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Libre-commerce du blé et représentations de l’espace français. Les crises frumentaires au début du xixe siècle

Published online by Cambridge University Press:  04 May 2017

Nicolas Bourguinat*
Affiliation:
Université Marc Bloch-Strasbourg

Résumés/summaries

Cet article étudie les représentations de l’espace économique de la production et de la circulation des céréales en France au début du xixe siècle, en s’appuyant sur la comparaison entre la gestion de la crise frumentaire de 1811-1812 par le Premier Empire et de la crise de 1816-1817 par le gouvernement de la Restauration. Nous cherchons à caractériser ces politiques par rapport à leur adhésion proclamée au libre-commerce, en montrant que le régime impérial ne le comprend que par des mesures autoritaires tandis que la monarchie bourbonienne y adhère avec moins de restrictions. Dans les deux cas, le pouvoir préfectoral se trouve en distorsion avec le pouvoir central: tantôt en désavouant ou en appliquant contraint et forcé les consignes antilibérales venues du sommet de l’État, tantôt en mettant les départements au service de cloisonnements et d’obstacles aux flux de blé. Il s’agit enfin de montrer quelles en sont les conséquences pour les représentations de l’espace: statique et figée sous l’Empire, dynamique et actualisé sous la Restauration.

Summary

Summary

Our main theme is the spatial representations of the French grains flows and supplies in the early nineteenth century, through the comparison between the subsistence crises of 1811-1812 and of 1816-1817 faced by respectively the Napoleonic Empire and the Bourbon Restoration. We try to identify their politics relying on their self-claimed adhesion to the free-trade, showing that the Empire admits liberalism only if it wants to defend it sincerely. In both cases, the prefects of provincial France disagree with the government view. Then, we consider the consequences that such a division between periphery and center may have relatively to the representations of space. The napoleonic view hesitates between compartmentalizing departments and recombining them to create a new agricultural geography. The Restoration view is also divided between two temptations: an abstract application of the legacy of the eighteenth-century grain trade regional geography, or a modern cartography of the antagonisms reactualized by the subsistence shortage and opposing towns themselves or towns and their provisioning hinterland.

Type
Questions D’Histoire Économique France, XIXe Siècle
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 2001 

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References

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2. Voir Le Goff, Tim J. A. et Sutherland, Donald M., «The Revolution and the Rural Economy», in Forrest, A. et Jones, P. M. (dir.), Reshaping France. Town, Country and Region during the French Revolution, Londres, Manchester University Press, 1991, p. 73 sq Google Scholar.

3. «Proclamation du préfet de l’Allier à ses administrés», 6 mai 1817, Archives nationales (AN), F11, 722.

4. Tous les acteurs, en tout cas, ont le souci de postuler que ces vues étaient parfaitement acceptées et démontrées par l’expérience. Pour les débats du xviiie siècle, voir Kaplan, Steven L., Bread, Politics and Political Economy under the Reign of Louis XV, 2 vols, La Haye, Martinus Nijhoff, 1976 CrossRefGoogle Scholar, et Dockes, Pierre, L’espace dans la pensée économique, Paris, Flammarion, 1972 Google Scholar. Pour les notions de marché-entrepôt et de marché-relais, voir Margairaz, Dominique, Foires et marchés dans la France préindustrielle, Paris, Editions de l’EHESS, 1988 Google Scholar.

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7. À propos des aléas de l’offre céréalière, voir, pour le xviiie siècle, Hufton, Olwen, «Social Conflict and the Grain Supply in Eighteenth-Century France», Journal of Interdisciplinary History, 14, 1983, pp. 303-331 CrossRefGoogle Scholar, et Grenier, Jean-Yves, L’économie d’Ancien Régime. Un monde de l’échange et de l’incertitude, Paris, Albin Michel, 1996, pp. 269-290 Google Scholar.

8. Ainsi pour ce préfet de la Charente à propos d’Angoulême: «Il serait utile de procurer quelques approvisionnements à la ville du chef-lieu, qui est le Paris du département, qui en règle un peu le cours, comme elle en décide de la tranquillité.» (Lettre de Creuzé de Lesser à Decazes, 7juin 1817, AN, F11, 723.)

