Hostname: page-component-7479d7b7d-c9gpj Total loading time: 0 Render date: 2024-07-13T19:55:17.215Z Has data issue: false hasContentIssue false

Du présent au passé : les dynamiques historiques de la richesse à l’époque moderne

Published online by Cambridge University Press:  20 January 2017

Katia Béguin*
Affiliation:
Centre de recherches historiques-LaDéHis – EHESS

Résumé

Pour rendre compte des dynamiques d’accumulation patrimoniale et de concentration extrême des richesses dans les sociétés d’Ancien Régime, les historiens privilégient des facteurs tels que les systèmes d’héritage, les stratégies matrimoniales, la distribution politique et les transferts marchands des biens. Dans Le capital au XXIe siècle, Thomas Piketty met en avant un facteur plus déterminant, celui des rendements supérieurs de ce capital hérité. Cet article explore les voies par lesquelles les analyses d’histoire moderne pourraient s’ouvrir à une telle hypothèse.

Abstract

Abstract

Historians generally account for the dynamics of asset accumulation and the concentration of wealth in ancien régime societies by invoking inheritance systems, matrimonial strategies, political distribution, and market transfers of property. In his Capital in the Twenty-First Century, Thomas Piketty emphasizes a more significant factor: higher returns on inherited capital. This article considers the ways in which early modern history might make use of such a hypothesis.

Type
Lire Le capital de Thomas Piketty
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 2015

Access options

Get access to the full version of this content by using one of the access options below. (Log in options will check for institutional or personal access. Content may require purchase if you do not have access.)

References

1- Piketty, Thomas, Le capital au XXIe siècle, Paris, Éd. du Seuil, 2013, p. 558561.Google Scholar

2- S’il prend en compte les inégalités de revenus, c’est le patrimoine, plus concentré que les revenus, qui est l’objet principal des analyses.

3- Une telle situation n’est certes pas une constante du XVIe siècle à la fin du XVIIIe siècle, ni commune à tous les pays de l’Europe moderne, mais elle correspond du moins à ce qu’il était convenu d’appeler le « sombre XVIIe siècle ».

4- Piketty, T., Le capital…, op. cit., p. 574 Google Scholar sq., en particulier n. 2, p. 578.

5- Les taxes somptuaires, qui frappaient les consommations d’objets de luxe, constituent une exception à cette orientation régressive des impositions indirectes, mais leur produit demeurait marginal dans l’ensemble des revenus fiscaux en France, car elles servaient avant tout des objectifs de classification sociale et de contrôle du paraître, dumoins jusqu’à la Révolution. En Angleterre, le poids relatif des taxes somptuaires dans l’ensemble du produit fiscal semble plus important. Roche, Daniel, La culture des apparences. Une histoire du vêtement, XVIIe-XVIIIe siècle, Paris, Fayard, 1989 Google Scholar ; Michèle Fogel, « Modèle d’État ou modèle social de dépense ? Les lois somptuaires de 1485 à 1660 », in Genet, J.-P. et Lemené, M. (éd.), Genèse de l’État moderne. Prélèvement et redistribution, Paris, Éd. du CNRS, 1987, p. 227235 Google Scholar ; Maxine Berg et Helen Clifford, « Luxury, Consumer Goods and British Taxation in the Eighteenth Century », in Cavaciocchi, S. (éd.), La fiscalità nell’ economia europea, secc. XIII-XVIII, Florence, Firenze University Press, 2008, vol. 2, p. 1101 1114.Google Scholar

6- Des dispositions légales et coutumières, telles que celle du retrait lignager, visaient expressément à favoriser la conservation ou le retour dans un groupe familial de biens « propres » (échus en héritage) qui avaient fait l’objet d’une vente, en permettant au proche parent du vendeur de se substituer à l’acquéreur des biens, à condition de le rembourser, en vertu d’un droit collectif et prioritaire de la parenté sur le capital patrimonial du passé. Ce droit de retrait lignager ne pouvait s’appliquer qu’aux biens qui avaient le statut juridique d’immeubles, autrement dit au capital patrimonial par excellence. Pothier, Robert Joseph, « Traité des retraits », Traités sur différentes matières de droit civil appliquées à l’usage du barreau et de jurisprudence française, Paris/Orléans, Jean Debure/ Vve Rouzeau-Montaut, 1773, vol. 1, p. 707905.Google Scholar

