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Korsch, Lukacs et le problème de la conscience de classe

Published online by Cambridge University Press:  11 October 2017

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« Le marxisme a besoin d'une théorie de la conscience ».

(Merleau-Ponty)

La vie intellectuelle de la République de Weimar a produit, entre autres, une curieuse forme de 'marxisme « ouvert » appelé à s'implanter en France au lendemain de la deuxième guerre mondiale, à la faveur d'un climat intellectuel et politique rappelant, dans une large mesure, celui de Weimar. M. Merleau-Ponty — sans doute le premier penseur français à rendre justice à l'oeuvre de Karl Korsch — a parlé à ce propos de marxisme occidental ; en fait, comme l'a observé R. Aron, il s'agit là plutôt d'une forme de marxisme d'Europe centrale. Les trois principaux représentants de ce courant sont G. Lukàcs, Karl Mannheim et sans doute Karl Korsch, dont l'ouvrage le plus important vient d'être traduit en français.

Type
Mélanges Sur L'Allemagne de Weimar
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1966

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References

page 668 note 1. Korsch, Karl: Marxisme et philosophie Paris, Éditions de Minuit, 1964 Google Scholar, traduction de Claude Orsoni, présentation de Kostas Axelos

page 669 note 1. Marxisme et Philosophie, édition française, p. 60. Dans son remarquable article : « The marxism of Karl Korsch » (Survey, oct. 1964, pp. 86-97), Paul Mattick est encore plus explicite : « The Marxian doctrine prevails as a set of ideas unconnected with real social practice, or as the « false consciousness » of state prescribed idéologies in support of an un-Marxian practice » (Art. cit., p. 86, passages soulignés par nous)

page 669 note 2. C'est l'un des leitmotivs de la récente enquête d'Arthur Koestler : Suicide d'une nation (Paris, Calmann-Lévy, 1964, collection « Liberté de l'Esprit »). Cf. notamment, pp. 71-101 « Les agréments de 1’ « immobilisme », de M. Shanks

page 669 note 3. Nous pensons surtout à l'édition anglaise très élargie de Mensch und Gesellschaft ira Zeitalter des Umbaus (Man and Society in an Age of Reconstruction, Londres, 1940), ainsi qu'au Diagnostic of our time, New York, Oxford University Press, 1944 et Freedom Power db Démocratie Planning, Jbid., 1950, (Ouvrage posthume.

page 670 note 1. Diagnostic of our time, New York, Oxford University Press, 1944, pp. 59-79

page 670 note 2. Dans son article : « Wissen imd Gesellschaft Neuer deutsche Litteratur zur Wissenssoziologie » (XJnter dem Banner des Marxismus, An. V, Fasc. I), le théoricien marxiste Karl-August Wittfogel classe très justement Mannheim parmi les sociologues bourgeois « qui pillent l'arsenal scientifique de l'adversaire de classe » (Art. cit., p. 83). Depuis, Wittfogel a fait exactement la même chose : cf. son livre Le despotisme oriental, Paris, Collection « Arguments », 1964

page 670 note 3. Expression de Henri Lefebvre

page 670 note 4. Rappelons à cette occasion la figure intéressante du Dr. William Reich dont le sort aura été vraiment tragique. Reich eut un départ brillant dans la vie intellectuelle viennoise. Psychanalyste et marxiste — l'un des premiers à vouloir concilier ces deux doctrines —il a accédé à une réelle notoriété dès l'âge de vingt-cinq ans. Il a publié des travaux originaux sur le rôle de la sexualité dans la formation de la conscience de classe, sur la psychologie collective du fascisme, etc. Plus tard, vivant aux États-Unis, il élaborera une extrapolation biologique assez confuse de ses idées sous le nom de théorie des « orgones ». Il mit au point un appareil « thérapeutique » fondé sur cette théorie. Aux États-Unis on ne plaisante pas avec l'éthique médicale. William Reich, le brillant psychanalyste de Vienne, a bel et bien terminé sa vie entre les murs d'un pénitencier américain. En dépit de toutes les différences, je vois une certaine unité entre ces quatre destinées de penseurs. De toute évidence, il s'agit là de la tragédie d'une génération

page 672 note 1. Cf. à ce propos notre étude « Psychologie de la Pensée communiste », Paris, Revue socialiste, n° 32, 1949, reproduite dans notre Formen der Entfremdung (Francfort, S. Fischer-Verlag, 1964), pp. 53-87 et en particulier p. 59 de l'édition allemande (Revue Socialiste, 1949, p . 468 sq. où nous croyons avoir insisté le premier sur ce phénomène

