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Stratégies d'expropriation et haussmannisation : l'exemple de Montpellier*

Published online by Cambridge University Press:  25 May 2018

Michel Lacave*
Affiliation:
Faculté de Droit, Université de Montpellier I

Extract

A travers l'exemple des grands travaux de type haussmannien entrepris à Montpellier, comme dans bien d'autres villes de province, sous le Second Empire et poursuivis dans les débuts de la IIIe République, on peut mettre au jour une tentative visant à élargir systématiquement le champ de la procédure d'expropriation pour cause d'utilité publique. En effet, les vastes opérations d'urbanisme qui ont été conçues à cette époque nécessitent de très nombreuses expropriations, suscitant bien souvent de vigoureuses protestations de la part des propriétaires visés, alors même que les armes juridiques dont disposent les administrations municipales et nationales se révèlent mal adaptées à l'ampleur des projets.

Summary

Summary

The great "Haussmannian" schemes in Paris and the provinces called for new kinds of legal instruments, capable of expanding the scope of the traditional procedures for expropriation in the name of the public interest. It soon became clear that the right to expropriate, which had been regarded primarily as a means of protecting property rights, would have to be superseded by town planning rights, seen as a means of furthering the "generai interest".

In Montpellier, in 1863-1864, the modernist ruling group, which was predominantly protestant, sought to push to its logical conclusion a body of law conceived in the first place for Paris, as also the Haussmannian approach itself. Their purpose was to adapt the national (Parisian) town planning model and to revive the ancient town centre. The scheme ended semi-fallure, partly because people were ill-prepared to countenance the implied outrage against "sacred property rights". And yet more or less all over Europe, and in Italy especially, similar legislation was beginning to enter the statute books.

Type
Formes Urbaines
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1980

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Footnotes

*

Ce travail est le résultat de recherches menées dans le cadre de l'ATP, Observation du changement social et culturel (CNRS), équipe quartier Sainte-Anne/Montpellier.

References

Notes

1. Cf. par exemple, A. Bruston, «La régénération de Lyon: 1853-1865. L'intervention de l'État et le manifeste urbain de la bourgeoisie », Espaces et Sociétés,avril 1975, n° 15, pp. 81-103 ; G. Monnier. « Les aménagements de Marseille au XIXe siècle », Monuments historiques,1977, n° 3, pp. 46-49 ; L. Grenier, « L'éclatement de la métropole lilloise », Monuments historiques,avril 1979, n° 102, pp. 42-45 ; L. Desgraves et G. Dupeux, Bordeaux au XIXe siècle,1969, p. 211 ss.

2. A la différence de Paris, notons-le, où les propriétaires expropriés ont été largement indemnisés, de sorte que les protestations ont été limitées (cf. J. Gaillard, Paris, la ville (1852- 1870),thèse Lettres, Paris, 1975 [1976] et Halbwachs, M., Les expropriations et le prix des terrains à Paris, 1860-1900, thèse Droit, Paris, 1909 Google Scholar.

3. C'est à dessein que nous employons cette expression de préférence à 1’ « utilité publique » postulée par l'article 545 du Code civil, elle-même en retrait sur la « nécessité publique » invoquée par l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, inscrite en tête de la constitution des 3-14 septembre 1789. Il est banal de relever que le droit de propriété a souffert de cette évolution vers un droit de l'urbanisme : pour une illustration du phénomène, cf. H. Vidal, Servitudes d'urbanisme et expropriation,Paris, Dalloz, 1976, Chronique, pp. 111-114. La période que nous étudions correspond, en outre, à un tournant en ce qui concerne l'appréciation du droit de propriété par les juristes comme l'indique Arnaud, A. J., Les juristes face à la société du XIXe siècle à nos jours, Paris, PUF, 1975, pp. 9496 Google Scholar ; cf. aussi le classique J. Bonnecase, Science du droit et romantisme : le conflit des conceptions juridiques en France de 1880 à l'heure actuelle,1928, p. 85 ss.

4. Cf. Centenaire de la rue Foch. Exemple d'un traumatisme urbain. Catalogue de l'exposition organisée au Musée Fabre, février 1979, par l'équipe quartier Sainte-Anne de l'ATP, Observation du changement social et culturel.Sur le problème plus général de la « nationalisation » de l'espace français à la fin du xixe siècle, on pourra se reporter aux réflexions d'E. Weber, Peasants inlo Frenchmen,Stanford University Press, 1976.