9. Sur la genèse et la composition de ces deux structures, voir Léon de de Laborie, Lanzac, Paris sous Napoléon, Paris, Plon-Nourrit, 1908 CrossRefGoogle Scholar, t. 5, Assistance et bienfaisance. Approvisionnement, pp. 254-282, Roland Caty, La Commission des subsistances. Politique et action dugouvernement de Louis XVIII devant la disette de 1816-1817, thèse de 3e cycle, Université de Provence, 1977, pp. 84-106 et Francis Demier, Nation, marché et développement dans la France de la Restauration, thèse de doctorat es lettres, Université de Paris X-Nanterre, 1991.

10. Selon Montalivet, le ministre de l’Intérieur — ici confortablement juge et partie —, «toutes les ressources du rayon de Paris, régulateur des prix dans l’Empire, celles des départements baignés par la Saône et le Rhône, celles des départements du Languedoc furent réservées à l’action du commerce pour la consommation civile». («Exposé de la situation de l’Empire en 1811 et 1812, présenté au Corps législatif le 25 février 1813», Archives parlementaires, 2e série, Paris, Paul Dupont, 1867, t. 11, pp. 253-254.)

11. R. Cobb, La protestation populaire…, op. cit., p. 267.

12. L. de Lanzac de Laborie, Paris sous Napoléon, op. cit., p. 260.

13. Ibid., p. 262, n. 1.

14. De la probabilité d’une disette prochaine, Paris, 1828, p. 20.

15. Montalivet, «Rapport à l’Empereur sur l’application des décrets des 4 et 8 mai» (s. d., ca. février 1813), cité d’après une copie de 1853, AN, F11, 2752.

16. Sur la notion de «rayon de Paris», qui s’est substituée à celles des «couronnes» d’Ancien Régime, voir Kaplan, Steven L., Provisioning Paris. Merchants and Millers in the Grain and Flour Trade in the Eighteenth Century, Ithaca, Cornell University Press, 1984, p. 88 Google Scholar sq.; Bergeron, Louis, «Approvisionnement et consommation de Paris sous le Ier Empire», Paris & Île-de-France, 14, 1963, pp. 197-232 Google Scholar; et Nicolas Bourguinat, Ordre naturel, ordre public et hiérarchie sociale dans la France de la première moitié du xixe siècle. L’État et les violences frumentaires, Lyon, doctorat de l’université Lumière-Lyon 2, 1997, pp. 157-220.

17. Le 14 avril 1812, suivi le lendemain d’un «conseil d’administration» [conseil des ministres] à Saint-Cloud à l’issue duquel furent introduits les préfets du «rayon», que l’Empereur voulait haranguer et endoctriner. À ce stade, selon Napoléon, «on ne taxe point le blé: on demande seulement que tels et tels fermiers s’engagent à livrer sur les marchés locaux telle quantité de grains à tel prix. Cette mesure doit être recommandée aux préfets avec l’avertissement que l’intention positive de Sa Majesté est qu’elle se réalise.» (AN, AFiv, 1240).

18. «Rapport à l’Empereur sur l’application des décrets des 4 et 8 mai», copie de 1853, AN, F11, 2752. 39 préfets seulement sur 129 ont jugé la mesure positive, spécialement ceux des départements qui «ont habituellement un excédent que le commerce emploie à l’exportation intérieure, [mus] par la crainte de la voir s’écouler complètement et d’être exposés à manquer eux-mêmes, comme […] l’Aisne, la Dyle, l’Escaut, la Seine-et-Marne, l’Oise, l’Eure-et-Loir, le Mont-Tonnerre».

19. Les préfets (et même les sous-préfets, en avril 1817) font l’objet de relances pour adresser directement à l’Intérieur et à la Police générale des états exceptionnels des prix et des quantités vendues sur les marchés de leur ressort, ce qui laisse penser que le Bureau des subsistances, chargé du traitement des données «ordinaires», n’avait pas la souplesse nécessaire pour les situations d’urgence. De plus, Conseil et Commission des subsistances ont leurs propres informateurs, prospecteurs, et contacts dans le milieu commerçant.

