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Retour à Seveso

La complexité morale et politique du dommage à l’environnement

Published online by Cambridge University Press:  20 January 2017

Laura Centemeri*
Affiliation:
CES – Université de Coimbra

Résumé

À partir du cas du désastre de Seveso (1976), l’article aborde la question de l’intégration de l’environnement dans la construction d’un « monde en commun », à travers l’analyse de diverses façons de mettre en forme le dommage à l’environnement comme problème d’une communauté. Après avoir discuté l’échec à Seveso de la critique sociale dans sa tentative d’articuler le dommage à l’environnement à la lutte de classe, il suit le travail d’un groupe de militants qui ont vécu directement cet échec. Ayant quitté Seveso dans les années 1980, ils reviennent avec un projet de réparation politique du dommage causé à l’environnement, animés par l’idée d’une action politique attachée au territoire habité, à même de reconnaître la complexité des maux suscités par le dommage.

Abstract

Abstract

Taking as case-study the Seveso disaster (1976), the article deals with the question of how the environment is integrated into the construction of a “world in common”, through the analysis of the plural ways in which environmental damage is construed as a community problem. After discussing the failure of a social critique in Seveso, attempting to connect environmental damage to class struggle, it follows the activities of a group of activists who directly experienced this failure. Having left Seveso in the 1980s, they returned years later with a project of political reparation of the environmental damage that grounded political action into the local inhabited environment, recognizing the complexity of the ills engendered by the damage.

Type
Catégories de la nature
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 2011

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Footnotes

*

Je remercie Michela Barbot, Marc Breviglieri, Alberta Giorgi, Alice Ingold, Laurent Thévenot et Tommaso Vitale pour leurs commentaires et remarques sur les versions précédentes de cet article.

References

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2- Voir Callon, Michel, Lascoumes, Pierre et Barthe, Yannick, Agir dans un monde incertain. Essai sur la démocratie technique, Paris, Le Seuil, 2001;Google Scholar Allen, Barbara, Uneasy alchemy: Citizens and experts in Louisiana's chemical corridor dispute, Cambridge, MIT Press, 2003.Google Scholar Francis Chateauraynaud, « Les topiques environnementales entre controverses et conflits. Écologie politique et sociologie pragmatique en France », à paraîtrein L.Charles et B.Kalaora (dir.), Sciences sociales et environnement en Allemagne et en France : http://gspr.ehess.free.fr/documents/articles/Chateauraynaud/FC-topiquesenvironnementales- mai-2010.pdf, distingue quant à lui, dans la désormais vaste littérature sociologique consacrée à la mobilisation autour de l’environnement, une logique d’« unification des problèmes dans un espace de calcul commun » promue par les sciences de la nature, l’économie, le droit, et une « logique de dissensus, dans laquelle le conflit fait surgir des incommensurabilités et des différences irréductibles ».

3- Demarchi, Bruna, « Seveso: From pollution to regulation », International Journal of Environment and Pollution, 7-4, 1997, p. 526537.Google Scholar Sur la nature « classique et paradoxale » du désastre de Seveso, voir Bruna De Marchi, Silvio FUntowicz et Jerry R.Ravetz, « Seveso: A paradoxical classic disaster », in Mitchell, J. K. (dir.), The long road to recovery: Community responses to industrial disaster, New York, United Nations University Press, 1996, chap. 4.Google Scholar L’accident est à l’origine de la directive européenne « Seveso », qui introduit en 1982 dans l’espace de régulation européen la figure du « risque d’accident majeur » (Seveso 1- 82/501/CEE).

4- Pour une étude qui montre des effets sanitaires intergénérationnels de la dioxine à Seveso, voir Baccarelli, Andrea et al., « Neonatal thyroid function in Seveso 25 years after maternal exposure to dioxin », PLoS Medicine, 5-7, 2008, p. 11331142.Google Scholar

5- Sur la montée en puissance progressive de la figure de la victime et la place prise par le procès par rapport à d’autres modes institués de réparation des dommages, je signale le travail développé au sein du Groupe de sociologie politique et morale par Nicolas Dodier et Élisabeth Claverie. Sur les désastres technologiques chroniques, voir l’oeuvre de référence de Kroll-Smith, Steve et R. Couch, Stephen, The real disaster is above ground, Lexington, University of Kentucky Press, 1990.Google Scholar Pour une approche psychosociale aux « communautés contaminées », voir R.Edelstein, Michael, Contaminated communities: The social and psychological impact of residential toxic exposure, Boulder, Westview, 1988.Google Scholar Pour une contribution sur l’absence de conflit dans le cas de désastres chroniques, voir Zavestoski, Stephen et al., « Toxicity and complicity: Explaining consensual community response to a chronic technological disaster », Sociological Quarterly, 43-3, 2002, p. 385406.CrossRefGoogle Scholar

