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Une virginité sans hymen : le corps féminin en Grèce ancienne*

Published online by Cambridge University Press:  26 July 2017

Giulia Sissa*
Affiliation:
Centre de Recherches comparées sur les Sociétés anciennes Paris

Extract

Tout anthropologue du monde grec ancien, tout historien des sexualités occidentales rencontre tôt ou tard une figure qui l'intrigue : la parthénos, c'està- dire la vierge, ou bien la jeune fille non mariée. C'est le mot même, le nom grec parthé nos qui pose au lecteur un problème majeur : quel sens lui donner, comment le traduire ? Car choisir entre vierge et jeune fille non mariée signifie interpréter, sinon prendre parti : en préférant la première version l'on se contente d'une équivalence irréfléchie entre la virginité païenne et celle que nous saurions définir hic et nunc; en retenant « jeune fille nubile », nous mettons délibérément à distance un modèle de sexualité féminine qui serait propre à un univers autonome, ignorant du christianisme, étranger à la piété mariale.

Summary

Summary

Although the word hymen is Greek in origin, feminine virginity in Ancient Greece was not identified with a thin membrane. The doctors of the classical period, Aristotle and Galen weren 't aware of its existence, while Soranos, a practitioner who wrote in Greek but who tought in Rome, explicitly negated its physiological existence. For him the membrane which in some cases obstructed the sexual organ of young girls was nothing but an abnormality, a tissue that was to be excised.

But above and beyond the existence of the hymen, sexual integrity in women was nonetheless considered an important standard of behavior, as can be seen in one of Solon 's laws and from a number of historical and mythical accounts concerning the seduction of young unmarried girls and the punishment they deserved. For the Greeks, virginity without the hymen, was not as much a question of social status (the absence of marriage), as a particular physical representation of the body both closed and intact.

Type
Recherches en Cours
Copyright
Copyright © École des Hautes Études en Sciences Sociales, Paris, 1985

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Footnotes

*

Ces pages sont extraites d'une étude consacrée à la virginité féminine en Grèce ancienne : Pythie parthénos. Images et secrets du corps virginal, à paraître.

References

1. Chrysostome, Jean, La virginité (Sources chrétiennes 125), Paris, 1966 Google Scholar, chap. i, paragr. 1.

2. Pour un aperçu sommaire de la littérature patristique sur la virginité, on verra l'article « Chasteté » dans le Dictionnaire de théologie catholique, tome II, Paris, 1923, écrit par E. Dublanchy. Une brève histoire de cette littérature se trouve esquissée par Camelot, Th., « Les traités De virginitate au IVe siècle », dans Mystique et continence. Travaux scientifiques du VIIe Congrès international d'Avon, Bruges, 1952, pp. 273292.Google Scholar

3. Comme l'écrit G. Blond, « Les encratites et la vie mystique », dans Mystique et continence, pp. 117-130.

4. Jean Chrysostome, La virginité, chap. vm, paragr. 2.

5. Ibid., chap. v, paragr. 6.

6. Justin, Apologie I, chap. 33.

7. Ibid., chap. 54, paragr. 8. « Justin semble avoir le premier tiré argument des fables païennes pour justifier la génération miraculeuse du Christ », selon Saintyves, P., Les vierges mères et les naissances miraculeuses, Paris, 1908, p. 230.Google Scholar

8. Basile de CÉSarée, De vera virginitatis integritate (Patrologia Graeca, Xxx, col. 669- 809). Sur les questions d'attribution posées par ce traité, on verra Th. Camelot, « Les traités De virginitate », op. cit., p. 274.

9. ÉLien, Nature des animaux, livre II, chap. 46. Basile de CÉSarée, In Isaïm prophetam capitulum VII, 529 ; Homilia VIII in Hexameron, 76.

10. On verra en particulier, Calame, Cl., Les choeurs de jeunes filles en Grèce archaïque, Urbino, 1977, tome I, p. 65 Google Scholar. Et sur l'oscillation entre « vierge » et « jeune fille » dans la traduction du grec parthénos, Jeanmatre, H., Couroi et Courètes, Paris, 1939, p. 529 Google Scholar ; Brelich, A., Paides e parthénoi, Rome, 1969, p. 305 Google Scholar ; Grimal, P., « Vierges et virginité », dans La première fois, Paris, 1981, p. 212 Google Scholar ; Loraux, N., Les enfants d'Athéna, Paris, 1981, p. 241 Google Scholar, note 183. Pour une réflexion sur la figure de la parthénos qui prend en compte la parthénia et le moment critique de sa perte, on verra Schmitt, P., « Athéna Apatouria et la ceinture : les aspects féminins des Apatouries à Athènes », Annales E.S.C., 32e année, nov.-déc, n° 6, 1977, pp. 10591073.Google Scholar

11. Eschine, Lettres, X ; Anthologie palatine, livre IX, n° 444 ; PS.-Phocylide, 13 ; Anthologie palatine, livre V, n° 79 ; Odyssée, livre VI, vers 254 ; Diodore de Sicile, livre VI, chap. 7 ; Pollux, Onomastikon, livre III, 39-42. Pollux renvoie à HÉRodote, livre IV, chap. 168 et à Aristophane, Thesmophories, vers 480.

