Rupnik, Jacques, L'autre Europe (Paris: Éditions Odile Jacob, 1988 et 1990).Google Scholar

3 Kuran, Timur, dans «Now Out of Never: The Element of Surprise in the East European Revolution of 1989», World Politics 44 (1991), 748CrossRefGoogle Scholar, soutient qu'une forme de falsification des préférences empêchait les Européens orientaux de reconnaître l'étendue de l'opposition au régime et garantissait, par conséquent, l'imprévisibilité que l'opposition publique fasse boule de neige. Bien qu'astucieuse et sensible à la duplicité qui caractérisait la culture européenne sous le communisme, la thèse de Kuran suppose une opposition authentique de longue date au régime qui n'attendait que l'occasion propice de s'exprimer. Tout comme la distinction dichotomique bien connue de Vaclav Havel entre la «vie dans la vérité» et la «vie dans le mensonge», l'opposition faite par Kuran entre les préférences falsifiées et les préférences authentiques est une construction intellectuelle qui nie la capacité de vivre tout à fait facilement et joyeusement dans la contradiction avec soi-même.

4 Gaus, Günter, dans Wo Deutschland liegt (Hambourg: Hoffmann et Campe, 1983)Google Scholar, décrit la RDA comme ayant été avant tout une Nischengesellschaft, c'est-à-dire une société où les individus se retirèrent dans la sphère privée et cultivèrent les valeurs petites-bourgeoises allemandes traditionnelles. Il est intéressant de comparer la description que fait Tocqueville de la société atomisée de la fin de la France absolutiste et de son potentiel révolutionnaire à celle des sociétés communistes post-stalinistes telle qu'effectuée par Gaus ou par Vaclav Havel, par exemple, dans «Le pouvoir des sans-pouvoir”, Essais politiques (Paris: Seuil, 1989), 65157.Google Scholar

5 Goeckel, Voir Robert F., The Lutheran Church and the East German State (Ithaca: Cornell University Press, 1990)Google Scholar; Gräbner, Wolf-Jürgen, Heinze, Christiane et Pollack, Detleff, éd., Leipzig im Oktober: Kirchen und alternative Gruppen im Umbruch der DDR (Berlin: Wichern, 1990)Google Scholar; et Israel, Jürgen, Zur Freiheit Berufen: Die Kirche in der DDR als Schutzraum der Opposition (Berlin: Aufbau Taschenbuch Verlag, 1991).Google Scholar

6 Malgré un certain biais d'autosélection en faveur des citoyens mieux éduqués et politiquement actifs (biais inévitable pour un sondage à questionnaire très détaillé, d'ailleurs), l'échantillon comprenait des répondants des divers groupes d'âge, de toutes les tendances politiques et de toutes les couches sociales. Même si l'échantillon n'était pas parfaitement représentatif de la société est-allemande, il m'en a donné un aperçu infiniment supérieur et plus personnalisé que n'importe quelle autre description statistique, journalistique ou littéraire.

7 La méthodologie du sondage intensif a une longue tradition dans la sociologie politique américaine. Son élaboration classique se trouve dans Lipset, S. M., Trow, M. et Coleman, J., Union Democracy (New York: Free Press, 1956)Google Scholar. Plus récemment, Robert Fishman, dans son Working-Class Organization and the Return to Democracy in Spain (Ithaca: Cornell University Press, 1990)Google Scholar, se base sur un sondage de 324 syndicalistes dans lequel, comme dans mon sondage, une grande partie des questions étaient rétrospectives. On trouvera une analyse exhaustive des résultats du sondage dans mon livre en rédaction qui porte le titre provisoire de «Communism's Collapse, Democracy's Demise: The Cultural Context and Consequences of the East German Revolution».

8 Poznanski, Voir Kazimierz, «The Decline of Communism, Rise of Capitalism and Transformation of East European and Soviet Political Economics»Google Scholar, Program on Central and Eastern Europe Working Papers Series no 15, Center for European Studies, Harvard University, 1991.

9 Förster, Voir Peter et Roski, Günter, DDR zwischen Wende und Wahl: Meinungs-forscher analysieren den Umbruch (Berlin: Links Druck, 1990)Google Scholar, ch. 4.

