Une histoire en chapitres sagement séparés, consacrés successivement aux événements politiques, à l'agriculture, au progrès industriel, au commerce, voire à l'histoire militaire — une telle histoire ne se conçoit plus guère aujourd'hui. C'est l'enchaînement de tous les phénomènes entre eux qui, seul, permet de saisir en profondeur et d'éclairer le processus puissant de l'histoire. Ceci dit (et qui va de soi), je crois, en conséquence, qu'il n'est jamais possible de considérer la guerre en soi comme une réalité fermée sur elle-même, qu'il faut, au contraire, pour l'étudier, la relier aux autres activités, à toutes les activités des hommes, bref, l'organiser dans la masse entière d'actions et réactions en chaîne. Pour elle, tout sera donc mis en cause : politique, économie, société, évolution de la civilisation, marche des techniques, esprit des hommes... Une « histoire militaire » valable reste à ce prix.

Tout historien qui s'intéresse, de nos jours, à la transmission du savoir arabe à l'Occident, au x n e siècle, se voit trop souvent mis en présence de la fameuse légende de 1' « École des traducteurs de Tolède », qui aurait été fondée, ou du moins protégée, favorisée, par l'archevêque Raymond, archevêque de Tolède de 1124 à 1151. La légende remonte vraisemblablement à l'érudit A. Jourdain, à l'admiration qu'il professe envers les traducteurs qui travaillèrent dans l'entourage de Raymond Certes, il existe dès le Moyen Age toute une tradition littéraire tendant à exalter le rôle de Tolède, postérieurement à sa reconquête, comme le centre européen de connaissances et d'activités scientifiques au contact de la culture arabe. Dès les XIIIe et XIVe siècles, certains auteurs décrivaient l'Espagne, principalement Tolède, comme la patrie de la nécromancie, du savoir exotique, même ésotérique.

La plaine vendéenne est formée d'un openfield au parcellaire très morcelé lié à un habitat groupé ; elle se développe sur la couverture des terrains secondaires qui frange le massif ancien bocager depuis la mer jusqu'aux pJaines poitevines, s'élargissant entre Luçon et Fontenay-le Comte, région où a été menée cette étude. L'ancien paysage agraire (en voie de disparition aujourd'hui par remembrement) est original et complexe. Des enclaves de bocage, caractérisées par de grandes parcelles encloses de haies courtes et légères, l'interrompent autour d'un semis de quelques écarts, h'openfield lui-même est imparfait ; les parcelles sont hétérométriques, rarement laniérées, plus souvent rectangulaires et groupées par quartiers minuscules imbriqués, enclavés, non desservis par des chemins. Enfin des clôtures partielles (haies légères) interceptent la continuité des quartiers déclos.

La photographie aérienne telle que nous l'utilisons aujourd'hui suppose la convergence de trois données qui se sont réalisées de façon indépendante et avec un certain décalage chronologique.

1° Le vol humain : rappelons seulement trois grandes dates : 1783, Montgolfier ; 1852, premier dirigeable ; 1906, l'avion.

2° La photographie : donnée fondamentale, car la photographie va permettre de fixer le réel, de comparer des images objectives (d'où des possibilités de mesure qui apparaîtront plus tard), images prises dans des conditions analogues, et non plus seulement de comparer une image et des souvenirs.

Nos collègues orientalistes ont beaucoup travaillé au cours de ces dernières années dans le domaine difficile de l'histoire des prix au Moyen Age. Une fâcheuse lacune vient d'être ainsi, sinon comblée, du moins considérablement réduite : une conférence récente d'E. Ashtor l'a démontré de façon éclatante.

Dans cette courte note, je n'ai nullement l'intention de présenter le détail de ces travaux difficiles, risqués parfois, intéressants toujours ; encore moins de les critiquer. Les spécialistes ont certainement leur mot à dire sur telle unité de mesure ou sur telle monnaie et leur contribution sera certainement utile pour l'avancement et la perfection de nos recherches futures. Notre problème est différent.