page 672 note 2. Il est intéressant du point de vue de la sociologie de la connaissance que le déclin de l'internationalisme prolétarien et celui de la dialectique aient des racines communes : la participation des partis ouvriers dans la vie étatique ce qui implique à la fois l'acceptation de responsabilités dépassant l'intérêt de classe proprement dite et l'acceptation d'une « Raison d'État » réifiée et égocentrisée. On note là encore la résistance au changement du vocabulaire; le parti socialiste français, parti parfaitement patriotique, continue à se qualifier de « Section française de l'Internationale ouvrière », désignation fort heureusement camouflée par l'abréviation

page 672 note 3. Quotidien de Berlin, homologue allemand de L'Humanité Il s'agit du n° du 20 mai 1923

page 672 note 4. K. Korsch, Marxisme et Philosophie, p. 174. Passage souligné par nous

page 672 note 5. K. Korsch, ibid.

page 673 note 1. Korsch, op. cit., p. 35

page 673 note 2. Ibid. Mais traduire « f ix und fertig » (original p. 17) par « toute armée » n'est pas heureuse

page 673 note 3. Il existe à notre connaissance deux articles de Paul Mattick consacrés à Korsch : celui déjà cité dans Survey et un autre traduit en français et publié dans les Cahiers de l'Institut de Science Économique appliquée (août 1963, S. n° 7, Suppl. n° 140, pp. 159-180 (” Karl Korsch ») suivi d'un texte inédit de Korsch. Dans les deux articles, Mattick souligne avec force que la critique de Korsch vise essentiellement la fausse conscience inhérente à l'idéologie léniniste : «… le dogmatisme de Lénine ne pouvait fonctionner que comme la fausse conscience d'une pratique contre-révolutionnaire » (art. franc., pp. 166-167, passage souligné par nous). Cf. aussi art. angl. déjà cité, note 91-92, 96 et passim.

page 673 note 4. Cet emploi des concepts d'autonomie et de hétéronomie n'est pas de Korsch mais de nous

page 673 note 5. Il ne saurait être question d'entreprendre ici une analyse en profondeur du problème des rapports entre les notions d'hétéronomie et d'aliénation : nous nous bornerons à observer que, du point de vue purement philologique, la différence des deux est surtout de degré

page 674 note 1. Les Aventures de la Dialectique, Paris, Gallimard, 1955, p. 55

page 674 note 2. Selon Sigwart et ses disciples (le logicien hongrois A. Pauler) la méthode réductive — dont notre exemple ci-dessus offre un exemple — constitue, par opposition à l'induction et à la déduction, la méthode spécifique de la philosophie

page 674 note 3. Cf. Axelos, K., Marx, penseur de la technique, Paris, Éditions de Minuit, 1961, p. 135 Google Scholar

page 675 note 1. En ce qui concerne le problème de la fausse conscience, cette conception « cognitivo- manichéenne » a été défendue par Goldmann dans son exposé du Congrès de Stresa et ailleurs (Cf. L. Goldmann, « Conscience réelle et conscience possible ; conscience adéquate et fausse conscience », Actes du quatrième Congrès de Sociologie, sept. 1959, vol. IV ; et aussi Sciences humaines et Philosophie, Paris, Presses, 1958, pp. 38-39, 103-104 et passim. Dans ces textes Goldmann reste lukàcsien mais sa pensée est bien plus tributaire de La Destruction de la Raison que d'Histoire et Conscience de Classe. L'expression « cognitivo-manichéenne » est bien entendu nôtre ; ailleurs nous avons désigné, moins heureusement, la conception de Goldmann comme l'interprétation rationaliste de ce phénomène. Mais Goldmann s'est borné à formuler une théorie qui sous-tend de façon implicite la plupart des entreprises de critique idéologique du marxisme orthodoxe : au lieu de montrer une liaison structurelle (Seinsgebundenheit) entre conscience et être, on se borne à dénoncer l'erreur de l'adversaire. L'un des apports de l'essai de Korsch consiste précisément en ce qu'il montre la cohérence de cette conception avec toute la théorie marxiste orthodoxe de la conscience de classe, considérée comme un ensemble de « théories adéquates » élaborées par des intellectuels et non pas comme une prise de conscience des possibilités autonomes de la classe ouvrière surgie, pratiquement sans médiation, de la lutte politique. Cette dernière conception est celle de Lukàcs ; on comprend qu'elle ne pût pas être homologuée par le stalinisme, ni même par les héritiers idéologiques de ce dernier

page 675 note 2. Kobscb, op. cit., p. 30.

