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Du mariage et du concubinage dans les classes populaires a Paris (1846-1847)

Published online by Cambridge University Press:  25 May 2018

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Y aurait-il une propension spécifique des classes populaires à contracter des unions concubines ? Nous pourrions le penser à compulser la littérature et les enquêtes contemporaines, qui ne cessent de dénoncer l'effondrement de la famille dans les milieux les plus humbles, gangrenés par l' « immoralité » : c'est-à-dire, pêle-mêle, par la prostitution, le concubinage, le vice, le jeu, la boisson, le bal…

Frégier, dans son analyse minutieuse pour caractériser les classes dangereuses, décrit ainsi la catégorie des ouvriers des filatures et des fabriques : « Nulle part, les ouvriers et les ouvrières ne sont plus dissolus ; nulle part, il n'y a moins de mariages et d'aisance que dans cette classe » ; et il précise : « Dans cette classe d'ouvriers, on évalue seulement à un tiers le nombre de femmes unies par les liens du mariage aux hommes avec qui elles vivent. » C'est dire que les deux tiers vivent de manière concubinaire et que mariage et concubinage sont perçus comme deux formes contradictoires d'union. Les ouvriers d'ateliers et de boutiques ne sont pas mieux jugés.

Summary

Summary

A cartographical and mathematical treatment of socio-demographie data, supplemented by trial reports from the Gazette des tribunaux, leads us to challenge L. Chevalier's idea that concubinage was aform of “civilisation populaire” or an “habitude ouvrière”, as well as certain notions underlyingE. Shorter's hypothesis of a “sexual revolution”. There are three reasonsfor our disagreement with thèse authors. First, concubinage in Paris is not found only in the working class. One-third to two-fifths of those living in concubinage corne from other social classes. Second, the significant factor with regard to membership in a social class is marriage and not concubinage. Third, concubinage, which is not differentiated with respect to class position, is pertinent only in the case of working-class women. And this pertinency appears to be conditioned more by a desire for marriage and by the new dependency specifie to female wage-labourers generated by industrialization (economie dependence especially) than by the hypothetical “sexual liberation” of which E. Shorter speaks.

Type
La Société Française
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1978

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References

Notes

1. Frégier, Des classes dangereuses de la société dans les grandes villes et des moyens de la rendre meilleure, Paris, 1840, B. N., 2 vol., tome II, p. 101.

2. Rozier, , De la condition sociale des femmes, Paris, 1848, p. 24 Google Scholar.

3. Chevalier, Louis, Classes laborieuses, classes dangereuses, Paris, 1958, pp. 388 et 391.Google Scholar

4. Recherches statistiques sur 17 176 pauvres dont la Société charitable de Saint-François Régis, établie à Paris, pour faciliter le mariage civil et religieux des indigents du département de la Seine, s'est occupée depuis le Ier mars 1826 jusqu'au 31 décembre 1841 inclusivement, pièce signée Jules GOSSIN (B.N., 4R 1796).

5. Les professions pénibles sont ainsi définies : « États violents à feu, à eau, à masses et couperets, à emporte-pièces, à échelles, à marteaux, à haches, gros ciseaux, pics, scies, pioches machines, bêches, brouettes, voitures. »

6. Les « états sédentaires ou presque, à outils » sont donnés sans précision, mais opposés aux « états sédentaires à métiers pour tissages, impressions, etc. » qui renvoient aux manufactures.

7. Cuvillier, Armand, L'Atelier. Un journal ouvrier, Paris, Éditions ouvrières Google Scholar. L'un des objectifs du journal est de « réagir contre certaines idées immorales et extravagantes qui avaient cours parmi notre classe » (p. 44), à savoir : « Déraciner l'habitude du lundi, respect de la famille, haine des vies dégradantes : ivrognerie, jeu, débauche, obscénité des chansons de rue, etc. » (p. 74).

8. Recherches statistiques sur la ville de Paris, 6 tomes, Paris 1821-1860.

9. Statistiques de l'industrie à Paris résultant de l'enquête faite en 1847-1848, Chambre de commerce, Hachette, microfiche, 1971.

10. Ch. Pouthas, La population française pendant la première moitié du XIXe siècle, Cahiers de l'I.N.E.D., n° 25, p. 170.

11. Le tome VI des Recherches statistiques…, indique, p. 36, que la population en garnis atteint un effectif de 41 580 pour les hommes et de 8 127 pour les femmes.

