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Pour une histoire de l'honneur*

Published online by Cambridge University Press:  11 October 2017

Léon-E. Halkin*
Affiliation:
Université de Liége

Extract

« Tout est perdu fors l'honneur », ce mot célèbre attribué à François Ier est compris souvent comme l'expression parfaite de l'idéal chevaleresque. Les paroles authentiques du roi vaincu — « ne m'est demouré que l'honneur et la vie... » — traduisent seulement la fierté d'un chef qui n'a pas fui devant l'ennemi, quitte à se Tendre. Cette précision limitative fait toucher du doigt la diversité déconcertante des aspects du concept d'honneur à travers les âges, les pays, les catégories sociales. Si le mot de François Ier convient à l'idéologie générale de notre temps, son attitude lui est plutôt étrangère.

Type
Essais
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1949

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Footnotes

*

[ M. Léon-Ë, HaJkin, professeur à l'Université de Liège ot, j'ajoute, l'auteur d'un des plus remarquables ouvrages qui aient été consacrés à la déportation (on voudra bien se reporter a ce qu'en ont dit les Annales, 1948, n° I, p. 51), ignorait, quand il m'a adressé cet article, que, depuis plusieurs années j'avais en préparation un livre sur l'un des moteurs les plu” puissants que l'hommo do nos sociétés historiques connaisse. La rencontre et heureuse, et je tenais à la signaler. — L. F.]

References

page 433 note 1. Sur l'histoire du mot, voir Fournier, E., L'esprit dans l'histoire, p. 147, Paris, 1867 Google Scholar. — L.-E. Haulin, « Tout est perdu fors l'honneur », dans’ Tendances, t. I. p. 70-74, Liège, 1936.

page 433 note 2. On sait combien malaisée est l'histoire des sentiments. Voir l'édlairant aperçu de L. Febvre, « La sensibilité et l'histoire », dans les Annales d'histoire sociale, t. III, p. 5, Paris, 1941.

page 433 note 3. Dr Rougkmont, D., L'amour et l'Occident, p. 255, Paris, 1939 Google Scholar.

page 434 note 1. L”Bidois, G., L'honneur au miroir de nos lettres, p. 139, Paris, 1921 Google Scholar. — Ratailijon, M., « Honneur et Inquisition », dans le Bulletin hispanique , t. XXVII, p. 517, Bordeaux, 1935 Google Scholar. — Krakowski, E., « Bergson et lies philosophies de l'héroïsme’ », dans le Mercure de France, t. CCLXVII, p. 513528, Paris, 1933.Google Scholar Soreil, A., « Une décade sur l'héroïsme à Pontigny », dans La Terre wallonne, t. XXVIII, p. 1823, Charleroi, 1933.Google Scholar

page 434 note 2. Il n'est peut-être pas inutile de remarquer que le type primitif du preux chevalier n'a cessé de s'altérer, soit qu'il collectionne les extravagances avec l'Arioste et le Tasse, soit qu'il coure le cotiilon avec Boiardo et Tirso de Molina. L'image du croisé a connu des avatars du même ordre.

page 434 note 3. Gautier, L., La chevalerie, p. 6670, Paris Google Scholar, s. d. — Gautier, L., Les épopées françaises, t. IV, 2e éd., p. M2, Paris, 1882.Google Scholar Ganshof, F.-L., « Qu'est-ce que la chevalerie ? » dans la Revue générale belge, n° 25, Bruxelles, 1947.Google Scholar Painter, S., French Chivalry, Baltimore, 194O Google Scholar. — Cohen, G., La grande clarté du moyen âge, 4e éd., p. 94, Paris, 1945.Google Scholar

page 434 note 4. Aristott., Éthique à Nicomaque, III, 8.

