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Systèmes politiques verticaux aux marches de l'Empire inca

Published online by Cambridge University Press:  25 May 2018

Frank Salomon*
Affiliation:
University of Illinois, Urbana-Champaign

Extract

Que s'est-il passé dans les sociétés andines après leur soumission au Tawantinsuyu ? Les chroniques ne nous ont transmis que les versions incaïques et insistent sur la générosité de l'État et sur son influence civilisatrice, sur la diffusion de ses cultes et sur l'établissement de structures politiques idéales, à l'image de celles de Cuzco. Or ces versions laissent sans réponse deux questions capitales. On ignore tout d'abord la nature des sociétés que les Incas se proposaient de transformer. Étaient-elles fondamentalement similaires aux autres ethnies des Andes centrales, ou bien possédaient-elles des traits qualitativement différents ? Il est très difficile de trancher cette question : les Incas avaient l'habitude de dénigrer toutes les populations qui leur étaient soumises, qui n'auraient été jusqu'alors que des sociétés barbares, behetrías, selon le terme espagnol. En deuxième lieu, on ne connaît pas par quelle suite d'interventions concrètes, de promesses et de manipulations, les Incas s'engagèrent dans la refonte des formations autochtones selon un modèle uniforme. La configuration idéale de l'« Empire-des-quatre-quartiers », rigide et abstraite en apparence, a sans doute fourni un modèle concret pour l'intégration de plus d'un millier d'ethnies locales, plus ou moins réfractaires, bien qu'on ignore comment cela fut possible historiquement.

Summary

Summary

How deep were the differences between the Incas ‘ own political economy and that of the North-Andean peoples whom, in 1532, they had only recently conquered? In what way did the seemingly abstract and rigid model of the “Fourfold Domain” offer a realistic plan for integrating these resistant chiefdoms into a state economy without any local traditional mandate? Since the Spanish invasion froze the provinces of northernmost Tawantinsuyu at varying stages of incomplete consolidation, a comparison between those at the utmost frontier of Inca penetration and those which had lived longer under Inca rule should help us picture Tawantinsuyu not as a static structure, but as a process of historical transformation.

The comparison of three zones allows us to analyze the social, economic and political aspects of this differentiated integration, as well as their destiny beyond the conquest. (One of the original features of these northern zones was the existence of a corps of merchants who travelled long distances and engaged in political activity—the mindalaes) This integration implies, moreover, that a particular kind of dynamic was at work here. This dynamic, deriving ultimately from the difference between, on the one hand, the outward-looking, alliance-oriented character of interzonal ties among chiefdoms which could achieve only local territorial control, and, on the other, the aspiration of state-organized societies to territorial control of complete resource assemblies, may be of some use in explaining the explosive growth potential of Andean “horizon” civilizations.

Type
L'État Inca et les Ethnies
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1978

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References

Notes

1. Ce travail se fonde sur une recherche menée en 1975-1976 et subventionnée par la Commission Fulbright-Hayes. Je dois à l'aimable intervention du Dr Joseph Casagrande, de l'Université d'Illinois, la possibilité qui me fut accordée d'étudier des documents en microfilm, acquis gráce à une subvention de la National science foundation, GS-1224.

2. Il semble que, selon cet auteur, les mitmajkuna qui stationnaient à proximité de Quito durant les guerres d'Imbabura, ne comptaient vers 1577 que deux générations de caciques. Même si chaque chef avait eu une exceptionnelle longévité, la colonie ne peut donc avoir été fondée bien avant 1500 (Espinoza, 1975, p. 360).

3. (Aguilar[1582] 1965 ; Angeles [1582] 1965 ; Anónimo[1573] 1965 ; Anónimo [1605] 1868 ; Arias Dávila [1582] 1965 ; Borja [1582] 1965 ; Cantos [1581] 1965 ; Cieza [1553] 1943 : 308 ; Gallegos [1582] 1965 ; Gaviria [1582] 1965 ; Gómez et al. [1582] 1965 ; Pablos [1582] 1965 ; Paz Maldonado[1582] 1965; Paz Ponce [1582] 1965 ; Pereira et al. [1582] 1965 ; Salinas [1571] 1965; Ytaliano[1582] 1965).

4. Pour les quatre régions que nous étudions ici, les données concernant deux d'entre elles proviennent de visitas (études administratives de communautés) effectuées un peu avant 1560. La plus ancienne des deux concerne quelques chefferies Puruhá et fut établie en 1557 par Diego Mendez et Fray Pedro Rengel, un Franciscain (AGI/S, Justicia 671, f°s 242r°-257r°) ; la plus récente, composée en 1559 par Gaspar de San Martin et Juan Mosquera, rend compte de six communautés situées immédiatement à l'est de Quito (AGI/S, Justicia 683, f° 798r°-874r°). Toutes deux sont conservées en Espagne comme pièces dans des procédures juridiques. De la première il ne nous reste qu'une version incomplète ; la seconde, en revanche, est complète et comporte des informations démographiques. Ces documents, comparables dans l'espace et dans le temps, n'appartiennent pas seulement, d'un point de vue méthodologique, à un même genre ; ils constituent, si l'on peut dire, des documents jumeaux, car l'un et l'autre répondent à une même instruction et à un même questionnaire. Le document de base a lui aussi survécu ; rédigé en 1557 par le gouverneur Gil Ramirez Dávalos, il est reproduit avec les fragments Puruhá. Ramirez Dávalos, mú probablement par les mêmes raisons que nous — la compilation de données comparables —, choisit de le réutiliser en 1559.