7- Robert Descimon, « Les élites du pouvoir et le prince : l’État comme entreprise », in Reinhard, W. (dir.), Les élites du pouvoir et la construction de l’État en Europe, trad. par H. Aji, Paris, PUF, 1996, p. 133162.Google Scholar

8- Pour la méthode mise en oeuvre et expliquée, voir Dessert, Daniel, « Pouvoir et finance au XVIIe siècle : la fortune du cardinal Mazarin », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 23-2, 1976, p. 161181.Google Scholar

9- Piketty, T., Le capital…, op. cit., p. 624.Google Scholar

10- Stone, Lawrence, The Crisis of Aristocracy, 1558-1641, Oxford, Clarendon Press, 1965 Google Scholar ; Bitton, Davis, The French Nobility in Crisis, 1560-1640, Stanford, Stanford University Press, 1969 Google Scholar ; Petersen, Erlig Ladewig, « La crise de la noblesse danoise entre 1580 et 1660 », trad. par N. Godneff, Annales ESC, 23-6, 1968, p. 12371261 Google Scholar ; Billacois, François, « La crise de la noblesse européenne (1550-1650). Une mise au point », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 23-2, 1976, p. 258277 Google Scholar ; Crouzet, Denis, « Recherches sur la crise de l’aristocratie en France au XVIe siècle : les dettes de la maison de Nevers », Histoire, économie et société, 1-1, 1982, p. 151.CrossRefGoogle Scholar

11- Chauvard, Jean-François, La circulation des biens à Venise. Stratégies patrimoniales et marché immobilier (1600-1750), Rome, École française de Rome, 2005.CrossRefGoogle Scholar

12- Bartolomé Yun-Casalilla, « Introduction », in Yun-Casalilla, B. et O’brien, P. (éd.), The Rise of Fiscal States: A Global History, 1500-1914, Cambridge, Cambridge University Press, 2012, p. 135 CrossRefGoogle Scholar ; Patrick O’brien, « Historical Conditions for the Evolution of a Successful Fiscal State: Great Britain and its European Rivals from the Treaty of Munster to the Treaty of Vienna », in S. Cavaciocchi (éd.), La fiscalità…, op. cit., vol. 1, p. 131-151. Pour une analyse fouillée du cas français et de ce système fisco-financier, dont une partie des caractéristiques sont communes à d’autres États modernes, voir Daniel Dessert, , Argent, pouvoir et société au Grand Siècle, Paris, Fayard, 1984.Google Scholar

13- Robert Descimon, « La haute noblesse parlementaire parisienne. La production d’une aristocratie d’État aux XVIe et XVIIe siècles », in P. Contamine (éd.), L’État et les aristocraties, XIIe-XVIIe siècle. France, Angleterre, Écosse, Paris, Presses de l’ENS, 1989, p. 357–384. La vénalité légale des offices de justice, instaurée en 1604, garantissait aux familles de pouvoir résigner l’office en faveur d’un tiers ou de le vendre en cas de décès moyennant le versement d’une taxe annuelle calculée en fonction de la valeur de l’office.

14- Roland Mousnier, , La vénalité des offices sous Henri IV et Louis XIII, Paris, PUF, [1946] 1971.Google Scholar

15- R. Descimon a relevé ce décollage du montant des dots pour la haute noblesse parlementaire parisienne au XVIIe siècle, dont la valeur moyenne a décuplé en un siècle, avec un doublement approximatif tous les vingt ans ; voir R. Descimon, « La haute noblesse… », art. cit.

