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Résistance à la médecine en situation coloniale : la peste à Madagascar

Published online by Cambridge University Press:  26 July 2017

Faranirina Esoavelomandroso*
Affiliation:
Département d'Histoire Antananarivo

Extract

Importée de Maurice, où elle sévit à l'état endémique, la peste frappe Tamatave en février 1921, mais n'y reste pas circonscrite. Pour la première fois, ce fléau considéré jusque-là comme « maladie des ports » pénètre à l'intérieur de l'île et atteint la capitale, véhiculé directement peut-être à partir de Tamatave par un pesteux bubonique ou tout simplement par des rats. On pense aussi à une lente propagation de la maladie le long de la voie ferrée Tananarive-Côte Est, comme en témoignent l'épisode d'infection murine à Périnet en 1921 et l'existence sur ce même axe de localités qui vont se révéler dans les années ultérieures comme des foyers importants d'endémie pesteuse (Moramanga, Manjakandriana). Le froid qui règne sur les Hautes Terres centrales en saison sèche (avec des températures descendant facilement au-dessous de + 15 °C), la gravité des affections respiratoires, risquent de provoquer une complication pulmonaire chez les pestiférés buboniques. C'est ainsi que la peste, « maladie nouvelle » pour les Merina, se déclenche dans la capitale, au coeur même de leur pays, sous sa forme la plus contagieuse et presque toujours mortelle.

Summary

Summary

Even if the reaction ofthe inhabitants of Madagascar to the plague—a "new" diseuse which appeared in the Central Highlands in 1921—was in many respects comparable to that of the Europeans in the Middle Ages or in modem limes, their colonial circumstances conferred a real originality to their attitude. In addition to the anxiety generated by the prospects ofa periodic re-occurrence ofthe plague and of épidémies striking at entirefamilles and villages, there was the fear not only ofa certain death but also ofa painful burial. In effect, the sanitary rules decreed by outsiders without taking local traditions into account, prevented the return ofthe deceased to the ancestral land. In the eyes of the indigenous population, by a séries ofsevere and often inconsistent prophylactic measures, the oppressive colonial administration was seeking nolhing but the perpétuation of French domination. The plague—if it existed at ail—was nothing but a pretext for pressure on the indigenous population, and the ineffective anti-plague vaccines, nothing but a ruse to destroy them. Nationalist leaders thus found in the plague and the various measures adopted to combat it an excellent thème for propaganda. The indigenous reaction to the anti-plague campaign organized by the colonists assumed the character ofa véritable political résistance, especially during the period of the Popular Front.

Type
Mondes Dominés
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1981

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References

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2. E. Brygoo, « Épidémiologie de la peste à Madagascar », A.I.P.M. 35, pp. 9-147. Les brèves épidémies de l'extrême fin du xixe et du début du xxe siècle n'ont touché que les ports : Tamatave, Diégo-Suarez, Majunga. Nous donnons ici la version traditionnelle d'une contamination tardive de l'intérieur de l'île. Longtemps acceptée, cette hypothèse a été remise en question, certains arguments faisant penser à une implantation moins récente de la maladie sur les Hautes Terres : — la présence du Rattus rattus, vecteur privilégié de la peste ; — le caractère essentiellement rural de la peste, alors que l'épidémie de 1921 a éclaté à Tananarive ; — la description par Nicolas Mayeur, dans la deuxième moitié du xvme siècle, d'une petite épidémie meurtrière (que le traitant appelle « maladie de poitrine ») dans des régions de l'intérieur reconnues comme des zones de forte endémie pesteuse, cf. Brygoo et Lejas, « Nicolas Mayeur a-t-il observé la peste pulmonaire à Madagascar en 1774 ? », A.I.P.M. 1969, 38(1), pp. 181-182 ; — le rapport de l'Institut Pasteur pour l'année 1924 note que les médecins relevaient depuis longtemps des pneumonies dites familiales, terme nécessitant des recherches.

3. Mahamasina, Ambodinanosy, Anosipatrana, Isotry, Antanimena, Ankadifotsy. A.R.DM. H 24 (R)A.M.I., 1921. Les statistiques de la ville de Tananarive indiquent pour 1925, 65432 habitants dont près de la moitié pour les seuls trois arrondissements d'Isotry, Anosipatrana et Andrefandrova (englobant le quartier de Mahamasina). AN.Som Aix-en-Provence, 2 D 201, R. Politique, Province de Tananarive.

4. Fenoarivo, Ambohimangakely, Analamahitsy, Ilafy, Ambohitrandriamanitra, Antanamalaza. Antanimarina, Ambohimanga, Ankadinandriana, Alasora.

5. A.I.P.M. R. de 1937 et A.R.DM. H 31 (R)A.M.I. de 1927.

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7. Nous nous référons aux statistiques de l'A.M.I. Ces données sont loin d'être sûres. Cependant pour les décès causés par la peste, les erreurs devaient être moins importantes, en raison du dépistage systématique post-mortem. Le nombre des malades reste en revanche difficile à déterminer.

