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Sur l'usage des concepts juridiques en histoire

Published online by Cambridge University Press:  26 July 2017

Michel Troper*
Affiliation:
Université de Paris X

Extract

De même que les sciences sociales se distinguent nettement des faits sociaux, qui constituent leur objet, la science du droit doit être distinguée du droit luimême, entendu soit comme système normatif spécifique, soit comme pratique. Dès lors qu'on examine les rapports du droit et des sciences sociales, on doit se garder de confondre plusieurs types de questions, qui toutes peuvent et doivent être traitées, mais qui relèvent de problématiques très différentes. Il s'agit en premier lieu de la question du rapport entre droit et société, qui concerne l'influence des règles juridiques sur les pratiques sociales et des forces sociales sur le contenu des normes juridiques.

Summary

Summary

How legitimate is the use by historians of juridical concepts? The author examines this question in the context of François Furet's hypothesis that the king of France had already been entirely removed from power by the end of 1789. This hypothesis is based on two arguments: first, the French Assembly applied the dogma according to which the unity of sovereignty could only reside in the Assembly itself; second, the king's right to a suspensive veto did not make him into partial legislative organ. Neither of these propositions resists examination. The meaning of the concepts of sovereignty and suspensive veto can only be provided by legal theory. The latter reveals, on the one hand, that the Assembly applied, with respect to the question of legislative power, a concept of sovereignty which posed no objection to the establishment of two legislative organs, and, on the other hand, that the right to a suspensive veto in a genuine legislative power.

Type
Sur la Révolution, un Débat
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1992

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References

Notes

* Pour la préparation de cet article, j'ai tiré un très grand profit de discussions avec François Furet, Lucien Jaume et Pasquale Pasquino.

1. Furet, François, La Révolution française: de Turgot à Napoléon, 1770-1814, Paris, Hachette, 1988, 2 vols (I, p. 544).Google Scholar

2. Furet, François, Penser la Révolution française, Paris, Gallimard, 1978 (p. 170 de la rééd. en «Folio-Histoire», 1985).Google Scholar

3. « 1789, année où l'essentiel du bilan terminal est acquis », ibid., p. 16.

4. Ibid., p. 133.

5. Ibid., p. 118.

6. Ibid., p. 133.

7. Cf. par exemple Dick Howard, dans le Washington Post du 15 décembre 1991 : «France hewed even closer than the Americans to notions of popular sovereignty and settled on a onehouse législature and an executive with only limited veto power — following a path that led ultimately to the Reign of Terror ».

8. F. Furet, op. cit., 1978, p. 132.

9. Ibid., p. 133

10. Il cite à ce propos Rabaut Saint-ÉTienne (4 septembre).

11. De Malberg, R. Carré, Contribution à la théorie générale de l'État, Paris, Sirey, 1922, 2 volsGoogle Scholar ; 1.1, p. 69 ss (spécialement p. 79) ; cf. aussi Troper, M., La séparation des pouvoirs et l'histoire constitutionnelle française, Paris, Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence, 1973, pp. 131132 (2e éd. 1980).Google Scholar

12. Jean-Jacques Rousseau, Contrat social, Livre n, chapitre n, « Que la souveraineté est indivisible ».

13. Cf. Derathe, R., Jean-Jacques Rousseau et la science politique de son temps, Paris, PUF, 1950, p. 280 ssGoogle Scholar ; M. Troper, op. cit., p. 114.

14. « Si le souverain ne peut pas être divisé, le pouvoir législatif ne peut pas être divisé, car il n'y a pas plus deux, trois ou quatre pouvoirs législatifs, qu'il n'y a deux, trois ou quatre souverains » (AP, VIII, 569).

15. AP, VIII, 327, cité par Jaume, L., « La sovranità nazionale in Francia dalla Rivoluzione a De Gaulle », Ricerche di Storiapolitica , n° 25, 1990.Google Scholar

16. F. Furet, La Révolution, op. cit., p. 134.

17. Discours du 4 septembre 1789, AP, t. 8, p. 581.

18. AP, T. VIII, p. 529 ss, cité par Maier, M., Le veto législatif du chef de l'État, Genève, Librairie de l'Université Georg & Cie, 1948.Google Scholar

19. Cité par M. Maier, op. cit., p. 145.

20. Voir Y. Thomas, « Mommsen et l'Isolierung du droit (Rome, l'Allemagne et l'État) », préface à Théodore Mommsen, Le droit public romain, 1 vols, Paris, Diffusion de Boccard, 1984, réimpr. de l'édition de 1892.