page 676 note 1. Kautsky, cité par Kohsch, note p. 36 ; italiques et points d'exclamation de nous

page 676 note 2. Que faire ? (Éditions sociales, Paris, 1900, p. 40). Il est tout à fait caractéristique que, dans le même texte, Lénine utilise le mot « idéologie » non pas dans son sens marxiste (cristallisation d'une vision faussée) mais traditionnel (ensemble des « idées » d'un mouvement politique)

page 676 note 3. Cf. le syndicalisme américain d'aujourd'hui !

page 676 note 4. En fait cette « critique » de Korsch se réduit tout simplement à une mise en évidence des analogies entre la démarche léninienne et celle de Kautsky. Pour Korsch, en 1930, « être comparé à Kautsky » équivaut à une condamnation sans appel. En 1965 notre optique est évidemment quelque peu différente ; le socialisme réformiste, qui avait pratiquement échoué devant les problèmes économiques de l'Allemagne de Weimar, a enregistré depuis quelques succès assez spectaculaires en Scandinavie et ailleurs…

page 676 note 5. A ce titre proche du marxisme dit « bourgeois » de K. Mannheim

page 677 note 1. En 1930, Staline est déjà au pouvoir, certes, mais le stalinisme n'est pas encore constitué en idéologie

page 677 note 2. Cf. Korsch, op. cit., édition allemande, p. 36 sq. ; trad. française pp. 53-54. Nous avons cité ce passage dans notre article « Communisme et Dialectique », Lettres nouvelles, avril-mai 1958, p. 695. A la différence des autres passages, nous citons ici notre propre traduction, ceci, entre autre, en raison de la traduction systématique par Cl. Orsoni de Praxis par « praxis », alors que dans certains cas la traduction doit être « pratique » et dans d'autres « praxis ». Pour plus amples détails, cf. appendice

page 677 note 3. Korsch, op. cit., ibid.

page 677 note 4. C'est le titre d'un ouvrage connu de M. Michel Coixinet

page 677 note 5. On sait que cette banalité promue au rang de pseudo-théorie (l'esprit humain reflète le monde extérieur ! !) a été fêtée comme une authentique « découverte scientifique » entre 1947-1953 ; je me souviens avoir assisté à des conférences sérieuses dans le genre « apport de la théorie du reflet à la psychopathologie », etc

page 678 note 1. Nous avons entrevu plus haut la nature du lien logique existant entre la conception « scientiste » de la conscience politique et son interprétation hétéronomique : une science doit être élaborée par des spécialistes, elle ne saurait surgir « directement » de la lutte politique. Cette conception est corollaire de la sociologie léniniste du parti politique conçu comme « avant-garde » d'une classe et de toute la philosophie profondément anti-dialectique des « identifications en chaîne ». (Cf. R. Akon : L'opium des intellectuels, p. 134 et passim) qu'implique cette conception. Par ailleurs, entre la catégorie de l'autonomie et la pensée dialectique, il existe un autre ordre de relations : en psychologie de l'enfant l'acquisition de l'autonomie (en particulier celle de l'autonomie morale) et une certaine « maturation dialectique » de la pensée paraissent marcher de pair. Dans l'idéologisation politique nous assistons à un processus diamétralement opposé : hétéronomisation de la conscience politique et dédialeetisation consécutive. Nous ne pouvons pas entreprendre une analyse approfondie de ce phénomène que nous avons étudié ailleurs. Il convenait d'en signaler l'existence car c'est là l'une des dimensions de la cohérence idéologique à la fois du marxisme d'État et de sa critique par Korsch

page 678 note 2. Paul Mattick dit excellemment que, selon Korsch, une « critique de la politique bolchevique sur des détails était… vide de sens, puisque ce qui déterminait cette politique n'était ni une mauvaise interprétation de la situation réelle par rapport aux aspirations prolétariennes, ou même l'absence de telles aspirations, pas plus qu'une théorie fausse qu'en aurait pu corriger par voie de discussion. Tout au contraire cette politique prenait sa source directement dans les besoins concrets, spécifiques de l'État russe, de son économie, de ses intérêts nationaux, de ceux de sa nouvelle classe dirigeante… (P. Mattick, art. cit. franc., p. 108, passages soulignés par nous. Cf. aussi Korsch, op. cit., trad. franc., pp. 35, 54 (!), 59, 60 (! !) et passim.)

page 678 note 3. « Ihre Zeit in Gedanken erfasst. » Korsch, op. cit., traduction p. 78 ; la traduction de M. Cl. Orsoni (” la pensée de son époque ») est ici nettement insuffisante et frise même le faux sens.