8. Expression employée par Andriananjaina dans un article intitulé, « Mahafoana ny pesta ve ny tsindrona ? » [le vaccin peut-il faire disparaître la peste ?], Prolétariat malgache 27.11.1936.

9. Biraben, J.-N., Les hommes et la peste en France et dans les pays européens et méditerranéens2 t. Paris-La Haye, Mouton, 1976, 416 Google Scholar p.

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14. A.R.D.M. H 39 (R) B.M.H., Tananarive, 1934.

15. Lettre parue dans l'Indépendant (23.7.1921). De telles remarques publiques, entretiennent chez les Malgaches l'idée d'une peste qui ne frappe que certaines races. Pendant cette première épidémie, il y eut en réalité le décès d'un métis, Gaston X., étudiant en médecine. Parlant de ce cas, Guinaudeau souligne bien que « la famille indigène d'un Européen a été atteinte par ce fléau, alors que lui-même est resté indemne… ».

16. A.R.DM. H 292, Note sur la mentalité des Malgaches dans son rapport avec la lutte contre la peste à Madagascar par le Dr Maurice Andriamampianina, 23 p. dactyl.

17. A.R.DM. H 390, lettre du médecin Andrianifahanana au médecin-inspecteur de l'A.M.I., Tananarive le 5.8.1932.

18. L'Indépendant 23.7.1921. C'est en 1863, sous le règne de Radama II qu'éclate l'épidémie dite de Ramanenjana. « Les malades, cous et membres raidis, dansaient en semblant porter de lourds fardeaux » ( Deschamps, H., Histoire de Madagascar, Paris, Berger-Levrault, 4e édition 1972, 356 Google Scholar p.).

19. C'est le cas dans le district d'Ambohidratrimo, en 1933. A.R.DM. H 256.

20. A.R.DM. H 390, Lettre du chef de Province au gouverneur général le 27.11.1923.

21. AN.Som Aix-en-Provence, 3 D 122, Rapport de l'inspecteur Poirier au gouverneur général, 9.11.1927.

22. Autobiographies et biographies officielles d'un certain nombre de notables mentionnent dans la liste de leurs actions méritoires le rôle qu'ils ont joué en période de peste. AN.Som. Aix-en- Provence, série 6 ( 11 ) D.

23. Gouzien, « A propos de la peste à Madagascar », B.S.Pe 1921, pp. 610-621.

24. Dr Couvy, « Organisation de la lutte contre la peste dans la commune de Tananarive », AM.P.C t. 23, 1925, pp. 33-49.

25. A.R.D.M.. H 39 (R) B.M.H., Tananarive, 1934.

26. A.R.DM. H 45 (R) B.M.H., Tananarive, 1936.

27. Le terme de bourjane désigne ici le manoeuvre, le journalier.

28. A.R.D.M. H 390.

29. Le nationaliste Ralaimongo le dit clairement dans son compte rendu d'un voyage effectué à Madagascar de juillet à décembre 1921.

30. A.R.D.M. H 25 (R) A.M.I., 1922.

31. Ramanitrarivo, « Ny Malagasysy ny pesta » [Les Malgaches et la peste], B.S.M. mars 1926, n° 15, pp. 122-127.

32. Statistiques pour Tananarive-ville Dates 1921 1922 1923 1924 1925 1926 1927 Cas de peste 53 65 125 86 48 156 161 Décès 53 52 122 82 46 151 140 J. Fonquernie, « Le fonctionnement du service de la peste au B.M.H. de Tananarive en 1927 », A.M.P.C. 1929, pp. 85-94.

33. Voir le graphique de morbidité et de mortalité pesteuses à Madagascar (1924-1939).

34. A.R.D.M. H 39, Rapport B.M.H., Tananarive 1934 et H 43 Rapport B.M.H., Tananarive 1936.

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36. Rajaobemna, « Artikla antonona ny be sy ny maro, Aretina ilana fandresena ny pesta » [Article accessible à tous, la peste maladie à vaincre], B.S.m. n° 27, mars 1927, pp. 83-89.

37. Ph. AriÈS, L'homme devant la mort Paris, Éditions du Seuil, 1977, 641 p.

38. G. Girard, art. cit., Cahiers Charles de Foucauld.

39. Ramanitrarivo, « Azo foanana ve ny pesta ? » op. cit. pp. 246-253. Signalons que le bubon aurait disparu de lui-même.