Ce n'est pas un livre banal que celui qui a été publié en 1962 sous la double signature d'Alan J. B. Wace, qui fut jusqu'à sa mort en 1957 le plus grand spécialiste anglais de l'archéologie mycénienne, et de l'helléniste et archéologue Frank H. Stubbings. Sous un titre modeste il s'agit en réalité d'un grand traité des études homériques, écrit selon la tradition des manuels britanniques par une équipe de spécialistes, en l'espèce seize savants, tous éminents. Excellente occasion de poser à nouveau, en des termes modernes, un débat vieux de près d'un siècle, et que ce livre ne clora pas : celui des rapports entre la poésie homérique telle que nous l'a transmise la tradition, et le monde mycénien qui, de la légende à l'archéologie et de l'archéologie à la philologie, nous devient progressivement accessible.

Les lignes qui suivent ne prétendent pas développer une nouvelle théorie relative à la peste qui a sévi au XIVe siècle, ni enrichir d'une nouvelle hypothèse la littérature du sujet, d'ailleurs fort étendue. Cet article poursuit une fin plus modeste : corriger une certaine imprécision qui s'est introduite — en partie à cause de ma propre formulation — dans l'exposé, d'ailleurs excellent, qu'a fait Mme E. Carpentier des travaux concernant la peste au xive siècle. Sur la carte jointe à son article, la Bohême-Moravie est représentée comme une « région partiellement ou totalement épargnée par la peste », ce qui est à la fois correct et erroné.

Ce livre constitue le tangible monument du colloque d'Oxford, tenu récemment. Il contient le texte de douze communications, présentées par cinq historiens anglais et par sept historiens néerlandais et, en outre, une conférence, lue peu après, par un historien américain. Les thèmes abordés appartiennent à l'histoire politique (8 communications), à la critique et à l'heuristique, à l'histoire littéraire. Deux communications seulement relatives à l'histoire économique : celle de B. H. Slicher van Bath (The Rise of Intensive Husbandry in the Low Countries) et celle de H. J. Habakkuk (The English Land Market in the Eighteenth Century). La période moderne (avant 1789) est mieux représentée que la période contemporaine : 8 communications contre 5. Parmi celles-ci, deux portent sur le passé immédiat, depuis 1940.

Dans notre monde actuel, historiens et économistes étudient avec prédilection les dynamismes, les caractères agressifs, les formes brutales d'expansion ou de repli. Encore faut-il saisir ces mouvements à leur source même, en dégager les origines probables. En fait, ces forces en action ne cessent de mettre en cause des nappes d'histoire, d'économies ou de sociétés dormantes, ou pour le moins, à demi immobiles. A peine voit-on leur lent glissement, tant que des crises en profondeur ne parviennent pas jusqu'à leur terme. Or ces zones à peu près stables et toujours pesantes, jouent leur rôle, se plient, ou non, au mouvement général de l'histoire. Décadence ou essor ne cessent de s'y enraciner, de s'y préparer longtemps avant que ne se produisent les explosions révélatrices.

Il y a quelques années déjà que Don Ramon Carande a consacré d'excellents travaux aux finances publiques de Castille à l'époque de Charles-Quint. Après les études pionnières, mais aujourd'hui vieillies et parfois hasardeuses, de Konrad Häbler et de Francisco de Laiglesia, ses livres, d'un esprit tout moderne, redonnent une clarté neuve h un chapitre décisif de la grande histoire de l'Espagne et au-delà de l'Occident tout entier. R. Carande a pris pour terme de recherche la date de 1556, dont la valeur de coupure est évidente. Il était intéressant, après lui et selon son conseil même, d'étudier les finances publiques des successeurs de Charles- Quint. C'est aussitôt mettre en cause les vastes et encombrants problèmes de la grandeur espagnole au risque évident de s'y perdre.