page 435 note 1. Waltz, P., Anthologie grecque. Première partie : Anthologie palatine, t. IV, p. 155166, Paris, 1938.Google Scholar

page 435 note 2. Dodu, G., « Les amours et la mort de François Ier, dans la Revue historique, t. CLXI, p. 337, Paris, 1929.Google Scholar

page 435 note 3. Champoixion-Figeac, , Captivité de François Ier, p. 12, Paris, 1847 Google Scholar

page 435 note 4. A l'époque de François Ier, le succès des thèmes chevaleresques était encore tej que saint Ignace de Loyola lui-même, avant de fonder sa Compagnie, « passa la veillée des armes » devant l'autel de Notre-Dame de Montserrat. Ce fait se passait en 1522, entre Marignan et Pavie. Autre témoignage contemporain du même esprit, Érasme intitula un de ses livres : Manuel du chevalier chrétien. Citons enfin qu'en 1554 paraissait en Es.pagne un livre mystique de Jérôme de Sempere : Livre de la chevalerie céleste. On pourrait multiplier ces eXemples.

page 436 note 1. Paquier, T., Jérôme Aléandre, p. 334, Paris, 1900 Google Scholar. — Htum, L.-E. et Dansaert, G., Charles de Lannoy, vice-roi de Naplcs, p. 67, 73, Paris, 1934.Google Scholar

page 436 note 2. Fournier, o. c , p. 152, n. 3.

page 436 note 3. Manche honorable, pièce d'étoffe que les chevaliers portaient dans les tournois et dans les combats en souvenir de la dame de leurs pensées.

page 436 note 4. Champollion-Figeac, o. c, p. 122-124.

page 437 note 1. C'est moi qui souligne. Cf. Huizinga, J., Le déclin du moyen âge (trad. J. Bastin), p. 121, Paris, 1932.Google Scholar —A comparer au formalisme du serment du maître de l'Ordre du Temple au Portugal. Cf. Manrique, A., Annales Cisterciennes, t. I, p. 187, Ralisbonne, 1739.Google Scholar

page 437 note 2. 1539. Cf. Baumel, J., Les leçons de Francisco de Vitoria sur les problèmes de la colonisation et de la guerre, p. 273273, Montpellier, 1936 Google Scholar. — Grotius devait critiquer ce sentiment peu conforme’ à l'Évangile et à l'équité.

page 437 note 3. Michelet, J., Histoire de France, t. VIII, ,p. 241, Paris, 1855.Google Scholar

page 437 note 4. Mignet, , Rivalité de François Ier et de Charles Quint, t. II, p. 180, Paris, 1875.Google Scholar — On peut par ailleurs contester la légitimité du Diktat de Madrid. — Jean Bodin (Les six livres de la République, livre 5, ohap. C, Paris, 157C) raconte les faits a sa-manière, en justifiant François Ier au moyen d'une casuistique discutable. — Bien sûr, tout le monde ne fut pas dupe. Les adversaire» de François Ier lui reprochèrent vivement sa conduite. L'un d'eux écrivait en 1626 : « Quasi nihiil sit violare iusiurandum ! Polluera se nota insigni, nimirum perfidie, cum illo hoc unico ceu dicteriolo iuret : La foy de gentilhomme ! » Cf. De Vocht, H., Literae viroram eruditorum ad Franciscum Craneveldium, p. 550, Louvain, 1928.Google Scholar

page 438 note 1. Un certain instinct de compensation voudrait, chez plus d'un, accorder h l'échec une grandeur spirituelle propre, une valeur supérieure au succès. Equivoque : celui qui meurt pour son idéal n'est certes pas un vaincu, mais c'est son sacrifice, et non la mort, qui le grandit. L'échec reste l'échec, il ne peut être bon quo dans ses incidences. Benda, J. (Précisions, p. 123, Paris, 1937 Google ScholarPubMed) fait grief au christianisme de cette confusion des valeurs. Il a raison au moins pour un certain christianisme sentimental selon lequel Charles Péguy aurait défini une doctrine théologique incontestable lorsqu'il opposait honneur et bonheur comme lorsqu'il associait détresse et chrétienté.