20. Wright, Vincent, «Comment les préfets se voyaient», in Aubert, J. (dir.), Les préfets en France (1800-1940), Genève, Droz, 1978, pp. 70-78 Google Scholar.

21. V. Wright, «Comment les préfets…», art. cit., p. 74.

22. AN, F11, 712: Lettre au ministre de l’Intérieur, 12 octobre 1812.

23. Cité par Lavalley, G., «Napoléon et la crise de 1812 à Caen», Travaux de l’Académie des sciences, arts et belles-lettres de Caen, 1896, p. 289 Google Scholar.

24. Le préfet du Calvados lui-même (20 juillet 1812, AN, F11, 707) utilise quasi mot à mot la «Lettre d’un laboureur de Picardie à M. de Necker» et l’article «Monopole et monopoleurs».

25. AN, F11, 705: Lettre du 28 mai 1812.

26. AN, F11, 716: Lettre de Ramont, préfet du Puy-de-Dôme, à Montalivet, 3 août 1812.

27. «La plus crasse ignorance a présidé à ces affaires dans les bureaux de l’Intérieur [i.e. le Bureau des subsistances et le Bureau d’agriculture], qui m’ont donné de faux renseignements, de sorte que je suis arrivé dans la crise sans avoir mes magasins remplis.» (Lettre à Collin de Sussy, ministre des Manufactures et du Commerce, 19 juillet 1812, in Correspondance de Napoleon Ier , Paris, Plon-Nourrit, 1868, t. 23, p. 77.)

28. Sur le succès mitigé de celle-ci, voir Woolf, Stuart, «Contribution à l’histoire des origines de la statistique en France, 1789-1815», in Bergeron, L. (dir.), La statistique en France à l’époque napoléonienne, Bruxelles, Centre G. Jacquemyns, 1981, pp. 45-126 Google Scholar.

29. AN, F11, 2752, copie de 1853.

30. Bourguet, Marie-Noëlle, «Espace régional, territoire administratif: l’image de la Champagne dans la statistique napoléonienne», in La Champagne et ses administrations à travers le temps, Montreuil, La Manufacture, 1990, pp. 339 et 351Google Scholar.

31. AN, F11, 719-720: Réponse au questionnaire sur l’application des décrets des 4 et 8 mai, 23 juillet 1812. «Dans cet état de choses, il ne paraît jamais de grains en grande quantité sur les marchés, et ceux-là seulement qui ont des besoins pressants ď argent y en conduisent. On ne peut changer cet usage, il est inhérent à la localité, au mode de culture du pays.»

32. AN, F11, 705: Réponse au questionnaire…, 29 juillet 1812.

33. AN, F11, 719-720: Réponse au questionnaire…, 28 septembre 1812.

34. Dès lors il y a interdiction de la vente hors-marché et application de réquisitions «toutes les fois que le prix d’un hectolitre de froment acquerra une valeur au-delà de 33 francs dans un au moins des départements de la 1re classe» (AN, F11, 719-720, 20juillet 1812).

35. AN, F11, 719-720: Mémoire adressé à Montalivet, 19 décembre 1812.

36. Voir le Dialogue sur le commerce des blés (1770), in Daire, E. et Molinari, G. (éds), Mélanges d’économie politique, [Paris, 1848], rééd. Genève, Slatkine Reprints, 1980, pp. 14-20 Google Scholar.

37. AN, F11, 721, Mayenne.

38. En 1812, ce genre de résistance visait plutôt des agents de l’État, gendarmes ou soldats assurant recensements et réquisitions.

39. Sur ce point, voir Bourguinat, Nicolas, «L’État et les violences frumentaires en France sous la Restauration et la monarchie de Juillet», Ruralia, 1, 1997, pp. 20-22 Google Scholar.

40. Nous reprenons ici l’expression forgée par Thompson, Edward P. («The Moral Economy of the English Crowd in the Eighteenth Century», Past & Present, 50, 1971, pp. 71-136 CrossRefGoogle Scholar, rééd. in Customs in Common, Londres, The Merlin Press, 1991), afin de distinguer ce concept du simple paternalisme philanthropique de la monarchie. Il s’agit de bien plus: d’un jeu compliqué de réciprocités, d’obligations et de soumission, d’attentes impérieuses et de sanctions, qui lient entre eux peuple et pouvoir, avec revendication de droits collectifs, d’entitlements, garantis en dernière instance par un souverain.