12. Euripide, Troyennes, vers 979 ss.

13. Eschyle, Prométhée, vers 898.

14. Sur la question très ponctuelle de la virginité, la perspective historique chère à M. Foucault et à P. Veyne montre sa valeur heuristique. Nous pensons en particulier à leurs textes respectifs, L'usage des plaisirs, Paris, 1984 et L'élégie erotique romaine, Paris, 1983.

15. HÉRodote, livre IV, chap. 180. Cf. Ribichtni, S., « Athena libica e le parthénoi del lago Tritonis », Studi Storico-Religiosi, 2, 1978, pp. 3660 Google Scholar (l'auteur situe ce rituel à l'intérieur de la tradition libyenne).

16. ÉLien, Nature des animaux, livre XI, chap. 16. Cf. Properce, livre IV, 8.

17. Achille Tatius, Leukippe et Clitophon, livre VIII, chap. 12.

18. « Délier » et « dissoudre » sont exprimés par le même verbe : lyein. Le cruel jeu de mots d'Artémis s'explique si nous pensons aux récits de défloration par un fleuve (Odyssée, livre XI, v. 254 ; Diodore de Sicile, livre VI, chap. 7) et à l'offrande collective de la.parthénia au courant du Scamandre, en Troade (Eschine, Lettres, X). Comme l'écrit Strabon (livre X, chap. 2, paragr. 19), dans la force de la forme même d'un cours d'eau impétueux se laisse imaginer une virilité irrésistible : un fleuve a la puissance et les cornes d'un taureau (cf. Nonnos, Les Dionysiaques, livre I, vers 120-124). Il ravit une jeune fille et prend sa virginité non pas comme s'il pénétrait, mais en défaisant des défenses. Ainsi Artémis fait fondre Rhodopis tout entière là où la ceinture a été défaite.

19. Pausanias, livre X, chap. 19, paragr. 2. Sur le pouvoir de l'eau comme révélateur de virginité, on verra Glotz, , L'ordalie dans la Grèce primitive, Paris, 1904, p. 71 Google Scholar ss. Glotz tend à considérer comme épreuves ou survivances de rituels ordaliques toute une série de châtiments qui, en fait, n'ont rien de l'examen ou de la mise en question.

20. Plutarque, Solon, 23. Cf. Harrison, A. R. W., The Law of Athens, Oxford, 1968, p. 73 Google Scholar, note 2 : « There is no reason to doubt the existence of the law or its solonian origin. »

21. Le qualificatif parthénos ne pourrait en aucun cas s'appliquer à une jeune fille dont l'activité sexuelle serait connue publiquement : une petite prostituée s'appellera paidiskë, « fillette » (cf. HÉRodote, livre I, chap. 93 ; Isocrate, discours VI, chap. 19 ; Plutarque, Périclès, 24 ; Athénée, livre X, paragr. 437 e ; PS.-DÉMosthène, Contre Néera, chap. 18).

22. Diodore de Sicile, livre VIII, chap. 22.

23. Pollux, Onomastikon, livre III, chap. 21 ; cf. Hesychius, sub verbo : parthénioi ; Souda, s.v. parthéneios ; Scholie à Iliade, livre IV, vers 499 ; Scholie à Pindare, Olympiques, n, vers 48 C.

24. Cf. Mythographi vaticani, livre I, chap. 164 ; livre II, chap. 58. Il y a des récits où le père ouvre le ventre de sa fille pour voir si elle est encore vierge : Pausanias, livre IV, chap. 9, paragr. 6-8 ; Parthenius de Nicée, chap. xxxv.

25. Cf. Muth, R., « Hymenaios und Epithalamion », Wiener Studien, 47, 1954, pp. 545.Google Scholar

26. Severyns, A., Recherches sur la chrestomathie de Proclos, première partie : le codex 239 dePhotius, tome II, Liège, 1938, pp. 4950 Google Scholar et 194-202.

27. Pindare, Thrènes, fr. m (édition Snell-Maehler).

28. PS.-Apollodore, Bibliothèque, livre III, chap. 10, paragr. 3.

29. Servtus, Commentaire à Y Enéide, livre I, vers 651.

30. Artémidore, La clef des songes, livre II, chap. 65.

31. A. Brelich, Paides eparthénoi, pp. 261-263.

32. Servius, Commentaire à YÉnéide, livre IV, vers 99.

33. Ibid., livre I, vers 651.

34. Eustathe, Commentaire à l'Iliade, livre XVIII, vers 493.

35. Mythographi vaticani, livre III, chap. 11, lignes 35-40.

36. Ibid., livre III, chap. 11 : Servtus, Commentaire à YÉnéide, livre IV, vers 99.

37. Aristote, Histoire des animaux, livre III, chap. 13, 519 a 30 ss.

38. Aristote, Parties des animaux, 677 b 14-19 ; 677 b 37-678 a 19 ; 672 a 10-673 a 1.

39. Aristote, Histoire des animaux, 519 b 4-5.

40. Galien, De l'utilité des parties, livre XV, chap. 3.

41. Paré, A., De l'anatomie, livre I, chap. 34 (Œuvres complètes, Paris, 1840-1841, réimpr. Genève, 1970, tome I, p. 167).Google Scholar

42. aurélianus, Caelius, Gynaecia (F. et I. E. Drabkin éds, Baltimore, 1951)Google Scholar ; Sorani gynaeciorum vêtus translatio latina (V. Rose éd., Lipsiae, 1882).

