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La nationalité en procès : droit international privé et monde méditerranéen

Published online by Cambridge University Press:  24 May 2019

Jessica M. Marglin*
Affiliation:
University of Southern California

Résumés

Cet article emploie la microhistoire d’une affaire transnationale qui se déroulait entre l’Italie et la Tunisie pendant les années 1870 et 1880 pour éprouver le droit international grâce à une approche qui va au-delà des frontières de l’Occident. L’affaire Samama contre Samama présente un litige fort compliqué, examiné par les cours de justice italiennes pendant près d’une décennie. La principale difficulté du procès concernait la nationalité de Nissim Samama, un juif né à Tunis, et, partant, l’ordre juridique qui pouvait décider de sa succession. Le Code civil italien promettait de respecter les droits nationaux des ressortissants étrangers, mais ces derniers étaient a priori considérés comme occidentaux uniquement. Or une affaire où il était question à la fois du droit tunisien et du statut des juifs interrogeait les fondements mêmes de l’ordre juridique international. En portant devant les tribunaux le problème de la nationalité de Samama, le procès dévoilait plusieurs failles et tensions au sein des théories émergentes du droit international : comment des États non occidentaux tels que la Tunisie pouvaient-ils s’intégrer dans l’ordre juridique international naissant ? Comment le droit international envisageait-il le droit musulman ? Quel était le statut de la nation juive dans un monde de nationalités de plus en plus exclusives ? Les actes d’un tel procès permettent de prendre la mesure des débats et des réflexions entre les spécialistes de droit international sur les ambiguïtés propres à leur discipline. De même, ils donnent un accès privilégié à la façon dont les Maghrébins concevaient le droit international. Les controverses qui en résultent mettent au jour les tensions inhérentes à un droit international qui ne cesse d’hésiter alors entre particularisme occidental et universalisme.

Abstracts

This article uses a single, transnational legal case that played out between Italy and Tunisia in the 1870s and 1880s to tell a truly global history of international law—that is, one that goes beyond the boundaries of the West. Samama v. Samama was a fabulously complicated case that dragged on in Italian courts for almost a decade. The crux of the legal arguments concerned the nationality of Nissim Samama, a Jew born in Tunis; Samama’s nationality, in turn, would determine which legal system regulated his estate. The Italian Civil Code enshrined respect for the national law of a foreigner, but such foreigners were presumed to be Western. A case involving the national law of Tunisia and the status of Jews called the very foundations of the international legal system into question. In putting Samama’s nationality on trial, the case opened up debate over fissures in the emerging theory of international law: How could non-Western states like Tunisia fit into an international legal order? How did Islamic law intersect with international law? What was the status of Jewish nationhood in a world increasingly based on exclusive nationalities? The Samama case offers access to the voices of European international lawyers debating the ambiguities of their field, as well as those of Maghrebis articulating their own vision of international law. The resulting arguments exposed tensions inherent to an international legal system uncomfortably balanced between universalism and Western particularism.

Type
Micro-analyse et histoire globale
Copyright
© Éditions de l'EHESS 

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References

1 « Diritto internazionale : congresso di Oxford », La riforma, 18 sept. 1880, p. 1.

2 Annuaire de l’Institut de droit international, 5, 1882, p. 48.

3 Ibid., p. 48-49.

4 Si le droit international public et le droit international privé se sont finalement séparés en deux champs distincts, ils sont encore pensés comme appartenant au même domaine à la fin du xixe siècle. Mills, Voir Alex, « The Private History of International Law », International and Comparative Law Quarterly, 55-1, 2006, p. 1-50CrossRefGoogle Scholar.

5 Annuaire de l’Institut de droit international, 5, 1882, p. 49. Maurocordatos, Voir Démétrius-Étienne, « Nicolas-Jean Saripolos, professeur, avocat, orateur et écrivain de la Grèce moderne », in Extraits de l’histoire des hommes d’État du xixe siècle, Genève, Direction de l’histoire générale, 1864, p. 153-155Google Scholar. Saripolos était pourtant grec, c’est-à-dire bien plus familier des univers normatifs non chrétiens que la plupart de ses collègues.

6 L’orthographe de Samama varie considérablement : Semama, Scamama, Scemama, Chemama, Chamama. Sur l’affaire Samama, Larguèche, voir Abdelhamid, « Nasim Shammama : un caïd face à lui-même et face aux autres », in Fellous, S. (dir.), Juifs et musulmans en Tunisie : fraternité et déchirements, Paris, Somogy, 2003, p. 143-157Google Scholar ; Harouvi, Yavel, « Les conflits autour du testament du caïd Nessim Scemama d’après quelques sources hébraïques », in Cohen-Tannoudji, D. (dir.), Entre Orient et Occident. Juifs et musulmans en Tunisie, Paris, Éd. de l’éclat, 2007, p. 143-156Google Scholar ; Id., « The Rabbinical Elite of Tunis in the Modern Era, 1873-1921 » [en hébreu], Ph. D., Tel Aviv University, 2013, p. 75-183 ; Ben Slimane, Fatma, « Définir ce qu’est être Tunisien. Litiges autour de la nationalité de Nessim Scemama (1873-1881) », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 137, 2015, p. 31-48CrossRefGoogle Scholar.