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7- Breviglieri, Marc, « L’horizon du ne plus habiter et l’absence du maintien de soi en public », in Cefaï, D. et Joseph, I. (dir.), L’héritage du pragmatisme. Conflits d’urbanité et épreuves de civisme, La Tour d’Aigues, Éd. de l’Aube, 2002, p. 319336;Google Scholar Berque, Augustin, Écoumène. Introduction à l’étude des milieux humains, Paris, Belin, 2000.Google Scholar Pour une approche anthropologique à la relation à l’environnement à partir de la catégorie d’habiter, je renvoie à l’oeuvre de Ingold, Tim, en particulier, The perception of the environment: Essays on livelihood, dwelling and skill, Londres, Routledge, 2000.CrossRefGoogle Scholar

8- La référence est ici au concept d’« engagement » tel qu’il a été élaboré par Laurent Thévenot dans le cadre d’une sociologie des « régimes d’engagement » : Thévenot, Laurent, L’action au pluriel. Sociologie des régimes d’engagement, Paris, La Découverte, 2006.Google Scholar Claudette Lafaye et LaurentThévenot, « Une justification écologique ? Conflits dans l’aménagement de la nature », Revue française de sociologie, 34-4, 1993, p. 495-524. Sur la séparation entre nature et culture instaurée par la « constitution des modernes » et sur l’interrogation de la place de l’environnement dans la construction de nos sociétés, voir Latour, Bruno, Nous n’avons jamais été modernes. Essai d’anthropologie symétrique, Paris, La Découverte, 1991.Google Scholar

9- TÖnnies, Ferdinand, Communauté et société. Catégories fondamentales de la sociologie pure, Paris, PUF, [1887] 1977;Google Scholar Weber, Max, Economia e società, Milan, Ed. di Comunità, [1922] 1961, p. 3839.Google Scholar

10- Au sens d’un autrui-généralisé à la George Mead. La référence ici est au modèle de l’action en public développé dans Boltanski, Luc et Thévenot, Laurent, De la justification. Les économies de la grandeur, Paris, Gallimard, 1991.Google Scholar Pour une approche systématique de la communauté à partir de l’accueil de l’étranger, voir Joan STAVO-DEBAUGE, « Venir à la communauté. Une sociologie de l’hospitalité et de l’appartenance », thèse de l’EHESS, 2009, p. 12-13.

11- Pour un regard critique sur la « territorialisation des politiques » en Italie et en Europe, voir Ota DE LEONARDIS, « Una nuova questione sociale? Qualche interrogativo a proposito di territorializzazione delle politiche », Territorio, 46, 2008, p. 93-98. Sur la relation entre territorialisation et subsidiarité, voir Carlo DONOLO, « Dalle politiche pubbliche alle pratiche sociali nella produzione di beni pubblici? Osservazioni su unanuova generazione di policies », Stato e Mercato, 1, 2005, p. 33-66. Thévenot, L., L’action au pluriel…, op. cit., p. 250259.Google Scholar