5. Arch. Mun. Montpellier, 102 Voirie - Rue Nationale I et Grands Travaux Lazard III.

6. Arch. Mun. Montpellier, 102 Voirie urbaine - Grands Travaux Lazard III.

7. Arch. Mun. Montpellier, Rapport sur les églises Sainte-Anne, Saint-Denis, le temple protestant et la rue Impériale(imprimé), par G. Bazille (conseiller municipal), lu le 8 juillet 1862 au conseil municipal.

8. Défaite due en partie, d'ailleurs, à la campagne menée contre l'opération rue Impériale. En outre, Pagézy appartenait à la bourgeoisie protestante, tout comme G. Bazille, autre pilier de l'urbanisme montpelliérain de la deuxième moitié du siècle, et bien des propriétaires situés sur le trajet de la future rue Impériale, étaient d'eminents représentants de vieilles familles catholiques et légitimistes.

9. Cf. Dugrand, R., Villes et campagnes en Bas-Languedoc, Paris, PUF, 1963, p. 363 Google Scholar ss ; Maurin, Y., « Société et école d'agriculture de Montpellier devant le phylloxéra », Économie et Société en Languedoc-Roussillon de 1789 à nos jours, Montpellier, 1978, pp. 4568.Google Scholar

10. Cf. R. Dugrand, op. cit.,et G. Cholvy, « Histoires contemporaines en pays d'Oc », Annales ESC,1978, n°4, pp. 863-879.

11. A. Carpentier et G. Frèrejouan du Saint, Répertoire général alphabétique du droit français,t. XXI, n° 24 : Expropriation pour cause d'utilité publique.Cf. aussi Daffry de la Monnoye, Théorie et pratique de l'expropriation pour cause d'utilité publique,2e édition 1879, n° 1-2,pp. 1-7 -, de Lalieau, Traité de l'expropriation pour cause d'utilité publique,7e édition 1879, t. I, n° 1-16, pp. 1-15.

12. Daffry de La Monnoye, op. cit.,t. I, p. 49 ; on notera cependant que si les travaux nécessitent des engagements ou des subsides du Trésor, il y aura nécessité d'une ratification législative (Répertoire général…,loc. cit., n° 28).

13. Cf. R. Butler et P. Noisette, De la cité ouvrière au grand ensemble. La politique capitaliste du logement social, 1815-1975,p. 15. Cf. aussi G. Dufour, Traité général de droit administratif appliqué,3e édition, 1868, t. V, n° 639, p. 646.

14. Les deux qualificatifs reviennent comme un leitmotiv. Ex. : arrêté préfectoral du 2 septembre 1863 ; délibération du conseil municipal du 22 décembre 1864, etc.

15. On notera que le décret du 26 mars 1852 renverse ainsi les rôles par rapport à la législation antérieure (cf. G. Dufour, De l'expropriation et des dommages causés à la propriété,1858, n° 339, p. 342) : sous le régime de la loi du 16 septembre 1807 (article 51) et de la loi du 3 mai 1841 (article 50), l'administration pouvait être amenée à acquérir « les parties restantes » sur réquisition du propriétaire exproprié et donc dans son intérêt, c'était pour elle une charge ; désormais, c'est l'administration qui a la faculté d'acquérir.

16. Cf. supraà propos de la loi du 13 avril 1850, relative à l'assainissement des logements insalubres. On ajoutera qu'« un décret du gouvernement provisoire, en date du 3 mai 1848, relatifà la prolongation de la rue de Rivoli, a autorisé la Ville de Paris à acquérir en totalité toutes les propriétés qui seraient atteintes par le percement, et à revendre les portions qui resteraient en dehors des alignements, en les lotissant pour la construction de maisons d'habitation bien aérées » (G. Dufour. op. cit.Texte directement précurseur du décret du 26 mars 1852.

17. DE Lalieau, op. cit.,t. H, n° 1 116, pp. 387-388. Cf. aussi Daffry de la Monnoye, op. cit., t. II, n° 2, p. 569.

18. Cour de cassation (chambre civile), 14 février 1855, Ville de Lyon, Y von de Jouage et autres.

19. Nictas-Galliard, « Examen doctrinal d'un arrêt de la Cour de cassation du 14 février 1855. sur l'application du décret du 26 mars 1852», Revue critique de Législation et de Jurisprudence,t. VI, 1855, p. 4.