Il est très difficile pour un historien de lire l'ouvrage d'un philosophe, surtout lorsque celui-ci prend pour objet de sa réflexion l'Histoire. Ne parlons pas de la langue : la science historique en France doit à Michelet et à quelques autres la tradition d'être liée de fort près à la littérature, et la conséquence directe en est que le langage historique y est généralement clair et aisément accessible. Tel n'est pas, hélas, le fait des philosophes, et le livre de F. Châtelet exige d'abord du lecteur un effort constant de... traduction qui fait perdre de vue parfois le fil du raisonnement. Mais il y a plus : en cherchant à déterminer les conditions de la « Naissance de l'Histoire » l'auteur ne pouvait pas ne pas être amené à en faire, et donc à aborder des problèmes proprement historiques. Et parce que ces problèmes historiques ne constituaient pas l'objet premier de sa démarche, il ne pouvait les aborder que par le biais, et de façon souvent contestable.

Du 16 au 24 juin 1962, s'est tenue à Aspen (Colorado) une conférence sur le climat des XIe et XVIe siècles. Elle était organisée par divers groupements scientifiques des États-Unis, qui cherchent à résoudre le problème des fluctuations climatiques récentes. Les organisateurs avaient choisi de concentrer la discussion sur deux siècles déterminés : ceci afin de permettre une véritable confrontation collective des séries et des diagrammes apportés par les participants. Les deux siècles n'étaient pas choisis au hasard : on les considère en général comme de véritables phases de transition, préludant à une légère fluctuation du climat, telle qu'on la constate, probablement au Groenland à partir de 1300, certainement dans les Alpes à partir de 1595-1600 (d'après l'histoire glaciaire).

J'aime et j'admire la thèse alerte de Pierre Goubert, sa robustesse, sa réussite technique, sa langue drue que Pierre Chaunu, dans son enthousiasme, compare à la prose de Michelet. Elle peut se présenter comme le chef-d'œuvre digne des anciennes maîtrises : toutes les règles du métier sont respectées, la documentation massive est allègrement soulevée à bout de bras et le plan choisi si naturel, que le texte coule de source. Le livre se lit avec beaucoup de plaisir. Pourquoi faut-il qu'il ait été écrit à propos du Beauvaisis ?

Le XVIIe siècle, en France, s'avère un siècle déshérité, assurément mal prospecté, surfait peut-être, ou même calomnié. Voici, arraché d'un seul coup, puis accessible à notre curiosité, un échantillon authentique de ce siècle perdu.

1 315 pages à typographie dense : cela fait un ouvrage énorme ; mais un grand ouvrage, sans nul doute. Pas toujours construit avec aisance et clarté : digressions, parenthèses, appendices, retours en arrière, changements de registre se succèdent sans interruption. Mais, finalement, le lecteur est emporté dans le courant, il suit avec plaisir — et c'est l'essentiel. L'auteur sait brosser des fresques, juger largement, tailler à la loupe des micro-analyses très réussies ; et comme il a le style vif, la plume un peu acide, non seulement le lecteur suit, mais il se détend — chose bien nécessaire au cours d'une route aussi longue.

M. Georges Gurvitch est sans doute le penseur qui oppose aujourd'hui avec le plus de vigueur à la sociologie comprise comme une « cueillette de faits sociaux », le point de vue de la totalité dialectique concrète. Les habitués de la Sorbonne ont encore présente à l'esprit cette mémorable soutenance où s'affrontaient Chombard de Lauwe, représentant de l'approche expérimentaliste en sociologie, et l'auteur de Dialectique et Sociologie. Plus près de nous, c'est également M. Gurvitch qui a présenté au public français l'ouvrage de Pitirim Sorokine : Tendances et déboires de la sociologie américaine, pamphlet spirituel dirigé contre la « quantophrénie et testomanie » dans les sciences humaines.