12- La reconstruction du cas s’appuie sur les données collectées au cours de ma recherche de doctorat, réalisée entre juin 2002 et juin 2004. Voir l’ouvrage publié à la suite de ce travail : Centemeri, Laura, Ritorno a Seveso. Il danno ambientale, il suo riconoscimento, la sua riparazione, Milan, Bruno Mondadori, 2006.Google Scholar Les sources employées pour la reconstruction historique sont les documents conservés dans le fonds d’archives sur le désastre de l’ICMESA créé dans le cadre du projet « Pont de la Mémoire » coordonné par le cercle Legambiente « Laura Conti » de Seveso. Le fonds réunit les actes officiels relatifs à l’accident ; les documents issus des comités nés à Seveso suite à l’accident (feuilles d’information, tracts, affiches) ; une section regroupant une collection (non exhaustive) d’articles portant sur l’accident et parus dans les principaux journaux locaux et nationaux, ainsi que dans les magazines nationaux, de 1976 à 2004 ; une section audiovisuelle rassemblant des enquêtes journalistiques réalisées sur l’accident de 1976 jusqu’à 2005 (télévision suisse italienne et RAI), les films institutionnels concernant les opérations de décontamination (Médiathèque de la région Lombardie), et des films d’amateur témoignant de la vie au quotidien à Seveso en 1976-1977. En croisant ces sources visuelles et les entretiens avec les habitants ayant vécu l’accident, j’ai pu situer plus correctement certaines de leurs observations. L’étude se base également sur des entretiens avec : les militants environnementalistes et associés du cercle Legambiente ; les habitants de Seveso à l’époque de l’accident et les habitants n’ayant pas vécu directement l’accident ; les deux fondateurs des comités locaux pour les dédommagements ; les scientifiques ayant travaillé sur le cas de la dioxine à Seveso ; les représentants des institutions au niveau local à l’époque de l’accident et aujourd’hui. La recherche a impliqué une observation participante des travaux pour la réalisation du « Parcours de la Mémoire » au Bois des Chênes, y compris les réunions internes du Cercle. Un prolongement de la recherche nécessaire pour analyser l’impact du « Pont de la Mémoire » a été réalisé entre novembre 2005 et juin 2006, bénéficiant d’une bourse post-doctorale « Bourse internationale de la Ville de Paris ».

13- Jusqu’à la fin des années 1980, la carte politique de l’Italie était organisée autour de deux « cultures », territorialement bien définies : l’associationnisme catholique dans les « zones blanches », lié politiquement au parti de la Démocratie chrétienne (DC) ; l’associationnisme des réseaux de solidarité du mouvement ouvrier dans les « zones rouges », lié au Parti communiste italien (PCI). Voir Diamanti, Ilvo, Mappe dell’Italia politica, Bologne, Il Mulino, 2009, chap. 2.Google Scholar Sur l’économie des « districts industriels » en Italie, voir le travail fondateur d’ Bagnasco, Arnaldo, Tre Italie. La problematica territoriale dello sviluppo italiano, Bologne, Il Mulino, 1977.Google Scholar

14- Il s’agit de l’Italie décrite par l’écrivain Piovene, Guido, Viaggio in Italia, Milan, Mondadori, 1957,Google Scholar dans son carnet de voyage à travers la péninsule entre 1953 et 1957.

15- Voir Fidio, Mario Di (dir.), Il « Bosco delle Querce » di Seveso e Meda, Milan, Regione Lombardia, 2000, en particulier le chap. 1.Google Scholar

16- Le trichlorophénol est un produit chimique intermédiaire employé pour la production d’herbicides et d’une substance antibactérienne, l’hexachlorophène.

17- Voir Relazione conclusiva della Commissione Parlamentare di inchiesta sulla fuga di sostanze tossiche avvenuta il 10 luglio 1976 nello stabilimento Icmesa e sui rischi potenziali per la salute e per l’ambiente derivanti da attività industriali, Atti Parlamentari, VII legislatura, doc. XXIII, 6, 1978.Google Scholar Sur la politique de Roche en matière de sécurité, voir le livre autobiographique du directeur technique responsable de ICMESA : Sambeth, Jörg, Zwischenfall in Seveso, Zurich, Unionsverlag, 2004.Google Scholar

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20- Fratter, Massimiliamo, Memorie da sotto il bosco, Milan, Auditorium, 2006, p. 2125.Google Scholar

21- Dobry, Michel, Sociologie des crises politiques, Paris, Presse de la FNSP, 1986, p. 3940.Google Scholar

22- Dès 1970 les régions commencent à fonctionner comme un niveau de gouvernement de l’État, après leur création formelle par la Constitution italienne en 1947 (art. 131). En raison des compétences reconnues aux gouvernements régionaux en matière de santé, c’est le gouvernement régional lombard qui est institutionnellement chargé de répondre à la crise de la dioxine à Seveso. Dans la prise de décision, il est néanmoins tenu de se coordonner avec le gouvernement central et la province de Milan, mais pas avec les municipalités.