7 Koskenniemi, Martti, « Expanding Histories of International Law », American Journal of Legal History, 56-1, 2016, p. 104-112CrossRefGoogle Scholar, en particulier p. 105.

8 Gong, Gerrit W., The Standard of « Civilization » in International Society, Oxford, Clarendon Press, 1984, p. 24-35Google Scholar.

9 Pour une discussion sur la façon dont les théoriciens du droit des gens aux xviie et xviiie siècles envisageaient la place des États nord-africains, Calafat, voir Guillaume, « Ottoman North Africa and Ius Publicum Europaeum: The Case of the Treaties of Peace and Trade (1600-1750) », in Alimento, A. (dir.), War, Trade and Neutrality: Europe and the Mediterranean in the Seventeenth and Eighteenth Centuries, Milan, Franco Angeli, 2011, p. 171-187Google Scholar.

10 Nadelmann, Kurt H., « Mancini’s Nationality Rule and Non-Unified Legal Systems: Nationality versus Domicile », in Nadelmann, K. H. (dir.), Conflict of Law: International and Interstate, La Haye, M. Nijhoff, 1972, p. 49-84Google Scholar, est le seul chercheur qui ait discuté l’affaire Samama en rapport avec le développement du droit international privé. Son article constitue une bonne introduction aux questions traitées ici ; toutefois, Nadelmann commet une erreur sur la qualification juridique de l’affaire Samama, car il fait du débat entre nationalité et domicile en droit international le point déterminant du procès ; or les deux parties s’accordent sur le principe de nationalité mais s’opposent sur la question de la véritable nationalité de Samama au moment de sa mort.

11 M. Koskenniemi, « Expanding Histories… », art. cit., p. 107 ; Fassbender, Bardo et Peters, Anne, « Introduction: Towards a Global History of International Law », in Fassbender, B. et Peters, A. (dir.), The Oxford Handbook of the History of International Law, Oxford, Oxford University Press, 2012, p. 1-24Google Scholar, ici p. 9. Le travail de Koskenniemi est une exception dans le champ : Koskenniemi, Martti, The Gentle Civilizer of Nations: The Rise and Fall of International Law, 1870-1960, Cambridge, Cambridge University Press, 2001CrossRefGoogle Scholar.

12 Hanley, Will, « Statelessness: An Invisible Theme in the History of International Law », European Journal of International Law, 25-1, 2014, p. 321-327CrossRefGoogle Scholar, ici p. 324. Cette approche est tentée dans F. Ben Slimane, « Définir ce qu’est être Tunisien… », art. cit.

13 Koskenniemi, Martti, « Histories of International Law: Dealing with Eurocentrism », Rechtsgeschichte-Legal History, 19, 2011, p. 152-176CrossRefGoogle Scholar ; M. Koskenniemi, « Expanding Histories… », art. cit., p. 104. L’entreprise collective menée par B. Fassbender et A. Peters (dir.), The Oxford Handbook of the History of International Law, op. cit., déclare vouloir corriger l’histoire européocentrée du droit international en adoptant une approche globale. Sur les limites de cette tentative, Kemmerer, voir Alexandra, « Towards a Global History of International Law ? Editor’s Note », European Journal of International Law, 25-1, 2014, p. 287-295CrossRefGoogle Scholar.

14 Anghie, Antony, Imperialism, Sovereignty, and the Making of International Law, Cambridge, Cambridge University Press, 2005CrossRefGoogle Scholar ; Kayaoğlu, Turan, Legal Imperialism: Sovereignty and Extraterritoriality in Japan, the Ottoman Empire, and China, Cambridge, Cambridge University Press, 2010CrossRefGoogle Scholar. Voir, dans une veine semblable, Abrevaya Stein, Sarah, « Protected Persons ? The Baghdadi Jewish Diaspora, the British State, and the Persistence of Empire », The American Historical Review, 116-1, 2011, p. 80-108CrossRefGoogle Scholar ; Hanley, Will, « When Did Egyptians Stop Being Ottomans ? An Imperial Citizenship Case Study », in Maas, W. (dir.), Multilevel Citizenship, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2013, p. 89-109Google Scholar.

15 M. Koskenniemi, « Expanding Histories… », art. cit., p. 109 ; Hanley, Will, « International Lawyers without Public International Law: The Case of Late Ottoman Egypt », Journal of the History of International Law, 18, 2016, p. 98-119CrossRefGoogle Scholar, ici p. 100.

16 Pour une étude de cas aux caractéristiques proches, Calafat, voir Guillaume, « Ramadam Fatet vs. John Jucker: Trials and Forgery in Egypt, Syria, and Tuscany (1739-1740) », Quaderni storici, 143-2, 2013, p. 419-440Google Scholar.

