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Grégory SalleQu’est-ce que le crime environnemental ? Paris : Seuil, coll. Anthropocène, 2022, 288 p.

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Grégory Salle Qu’est-ce que le crime environnemental ? Paris : Seuil, coll. Anthropocène, 2022, 288 p.

Published online by Cambridge University Press:  10 August 2022

Elie Klee*
Affiliation:
Doctorant en droit international Aix-Marseille Université et Université d’Ottawaelie.klee@yahoo.fr
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Abstract

Type
Book Reviews / Compte rendus
Copyright
© The Author(s), 2022. Published by Cambridge University Press on behalf of the Canadian Law and Society Association

L’ouvrage de Grégory Salle apporte une intéressante contribution à l’analyse sociologique de la délinquance environnementale. Il a pour ambition de tracer les contours de la notion de crime environnemental en procédant à un examen critique de son traitement par le droit, les médias, les pouvoirs publics nationaux et les institutions internationales.

Deux temps peuvent être relevés dans l’analyse de l’auteur. Les quatre premiers chapitres s’axent d’abord sur un examen critique de l’état de l’art et de la pratique concernant la criminalité environnementale. Ils portent successivement sur le traitement réservé à cette criminalité par les médias, certaines institutions internationales, notamment le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE), l’organisation internationale de police criminelle (Interpol) et le champ universitaire avec le courant dit de la criminologie verte. Ensuite, dans les trois derniers chapitres, l’auteur se penche sur un nombre important d’études de cas, telles que les très médiatiques affaires du Probo Koala (du nom du navire affrété par la société Trafigura, à l’origine d’un grave déversement toxique en Côte d’Ivoire) et de Chevron-Texaco (concernant des décennies de contamination de l’Amazonie équatorienne), le procès de Monsanto et de son herbicide cancérigène, le Roundup, et la pollution de cours d’eau par les activités de Lactalis en France. L’auteur consacre aussi une étude approfondie à l’extraction massive du sable, par exemple en Inde, en Afrique du Sud ou au Maroc, qui conduit à sa pénurie : il montre que ces activités se situent dans une zone grise qui brouille la frontière entre la légalité et l’illégalité – des mafias qui pratiquent l’extraction illégale, mais très lucrative du sable étant liées à des entreprises de construction qui l’utilisent légalement – et qui rend les réponses juridiques et institutionnelles difficiles.

L’ouvrage distingue deux prismes possibles à travers lesquels appréhender la notion de crime environnemental. D’une part, d’un point de vue « légaliste », un crime environnemental est la violation d’une norme juridique prohibant certaines atteintes à l’environnement. D’autre part, le crime peut être considéré au sens générique et être étendu à des faits légaux, mais nocifs. Est alors pris en compte le critère de gravité ou de finalité, qui l’emporte sur la caractérisation d’une infraction. L’auteur prend clairement parti en faveur de la seconde définition et critique l’approche légaliste qui domine actuellement le discours et les pratiques institutionnelles. Il regrette ainsi la rareté des mentions faites à la criminalité environnementale par les médias, le droit et les institutions internationales et, lorsqu’elle est évoquée, la tendance à l’aborder à travers le prisme légaliste qui en restreint la portée. Ce prisme légaliste conduit à ne présenter comme dommageables que les activités illégales commises par des entités illégitimes (mafias, groupes armés ou criminels), laissant entendre que les entités légitimes comme les entreprises multinationales ne commettent pas de crimes environnementaux, alors même qu’elles sont parfois à l’origine des dommages les plus graves. Il en résulte un paradoxe selon lequel les crimes environnementaux sont répandus, fréquents, entraînent des conséquences graves, mais ne sont pourtant pas ou peu punis.

Sur le plan juridique, l’auteur nous incite à nous interroger sur les lacunes du droit, notamment international, en matière de criminalité environnementale et de contrôle des activités des entreprises multinationales. Les règles et les sanctions, lorsqu’elles ne sont pas inexistantes, sont globalement inefficaces et inappliquées. L’auteur d’un crime environnemental a un intérêt croissant à le commettre, le ratio entre la sanction et les profits lui étant très favorable. Si les entreprises multinationales peuvent voir leur responsabilité engagée en droit international, les conséquences matérielles de cette responsabilité et la réparation des dommages aux victimes sont bien plus difficiles à mettre en œuvre. Celle-ci est souvent laissée au bon vouloir des entreprises, sans aucune garantie de non-répétition du crime environnemental.

L’ouvrage de Grégory Salle pousse à une remise en question de la construction du droit, notamment en ce qui concerne la sanction des crimes environnementaux, en reprenant à son compte la notion de « gestion différentielle des illégalismes », inventée par Michel Foucault puis reprise par Pierre Lascoumes et d’autres dans le contexte de la criminalité d’affairesFootnote 1. L’auteur fustige le positionnement des pouvoirs publics, qui construisent un droit et une politique de développement durable au service du libéralisme et du monde des affaires. Il débouche ainsi sur une juste critique du mode de développement moderne, incompatible avec l’écologie. La conclusion propose des pistes de réflexion sur la possible évolution de la pénalité en matière écologique afin que le droit s’adapte aux crimes environnementaux et sanctionne mieux leurs auteurs. Grégory Salle propose également dans ce paragraphe des mesures intermédiaires destinées à changer en partie le modèle de production sur lequel se fondent les sociétés occidentales. L’ouvrage peut, en somme, s’envisager comme un plaidoyer en faveur d’une sortie du capitalisme, tentant de battre en brèche la sévère assertion du philosophe britannique Mark Fisher qui entame son ouvrage Le Réalisme capitaliste en affirmant qu’« il est plus facile d’imaginer la fin du monde que celle du capitalisme »Footnote 2.

References

1 Foucault, Michel, Surveiller et punir (Paris : Gallimard, 1975)Google Scholar; Lascoumes, Pierre, Les affaires ou l’art de l’ombre : Les délinquances économiques et financières et leur contrôle (Paris : Le Centurion, 1986)Google Scholar; Lascoumes, Pierre, « L’illégalisme, outil d’analyse », Sociétés & Représentations, 3 (1996) : 78 Google Scholar; Fischer, Nicolas et Spire, Alexis, « L’État face aux illégalismes », Politix, 87 (2009) : 7 Google Scholar.

2 Fisher, Mark, Le Réalisme capitaliste (Genève : Entremonde, 2018)Google Scholar, à la p. 7.