23- Conti, Laura, Visto da Seveso. L’evento straordinario e l’ordinaria amministrazione, Milan, Feltrinelli, 1977, p. 4445.Google Scholar Laura Conti (1921-1993), médecin, a été membre du Parti communiste italien (PCI), militante environnementaliste et féministe, écrivaine. Il s’agit d’une des figures les plus importantes de l’environnementalisme italien. Elle a été parmi les fondateurs de l’association Legambiente. À l’époque de l’accident à l’ICMESA, Laura Conti représentait le PCI au conseil régional de Lombardie. Cet événement, dont elle a donné un récit très lucide mais également profondément personnel et passionné, a représenté selon ses mots « un tournant politique et culturel majeur » : Conti, Laura, Questo pianeta, Milan, Editori Riuniti, 1983, p. 167.Google Scholar

24- Rocca, Francesco, I giorni della diossina, Milan, Centro studi « A. Grandi », 1980, p. 99.Google Scholar Francesco Rocca, membre de la Démocratie chrétienne (DC), était maire de Seveso à l’époque du désastre.

25- Extrait du bulletin d’information du Bureau d’assistance et de coordination, Solidarietà, 10 octobre 1976.

26- Giulio A. Maccacaro (1924-1977), médecin, biologiste et biométriste, a introduit l’épidémiologie en Italie. Proche des luttes ouvrières pour la santé au travail, il a été parmi les fondateurs du mouvement « Medicina Democratica », né à la fin des années 1960 à l’initiative de médecins, chercheurs, et groupes auto-organisés de travailleurs de l’industrie avec pour but d’étudier et de dénoncer les maladies industrielles.

27- A.Maccacaro, Giulio, « Seveso un crimine di pace », Sapere, 796, 1976, p. 16.Google Scholar

28- Danny Trom, « De la réfutation de l’effet Nimby considérée comme une pratique militante. Notes pour une approche pragmatique de l’activité revendicative », Revue française de science politique, 49-1, 1999, p. 31-50, ici p. 32-33. La prise en compte de l’environnement comme territoire était regardée avec soupçon par les militants de gauche, en raison du caractère bourgeois du mouvement conservationniste, traditionnellement concerné par les questions de territoire : voir Diani, Mario, Isole nell’arcipelago. Il movimento ecologista in Italia, Bologne, Il Mulino, 1988, p. 7374.Google Scholar

29- Boltanski, Voir Luc et Chiapello, Ève, Le nouvel esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, 1999.Google Scholar

30- Berlinguer, Giovanni, Storia e Politica della Salute, Milan, Franco Angeli, 1991.Google Scholar

31- Boltanski, L. et Thévenot, L., De la justification…, op. cit., p. 231241.Google Scholar

32- Rocca, F., I giorni della diossina, op. cit., p. 103.Google Scholar

33- « Comunione e Liberazione » est un mouvement catholique ecclésial actif en Italie depuis les années 1950-1960. Sa présence est particulièrement forte en Lombardie. Son action s’inspire d’un « christianisme du faire » qui va de pair avec une critique de l’Étatprovidence. Pour CL, Abbruzzese, selon Salvatore, Comunione e Liberazione, Bari, Laterza, 1991, p. 171,Google Scholar « L’État ne peut (et ne doit) pas intervenir partout et à tout moment. La condition essentielle pour qu’un ‘christianisme du faire’ puisse s’affirmer est que la société ait la priorité sur les interventions des appareils de l’État-providence. » Sur les aspects de fondamentalisme de ce mouvement voir Dario Zadra, « Comunione e Liberazione: A fundamentalist idea of power », in Marty, M. E. et Apple, R. S. by (dir.), Accounting for fundamentalism: The dynamic character of movements, Chicago, The University of Chicago Press, 1994, p. 124148.Google Scholar

34- L’interruption volontaire de grossesse étant encore illégale en Italie, l’exception de Seveso fait surgir un débat qui, au niveau local comme national, est particulièrement âpre : voir Ferrara, Marcella, Le donne di Seveso, Rome, Editori Riuniti, 1977.Google Scholar L’interruption volontaire de grossesse sera dépénalisée en 1978.

35- Rocca, F., I giorni della diossina, op. cit., p. 24.Google Scholar

36- Conti, Laura, Una lepre con la faccia da bambina, Rome, Editori Riuniti, 1988, p. 10.Google Scholar

37- Entretien avec Luisa P., habitante de Seveso (octobre 2003).

38- Rocca, F., I giorni della diossina, op. cit., p. 40.Google Scholar

39- Conti, L., Visto da Seveso…, op. cit., p. 85.Google Scholar

40- M. Di Fidio, Il « Bosco delle Querce » di Seveso e Meda, op. cit., chap. 2.

41- Extrait du communiqué de presse du cercle Legambiente «Laura Conti » de Seveso, 9 juillet 1996.

