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Pour une histoire monétaire en France : spéculations sur l'or et l'argent en 1857

Published online by Cambridge University Press:  26 July 2017

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Le trafic sur les monnaies a toujours été très vif en France, même au xixe siècle : tantôt l'argent faisait prime, tantôt l'or. Entre Londres, marché de l'or, et Paris, marché de l'argent, circulaient des sommes considérables, le rapport officiel de l'argent à l'or (15,5) ne pouvant être qu'un taux théorique. Dans les années 40 une grande part du numéraire d'or français est exportée contre une quantité correspondante d'argent; dans les années 50, la situation est renversée : la France exporte son argent « à des primes fabuleuses » et l'or le remplace dans la circulation quotidienne. C'est cette « inversion monétaire », cette diffusion de l'or que nous voudrions étudier brièvement à partir d'une grande enquête lancée par le ministre des Finances auprès des receveurs généraux au début de 1857.

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Travaux en Cours
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Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1962

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References

1. ARCH. NAT., AD XVIII B 582. L'histoire de cette spéculation n'a pas été faite. Schématiquement on peut dire qu'avant 1820 l'argent semble faire prime ; de 1820 à 1850, l'or (la prime atteignit même 7 % en 1848) ; de 1850 à 1870, l'argent ; après 1870, à nouveau l'or.

2. Jusque vers 1855-1860, l'or ne jouait à peu près aucun rôle dans la vie quotidienne. La province était traditionnellement attachée à la monnaie d'argent (l'écu de 5 francs). Les frappes officielles de monnaies nous renseignent exactement sur cette préférence : de 1825 à 1848, l'on frappa 268 millions d'or contre 2 880 millions d'argent, soit 10 % environ d'or. Inversement, de 1851 à 1867, la frappe fut de 5,8 milliards d'or contre 888 millions d'argent !

3. Ministère des Finances, Documents relatifs à la question monétaire, Paris, 1857.

4. Le rapport de l'argent à l'or était passé à Londres de 15,58 en 1852 à 15,34 en 1856 et 15,27 en 1857. En fait, compte tenu de la différence des frais de monnayage de l'or et de l'argent, l'argent fuyait la France dès que le taux tombait en France au-dessous de 15,58, bien avant qu'il arrivât au rapport théorique de 15,50 (cf. Enquête sur la question monétaire 1869-1870, 1872).

1. On vend l'argent qui fait prime à l'étranger et on achète de l'or en barres (l'or est même démonétisé en Belgique et en Hollande) : la spéculation est double. Le mécanisme en est très simple et les bénéfices compensent plus que largement les frais de monnayage et de transport, les primes d'assurance et l'intérêt des fonds engagés dans la spéculation. 15,20 kilogs d'argent valent légalement en France 3 040 francs et permettent d'acheter à l'étranger un kilog d'or, qui, importé en France et reçu à la Monnaie, y est transformé en 155 pièces de 20 francs valant 3 100 francs ; le bénéfice bnit est de 00 francs.

2. Sur cette crise monétaire, nous nous permettons de renvoyer aux excellentes pages de G. Ramon, Histoire de la Banque de France, 1929 (p. 259-265), qui utilise les archives de la Banque de France.

3. Les sorties d'argent ont maintenu les cours de l'or. « L'argent a servi de parachute à l'or », disait Michel Chevalier. Il est probable que certaines spéculations ont pu être facilitées par le jeu de l'escompte de la Banque de France.

4. « Les classes ouvrières s'imaginèrent que la cherté des subsistances tenait à la disparition de (1’) argent » (Dubois-Caplain, Résumé abrégé de la question monétaire, avril 1857). Les directeurs des succursales de la Banque affirmaient, lors de l'enquête, que la disparition du numéraire tenait à la thésaurisation paysanne et non à la spéculation : la Commission ne les suivit pas sur ce terrain, la balance des paiements et les spéculations lui paraissant avoir eu une influence beaucoup plus considérable.

5. La disette obligea à des achats considérables. « Nous avons été obligés de faire venir de l'Inde et de la Chine des soies, du riz en quantités considérables, de faire payer les thés et les autres produits à un prix beaucoup plus élevé. En même temps nous avons dû acheter des masses énormes de grains en Egypte, dans les États barbaresques ».

6. « Notre pièce de 5 francs a remplacé l'ancienne piastre d'Espagne dans tous les pays où celle-ci avait seul cours autrefois », notamment en Afrique du Nord. L'argent était la base de la circulation monétaire en France et des quantités considérables de lingots venaient s'y faire monnayer chaque année (parfois pour 80-100 millions) :«L'or joue chez nous le rôle de marchandise et non celui de monnaie », constatait-on en 1843.