41. AN, F11, 733: Lettre de Pasquier à Decazes, 2 décembre 1816.

42. AN, F11, 733: Lettre de Pasquier à Decazes, 25 novembre 1816.

43. AN, F11, 733: Rapport à Decazes, 12 septembre 1817.

44. AN, F11, 733: Rapport à Decazes, 12 septembre 1817.

45. AN, F11, 733. Nous ne voulons pas dire que l’accaparement n’existerait que comme artefact de discours, et serait absent en tant que pratique. Nous montrons juste comment un haut fonctionnaire, partant des principes libéraux qu’il est en charge de défendre, arrive à faire surgir une figure clé du mythe populaire du complot de famine (cf. Kaplan, Steven L., Le complot de famine. Histoire d’une rumeur au xviiie siècle, Paris, Armand Colin, 1982)Google Scholar.

46. AN, F11, 733: Brouillon d’une lettre de Decazes à Pasquier, 9 novembre 1817.

47. AN, F11, 732: Lettre de Decazes à de Sainneville, 23 novembre 1816.

48. Voir par exemple Richardson, Nicholas, The French Prefectoral Corps (1814-1830), Londres, Cambridge University Press, 1966, pp. 68-90 et 182-188Google Scholar; Whitcomb, Edward, «Napoleon’s Prefects», American Historical Review, 79, 1974, pp. 1089-1118 CrossRefGoogle Scholar.

49. Lire pour la Normandie, Chaline, Olivier, «Le juge et le pain. Parlement et politiques d’approvisionnement d’après les papiers du procureur général de Rouen», Annales de Normandie, 39, 1989, pp. 21-36 Google Scholar; Miller, Judith A., «Politics and Urban Provisioning Crises: Bakers, Police and Parliaments in France, 1750-1793», Journal of Modern History, 64, 1992, pp. 527-562 CrossRefGoogle Scholar.

50. AN, F11, 732: Lettre de Decazes au chancelier de France, 23 novembre 1816. Voir également l’analyse de Miller, Judith A., Mastering the Market. The State and the Grain Trade in Northern France, 1700-1860, Cambridge, Cambridge University Press, 1999, pp. 226-252 Google Scholar.

51. AN, F11, 732: Lettre de Becquey au chancelier de France, ler janvier 1817.

52. Marchés passés par la Commission des subsistances avec divers banquiers et négociants, qui diffèrent de ceux concédés par la Réserve de Paris, et dont une partie du produit sera redistribuée dans les départements de l’est et du sud-est du Bassin parisien. Voir J. A. Miller, Mastering the Market…, op. cit., pp. 251-256 et R. Caty, La Commission…, op. cit., pp. 187-291 et 374-405.

53. AN, F11, 732: Lettre de Decazes au préfet de Saône-et-Loire, 8 décembre 1816.

54. AN, F11, 732: Lettre de Decazes au comte Chabrol, préfet du Rhône, 23 décembre 1816.

55. AN, F11, 732: Lettre du préfet de Saône-et-Loire à Decazes, 12 décembre 1816.

56. AN, F11, 726: Lettre au préfet de Gironde, 18 décembre 1816.

57. AN, F11, 732: Lettre de Decazes au préfet du Rhône, 9 mai 1817.

58. AN, F11, 732: Lettre du préfet du Rhône à Decazes, 16 mai 1817.

59. AN, F11, 732: Lettre du lieutenant de Saineville à Decazes, 22 mai 1817.

60. AN, F11, 723: Lettre de Decazes à Montlivaut, 15 mai 1817.

61. AN, F11, 723: Pré-rapport sur les subsistances, 15 septembre 1817.

62. AN, F11, 723: Rapport sur les subsistances (texte définitif), 21 septembre 1817, souligné par le préfet.

63. AN, F11, 723: Lettre de Decazes à Montlivaut, 2 octobre 1817.