12. Les Recherches statistiques…, dénombrent 47 831 femmes et 19 720 hommes comme domestiques pour 1846.

13. Le tableau I de l'annexe I donne 111 concubins pour 401 personnes mariées à Paris en 1846.

14. Louis Chevalier, op. cit., pp. 281, 282, 284.

15. Enquête de la Chambre de commerce, cité, p. 61.

16. Edward Shorter, « Illegitimacy, sexual révolution and social change in Modem Europe », dans Journal of interdisciplinary history, automne 1971, p. 242. Dans cet article, Shorter distingue : 1) la « sexualité manipulée » engendrant peu de rapports et ayant des objectifs extérieurs à la sexualité et définis par la norme sociale ; 2) la « sexualité expressive », au contraire, est définie ainsi pour ceux qui y participent : « Ils essaient à travers la sexualité de développer leur personnalité aussi pleinement que possible, pour leur propre satisfaction et, en conséquence, estiment que la vie sexuelle fait partie intégrante de leur personnalité. Pour eux, le sexe est un moyen d'expression de leur désir d'êtres libres… et par là, ils s'opposent aux interdits des structures autoritaires et communautaires. »

17. Shorter, « Illegitimacy… », pp. 246-247.

18. Sur 10 695 enfants illégitimes dénombrés par les Recherches statistiques…, en 1846, nous en avons retenu 6 220 qui renvoient à un concubinage stable. Ce sont les enfants reconnus et ceux non reconnus mais naissant à domicile. Or Shorter ne tient compte que des 1372 reconnaissances par mariage ultérieur des parents pour prouver l'absence de foyer familial. Ne retenir que 13 % des enfants illégitimes, alors que nos calculs en retiennent au moins 60 %, apparaît pour le moins comme un indice fragile et partiel.

19. Selon le tableau général n° 4 sur la répartition par arrondissement et par catégories dans l'Enquête de la Chambre de commerce de Paris, les effectifs sont :

soit 91812 femmes sur un total de 112 891.

20. Gazette des tribunaux du 9 février 1838.

21. Gazette des tribunaux du 7 avril 1838.

22. Shorter, « Illegitimacy… », article cité, pp. 248-249 et 252 et 255.

23. Flandrin, Jean-Louis, Les amours paysannes. Amour et sexualité dans les campagnes de l'ancienne France (XVIIe-XIXe siècle), Paris, Gallimard, 1975, p. 128.Google Scholar

En ce qui concerne la liberté de fréquentation, et les conduites sexuelles, Flandrin interprète le maraîchinage vendéen, non pas comme un « essai de fécondité » mais comme une « pratique d'attente et d'essai de l'accord sexuel » montrant ainsi la force de l'attrait sexuel même si celui-ci est contrôlé par la collectivité. On peut penser que ces pratiques d'essai de l'accord sexuel ont pu être reprises comme valeur traditionnelle par les immigrés, mais alors, les conditions de leur fonctionnement ayant disparu, ces pratiques mènent moins souvent qu'autrefois au mariage et plus facilement au concubinage, car en milieu urbain les contraintes collectives ont disparu.

24. Gazette des tribunaux du 10 janvier 1840.

25. Gazette des'tribunaux Au 10 mars 1838.

26. Gazette des tribunaux du 14 novembre 1840.

27. Gazette des tribunaux du 19 juillet 1838.

28. Daumard, A., Les bourgeois de Paris au XIXe siècle, Paris, 1970, pp. 125 à 136Google Scholar.

29. Recherches statistiques sur 17 176 pauvres…, op. cit., pp. 10 et 11.

30. J.-L. Flandrin, op. cit., pp. 230 et 231.

31. Rozier, , De la condition sociale des femmes, p. 64.Google Scholar

32. Enquête de la Chambre de commerce, tableau général des salaires, tableau n° 4. Résultats par groupes d'industries, op. cit., pp. 51-52.

33. Frégier, op. cit., p. 345.

34. Enquête…, op. cit., p. 52.

35. Enquête…, op. cit., p. 119.

36. D'après nos calculs approximatifs, sur un effectif global de 70 000 concubins ouvriers, on peut dénombrer moins de 30 000 ouvriers et un peu plus de 40 000 ouvrières, ce qui, rapporté aux effectifs salariés, donne une proportion de l'ordre de 40 % chez les femmes contre 15 % seulement chez les hommes.

37. Enquête de la Chambre de commerce, op. cit., p. 68, données sur l'instruction.

38. Shorter, «Différences de classe et sentiment depuis 1750. L'exemple de la France», Annales, E.S.C., n° 4, juillet-août 1974, p. 1 056.

39. A. Daumard, op. cit., p. 172.

40. A. Daumard, op. cit., p. 174. État civil et dimension des familles d'après les déclarations faites à l'enregistrement en 1847.

41. Shorter, « Différences de classe… », article cité, p. 1056.

42. Philippe Ariês, L'enfant et la vie familiale sous l'Ancien Régime, Paris, Éd. du Seuil, 1973, p. 461.