page 438 note 2. De même ipour Roland dont l'épopée appartient à l'histoire par se» répercussions sociales bien plus que par sa matérialité historique. « Les précisions sur Roland ne sont rien, mais la légende de Roland est une vérité capable d'ébranler le monde. » Cf. Baker, G. P., Charlemagne. créateur d'Empire, p. ov Paris, 1936 Google Scholar. — De même encore pour Cambronne, qui n'a pas dit : « La Garde meurt et ne se rend1 pas ! », qui n'est pas mort à Waterloo et s'est rendu, mais dont la légende est un fait historique.

page 438 note 3. Comme le « Tirez les premiers ! » qui a moins encore à voir avec l'héroïsme, puisque les soldats, ayant grand'peine à recharger leurs fusils, avaient intérêt a tirer les derniers. Cf. H. Gaubert, Les mots historiques qui n'ont paé été prononcés, p. QS, Paris, 1939.

page 439 note 1. THÉRÈSE DE Jésus, Histoire de sa vie, chap. 20 et 31 : « Quiconque constate en soi le moindre point d'honneur, qu'il m'en croie et fasse à cette attache une guerre sans merci. » — Les théologiens se sont surtout dressés contre la vengeance privée et le duel, par eXemple Christophe DE Cheffontaine, Chrestienne confutation du point d'honneur sur lequel la noblesse fonde aujourd'huy ses monomachies et querelles, Sittart, 1586.

page 439 note 2. P. Hazard, Don Quichotte de Cervantes, p. 35, Paris, s. d. — Sur le» sentiments contemporains de Cervantes, voir M. DE Unamuno, L'essence d” l'Espagne (trad. M Bataillon), p. 1177, Paris, 1933.

page 439 note 3. Érasme déjà s'élevait contre l'engouement de ses proches pour les romans de chevalerie. Dans le Colloque Le chevalier sans cheval ou la fausse noblesse, Érasme fait un éloge ironique du code de ila chevalerie : « 11 faut inlassablement défendre ce dogme de la chevalerie : un gentilhomme ne manque ni au bon droit ni à l'équité en soulageant un voyageur de son argent, si ce voyageur est un vilain. Quoi de plus insupportable en effet ? Un vu'gairei marchand regorge de biens alors qu'un chevalier n'aurait rien à donner aux courtisanes, rien à risquer au jeu I » Cf. Halkin, L.-E., Les Colloques d'Erasme, 2e éd., p. 5657, Bruxelles, 1946.Google Scholar

page 440 note 1. Par exemple dans Trollus et Cressida.

page 440 note 2. On connaît l'apostrophe classique :

Allons, mon cher Néarque, allons aux yeux des homes

Braver l'idolâtrie et montrer qui nous sommes.

C'est l'attente du ciel, il nous faut la remplir.

Je viens de le promettre et je vais l'accomplir.

Je rends grâces au Dieu que lu m'as fait connaître

De cette occasion qu'il a sitôt fait naître,

Où déjà sa bonté, prête à me couronner,

Daigne éprouver la foi qu'il vient de me donner.

Cf. P. Corneille, Polyeucte, acte II, scène 6. — En sens contraire, on notera le réalisme d'héroïque humilité du personnage central de Gr. Greene, La puissance et la gloire. — Déjà Eliot faisait dire à saint Thomas Beckett : « Un martyr chrétien n'est pas […] l'effet d'une volonté de l'homme, d'une ambition. Un martyr ne désire rien pour lui-même, pas même la gloire d'être un martyr. » Cf. T. S. Eliot, Meurtre dans la cathédrale.

page 440 note 3. Benneton, N.-A., Social significance of the duel in seventeenth century French drama, Baltimore, 1938.Google Scholar — Sur la réaction contre le point d'honneur et l'héroïsme exclusivement guerrier, on consultera P. Iiazard La crise de la conscience européenne (1680-1715), t. II, p. iar, Pam, 1935, — Voir aussi II. Pierquin, , La juridiction du point d'honneur sous l'Ât.cien Régime…, Paris, 1904 Google Scholar. — Rien à retirer à notre point de vue de Magendie, St., La politesse mondaine et la théorie de l'honnêteté en France au XVIIIe siècle, 2 vol., Paris, s. d.Google Scholar

page 441 note 1. Montesquieu, Lettres persanes, Lettre 90.