10 Karl-Dieter Opp et Christiane Gern, «Dissident Groups, Personal Networks, and Spontaneous Cooperation: The East German Revolution of 1989», monographie inédite, 1992.

11 Le psychanalyste est-allemand Hans-Joachim Maaz, dans Der Gefühlsstau: Ein Psychogramm der DDR (Berlin: Argon, 1990)Google Scholar, a identifié l'origine de ce sentiment de frustration ou de haine qui a mobilisé les masses dans la répression émotionnelle qui caractérisait la vie est-allemande depuis le moment de la naissance dans des maternités sans chaleur humaine jusqu'à l'intégration dans un milieu de travail organisé de façon autoritaire. Maaz a également proposé une explication libidinale de la mobilisation de masse: Mikhaïl Gorbatchev a libéré (sexuellement) les peuples d'Europe de l'Est parce qu'il a été le premier dirigeant soviétique à paraître en public avec sa femme, qui était le genre de personne avec laquelle les gens pouvaient l'imaginer au lit. Je laisse ces explications psychologiques de côté.

12 D'autres observateurs, notamment des écrivains est-allemands, ont décrit ou suggéré une hiérarchie de valeurs similaire. Voir, entre autres, Böhme, Irene, Die da drüben. Sieben Kapitel DDR (Berlin: Rotbuch, 1982)Google Scholar; Scherzer, Landolf, Der Erste: Eine Reportage aus der DDR (Cologne: Kiepenheuer & Witsch, 1989)Google Scholar. Pour des études plus formelles sur la culture politique est-allemande, Wehling, voir Hans-Georg, éd., Politische Kultur in der DDR (Stuttgart: W. Kohlhammer, 1989)Google Scholar; et Lemke, Christiane, Die Ursachen des Umbruchs 1989: Politische Sozialisation in der ehemaligen DDR (Opladen: Westdeutscher Verlag, 1991).CrossRefGoogle Scholar

13 Voir Gaus, , Wo Deutschland liegt, ch. 2 et 4.Google Scholar

14 Drach, Voir Michel, La crise dans les pays de l'Est (Paris: La Découverte, 1984), 51.Google Scholar

15 Klier, Voir Freya, Lüg Vaterland: Erziehung in der DDR (Munich: Kindler Verlag, 1990).Google Scholar

16 Arendt, Hannah, dans The Origins of Totalitarianism (New York: Harcourt, Brace, 1951)Google Scholar, soutient que l'instabilité inhérente au totalitarisme rend improbable sa survie à long terme, bien que Friedrich, Carl J. et Brzezinski, Zbigniew, dans Totalitarian Dictatorship and Autocracy (Cambridge: Harvard University Press, 1956)Google Scholar, prévoient une stabilisation du totalitarisme.

17 Hirschmann, Albert O., «Exit, Voice, and the Fate of the German Democratic Republic: An Essay in Conceptual History», World Politics 45 (1993), 173202.CrossRefGoogle Scholar

18 Gensicke, Voir Thomas, «Mentalitätsentwicklungen im Osten Deutschlands seit den 70e Jahren»Google Scholar, Speyerer Forschungsberichte no 109, Forschungsinstitut für Öffentliche Verwaltung, Speyer, 1992.

19 Résultats d'un sondage rapportés par Anne-Marie Le Gloannec, «Y a-t-il un nationalisme allemand?» Hérodote 68 (1993), 6773Google Scholar. Voir aussi les résultats extensifs du sondage mené par Der Spiegel, 18 janvier 1993, 5262.Google Scholar

20 Voir les résultats des sondages rapportés par Roth, «Wandel der Politischen Einstellungen seit der Bundestagswahl 1990», 281; par Der Spiegel, 18 janvier 1993, 5262Google Scholar; et plus récemment, à l'occasion du troisième anniversaire de l'unification, par Die Zeit (édition internationale), 8 octobre 1993, 69.Google Scholar

21 Le Gloannec, Voir Anne-Marie, La nation orpheline (Paris: Calmann-Lévy, 1989)Google Scholar, ch. 1, pour une analyse brillante de la façon dont les mythologies politiques est- et ouest-allemandes se sont développées en image inversée l'une de l'autre, tandis que chaque État essayait, en opposition avec l'autre, de légitimer son existence et de nier sa responsabilité à l'égard du passé nazi.

