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Qu'Est-Ce Qu'un Champion ? La Compétition Sportive en Languedoc au Début du Siècle

Published online by Cambridge University Press:  26 July 2017

Guy Laurans*
Affiliation:
Université de Montpellier III

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La compétition réglée qui caractérise le sport moderne s'incarne dans la figure du champion : non seulement celui qui atteint à l'excellence en faisant la preuve des qualités exigées, mais aussi, plus particulièrement, le premier de tous, le meilleur, désigné selon les procédures et les règles propres à chaque sport. Primus inter pares, le champion est celui qui culmine, seul, à la pointe la plus effilée de la meute de compétiteurs lancée à la conquête du titre. Comment est-il parvenu à cette position incontestable — pour un temps — et reconnue de tous, sinon en acceptant les règles d'un jeu contrôlé et validé, en se soumettant à la mesure et à la comptabilité communes ? Le contrôle et la mesure de la performance sont les conditions d'un étalonnage des concurrents selon un classement ordinal que son objectivité met à l'abri des contestations.

Contemporary sports have developed meticulous procedures by which to designate their elite competitors through various kinds of championships. A study of Languedoc sports circles at the beginning of the century indicates the problems involved in and slowness of the institutionalization of these procedures: the latter were preceded by a model of competition based on challenges. Sports challenges are among the ancient forms of social competition valued in Mediterranean communities where modem sports and traditional games now meet up. The process of reinterpreting Anglo-Saxon sports as they spread geographically and socially throws into question the definition of sports as an autonomous field of practices, as well as its univocal function as a vector of cultural modernity.

Type
Mythologies Contemporaines
Copyright
Copyright © École des Hautes Études en Sciences Sociales, Paris, 1990

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References

Notes

1. Le tour de France cycliste (qui n'est pas un championnat) est particulièrement révélateur à cet égard, les multiples classements en jeu (au temps, aux points, de la montagne, par équipes, des « points chauds », etc.) donnant lieu à des primes et à des prix quotidiens pour les coureurs les mieux classées. On remarquera que la presse sportive multiplie les classements annexes dans les championnats de sports collectifs. En football, par exemple, classement des joueurs, notés à chaque match, des buteurs, etc.

2. L'Union des Sociétés Françaises de Course à Pied fondée en 1887 par Georges de Saint-Clair se transforme deux ans plus tard en Union des Sociétés Françaises de Sports Athlétiques.

3. Coubertin, Pierre De, Pédagogie sportive, Paris, Éditions Vrin, 1972.Google Scholar

4. Annonce d'un match de football entre le Montpellier-Sportif et l'AS Alais en 1912 : « Les sportsmens (sic) viendront nombreux car ils savent très bien qu'un match amical est toujours plus intéressant à tous les points de vue qu'un match de championnat », L'Éclair du 06.01.1912. Cet argument publicitaire ne serait plus possible de nos jours, où les spectateurs dédaignent systématiquement les parties sans enjeu officiel.

5. Par exemple Bourdieu, Pierre, « Comment peut-on être sportif ? », Questions de Sociologie, Paris, Éditions de Minuit, 1980 Google Scholar. (L'autonomie du champ) par Parlebas, Pierre, Éléments de sociologie du sport, Paris, PUF, 1986 Google Scholar. (La compétition institutionnalisée) ou Chartier, Roger et Vigarello, Georges, « Les trajectoires du sport », Le Débat, 19 février 1982 Google Scholar. (Un espace-temps socialement abstrait)…

6. Ainsi cette annonce publique par voie de presse : « A la suite d'une discussion sportive, M. Augustin Rouvière nous prie de faire connaître qu'il lance un défi à son compétiteur pour un parcours de 50 km. Enjeu à débattre », L'Éclair Au 29.03.1909.

7. Conclusion fréquente d'un compte rendu de match gagné trop facilement par l'équipe locale : « … partie inintéressante au possible ».

8. Pitt-Rivers, J., Anthropologie de l'honneur, Paris, Le Sycomore, 1983.Google Scholar

9. Gil, José, La Corse entre la liberté et la terreur, Éditions de la Différence, 1984.Google Scholar

10. Bourdieu, Pierre, « Le sens de l'honneur », première des trois études d'ethnologie kabyle, dans Esquisse d'une théorie de la pratique, Genève, Librairie Droz, 1972.CrossRefGoogle Scholar

11. A Montpellier, en 1916 : « L'Étoile Bleue ayant considéré comme un match la partie amicale que lui avait proposée le Stade Lunaret le dimanche 12 courant, celui-ci demanda sa revanche qui eut lieu hier après-midi. Le Stade Lunaret cette fois au complet affirma sa supériorité et remporta la victoire par 3 buts à 0 », Le Petit Méridional du 20.11.1916.