21. De Malberg, R. Carré, Contribution à la Théorie générale de l'État, Paris, Sirey, 1922, 2 vols, t. 1, p. 246 Google Scholar : « La notion moderne de loi se fonde essentiellement sur un système organique de multiplicité et d'inégalité des organes chargés de vouloir pour l'État et, en ce sens, sur un principe de séparation des pouvoirs. Bien loin d'avoir troublé la théorie des fonctions étatiques, comme le prétendent tant d'auteurs, la séparation des pouvoirs pouvait seule permettre au concept de loi d'acquérir son entier développement et sa pleine signification, parce que, seule, elle établit parmi les autorités étatiques cette hiérarchie de puissances, qui fait que la loi se présente comme la manifestation de la volonté la plus haute dans l'État » et p. 350 : « Dans l'État moderne, non seulement la loi se caractérise comme la décision d'un organe législatif distinct de l'autorité administrative, mais encore ce qui a tout particulièrement contribué à la faire envisager comme statut supérieur, c'est la nature spéciale et la qualité propre de l'organe dont elle est l'œuvre. La loi moderne, en effet, ne peut prendre naissance que moyennant l'assentiment d'une Assemblée élue par le corps des citoyens ou du moins par un nombre relativement considérable d'entre eux ».

22. R. Carré De Malberg, ibid., t. 1, p. 397 : « Le monarque a bien pu, lorsqu'il a octroyé la Constitution, partager sa puissance législative avec les Assemblées ; il n'a pu abandonner sa qualité d'organe suprême de l'État, car il aurait par cet abandon détruit la monarchie elle-même. Il est donc demeuré l'organe législatif suprême et c'est en cette qualité spéciale qu'il intervient dans la confection des lois. En d'autres termes, il est appelé à énoncer en matière législative la volonté la plus haute qui soit dans l'État, et ceci implique alors que son rôle spécial consiste à émettre la décision définitive et suprême qui donnera naissance à la loi. L'idée précise qu'il faut se faire de la sanction, c'est donc que par elle le chef de l'État est appelé à statuer en dernier ressort : sous le nom de sanction, il exerce un pouvoir qui consiste à parfaire la loi, après que celle-ci a déjà été adoptée par les chambres ».

23. Ibid., t. l , p . 399, n. 1.

24. Ibid.

25. Ibid., p. 400.

26. A. Viatte, Le veto législatif dans la Constitution des États-Unis (1987), et dans la Constitution française de 1791, thèse, Paris, 1901.

27. Ch. Eisenmann, L'esprit des lois et la séparation des pouvoirs. Mélanges Carré de Malberg, 1933, p. 190, spécialement p. 167, n. 2.

28. M. Troper, op. cit., p. 27, n. 11.

29. En ce sens, M. Maier, op. cit., p. 148.

30. Il semble que, sous la Révolution, le mot « centralisation » par exemple désignait non par un certain type d'organisation administrative, mais simplement la concentration du pouvoir politique. Ainsi, à la Convention, Thibaudeau se prononce en ces termes en faveur du maintien de la concentration du pouvoir entre les mains du comité du salut public : « Lorsqu'il s'agira d'établir le gouvernement constitutionnel, je serai aussi d'avis de la séparation des pouvoirs ; mais dans l'état actuel des choses, où vous êtes seuls responsables du succès de la révolution, vous devez conserver tous les pouvoirs pour l'achever… Je le répète, il faut la centralisation pour avoir l'activité et la force. L'ancien gouvernement était bon, à l'exception de la tyrannie qu'il exerçait » (12 floréal an III, Moniteur, t. 24, p. 428). De même Fréron critique cette confusion des pouvoirs et ajoute : « On a désigné cette concentration par l'expression de « centralisation » c'était l'expression favorite de Couthon et de Barère » (21 floréal an III, Moniteur, t. 24, p. 430).