42- Legambiente, née en 1980, est l’association environnementaliste la plus directement liée à l’héritage de l’écologie politique : en 2000, elle comptait 115 000 adhérents formant 20 groupes régionaux et 1 000 groupes locaux, appelés « cercles ». Voir Donatella Porta, Della et Diani, Mario, Movimenti senza protesta? L’ambientalismo in Italia, Bologne, Il Mulino, 2004, p. 105.Google Scholar Le cercle Legambiente « Laura Conti » de Seveso naît en 1990 (voir infra). Aujourd’hui, il compte une centaine d’adhérents.

43- Faute de traiter ici la question des conséquences sanitaires de la dioxine à Seveso, je renvoie à Steenland, Kyle et al., « Dioxin revisited: Developments since the 1997 IARC classification of dioxin as a human carcinogen », Environmental Health Perspectives, 112-13, 2004, p. 12651268.CrossRefGoogle Scholar Les études épidémiologiques sur la population contaminée montrent l’existence d’effets sanitaires fort diversifiés, voir Dario Consonni et al., « Mortality in a population exposed to dioxin after the Seveso, Italy, accident in 1976: 25 years of follow-up », American Journal of Epidemiology, 167, 2008, p. 847-858. L’étude du cas de Seveso a joué un rôle important dans la décision de classer la dioxine comme carcinogène humain. Néanmoins, la controverse sur ses effets carcinogènes ainsi que l’absence d’une cause publique concernant les conséquences sanitaires à Seveso a donné force aux arguments de ceux qui considèrent ce cas comme un exemple d’« imposture verte », voir Kohler, Pierre, L’imposture verte : Seveso, ozone, amiante, dioxine, pluies acides…, Paris, Albin Michel, 2002.Google Scholar

44- La « Libreria delle Donne » est un centre culturel féministe organisé autour d’une librairie : il existe dès 1975 à l’initiative d’un groupe d’étudiantes, d’enseignantes, d’intellectuelles et d’artistes. Voir Lister, Maureen, « Feminism alla milanese », The Women's Review of Books, VIII-9, 1991, p. 26.CrossRefGoogle Scholar

45- « E’ accaduto non per caso », Sottosopra, janvier 1996. Sottosopra est le périodique de la Libreria delle Donne.

46- Alexander (Alex) Langer (1946-1995), pacifiste et environnementaliste, a été parmi les fondateurs du parti italien des Verts. Voir Dall’Olio, Roberto, Entro il limite. La resistenza mite di Alex Langer,La Meridiana, Molfetta, 2000.Google Scholar

47- Alexander Langer, « Giustizia, pace, salvaguardia del creato », Equilibri, IX-3, 2005, p. 627-634, ici p. 627, explique dans les termes suivants le choix de « conversion écologique » à la place de « révolution » ou « réforme » écologique : « Je préfère utiliser cette expression [conversion écologique] […] parce que moins hypothétique et parce qu’elle a en soi une dimension de remords, de tournant, de se tourner vers une conscience plus profonde et vers une réparation du dommage infligé. Surtout, dans le concept de ‘conversion’ il y a implicitement une note d’engagement (coinvolgimento) personnel, la nécessité d’un changement personnel et existentiel. »

48- I. Diamanti, Mappe dell’Italia politica, op. cit., chap. 2.

49- Voir Trigilia, Carlo, Grandi partiti e piccole imprese: comunisti e democristiani nelle regioni a economia diffusa, Bologne, Il Mulino, 1986.Google Scholar

50- Ces réalités se sont développées à côté d’autres formes d’association, liées au monde catholique. Cette situation de « cohabitation », qui se donnait à voir dans les zones rouges, a été remarquablement mise en scène dans les aventures du célèbre « couple » Don Camillo et Peppone, créé par l’écrivain Giovannino Guareschi.

51- « Più donne che uomini », Sottosopra, janvier 1983.

52- Voir les articles réunis dans le numéro de Sottosopra de janvier 1983.

53- A. Langer, « Giustizia, pace, salvaguardia del creato », art. cit., p. 634.

54- Langer, Alexander, Il viaggiatore leggero, Palerme, Sellerio, 1996.Google Scholar

55- Sur l’hybridation des cultures politiques voir Tosi, Simone et Vitale, Tommaso, « Explaining how political culture changes: Catholic activism and the secular left in Italian peace movements », Social Movements Studies, 8-2, 2009, p. 131147.CrossRefGoogle Scholar

56- Entretien avec Laura B. (septembre 2003).

