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Révoltes et contestations rurales en France de 1675 à 1788*

Published online by Cambridge University Press:  25 May 2018

Emmanuel Le Roy Ladurie*
Affiliation:
Collège de France

Extract

Méthodologie de l'Histoire rurale à l'époque moderne ? Question à laquelle répondront nécessairement P. Goubert (Démographie) et E. Labrousse (Prix, salaires, fluctuations et conjonctures). Il fallait donc me limiter à un domaine spécifique. J'ai choisi le bon vieux terrain des révoltes paysannes ; mais afin de ne pas répéter Porchnev et Mousnier, j'ai concentré mon exposé sur les recherches relatives à la fin du XVIIe et au XVIIIe siècle. Les méthodes, recherches et résultats obtenus par Saint-Jacob, Poitrineau, Frêche et Meyer seront donc largement évoqués dans cette étude.

Des articles nombreux, des livres connus ont évoqué la longue série des révoltes antifiscales et des guerres paysannes du XVIIe siècle, au premier rang desquelles, en certaines régions occidentales, montagneuses ou bocagères (Cotentin, Bretagne, Angoumois, Périgord, Boulonnais, Vivarais), se tinrent divers groupes de communautés villageoises.

Type
Ancien Régime et Révolution : Réinterprétations
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1974

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Footnotes

*

Cet article constituait à l'origine une communication présentée au congrès de Méthodologie historique, tenu à Saint-Jacques-de-Compostelle en 1973.

References

1. L'histoire des révoltes a été particulièrement affectée par les visions « téléologiques » qu'ont engendrées rétrospectivement la Révolution française et, par la suite, l'historiographie bourgeoise, puis socialiste de celle-ci. On a été amené de ce fait à mettre au premier plan (parce qu'elles bénéficiaient de l'éclairage a posteriori que leur distribuaient avec générosité les mouvements de 89) quelques révoltes dont il est en effet raisonnable de penser, sur la base d'une documentation hélas vague, douteuse, ou insuffisante (telle que le problématique Code paysan des Bretons de 1675), qu'elles ont eu un caractère violemment ou occasionnellement antiseigneurial ou (et) antinoble. Et la grande masse, à la fois fondamentale et typique, des révoltes qui, jusqu'à la fin du XVIIe siècle, demeurent pour l'essentiel tournées contre l'État, et qui ne se préoccupent pas ou guère de la seigneurie et de la noblesse, sinon pour y puiser des leaders, a été, soit, pendant longtemps, négligée, soit, plus récemment, considérée de biais sous les angles déformants qu'imposaient les points de vue téléologiques.

2. Très importante me paraît être de ce point de vue la révolte du Boulonnais de 1662, née pour une fois, non point dans le Sud ou l'ouest du royaume, mais à proximité de régions qui seront les terres classiques des soulèvements paysans septentrionaux de 1789. Concomitante avec les crises de subsistances de 1661-62, dirigée par un petit noble adonné « au vin et à la débauche » qui fut embauché comme leader, sur le tard, par les paysans rebelles, cette révolte proteste, en pays d'États, contre une avalanche d'impôts nouveaux; en quoi elle est bien de son temps. Mais elle s'en prend aussi, — et comment ! — aux « fermiers des nobles qui se disaient exempts » des impôts nouveaux et anciens. On saisit ici sur le vif, dans une région beaucoup plus intéressante (du point de vue du très long terme pré-révolutionnaire) que ne l'Est la Bretagne, le Périgord « croquant » ou le Cotentin « nu-pied », comment l'agitation contre l'impôt, de style classique, peut tourner à la contestation du privilège fiscal, et de là, glisser finalement, comme ce sera le cas au XVIIIe siècle, vers l'attaque antiseigneuriale et antinoble. En ce sens les Lustucrus boulonnais de 1662 sont au Paysans du Nord révoltés de 1789 ce que l'australopithèque est à l'homo sapiens: ils font réellement figure de précurseurs, dans l'acception, pour une fois authentique, de ce mot trop galvaudé. (Cf. Léon Bernard, « French Society and popular uprisings under Louis XIV », French Historical Studies, 1964, p. 458).

3. Éd. La Pléiade, vol. II, p. 766.

4. D'après Yves Durand, Les fermiers généraux au XVIIIe siècle, Paris, P.U.F. 1971, la part de l'impôt indirect passe de 24,2 % en 1643, 23,7 % en 1648 et 16,6 % en 1656, à 46,7 % en 1662 ! et à 53 % (chifire moyen) en 1685-1695, dans l'apogée (relatif) du pouvoir des traitants. Au XVIIIe siècle, la part de l'impôt indirect oscille entre 42 et 47 %.

5. de Saint-Jacob, Cf. P., Les paysans de la Bourgogne du Nord au dernier siècle de l'Ancien Régime, Paris, 1960.Google Scholar

6. Frêche, thèse inédite, p. 949 (pour le Languedoc).

7. Cité dans mes Paysans de Languedoc (in fine).

8. Écraignes : veillées pour le travail du chanvre. Voir pour telle agitation en 1728, Saint-Jacob, p. 328.

9. Robin, Cf. R., La société française en 178g à Semur-en-Auxois, Paris, 1971 Google Scholar.

10. Vovelle, Cf. M., Piété baroque et déchristianisation en Provence au XVIIIe siècle, Paris, 1973 Google Scholar.

11. Voir N. Rétif de la Bretonne, La vie de mon père, éd. Garnier, in fine.

12. En Provence, d'après M. Pillorget un tiers des « révoltes » au XVIIIe siècle est dirigé contre les seigneurs.

13. Poitrineau, Abel, La vie rurale en Basse-Auvergne au XVIIIe siècle, Paris, 1965 Google Scholar.

14. Cette minuscule fusillade me fournira l'occasion d'une incise: c'est une paysannerie plus instruite, nantie d'espérances (ou d’ « expectations ») accrues, mais aussi physiquement mieux armée, pourvue de fusils en lieu et place d'arquebuses et d'arbalètes, qui s'oppose désormais aux seigneurs. Cette diffusion d'une technologie d'armement beaucoup plus perfectionnée contribue à expliquer, aussi, l'exacerbation générale au XVIIe siècle, des conflits à propos du monopole seigneurial de la chasse.

15. G. Frêche, thèse inédite.

16. J. Brancolini, Étude inédite sur les cahiers de doléances du Gard. Il faudrait ajouter, dans le Haut-Languedoc exportateur de grain, les émeutes de subsistances. Frêche, op. cit., p. 937.

17. Meyer, J., La noblesse bretonne au XVIIIe siècle, Paris, 1966 Google Scholar.