16- Haase-Dubosc, Danielle, Ravie et enlevée. De l’enlèvement des femmes comme stratégie matrimoniale au XVII e siècle, Paris, Albin Michel, 1999 Google Scholar ; Nassiet, Michel, Parenté, noblesse et États dynastiques, XVe-XVIe siècles, Paris, Éd. de l’EHESS, 2000.Google Scholar

17- Piketty, T., Le capital…, op. cit., p. 574582 Google Scholar et 722. Des dispositions similaires sont mises en oeuvre par le fedecommesso en Italie, le mayorazgo en Espagne, la substitution en France, l’entail en Angleterre. Pour un état des connaissances actuelles et une bibliographie à jour concernant l’Europe méditerranéenne, voir Chauvard, Jean-François, Bellavitis, Anna et Lanaro, Paola, « De l’usage du fidéicommis à l’âge moderne. État des lieux », Mélanges de l’École française de Rome. Italie et Méditerranée modernes et contemporaines, 124-2, 2012, p. 321337 Google Scholar ; Jean-Pierre DEDIEU, « Familles, majorats, réseaux de pouvoir. Estrémadure, XVe-XVIIIe siècle », in Dedieu, J.-P. et Castellano, J. L. (dir.), Réseaux, familles et pouvoirs dans le monde ibérique à la fin de l’Ancien Régime, Paris, CNRS Éditions, 1998, p. 111146 Google Scholar; Massei-Chamayou, Marie-Laure, « L’économie successorale dans Pride and Prejudice », Revue de la société d’études anglo-américaines des XVII e et XVIII e siècles, 63, 2006, p. 99116.CrossRefGoogle Scholar

18- Les créanciers pouvaient en conséquence n’être payés qu’avec les revenus produits par le capital immobilisé dans un fidéicommis, et non avec ce capital lui-même.

19- Venise et Rome ont gardé la possibilité d’une substitution à perpétuité, mais l’Autriche et la France ont limité la durée à deux générations, le Piémont et la Toscane à quatre, l’Angleterre à vingt ans après la mort du donateur ; voir J.-F. Chauvard, A. Bellavitis et P. Lanaro, « De l’usage du fidéicommis… », art. cit. La France révolutionnaire, puis la plupart des autres États ont interdit ces substitutions d’héritiers au XIXe siècle.

20- Piketty, T., Le capital…, op. cit., p. 686 Google Scholar sq.

21- Lyon-Caen, Nicolas, « Un prix sans aménité. L’indemnisation des propriétaires parisiens à la fin de l’Ancien Régime », Histoire et mesure, 28-1, 2013, p. 75106 CrossRefGoogle Scholar ; Id., « L’immobilier parisien au XVIIIe siècle, un marché locatif ? », Histoire urbaine, à paraître ; Couperie, Pierre et Le Roy Ladurie, Emmanuel, « Le mouvement des loyers parisiens de la fin du Moyen Âge au XVIIIe siècle », Annales ESC, 25-4, 1970, p. 10021023.Google Scholar

22- Béaur, Gérard et al., Property Rights, Land Markets, and Economic Growth in the European Countryside (13th-20th Centuries), Turnhout, Brepols, 2013.CrossRefGoogle Scholar

23- On dénombre environ 150 000 rentiers à la mort de Louis XIV, dans un royaume d’une vingtaine de millions de Français. Les chiffres disponibles sont de 10 000 pour l’Angleterre en 1709-1710, 40 000 en 1720, 60 000 à la veille de la guerre de Sept Ans (1756-1763), sur une population totale d’un peu moins de dix millions d’habitants. Dans les deux cas, et même en utilisant un coefficient multiplicateur pour obtenir le nombre de foyers, c’est bien une très mince élite qui acquiert ces rentes à l’origine.

24- Voir les calculs concernant les défauts de paiement des rentes publiques françaises des années 1640-1660 dans Béguin, Katia, Financer la guerre au XVIIe siècle. La dette publique et les rentiers de l’absolutisme, Seyssel, Champ Vallon, 2012, p. 104138.Google Scholar

25- Clark, Gregory, « Debt, Deficits, and Crowding Out: England, 1727-1840 », European Review of Economic History, 5-3, 2001, p. 403436 CrossRefGoogle Scholar ; Béguin, K., Financer la guerre…, op. cit., p. 245254.Google Scholar

26- Certes, il faudrait être en mesure de connaître la part de ces revenus des biens effectivement recapitalisés.