57- Les « jeunes » du groupe sont des hommes et des femmes de Seveso et des villes voisines nés dans les années 1970. Il s’agit d’« enfants de la dioxine ». Ils n’ont pas de fréquentation du monde du militantisme et ils ont plutôt fait leurs expériences de socialisation dans le monde de la paroisse. Certains participent aux activités du Cercle dès le début, tandis que d’autres commencent leur action dans les années 2000. Étudiants à l’université, ils ont choisi des objets d’étude en relation avec les questions d’environnement (sciences naturelles, droit de l’environnement, histoire de l’environnement).

58- Giorgio OSTI, La natura, gli altri, la società: il terzo settore per l’ambiente in Italia, Milan, Franco Angeli, 1998 ; D.DELLA PORTA et M.DIANI, Movimenti senza protesta?…, op. cit., p. 19. Le mouvement environnementaliste a connu partout en Europe une trajectoire qui a abouti, à la transformation des grandes organisations environnementalistes (associations nationales et ONG internationales) en groupes de pression et d’expertise. D’autre part, au niveau des municipalités, les groupes environnementalistes sont parfois devenus des groupes d’intérêts. Toujours localement, on observe le nombre grandissant de mobilisations autour de l’environnement, à l’initiative de comités de citoyens, voir Christopher ROOTES (dir.), Environmental protest in Western Europe, Oxford, Oxford University Press, 2003. Voir également, pour l’importance du local comme niveau d’analyse, Christopher ROOTES, « Acting locally: The character, contexts and significance of local environmental mobilisations », Environmental Politics, 16-5, 2007, p. 722 -741.

59- Enfant à l’époque de l’accident, Damiano dit en avoir vécu directement les conséquences dans les termes d’une « soustraction de nature ». Il est aujourd’hui président de Legambiente Lombardia.

60- Roberto BIORCIO, « La società civile e la politica: dagli anni del boom a fine millennio », in Bigazzi, D. et Meriggi, M. (dir.), Storia d’Italia. Le regioni dall’Unità a oggi. La Lombardia, Turin, Einaudi, 2001, p. 10251064.Google Scholar Comme on l’a déjà mentionné, le rôle des institutions politiques dans ce système de régulation a toujours été celui de garant des intérêts de la communauté locale, selon un modèle de médiation sur une base consensuelle qui, suite à la crise de la « Première République », a été remplacé par le modèle antagoniste du « territoire contre la politique » promu par le parti de la Ligue du Nord : Diamanti, Ilvo, Il male del Nord. Lega, localismo, secessione, Rome, Donzelli Editore, 1996, p. 29.Google Scholar Dans les années 1990, après la dissolution de la DC, la Ligue du Nord est devenue le parti politique de référence des zones blanches du Nord.

61- Le travail d’entretien des ressources communes comme base pour le développement de formes d’association est souligné par Torre, Angelo, « ‘Faire communauté’. Confréries et localité dans une vallée du Piémont (XVIIe-XVIIIe siècle) », Annales HSS, 62-1, 2007, p. 101136.Google Scholar

62- Entretien avec Marzio M. (février 2004).

63- Sur le « patrimoine naturel » comme compromis entre ordres de grandeurs, voir Godard, Olivier, « Environnement, modes de coordination et systèmes de légitimité : analyse de la catégorie de patrimoine naturel », Revue économique, 41-2, 1990, p. 215241.Google Scholar

64- Dans le contexte italien, la création d’entreprises sociales a été un des instruments que les groupes féministes ont employé pour concrétiser l’idée de « politique première ». Il s’agit de coopératives qui sont considérées comme l’expression du «Tiers secteur ». En Italie le Tiers secteur s’est structuré autour de deux traditions fort différentes : une tradition d’engagement social confessionnel, surtout catholique, et celle des organisations et des mouvements de promotion des droits sociaux et de la citoyenneté, dont la matrice est issue du mouvement ouvrier et syndical : De Leonardis, Ota et Vitale, Tommaso, « Les coopératives sociales et la construction du tiers secteur en Italie », Mouvements, 19, 2001, p. 7580.CrossRefGoogle Scholar

65- Entretien avec Laura B. (mars 2006).