page 441 note 2. Autres déchéances du concept de l'honneur : « Rendre les honneurs » ; — « Se piquer d'honneur » ; — « Une dette d'honneur » : — « Une affaire d'honneur » ; — « J'ai bien l'honneur do vous saluer » ; — « A qui ai-je l'honneur de parler ? » — Le concept de déshonneur a connu une fortune semblable : le déshonneur d'une femme n'est pas celui du soldat ou du joueur.

page 442 note 1. Co Napoléon qui à la veille de Waterloo proclamait : « Pour tout Français qui a du coeur, le moment est arrivé de vaincre ou de périr, v — Quelques mois plus tôt, Léopold de SaXe-Cobourg (Léopold Ier) écrivait de Paris, où il était enlré avec les Prussiens : « Ainsi finit [?Q misérablement .le grand homme devant qui l'Europe a tremblé [et lui aussi], et dont les paroles constituaient des oracles pour tous les souverains : il n'est pas tombé honorablement sur le champ do bataille, il abdique honteusement avec le souci de conserver la vie. Cette lin me réjouit. » Cf. C. Bronne, Lettres de Léopçld Zer, premier roi des Relycs, p. 40., BruXelles, 1943.

page 442 note 2. Stendhal a vigoureusement réagi contre l'exclusivisme de l'honneur militaire. Voici comment Mathilkle de la Mole juge les brillants officiers qui l'entourent : « Elle abhorrait le manque de caractère, c'était sa seule objection contre les beaux jeunes gens qui l'entouraient. Plus ils plaisantaient avec grâce tout ce qui s'écarte de la mode, au la suit mal croyant la suivre, plus ils se perdaient a ses yeux. Ils étaient braves et voilà tout… Et encore, comment braves ? se ‘disait-elle, en duel, mais te duel n'est plus qu'une cérémonie. Tout en est sûr d'avance, même ce que l'on doit dire en tombant. Etendu «ur le gazon, et la main sur le coeur, il faut un pardon généreux pour l'adversaire et un mot pour une belle, souvent imaginaire ou qui va au bal le jour de votre mort, de peur d'exciter les souipçons. On brave le danger à lia tête d'un escadron tout brillant d'acier, mais le danger, solitaire, singulier, imprévu, ivraiment laid ? » Cf. Le lionqe et le Noir, t. II, chaip. iti.

page 442 note 3. A. Bailly, Louis XI, p. 318, Paris, 1936. Il s'agit des Liégeois assiég'és par Charles le Téméraire.

page 442 note 4. Ch. Péguy, L'argent, 4e éd., p. 168 et 178, Paris, 10,32. — J'indique la source de ce texte que .l'on ne trouvera ;pas dans les extraits de Péguy, trop habilement choisis et exploités durant la dernière guerre.

page 443 note 1. J. Calvet, Les types universels dans la littérature française, p. ag3, Paris, 1936.

page 443 note 2. Chateaubriand, Etudes historiques, p. 128, ; cité par Fournier, o. c, p. 147-

page 444 note 1. De même Rimbaud, dans Une saison en enfer, confesse : « Encore tout enfant j'admirais le forçat intraitable sur qui se referme toujours le bagne… Il avait iphis do force qu'un saint, plus de bon sens qu'un voyageur, et lui — lui seul ! — pour témoin de sa gloire et de sa raison. »

page 444 note 2. « La terre deviendrait vite inhabitable si chacun cessait de faire par politesse ce qu'il est incapable de faire par amour. Inversement, le monde serait presque parfait si Chacun arrivait à faire par amour tout ce qu'il fait par politesse. » Cf. G. Thibon, L'échelle de Jacob, p. Ag, Lyon, 1952

page 444 note 3. On trouvera de bonnes remarques générales dans L. Jeudon, La morale d” l'honneur, Paris, 1911, et surtout dans Tebrailxion, E., L'honneur, sentiment et principe moral, Paris, 1912.Google Scholar — Excellente mise au point par un moraliste contemporain : Le Senne, R., Traité de morale générale, p. 449450, Paris, 1942.Google Scholar