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Les voies de l'histoire de l'Afrique : la tradition orale

Published online by Cambridge University Press:  11 October 2017

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Les sources de l'histoire de l'Afrique noire, semblent pour une bonne part des sources orales. Mais s'agit-il bien de sources ?

Chez les africanistes le contraste est net entre l'utilisation empirique fréquente qui a été faite de la tradition et certains jugements sévères, ou plus ou moins fondés, portés par ceux qui l'appréciaient sur un plan général, entre l'importance qu'elle risque d'avoir pour l'histoire et l'absence d'une étude d'ensemble sur son utilisation critique. Un chercheur belge vient d'effacer cette inconséquence et cette lacune et son œurve serait-elle médiocre — ce qui n'est pas — que la tentative seule suffirait à faire date dans l'historiographie.

Type
Notes Critiques
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1964

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References

page 1182 note 1. J. Vansina, de la tradition orale, essai de méthode historique, Tervuren, Musée royal de l'Afrique centrale, Annales, série in-8°, Sciences humaines, n°36,1961,179 p. — Il s'agit d'une étude méthodologique générale ; si elle se nourrit aux recherches personnelles de l'auteur chez les Kuba, au Rwanda et au Burundi, elle en appelle aussi à d'autres cas variés, africains ou non.

page 1182 note 2. J. Vansina va d'abord à l'histoire des antécédents et des premiers temps de Rome, et cite rapidement le Que sais-je ? de Raymond Bloch, Les origines de Rome, dans son édition de 1946. Mais le livre donné plus récemment par le même auteur, sous le même titre, au Club Français du Livre, aurait fourni à l'historien belge des remarques et des citations qui l'eussent enchanté (p. 9-12 et passim) : — du scepticisme, les spécialistes sont passés à l'étonnement devant ce que la tradition a conservé de vrai, — l'attitude hypercritique ou l'aveu d'impuissance ont fait place à une interrogation serrée, qui trouve des prises dans les recoupements fournis par l'archéologie et dans l'appréciation des facteurs postérieurs de falsification ou de gauchissement : « le refus critique devient ainsi un point d'arrivée possible et non pas un point de départ obligé et constant », — des données de fait passent intactes au milieu des éléments modifiés ou inventés que comporte la tradition… Le jugement très mesuré de R. Bloch interdit de croire qu'il cède à la « séduction » des traditions (à preuve, d'ailleurs, son rejet personnel des thèses de J. Bérard).

J . Vansina analyse les œs de E. Brenheim, A. Feder et W. Bauer. Mais il est d'autres études intéressantes :

— La critique du hadith a depuis longtemps exercé la sagacité des grands islamisants. Tout récemment, Maxime Rodinson, qui a affronté pratiquement ce problème pour sa remarquable biographie de Mahomet (Club Français du Livre, 1961), a domié quelques réflexions et références sur la tradition comme source dans un Bilan des études mohammadiennes, Revue Historique, CCXXIX, janvier-mars 1963, pp. 169-220, aux pages 170-171 et surtout 195-200 ; ses réflexions propres, ou celle de J. Schacht qu'il communique, rejoignent, en raccourci, quelques-unes de celles de J. Vansina ou de R. Bloch.

— La littérature orale Scandinave — saga et poésie scaldique — en tant que source, a été aussi étudiée, ce dont L. Musset, Les Peuples Scandinaves au Moyen Age, Paris, P.U.F., 1951, aux pages 46-50, donne une courte présentation et la bibliographie,

— Mme V. Sokolova a publié en français, sous l'enseigne du VIe Congrès International des Sciences Anthropologiques et Ethnologiques (Paris, 1960) une brochure intitulée La poésie populaire orale comme source historique et ethnologique, Moscou, 1960, 17 p. ; elle y montre que cette poésie contient des témoignages variés sur le passé, mais très rapidement et sans pouvoir, en si peu de place, poser les problèmes de traitement critique. Mais le même auteur a publié une étude sur les chansons historiques russes des xvie-xviie siècles (1960, 331 p.), qui est peut-être plus riche du point de vue méthodologique ; elle est en langue russe, et nous ne la connaissons pas.

— Quant aux traditions encore ou naguère vivantes étudiées en Europe, la bibliographie est importante mais touche bien rarement au problème précis de leur valeur comme source. On peut penser, comme à un bon terrain, à la Sicile, dont l'histoire est faite de tant de strates, où l'écriture n'a peut-être pas mordu de façon écrasante sur la civilisation du peuple des villes et des campagnes, et où la recherche folklorique est active depuis un siècle. Nous avons consulté une série d'études de Salvatore Salamone Makino (1847-1916) qui s'est beaucoup approché du problème envisagé (cf. Aurelio Regoli, « Bibliografia degli scritti di Salvatore Salamone Marino », Quaderni del Meridione, II, 8, 1959, 28 p., instrument de travail excellent.) On en retire peu : certes, les récits et chansons populaires ont gardé la trace de nombreux éléments du passé ; mais jusqu'à l'époque normande, ce sont les traces fugaces, qu'on ne reconnaît que grâce à ce que l'on sait par ailleurs, et sans grande portée. Pour la suite des temps, quelques éléments anecdotiques d'intérêt minuscule, sauf comme témoignages modestes de mentalité ; ou alors on suit les développements connexes de légendes par voie orale et par voie écrite ; témoignages de mentalité, encore les chansons relatives à la Révolution française, à celle de 1848, à Garibaldi. Au total : assez peu, et l'auteur cède surtout à la satisfaction enthousiaste de constater que la tradition transmet « du passé ». Nous ne sommes pas en mesure, d'autre part, de juger la qualité réelle des études de Salamone Marino (quelques remarques trop sommaires dans Aurelio Regoli, « Sul concetto di storia in Salvatore Salamone Marino », estratto dagli Atti delV Academia di Scienze, Lettere e Arti di Palermo, série IV, volume XVIII, 1957-58, parte II, Palerme 1960, 15 p.).