66- Boltanski, L. et Thévenot, L., De la justification…, op. cit., p. 241252.Google Scholar

67- Il s’agit en particulier de services résidentiels d’assistance aux mineurs et familles en difficulté, d’un centre social pour personnes âgées «La Petitosa », d’activités culturelles organisées par l’association « Musicamorfosi » qui naît à l’intérieur de Natur& et qui travaille dans le domaine de l’éducation musicale. À partir de la fin des années 1990, le gouvernement régional de Lombardie commence un processus d’externalisation des services sociaux et sociosanitaires (qui passent progressivement d’une gestion publique à une gestion de « quasi-marché »), dans le cadre d’une réforme nationale de l’assistance qui va dans le sens de la progressive décentralisation de ces responsabilités aux régions. Voir Lavinia BIFULCO et Laura CENTEMERI, « Governance and participation in local welfare: The case of the Italian piani di zona (area plans) », Social Policy and Administration, 42-3, 2008, p. 211-227.

68- Sur l’émergence d’une « cité par projets », voir Boltanski, L. et Chiapello, È., Le nouvel esprit du capitalisme, op. cit., chap. 2.Google Scholar

69- Extrait de l’art. 4 des statuts de Natur&.

70- Le « groupe » auquel on fait ici référence est le noyau des militants actifs du Cercle et de Natur&, pour le différencier des associés qui participent de manière sporadique aux initiatives organisées. Le noyau est constitué par les fondateurs du Cercle. Ce noyau s’est élargi avec l’inclusion d’une dizaine de bénévoles qui ont choisi de s’investir professionnellement dans les activités du Cercle et de Natur&. Les réunions du groupe, où l’on discute passionnément des activités à organiser et de la ligne politique à suivre, sont peu ou pas formalisées. Le groupe est marqué par des aspects de forte horizontalité mais, en même temps, par des asymétries très fortes. Ces asymétries n’ont rien à voir avec une hiérarchie formalisée, visible de l’extérieur par les rôles occupés dans une organisation. Les décisions les plus importantes sont toujours prises par les fondateurs. Pour une analyse plus détaillée de la vie interne du groupe, je renvoie à Laura CENTEMERI, «De ‘radicaux’ à ‘enracinés’. Réflexions sur l’engagement environnementaliste local », in Colonna, F. et Le Pape, L. (dir.), Traces : désir de savoir et volonté d’être. L’après colonie au Maghreb, Paris, Sindbad/Actes Sud, 2010, p. 432452.Google Scholar

71- Je fais référence à la catégorie de « hantise » telle qu’elle a été développée dans les travaux de Stavo-Debauge, Joan, « Les vices d’une inconséquence conduisant à l’impuissance de la politique française de lutte contre les discriminations. I. Tu ne catégoriseras point ! », Carnets de bord, 6, 2003, p. 1936.Google Scholar La hantise signale un mal passé qui menace de se reproduire, et donc d’un passé qui n’est pas passé. Elle accentue une vigilance, mais peut aussi aveugler sur le présent.

72- Le procès pénal pour l’accident d’ICMESA s’ouvre en avril 1983 et se termine en 1986 avec la condamnation à 2 ans de prison pour Hervig von Zwehl (directeur de ICMESA) et à 1 an et 6 mois pour Jörg Sambeth (directeur technique de Givaudan, société contrôlée par Roche) avec l’accusation uniquement de désastre involontaire (disastro colposo) et non pas de négligence des mesures de sécurité. Très parlante, la déclaration du procureur général Carmine Cecere, « Dieci anni dopo la fuga di diossina a Seveso la Cassazione conferma solo due colpevoli », Corriere della Sera du 24 mai 1986 : « Face à des événements comme celui qui s’est passé à Seveso, il nous faut le courage de l’humilité. L’humanité doit savoir accepter aussi des risques pour le progrès de la science. »

73- Deux actions judiciaires ont été entamées contre Roche par deux différents comités de victimes. Ouvertes au début des années 1990, les deux actions judiciaires se sont terminées en 2007 sans succès. Voir L.Centemeri, Ritorno a Seveseso…, op. cit., p. 137- 158. Sur le concept de « montée en généralité », voir L. Boltanski et L.THÉVENOT, De la justification…, op. cit.

74- Sur les limites du cadre de l’indemnisation comme réparation du dommage environnemental et leur dépassement à partir de l’engagement des victimes, voir Jobin, Paul, Maladies industrielles et renouveau syndical au Japon, Paris, Éd. de l’EHESS, 2006.Google Scholar

75- Voir Richard-Ferroudji, Audrey, « L’appropriation des dispositifs de gestion locale et participative de l’eau. Composer avec une pluralité de valeurs, d’objectifs et d’attachements », thèse, Paris, EHESS, 2008 ; Éric DOIDY, « Faire entendre la voix des usagers dans les concertations environnementales », Sociologies pratiques, 7, 2003, p. 4964.Google Scholar

76- Extrait du texte du projet « Pont de la Mémoire » (2002).