12. L'Éclair du27.11.1916.

13. Le jeu de balle au tambourin, que ses historiens renvoient à un lointain passé, est installé (très probablement depuis le milieu du XIXe siècle) dans les parties médiane et orientale du département de l'Hérault, ainsi qu'en Italie. Cette géographie singulière fait du tambourin un phénomène identitaire des traditions bas-languedociennes. On peut assimiler le jeu, très schematiquement, à une variante de la longue paume, la balle étant frappée avec un tambourin circulaire tendu de peau.

14. Le Petit Méridional du 26.07.1900.

15. L'Éclair du 01.06.1900.

16. L.-P. Blanc montre comment sous l'Ancien Régime à Sète la jeunesse (barque bleue) défiait les mariés de la barque rouge. A notre époque, il arrive que les joutes du dimanche soient réservées à la jeunesse, et celles du lundi aux vétérans. Depuis le XIXe siècle, les rivalités opposent, plutôt que les générations, des quartiers et des métiers (pêcheurs d'étang/pêcheurs en mer), Blanc, L.-P., Les joutes à Sète, Sète Google Scholar, s. d.

17. L'Éclair du 02.05.1914.

18. P. Bourdieu, Esquisse, p. 25.

19. L'Éclair des 21 et 23.04.1916.

20. Il n'est pas aisé de calculer les équivalents en francs 1989. Jean Fourastié se livre à des estimations complexes basées sur le salaire de référence des manoeuvres de province, Fourastié, J. et Bazil, B., Pourquoi les prix baissent, Paris, 1984 Google Scholar. Si l'on accepte de suivre Fourastié, il faut admettre que 1 franc de 1900 vaut approximativement 145 francs de 1989. Dans le match de tambourin auquel nous nous référons, chacun des 5 joueurs engagerait 14 500 francs. Il faut les supposer de famille aisée, à moins qu'il ne s'agisse de quasi-professionnels. Une partie quelconque, avec une mise banale de 20 francs, met en jeu près de 3 000 francs actuels.

21. L'Éclair du 24.01.1913.

22. L'Éclair du 11.03.1909.

23. Le Petit Méridional du 27.07.1914. Une telle Fédération languedocienne verra le jour à Agdeen 1921.

24. L'Éclair du 25.01.1911.

25. L'Éclair du07.06.1913.

26. Le Petit Méridional du 19.07.1913. Le « tambourinnman » finit par baisser les bras, et rend son tablier : « Ma place est donc vacante, et les postulants peuvent se présenter immédiatement. Il n'y a qu'à remplir les conditions suivantes : il faut être chimiste, pour bien savoir doser avec des balances de précision, l'éloge et la critique ; faire au moins partie de l'Académie Goncourt pour ne pas employer des mots d'une vulgarité connue tels que “ racler “ ; ne pas connaître la géographie, ce qui permettra dans les défis futurs d'ignorer Bessan sur la carte du tambourin français ; posséder l'escrime à fond en cas de duel ; être au moins licencié es-lettres à cause des éplucheurs. C'est comme on le voit à la portée de tous », L'Éclair du 25.06.1913.

27. Le Petit Méridional et L'Éclair sont les deux quotidiens rivaux de la région. Le premier défend des opinions républicaines et radical-socialistes, il est proche des milieux francs-maçons. L'Éclair, quant à lui, est un organe monarchiste que soutient activement l'évêque de Montpellier, Mgr de Cabrières. Les deux clubs mézois qui publient leur communiqué dans le journal de leur choix manifestent ainsi leur appartenance idéologique. de tels clivages ne font évidemment qu'aviver les querelles sportives .

28. Le Petit Méridional du 09.05.1914.

29. Le Petit Méridional du 10.05.1914.

30. A cette occasion, il convient de s'interroger sur la circulation de l'information sportive. Celle-ci est alors dépendante, assurément, de l'humeur du rédacteur en chef ou des priorités de l'actualité « sérieuse ». Pourtant, les silences de la presse sont très parlants. Dans la mesure où les informations proviennent presque exclusivement des clubs eux-mêmes, sous forme de communiqués, on s'aperçoit que sont assez systématiquement occultés les résultats négatifs. Seuls les vainqueurs sont doués de parole. La défaite est une honte, qu'il convient de cacher : l'absence de tout compte rendu d'un match est l'indice à peu près certain d'une défaite peu glorieuse. Le sport n'est certes pas un simple jeu. Les positions sociales qui se jouent dans une rencontre débordent largement de la seule logique sportive.

31. Le processus est cependant lent, et porte sur tout l'entre-deux-guerres. Lors de la saison 1929-1930 par exemple, le rugby languedocien engage 68 clubs dans les divers championnats régionaux, alors qu'il en existe au moins 95. 2 clubs seulement (Elne et Thuir) disputent, semble-t-il, le championnat d'Honneur-Promotion, Almanach du Méridional Sportif 1929-1930.