1. Les financiers incriminaient également les investissements considérables réalisés en Europe centrale et partiellement financés par la France. « L'élan donné aux affaires industrielles en Allemagne, en Italie, en Suisse, en Espagne a puissamment contribué à dépouiller la France de son capital circulant, et cela par l'entremise de diverses institutions de crédit fondées chez elle depuis quelques années, lesquelles, commanditaires de tant d'entreprises colossales, ont dû leur fournir à nos dépens l'or et l'argent dont ils avaient besoin ». D'autres s'indignent de ces « folles entreprises de chemin de fer et de crédit mobilier » et des emprunts « sous toutes les formes » que nous fait l'étranger « jusqu'à la Russie dont les voies ferrées vont être construites à nos frais ». Le nationalisme monétaire est déjà très sensible.

2. Mouvements de 1854 à 1858 (solde de la balance des exportations et importations d'or et d'argent) :

Ces statistiques douanières sont peu valables, les mouvements ayant été vraisemblablement beaucoup plus amples ; ainsi le receveur général de Marseille signale une sortie d'argent de 465 millions pour 1856, alors que les douanes ne donnent qu'une exportation nette de 100 millions !

1. Sur l'opposition de la France de l'argent et de la France de l'or, on se reportera aux recherches attentives de M. L. Dermigny pour le xviiie : « Une carte monétaire de la France », Annales, 1955, p. 480-403. L'étude des monnayages en province, de 1800 à 1870, devrait aboutir aux mêmes conclusions que pour le xviiie.

2. Sous la pression de l'opinion qui accusait de tout le mal les changeurs, le gouvernement interdit tout triage, trébuchage ou affinage des monnaies d'argent (octobre 1856), ce qui suscita des plaintes des spéculateurs : les ateliers d'affinage dans les pays voisins de la France (en Espagne notamment) développèrent leurs affaires… (cf. les brochures de Dubois-Caplain).

3. On a de la peine aujourd'hui à imaginer ce commerce des pièces de 5 francs : “ On va de porte en porte, note-t-on à Nantes, recueillir des pièces sac à sac, pour les expédier sur Paris ». Les petits comptables publics semblent même avoir spéculé sur la nature de leurs encaisses, et aussi les succursales de la Banque de France, qui font entre elles d'importantes expéditions d'argent.

4. Dix ans plus tard le mouvement semblait absolument normal et, en 1866, l'on s'étonnait de la résistance du public en 1856. « Pendant quelque temps l'or auquel on a'était pas habitué fut considéré comme suspect et… bien des gens, non les moins instruits, préféraient un sac de 1 000 francs en argent à un rouleau en or ». En fait, si personne ne pouvait refuser d'être payé en or, il était bien préférable de prendre l'argent, la prime atteignant, semble-t-il, de 1/2 à 2 % et même, en 1857, 3 1/2 %. (Cf. Juglar, dans Commission Monétaire de 1868, 1869, p. 147). Voici les primes que donne Juglar :

Il faudrait pouvoir étudier les conséquences financières de telles primes pour les exportateurs et les importateurs qui spéculaient sur les changes (règlement des dettes en argent et rapatriement des créances en or).

1. Le directeur de la Banque de France de Marseille ne croit pas que le numéraire reste dans les campagnes et que la thésaurisation joue un grand rôle dans la disparition des espèces ; « les exportateurs, explique-t-il, ont su le chercher et le soutirer partout où il s'est trouvé ».

1. Cf. R. Dufraisse, « Problèmes monétaires du XVIIIe siècle, particulièrement en Basse-Alsace », Revue d'Alsace, 1956, p . 193-219.

2. La pièce de S francs en or est mal vue et serait un sujet de contestation si elle entrait dans les paiements pour une somme de quelque importance, note le receveur général.

1. La succursale de la Banque de France à Metz a versé au commerce, de septembre à décembre 1856, au moins 4,5 millions. Trois millions d'argent ont été vendus hors de France « à des primes fabuleuses ».

2. Les statistiques douanières accusent une sortie nette d'argent de 42 millions par le Nord, sans rentrées correspondantes d'or (1,7 million).

3. En 1856 le Pas-de-Calais a importé 18 millions d'argent et 274 millions d'or, et exporté 115 millions d'argent et 2 millions d'or (d'après des douanes).

1. Dans le Finistère, la spéculation à l'exportation se fait sur une très grande échelle et l'or atteint 30 à 40 % de la circulation, chiffre assez exceptionnel dans l'Ouest.

1. Sans doute en raison de la meilleure organisation bancaire de la Vienne et de la Haute-Vienne, plus ouvertes aux courants commerciaux.

2. Nous disposons sur ce point d'une enquête parallèle assez précise faite auprès des receveurs généraux (cf. Procès-verbaux et rapport de la Commission monétaire, 1869) qui permet de mesurer exactement le chemin parcouru depuis 1857 ; le souvenir des spéculations monétaires s'était effacé. Ces spéculations sur l'argent furent une des raisons de la création — après maints débats — de l'Union monétaire latine.