77- S. Carbone, A. Carbone et M.Cellini, « Proposition pour recueillir et mettre en valeur la mémoire émotive, à complément de la réalisation des panneaux de commémoration pour le Bois des Chênes dans le cadre du projet ‘Pont de la Mémoire’ », Seveso, 2002.

78- Finalement la composition du comité fut la suivante : Gemma B. en tant que membre de Natur un médecin militant de CL, la responsable du centre social de la mairie pour les personnes âgées, une enseignante de lettres d’école secondaire auteur de livres d’histoire locale, un membre du Club alpin italien de Seveso, la propriétaire d’un kiosque à journaux bénévole dans sa paroisse, une enseignante d’école primaire active dans sa paroisse, un professeur de littérature à l’université catholique de Milan actif dans sa paroisse, un bénévole de la paroisse qui organise les activités sportives pour les jeunes.

79- Michele S., membre du Comité, réunion du Comité (décembre 2002).

80- Franco T., membre du Comité, réunion du Comité (décembre 2002).

81- L’inauguration officielle du « Parcours de la Mémoire » a eu lieu le dimanche 16 mai 2004 dans le cadre de la festivité locale du « Calendimaggio », une fête religieuse, et non pas le jour de l’anniversaire du désastre. Calendimaggio est traditionnellement l’occasion pour les différentes associations de la ville de faire connaître leurs activités aux citoyens de Seveso.

82- Intervention de Laura B. au cours d’une réunion du Cercle (mars 2004).

83- Sur les tensions entre la Ligue et Forza Italia, le parti politique à travers lequel s’exprime aujourd’hui la présence politique de CL, voir Biorcio, Roberto, La rivincita del Nord. La Lega dalla contestazione al governo, Bari, Laterza, 2010.Google Scholar

84- I. Diamanti, Il male del Nord, op. cit., chap. 3. C’est la Ligue qui a transformé le « localisme » en une véritable idéologie, tournant les spécificités territoriales en éléments de diversité irréductible et contribuant ainsi à agrandir des formes de fermeture identitaire. Cette idéologisation du territoire va avec une opposition à tout ce qui vient du gouvernement central et s’exprime dans un vocabulaire de l’« antipolitique ». « Antipolitique » est un terme apparu dans les années 1990 en Italie dans le langage ordinaire et médiatique, mais aussi dans la littérature scientifique, pour décrire un climat d’insatisfaction des citoyens vis-à-vis de la représentation politique et des partis politiques, considérés comme oligarchiques.

85- Je n’ai pas traité ici de la naissance ni de l’évolution de la norme « Seveso », privilégiant l’analyse des conflits dans le territoire affecté. Il importe néanmoins de remarquer que la régulation européenne du risque d’accidents majeurs a été étroitement liée, dans son dessin initial, au déroulement spécifique du désastre de Seveso : voir Josee VAN EIJNDHOVEN, «Disaster prevention in Europe », in Jasanoff, S. (dir.), Learning from disaster: Risk management after Bophal, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 1994, p. 113132.CrossRefGoogle Scholar

86- Lodi, Giovanni, « L’azione ecologista in Italia: dal protezionismo storico alle Liste Verdi », in Biorcio, R. et Lodi, G., La sfida verde. Il movimento ecologista in Italia, Padoue, Liviana Editrice, 1988, p. 1726.Google Scholar

87- Voir Callon, M., Lascoumes, P. et Barthe, Y., Agir dans un monde incertain…, op. cit.,Google Scholar où les auteurs dessinent une hypothèse de renouveau démocratique à partir des situa- tions de controverses sociotechniques dans la direction d’une démocratie « dialogique ».

88- Par réalisation de l’événement, je me réfère ici au fait que le dommage environnemental à Seveso a été causé par une substance toxique, la dioxine, dont les caractères spécifiques ont joué un rôle dans la façon de mettre en forme l’adversité. Je pense par exemple à l’incertitude sur les effets tératogènes de la dioxine qui a déclenché le conflit concernant les avortements thérapeutiques.

89- Voir le Grenelle de l’Environnement, en particulier le rapport du Groupe V intitulé «Construire une démocratie écologique : Institutions et gouvernance » (septembre 2007).