40. G. Girard, « Épidémiologie de la peste pulmonaire en Emyrne », B.S.Pe. 1927, pp. 223- 251.

41. A.R.D.M. H 292, Rapport du médecin-major Arlo.

42. Procès-verbaux pour infraction à la police sanitaire, A.R.D.M. H 390.

43. A.Rdm. H 88, personnel A.M.I.

44. A.R.D.M. H 256, Compte rendu de l'inspecteur de police Beauvais au médecin du B.M.H. (5.3.1930).

45. A.R.D.M. H 292, Note sur la mentalité des Malgaches…

46. A./.P.M. Rapport de l'Institut Pasteur, 1930.

47. A.R.D.M. H 390.

48. A.R.D.M. H 292, Lettre du chef de province d'Ambohidratrimo au chef du service des affaires politiques et administratives (29.1.1928).

49. A.R.D.M. H 293, vaccination antipesteuse.

50. A.R.D.M. H 390 et H 293.

51. G. Girard, art. cit., Cahiers Charles de Foucauld.

52. AI.P.M. confidentiel départ, lettre de Girard au Directeur du Service de Santé.

53. A.R.D.M. H 29 (R) A.M.I., 1926.

54. A.R.D.M. H 27 (R) A.M.I., 1924 ; A.R.D.M. Rapport Institut Pasteur 1924.

55. Ramanitrarivo, art. cit., B.S.m. 1926, n° 13, p. 63.

56. Cette population est évaluée à 900 000 personnes environ (A.R.D.M. H 293).

57. P.S.T. Le germe dénommé bacille de Malassez et Vignal, agent de la pseudo-tuberculose des Pongeurs, est très voisin du bacille de Yersin, ce qui explique l'essai d'utilisation du vaccin P.S.T., à partir de 1927.

58. A.R.D.M. H34(R) A.M.I., 1930.

59. Ibid., fanafody = remède.

60. Ibid.

61. Ibid.

62. Compte rendu… déjà cité.

63. Pour le contexte politique, voir J.-P. Domenicchini, Jean Ralaimongo et l'origine du Mouvement national malgache D.E.S. Paris, 1961, 135 p. dactyl. F. Koerner, « Le Front Populaire et la question coloniale à Madagascar, l'année 1936 », R.F.H.O.M. t. LXI, 1974, pp. 436-454.

64. Mémoire inédit dactylographié du nationaliste Jules Ranaivo.

65. La Nation malgache du 29.11.1936, n° 6.

66. Ibid.

67. La Patrie malgache du 25.5.1934, n° 12.

68. Le nombre des vaccinés diminue sensiblement jusqu'en 1935 (voir graphique sur l'évolution des vaccinations antipesteuses à Madagascar).

69. Le virus vaccin E. V. fabriqué à partir d'une souche locale isolée en 1926 sur un enfant européen de la famille E. V… décédé de la peste. La méthode d'immunisation par le vaccin vivant a fait aussi ses preuves à Java, en 1933.

70. En 1933, Girard fait expérimenter le vaccin à Ambohimiadana (localité située au sud de Tananarive, dans une région très infectée). La moitié de la population qui s'était portée volontaire reçoitle vaccin E.V., l'autre moitié servant de témoins. Il précise :” Nous n'avons rien fait auprès des indigènes qui put leur laisser supposer que nous procédions à une expérience, nous n'avons refusé la vaccination à personne. » AI.P.M. Confidentiel départ 8.12.1933.

71. A.R.D.M. H 293, vaccinations antipesteuses, 1933.

72. Ibid. lettre du médecin-inspecteur de l'Emyrne au directeur de l'A.MI. (21.10.1935).

73. Ibid. vaccinations 1937, lettre de Razafindrakoto au directeur de l'A.M.I. (3.8.1937).

74. Le Prolétariat malgache(\%. 12.1936), n° 61,” La comédie qui se joue autour de la peste et de la vaccination antipesteuse » par Andriantsifahoana.

75. La Nation malgache 29.11.1935, résumé par un journal d'opposition du discours tenu à Ambohitrimanjaka par le chef du district d'Ambohodratrimo.

76. AN.Som Aix-en-Provence 6/1 1/D 12.

77. La Patrie malgache 25.5.1934.

78. A.R.D.M. H 293, vaccinations campagne de 1936, voix de la brousse de Manjakandriana.

79. A.R.D.M. H 43 (R) B.M.H. de Tananarive, 1936.

80. Ibid.

81. Le Prolétariat malgache (16.10.1936).

82. Voir Radaody-Rakotondravao, F., Pouvoir colonial, associations et premiers syndicats à Madagascar (1896-1939) mémoire de maîtrise, Antananarivo, 1979, 180 Google Scholar p. dactyl.

83. A.R.D.M. H. 293, campagne de 1936.

84. A.R.D.M. H 43 (R) B.M.H. de Tananarive, 1936.

85. A.I.P.M. Lettre de l'administrateur, chef de la région de Tananarive au gouverneur général (26.11.1937).

86. Biraben, op. cit.

87. Mongo n°33 du 14.3.1937.

88. La Patrie malgache n° 12 du 25.5.1934.