43. Soranos, Gynaikeia, livre I, chap. 16-17 (éd. Ilberg, Corpus Medicorum Graecorum, Lipsiae et Berolini, 1927). Dans son beau livre, Porneia (Paris, 1983), A. Rousselle donne une interprétation que le texte n'autorise point : Soranos ne mettrait pas en question l'existence de l'hymen, mais discuterait sur « les erreurs anatomiques des médecins romains » : « Ces Romains imaginent une obturation vaginale interne et complète, qui, ajoutée à l'hymen, rend la défloration très douloureuse et somme toute laisse au mâle le privilège de frayer le passage des règles » (p. 48, cf. p. 41). Mais Soranos dit qu'il n'y a aucune membrane : celle qui se trouve parfois entre les lèvres est aussi un cas d'atrésie, non moins grave que les autres. « La généralisation à toutes les femmes d'une malformation rare » ( Rousselle, A., « Observation féminine et idéologie masculine : le corps de la femme d'après les médecins grecs », Annales E.S.C., 35e année, n° 5, sept.-oct. 1980, pp. 1089- 1115, p. 1104 Google Scholar) consiste précisément dans l'erreur de penser qu'il y a dans le sexe des femmes une membrane naturelle, destinée à être déchirée par la première pénétration masculine. Tout ce que Soranos explique sur l'origine du sang de la défloration sert exclusivement à justifier l'écoulement indépendamment de l'effraction d'un hymen.

44. Ibid., livre I, chap. 17.

45. Gynaecia, livre II, chap. 33 Rose = (IV, 17), Ilberg.

46. Aristote, Génération des Animaux, livre IV, 773 a 15-29.

47. Soranos, Gynaikeia, livre I, chap. 32. Cf. Manuli, P., « Elogio délia castità. Le Ginecologia di Sorano », Memoria, 3, 1982, pp. 3949.Google Scholar

48. Le discours Contre Néera du Ps.-Démosthène témoigne aussi de la nature précieuse mais insaisissable de la virginité : une loi athénienne veut que l'archonte roi ait comme épouse une femme qui « n'ait connu autre homme » et qui « ait été épousée parthénos », c'est-à-dire, sans ambiguïté, vierge au sens sexuel. Toutefois, un certain Stéphanos, ignoble maquereau et maître chanteur, donne en mariage au roi la fille d'une prostituée, elle-même du métier : or, c'est uniquement grâce à une enquête menée par le Conseil de l'Aréopage sur la réputation de la reine que le sacrilège sera démasqué. Le mari, tout en étant tenu à choisir une fille inviolée, ne peut pas s'en assurer par une expertise intime et directe (chap. 72-84).

49. Maladies des femmes, chap. 1.

50. Diodore de Sicile, livre XVI, chap. 26.

51. Galien, De l'utilité des parties, livre XV, chap. 3.

52. L'interprétation est de Soranos, Gynaikeia, livre I, chap. 18.

53. Ibidem.

54. Sapho, fr. 139 (éd. Lobel-Page).

55. Deutéronome, XXII, 23-28. Cf. Pirenne, J., « Le statut de la femme dans la civilisation hébraïque », dans Recueils de la Société Jean Bodin, tome XI, Ire partie : La femme, Bruxelles, 1959, pp. 107126 Google Scholar et, pour une interprétation différente : E. Cassin, « Virginité et stratégie du sexe », dans La première fois, pp. 240-255.

56. P. Saintyves, Les vierges mères et les naissances miraculeuses, p. 261.

57. Ambroise, De institutione virginis, chap. 52 (Patrologia latina, vol. XVI, col. 319).

58. Protévangile de Jacques, chap. XIX-XX ; PS.-Mathtéu, chap. xm, 3-5. Le récit de cet examen est pourtant retenu par Clément d'Alexandrie, Stromates, chap. vn (Patrologia latina, vol. IX, col. 529).

59. Augustin, De civitate dei, livre I, chap. 18 ; Ambroise, Epistula V (Patrologia latina, vol. XVI, col. 891-898).

60. Augustin, De civitate dei, livre VI, chap. 9.

61. Catulle, 32, vers 11.

62. Augustin, De civitate dei, livre I, chap. 18 ; Ambroise, Epistula V (Patrologia latina, vol. XVI, col. 891-898) ; Cyprten, Epistula ad Pomponium de virginibus (Patrologia latina, vol. IV, col. 364 ss).

63. MÉThode D'Olympe, Le banquet, Sources chrétiennes 95, p. 306.

64. A. Paré, De la génération, 49 ; Buffon, cité par le Cavalier de Jaucourt, dans l'article Virginité de L'Encyclopédie de Diderot et D'Alembert.