32. Brohm, J. M., Critiques du sport, Paris, Bourgois éditeur, 1976.Google Scholar

33. A. Ehrenberg, « Des jardins de bravoure et des piscines roboratives », Les Temps modernes, octobre 1979.

34. Wahl, A., Les archives du football, Paris, Gallimard-Julliard, « Archives », 1989.Google Scholar

35. La jeunesse, c'est-à-dire, bien sûr, les adolescents et les jeunes hommes non mariés. Encore au début des années 1920, dans les campagnes du biterrois, « c'est ici une règle immuable : un homme marié ne doit pas jouer au football. Il n'y a que de sérieuses garanties d'assurances pour changer tout ça », L'Omnium Sportif, juillet 1921.

36. Claverie, É., « L'honneur : une société de défis au XIXe siècle », Annales ESC, 1979, n° 4, pp.744759.Google Scholar

37. J. Gil, La Corse entre la liberté et la terreur, op. cit.

38. Castan, Y., Honnêteté et relations sociales en Languedoc 1715-1780, Paris, Pion, 1974.Google Scholar

39. Le public réclame un vainqueur : seule la victoire — ou la défaite — est porteuse de sens. En cas de match nul, il n'est pas rare de voir le public manifester son mécontentement, parfois violemment, et réclamer la poursuite de la rencontre, jusqu'à ce qu'un des compétiteurs l'emporte.

40. En l'absence, bien souvent, de toute visée de gain monétaire (terrains non clôturés, pas de droit d'entrée), la recherche d'un public est évidente : maximum de publicité dans la presse, insistance dans les comptes rendus sur le nombre de spectateurs présents, ou lamentations devant l'absence du public, tout indique que la rencontre sportive ne se conçoit, dès l'origine, qu'immergée dans la foule, au centre de l'espace communautaire.

41. J. Gil, op. cit.

42. Assez curieusement, Coubertin s'est déclaré partisan des défis aux dépens des formules de championnat. La « championnite » fait naître des glorioles qui risquent de dénaturer la compétition sportive : « Le titre de champion réjouit à ce point la vanité qu'on a multiplié les occasions de s'en affubler en créant des championnats locaux dans la moindre ville d'eaux ». A ces rencontres de championnat qui « ont apporté à la publicité un renfort déplorable et singulièrement aggravé la néfaste influence des prix », Coubertin oppose les défis traditionnels, à l'image des rencontres entre Oxford et Cambridge et des joutes du Moyen Age, « forme d'émulation infiniment supérieure à toute autre » et qui éviteraient « les soucis professionnels et mercantiles ». Le modèle oxbridgien distingué auquel se réfère Pierre de Coubertin occulte manifestement la réalité des défis qui, à cette époque-là, faisaient rage en France, et ne freinaient en rien — bien au contraire — les débordements de l'esprit cocardier dont ils étaient la parfaite manifestation, Pierre de Coubertin, Pédagogie sportive, 1919.

43. Chartier, R. et Vigarello, G., « Les trajectoires du sport », Le Débat, 19, 1982.CrossRefGoogle Scholar

44. Et faut-il rappeler comment Roger Caillois, à la suite de Huizinga, définit le jeu, dans sa plus grande généralité, comme « une occupation séparée, soigneusement isolée du reste de l'existence, et accomplie en général dans des limites précises de temps et de lieu », Caillois, R., Les jeux et les hommes, Paris, Gallimard, 1958.Google Scholar

45. Weber, E., Fin de siècle, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1986.Google ScholarPubMed

46. Par exemple, Bastide, Roger, Le prochain et le lointain, Paris, Éditions Cujas, 1970 Google Scholar ou Herskovits, M. J., Les bases de l'anthropologie culturelle, Paris, Éditions Payot, 1967.Google Scholar

47. Mais les définitions que l'on peut trouver chez des promoteurs de l'idée sportive tels que Coubertin, « Le sport est le culte volontaire et habituel de l'exercice intensif incité par le désir du progrès, et ne craignant pas d'aller jusqu'au risque », Pédagogie sportive, 1919, ou G. Hébert, « le mot sport spécifie, avant tout, que l'exercice, quel qu'il soit, est exécuté avec l'idée d'effort ou de lutte en vue de l'obtention d'un résultat précis », Encyclopédie des sports, 1924 restent très en deçà des implications idéologiques déterminantes chez Chartier et Vigarello.

48. Auge, Marc, « du football et de l'acculturation », Temps libre, 7, printemps 1983 Google Scholar. Plus systématiquement — et d'ailleurs pas toujours de façon convaincante — l'Espagnol Verdu, Vicente a « ethnologisé » le football de son pays, El Futbol : mitos, ritos y simbolos, Madrid, Alianza Editorial, 1980.Google Scholar

49. Elias, N. et Dunning, E., Quest for Excitement, Londres, Basil Blackwell, 1986 Google Scholar. Elias fonde la différence entre sport antique et sport moderne essentiellement sur la sensibilité croissante au degré de violence acceptable dans l'activité physique, à l'intérieur d'un processus général de civilisation.