20. De Lalleau, op. cit.,t. II, n° 1 120, p. 392.

21. De Lalleau, op. cit.,t. II, nos 1 119 et 1 120, pp. 391-392.

22. Op. cit.,t. II, n° 1 121, pp. 392-393 : « … Si l'abus était manifeste… si le motif d'insalubrité n'était évidemment qu'un prétexte mis en avant pour éluder la loi et ouvrir la voie à une spéculation essentiellement contraire au voeu du législateur… ».

23. G. Dufour, De l'expropriation…,n° 7, pp. 13-15 ; du même Traité général…,t. V, n° 639, pp. 647-648 : « Ce sont là de graves dispositions, mais elles n'ont rien que d'éminemment exceptionnel et, en dehors de la dérogation qu'il a dû souffrir, le principe reste dans toute sa force. Peut-être, disions-nous dans la deuxième édition de cet ouvrage, n'appartient-il qu'à l'avenir de nous dire s'il ne se cache pas un péril sous le bien que promettent ces mesures… Et à l'occasion d'une consultation délibérée en 1854, pour établir que le gouvernement serait en droit de concéder à une société de capitalistes le droit d'expropriation à l'effet de démolir et rebâtir Paris par quartiers, nous demandions si ce n'était pas assez d'une pareille thèse publiquement soutenue (…) pour donner une idée des excès auxquels un gouvernement révolutionnaire pourrait être entraîné. Nous devons le dire, en toute franchise, ce qui s'est passé depuis n'a pas fait cesser nos craintes ; et la manière dont le droit d'expropriation a été entendu et pratiqué a, suivant nous, porté une atteinte profonde à l'une des bases de l'ordre social. ».

24. Arch. Mun., 102 Voirie urbaine - Rue Nationale II, registre d'enquête, déposition n° 1 (Jeanton Saint-Génis). Cf. aussi les dépositions n° 4 bis, 16, 28, 32, 38, 54, 59, 63, 74.

25. La municipalité est, bien entendu, accusée par certains de n'étendre, abusivement, soutiennent-ils. les expropriations que pour faciliter la tâche du concessionnaire des travaux, dont les profits seraient ainsi gonflés par la spéculation.

26. G. Dufour, De l'expropriation…,n° 7, p. 15 ; De Lalleau, op. cit.,t. II, n° 1 1 19, p. 391.

27. Arch. Mun., 102 Voirie urbaine - Rue Nationale II, 1863. En outre, Jeanton Saint-Génis, dont nous citons plus haut la déposition, n'a-t-il pas lu Dufour (cf. n. 23) .

28. Arch. Mun.. 102 Voirie urbaine - Rue Nationale I, Rapport de la commission sur l'enquête, 27 octobre 1863 (c'est nous qui soulignons la fin de la citation).

29. Harouei, J.-L.., Le droit de la construction et de l'urbanisme dans la France du XVIIIesiècle, thèse Droit, polygr., Paris, 1974 Google Scholar.

30. Arch. Mun., 102 Voirie urbaine - Rue Nationale I, Lettre du préfet de l'Hérault au ministre de l'Intérieur,12 novembre 1863.

31. Arch. Mun., 102 Voirie urbaine - Rue Nationale I, Supplément de pièces, observations faites par M. le ministre et M. Blanc, lettre du préfet de l'Hérault,11 février 1864.

32. Arch. Mun., 102 Voirie urbaine - Rue Nationale I, s.d. ( 1864), Brouillon pour une lettre du maire de Montpellier au ministre de l'Intérieur.

33. Comme cette technique intervient parfois concurremment à la précédente et à la suivante, il est difficile de préciser le nombre de parcelles qu'elle affecte.

34. G. Dufour, De l'expropriation…,p. 345 ; De Lalleau, op. cit.,t. II, p. 395.

35. Principe identique à celui posé par la loi du 13 avril 1850, relative à l'assainissement des logements insalubres, déjà évoquée.

36. G. Dufour, De l'expropriation…,p. 348.

37. M. Vidai., « La propriété dans l'École de l'exégèse en France », Quaderni ftorentini per la Storia del Pensiero giuridico moderno,5-6, 1976-1977, pp. 14-17.