page 1184 note 1. La définition de J . Vansina est donc à la fois la plus simple, la plus rigoureuse et la plus compréhensive. Elle part des traits « techniques » de la tradition et non de la société qui l'entretient. Elle englobe ainsi même les souvenirs personnels. Nous reconnaissons qu'une définition qui ne retient que ce qui est « socialement organisé », à l'exception du personnel et du fortuit, non seulement est floue, mais encore est une mauvaise base pour l'étude méthodologique de la tradition comme source.

page 1185 note 1. J. Vansina touche ici, furtivement et par occasion, au problème des éléments de fixation de la mémoire collective. A ce titre on peut rappeler, par exemple, dans le livre de Bastide, Roger, Les religieuses africaines au Brésil, Paris, P.U.F., 1960 Google Scholar, au chapitre « Les problèmes de la mémoire collective », le commentaire des remarque» de Maurice Halbwachs sur le rôle de la topographie, ou celles de l'auteur sur les rites soutenant les mythes…

page 1185 note 2 Mais, il y a peut-être dans cette idée reçue une part d'observation juste sous une forme renversée : la pratique de l'écriture mènerait à la diminution des possibilités de la mémoire, en faisant qu'on ne cultive pas celle-ci, qu'on se fie à autre chose qu'elle. Mac Millan, Cf. Duncan, « A propos de traditions orales », Cahiers de Cimlisation Médiévale, 1960, I pp. 6771 CrossRefGoogle Scholar, qui signale qu'au milieu du XXe siècle, dans la « périphérie gaëllique », de nombreux vieux conteurs (paysans, pêcheurs, bergers…) conservent avec dévotion un répertoire immense de fictions narratives ; il s'agit presque toujours d'illettrés, voir d'analphabètes, ignorant l'anglais ou n'en usant pas, méprisant les textes écrits ; leur capacité mémorative nous étonne (tel aurait parlé toutes les nuits d'hiver pendant quinze ans sans presque se répéter, tel autre réci- terait des romances qui durent de sept à neuf heures…), d'autant plus qu'elle inclut la forme et les détails des récits et qu'elle ne résulte pas d'un travail ardu ; or l'analphabétisme semble jouer un grand rôle dans cette capacité (on a relevé le cas d'un conteur qui expliquait par son apprentissage de la lecture le fait d'avoir oublié son répertoire). On ne saurait évidemment tirer de ces constatations des affirmations de valeur générale ; elles n'en font pas moins réfléchir.

page 1190 note 1. Person, Yves, « Tradition orale et chronologie », Cahiers d'Etudes Africaines, n° 7, (II, 3, 1962) pp. 462476 CrossRefGoogle Scholar.

On y trouve le même souci de construire une démarche critique, d'exiger une rigueur plus ou moins délaissée auparavant et de plaider pour une source discutée (” source difficile, mais non pas pauvre, tout au contraire »). Le domaine d'étude de l'auteur est le pays malinké et ses marges ou, si l'on veut, grossièrement, un bloc débordant sur la Côte d'Ivoire, la Haute-Volta, le Mali et la Guinée. (depuis la rédaction de cette note, Y. Person a publié un autre article, les ancêtres de Samori, Cahiers d'Etudes Africaines, n° 13 (IV, 1, 1968) pp. 125-156, qui se fonde largement sur la tradition.)

page 1191 note 1. En général, les souvenirs « remontent seulement jusqu'à l'établissement sur le territoire actuel. Il semble qu'un élément visuel (tombes, lieux sacrés ou sites mémorables soit presque toujours nécessaire pour maintenir vivante la mémoire ».

page 1192 note 1. J. Vansina, L'évolution du royaume Rwanda des origines à 1900, Bruxelles, Académie royale des Sciences d'outre-mer, cl. des se. morales et politiques, Mém. in-8°, nouv. série, t. XXV 1-2, 1962, 102 p., en vente au prix de 100 F, au secrétariat de l'Académie…, 80 A, rue de Livourne, Bruxelles-5, C.C.P. n° 244.01.

Le Rwanda est le mieux connu, et à certains égards au moins le plus typique des royaumes de l'Afrique interlacustre. Sa bibliographie, historique et sociologique, est relativement abondante (cf. notamment Maquet, J. J., Le système des relations sociales dans le Ruanda ancien, Tervuren, 1954 Google Scholar, dont le tableau vaut pour la veille de la domination européenne). Il a frappé les observateurs à plusieurs titres : forte densité de population ; société à caste (mais le mot n'a ni l'acception retenue pour l'Inde, ni celle qui fait dire qu'en Afrique les forgerons, par exemple, sont castes), une minorité de Tutsi dominant la masse des Hutu et les uns et les autres méprisant les Twa ; développement et agencement de l'organisation administrative et militaire ; pratique de relations de protection et d'homme à homme…

page 1194 note 1. En soulignant, pour le Rwanda, la variation des traditions selon les régions et surtout selon les groupes sociaux dont elles expriment les points de vue et les intérêts différents, J. Vansina met le doigt sur une réalité sociologique et historique fondamentale ; la tendance à considérer en bloc les traditions (et la culture et la société) d'un ensemble ethnique doit être combattue.

Dans cette voie, mais avec un style différent et des conclusions historiques plutôt négatives, voir la minutieuse étude de Zahan, D., « Pour une histoire des Mossi du Yatenga », L'Homme, I, 2, mai-août 1961, pp. 522 CrossRefGoogle Scholar.