Trois autres points concernant les méthodes de ces visitas méritent d'être soulignés.

Précisons tout d'abord que s'il est vrai que l'ordre dans lequel les communautés sont étudiées traduit l'itinéraire géographique des fonctionnaires espagnols, en revanche, l'ordre de présentation des habitants de chaque groupe reproduit celui des registres des seigneurs ethniques, les quipus, et par conséquent, les catégories locales d'organisation sociale. Nous savons que la visita de 1559 fut faite pour mettre à jour une enquête antérieure (visita de quipus). C'est donc une transcription des registres du quipu, sans qu'il y ait inspection des personnes nommées. Les seigneurs ethniques promirent explicitement de justifier ces registres. Chaque communauté présente ses membres selon les parcialidades (probablement similaires à Vayllu des visites péruviennes), à la tête desquelles il y a un chef subalterne appelé principal. A la fin de chaque liste de communautés se trouvent, en guise d'appendice, la mention des spécialistes étrangers importés par le régime incaïque ainsi que celle d'autres individus extérieurs, dont la présence remonte après l'arrivée des Espagnols. Le fait que ces individus aient été mis à part montre clairement que les catégories restantes ne sont pas arbitraires mais qu'elles correspondent, essentiellement, à une organisation intracommunale préhispanique.

En deuxième lieu, les visitadores n'étaient pas complètement insensibles aux influences incaïques ; Gil Ramirez Dávalos, auteur de l'instruction, avait été auparavant corregidor de Cuzco (Gonzáles Suárez [1891] 1969, t. 1, p. I 274) et incita ses délégués à donner à leur rapport une tournure administrative incaïque qu'il connaissait du reste très bien. L'instruction charge les fonctionnaires de découvrir en particulier quelles étaient les guarangas, pachacas et ayllos. Parmi les termes proposés officiellement on retrouve ceux de curaca, mitima, huno et mita. Ramirez Dávalos avait une certaine idée de la nature des revenus étatiques et insista auprès des visitadores pour qu'ils découvrent « que chacaras e tierras e ganados tenian en sus tierras el ynga suyo propio e para el sol y en guacas y si abian sido primero de los yndios del dicho repartimiento y si las labro ronpio e benefiçio de nuevo el ynga y si traxo el ganado de otra parte » (AGI/S, Justicia 671, f° 237v°). Les préférences de Ramirez Dávalos pour la terminologie inca jettent une ombre sur la nomenclature autochtone. Il semble que pour la plupart des seigneurs ethniques de l'aire de Quito, plusieurs de ces termes incaïques étaient considérés comme inappropriés, étant donné qu'ils les omirent tout simplement de leurs réponses. Si dans ces visitas certaines institutions sont modifiées ou tout simplement absentes, cela ne signifie nullement que les visitadores ne s'en sont pas enquis ; réciproquement si des institutions étrangères aux normes incaïques apparaissent, leur présence ne signifie pas non plus qu'on les ait sollicitées. Dans le domaine de l'économie et de l'administration de la période incaïque, les visitadores avaient eu l'ordre de s'informer notamment sur les questions suivantes : zones où il y avait des plantations de coca et importance de la production, présence d'autres spécialités artisanales et d'échange, formes de tribut envers les seigneurs ethniques subalternes principaux telles qu'elles étaient désignées dans les catégories décimales incaïques, ordre de succession des chefferies, róle des seigneurs ethniques dans la juridiction des questions criminelles et biens appartenant à l'Inca, au culte solaire et aux autres religions. Les questions sont manifestement conditionnées par l'expérience de Ramirez Dávalos à Cuzco.

Les données concernant la région d'Otavalo ont moins d'unité, tout en restant très proches des autres, autant dans le genre que dans la période chronologique couverte. Elles proviennent en grande partie de fragments de registres de visitas et de tasaciones (estimations de tributs) depuis 1550 jusqu'en 1570 environ, intégrés dans le rapport d'un procès poursuivi dans les années 1560 (AGI/S, Cámara 922 A), auxquelles s'ajoutent des renseignements issus de sources plus tardives. Les informations sur les Pasto émanent principalement d'un livre de tasacion compilé en 1570-1571, mais qui contient de nombreuses interviews d'Espagnols ayant vécu dans la région depuis les premières incursions de Benalcázar. On y trouve par conséquent des observations de toute première date qui lui vaut, parmi les sources archivistiques, une place bien plus importante que la date à laquelle il fut rédigé le laisserait croire (AGI/S, Quito 60 : 2).