38. Feuilloys c. Ville de Paris, du Palais,1862.1.76.

39. Il s'agit de l'avocat Bédarrides (enquête publique, déposition n° 56). Un mémoire non daté ni signé fait allusion au décret du 27 décembre 1858, portant règlement d'administration publique pour l'exécution du décret du 26 mars 1852, qui, dans son article 5, règle la procédure à suivre si un propriétaire « entend profiter de la faculté de s'avancer sur la voie publique ».

40. Arch. Mun., 102 Voirie urbaine - Rue Nationale II, Observations et notes présentées, mémoire anonyme, s.d.

41. Enquête publique, Avis du commissaire-enquêteur,§ vi, n° 2.

42. Arch. Mun., 102 Voirie urbaine - Rue Nationale I, Rapport de la commission sur l'enquête, 27 octobre 1863.

43. G. Bazille l'avait fait très brièvement dans son rapport du 23 février 1863, en mentionnant l'avis du Conseil d'État du Ier février I 826, dont il sera question à présent.

44. Nous remercions ici le Secrétariat Général du Conseil d'État qui a bien voulu rechercher si. en dépit de l'incendie du Palais d'Orsay pendant la Commune, il restait trace de ce texte. Nulle, hélas.

45. Notamment le SC du 25 décembre 1852, mais aussi le décret du 27 décembre 1858 dans son article 3 : « Si l'administration le juge préférable, il sera statué par un seul et même décret sur l'utilité publique de l'élargissement, du redressement et de la formation des rues projetées, que sur l'autorisation d'exproprier les parcelles situées en dehors des alignements. » Un package deal souhaité par la municipalité de Montpellier.

46. Rapport du 23 février 1863, Montpellier, 1863. Cf. J.-L. Harouei., «Les fonctions de l'alignement dans l'organisme urbain », Dix-huitième Siècle,n° 9, 1977, p. 139.

47. Cf. A. Batbie, Traité théorique et pratique de droit public et administratif,t. VII, 1868. pp. 19-20.

48. A. Des Cilleui.S, Traité de la législation et de l'administration de la voirie urbaine,1877. p. 299.

49. A. Batbie, op. cit.,p. 20 ; A. Des Cilleui.S, op. cit.,pp. 299-300.

50. Registre d'enquête publique, déposition n° 4 bis.

51. G. Bazille, Rapport du 23 février 1863.

52. Arch. Mun., 102 Voirie urbaine - Rue Nationale I, Observations faites par M. le ministre et M. Blanc du ministère de l'Intérieur,11 février 1864.

53. Cf. à titre d'exemple L. Finocchi, « Edilizia scolastica a Milano dal 1850 al 1885 », Storia urbana,n° 6. 1978. pp. 101-102.

54. Cf. supran. 45.

55. Arch. Mun., 102 Voirie urbaine - Rue Nationale I, Lettre du préfet de l'Hérault au ministre de l'Intérieur,12 novembre 1863.

56. G. Dufour, Traité…,t. V, p. 645.

57. G. Bazille, Rapport du 23 février 1863.

58. Cf. par exemple le scandale Teisserenc à propos des Grands Travaux Lazard (A.-M. Fabrevidai., Régénération urbaine à Montpellier, 1852-1883. Rénovation, haussmannisation, stratégie de classe,Mémoire pour le DES de géographie urbaine, 1977, pp. 52-54).

59. La presse locale s'en fait l'écho : cf. Le Messager du Midi,17 juin 1865. par exemple.

60. Le Messager du Midi,17 juin 1865..

61. le Loup de Sanc Y. « Étude sur l'expropriation pour cause d'utilité publique en Angleterre, en Belgique, en Espagne, en Italie, en Prusse et dans la Confédération suisse », Bulletin de la Société de Législation comparée,13 décembre 1876, t. 6, p. 23 ss, et 1877, p. 91 ss.

62. A. Briggs, Victorian cities,1963; Benevolo, L., The origins of modem town planning, Londres. 1967, pp. 99100 Google Scholar.

63. Nous comptons mener à bien cette étude comparative au cours d'une mission près de l'Istituto di Storia del Diritto de Milan, qui nous est confiée par le CNRS, en 1980.

64. M. Saltet, Secteur sauvegardé. Rapport préliminaire,mars 1969. pp. 5-7.

65. Cf. Mme M. Lacave. « Pour une typologie des insertions dans un tissu urbain ancien : le cas de l'église Sainte-Anne à Montpellier sous le Second Empire », à paraître dans les Études sur Pézenas et l'Héraulten 1980.