22 Voir à cet égard les conseils/reproches que les Allemands de l'Ouest ont offerts à leurs compatriotes de l'Est en réponse au sondage dont les résultats sont publiés dans Der Spiegel, 18 janvier 1993, 58.Google Scholar

23 Cette réduction au silence s'est réalisée avec le plus d'acharnement au niveau des intellectuels. Dans le soi-disant «Literaturstreit» de 1990–1991, des littéraires ouest-allemands ont attaqué sans relâche les auteurs est-allemands, surtout Christa Wolf, pour avoir soutenu, par un idéalisme mal placé, le régime totalitaire. Voir Thomas Anz, éd., «Es geht nicht um Christa Wolf»: Der Literaturstreit im vereinten Deutschland (Munich: Spangenberg, 1991)Google Scholar; Mayer-Iswandy, Claudia, «Literature as Resistance and Affirmation: The Reception of Christa Wolf in the Changing Patterns of German Memory», monographie inédite, 1993.Google Scholar

24 Voir l'analyse prérévolutionnaire du dissident Henrich, Rolf, Der Vormundschaftliche Staat (Reinbek: Rowohlt, 1989), 89Google Scholar et suivantes.

25 Utilisant une expression qui rappelle Leona Helmsley, Gaus dans Wo Deutschland liegt, 31Google Scholar, a décrit la RDA comme le pays des «petites gens» («Staatsvolk der kleinen Leute»).

26 Voir Sur, «À propos de l'extrême droite en Allemagne», 19–21, pour des statistiques sur les actes xénophobes dans l'Est et l'Ouest. En 1992, leur fréquence était plus élevée dans l'Est par rapport à la population, mais en termes absolus la violence était plus fréquente dans l'Ouest. Depuis la fin de 1992, les attentats meurtriers ont eu lieu presque uniquement dans l'Ouest.

27 Thomas Koch, «“Hier ändert sich ni was!” Kontinuitäten, Krisen und Brüche ostdeutscher Identität(en) im Spannungsfeld zwischen shöpferischen Zerstörung und nationaler Re-Integration», dans Thomas, Michael, éd., Abbruch und Aufbruch: Sozialwissenschaften im Transformationsprozess (Berlin: Akademie Verlag, 1992), 319–34.Google Scholar

28 Voir Roland Eckert, Helmut Willems et Stefanie Würtz, «Fremdenfeidliche Gewalt: Eine Analyse von Täterstrukturen und Eskalationsprozessen», Rapport de recherche n° 35 du Bundesministerium für Frauen und Jugend (29 juin 1993); et Dachs, Gisela, «“Den Haß krieg' ich nicht mehr los”», Die Zeit (édition internationale), 8 janvier 1993, 2.Google Scholar

29 Voir à ce sujet Étienne Sur, «À propos de l'extrême droite en Allemagne», 25–30; et Ulbricht Stock, «Knüppel gegen Krüppel», Die Zeit (édition internationale), 4 décembre 1993, 21.Google Scholar

30 Rapporté dans Die Zeit (édition internationale), 11 juin 1993, 3.Google Scholar

31 À l'Est, pour des raisons évidentes, on considérait le chômage et la reconstruction économique comme étant des problèmes plus importants; voir Roth, «Wandel der Politischen Einstellungen», 266–68 et suivantes.

32 L'utilisation de ce terme, qui rappelle l'annexion hitlérienne de l'Autriche en 1938, est bien entendu devenue polémique en Allemagne, mais il décrit assez bien la réalité légale. Pour plus de détails sur le processus de réunification et le (non-)débat constitutionnel, voir entre autres: Thaysen, Uwe, «A New Constitution for a New Germany?» German Studies Review 16 (1993), 299310CrossRefGoogle Scholar; et Smith, Gordon, «The German Constitution: A Changing National and European Context», dans Wildenmann, Rudolf, éd., Nation und Demokratie: Politisch-strukturelle Gestaltungsprobleme im neuen Deutschland (Baden-Baden: Nomos Verlagsgesellschaft, 1991), 213–20.Google Scholar

33 Voir Manfred Stassen, «Ost-West-deutsche Befindlichkeiten: Identitätsmythos und die Zukunft der deutschen Teilung», communication au Symposium interdisciplinaire «La nation: rêve ou cauchemar», Université de Montréal, 22–25 avril 1993.