17 C’est là un usage courant du terme « global », comme l’a fait remarquer Trivellato, Francesca, « Is There a Future for Italian Microhistory in the Age of Global History ? », California Italian Studies, 2-1, 2011, p. 1-26Google Scholar, ici p. 4.

18 L’effort des tribunaux italiens afin d’établir un ensemble de normes, voire de hiérarchies, servant à organiser l’interaction des différents systèmes juridiques en jeu – droit italien, droit international privé, droit tunisien et droit juif – évoque les tentatives de la France coloniale en Tunisie pour imbriquer différents niveaux de souveraineté. Lewis, Voir Mary Dewhurst, Divided Rule: Sovereignty and Empire in French Tunisia, 1881-1938, Berkeley, University of California Press, 2014Google Scholar. Des tentatives du même type, qui tentent d’établir une hiérarchie des normes juridiques à l’époque moderne, sont évidentes dans l’histoire diplomatique méditerranéenne. Windler, Voir Christian, La diplomatie comme expérience de l’autre. Consuls français au Maghreb, 1700-1840, Genève, Droz, 2002Google Scholar.

19 B. Fassbender et A. Peters, « Introduction… », art. cit., p. 16-19 ; W. Hanley, « International Lawyers without Public International Law… », art. cit., p. 118. Pour un exemple non juridique adoptant cette approche, Conrad, voir Sebastian, « Enlightenment in Global History: A Historiographical Critique », The American Historical Review, 117-4, 2012, p. 999-1027CrossRefGoogle Scholar.

20 « Applicabilité du droit des gens européen aux nations orientales », Annuaire de l’Institut de droit international, 1, 1877, p. 141-142, et 3-4, 1879-1880, p. 300-311.

21 Certes, l’histoire du droit international s’intéresse à certaines affaires particulières, mais celles-ci sont généralement plaidées devant des tribunaux internationaux, tels que la Cour permanente de justice internationale. L’affaire Samama pose des problèmes de droit international mais elle se joue dans des tribunaux ordinaires et nationaux. Elle offre par conséquent un intéressant point d’observation sur les développements du droit international privé. Sur le besoin de nouvelles sources pour éviter une histoire européocentrée du droit international, Parfitt, voir Rose, « The Spectre of Sources », European Journal of International Law, 25-1, 2014, p. 297-306CrossRefGoogle Scholar.

22 Sur la façon dont les juifs interrogent plus particulièrement les régimes du droit international, Abrevaya Stein, voir Sarah, Extraterritorial Dreams: European Citizenship, Sephardi Jews, and the Ottoman Twentieth Century, Chicago, The University of Chicago Press, 2016CrossRefGoogle Scholar.

23 F. Trivellato, « Is There a Future for Italian Microhistory… », art. cit., p. 5. Il ne s’agit en aucun cas de la seule approche adoptée par la microstoria qui a pu être un outil aussi bien pour écrire l’histoire culturelle et intellectuelle des gens ordinaires (Carlo Ginzburg, Le fromage et les vers. L’univers d’un meunier du xvie siècle, trad. par M. Aymard, Paris, Flammarion, [1976] 1980) que pour recomposer le dense tissu des relations sociales. Cerutti, Voir Simona, « Microhistory: Social Relations versus Cultural Models », in Castrén, A.-M., Lonkila, M. et Peltonen, M. (dir.), Between Sociology and History: Essays on Microhistory, Collective Action, and Nation-Building, Helsinki, Sks/Finnish Literature Society, 2004, p. 17-40Google Scholar.

24 Je ne défends pas pour autant l’idée que la Tunisie – ou qu’un quelconque pays non occidental – fût au cœur du développement du droit international. En cherchant à modifier les grands récits d’une histoire européo centrée du droit international, je cherche à démontrer que les juristes en Europe et en Tunisie étaient conscients des tensions et des limites d’un droit pensé avant tout depuis l’Europe et l’Amérique du Nord.

25 Hobsbawn, Eric, Nations et nationalisme depuis 1780. Programme, mythe, réalité, trad. par Peters, D., Paris, Gallimard, [1990] 1996Google Scholar.

26 Hanley, Will, Identifying with Nationality: Europeans, Ottomans, and Egyptians in Alexandria, New York, Columbia University Press, 2017CrossRefGoogle Scholar.

27 Fatma Ben Slimane, « Entre deux empires. L’élaboration de la nationalité tunisienne », no spécial « De la colonie à l’État-nation : constructions identitaires au Maghreb », Maghreb et sciences sociales, 2012, p. 107-118 ; Donati, Sabina, A Political History of National Citizenship and Identity in Italy, 1861-1950, Stanford, Stanford University Press, 2013CrossRefGoogle Scholar ; Hanley, Will, « What Ottoman Nationality Was and Was Not », Journal of the Ottoman and Turkish Studies Association, 3-2, 2016, p. 277-298CrossRefGoogle Scholar. La première loi française portant explicitement sur la nationalité fut promulguée en 1889 : Noiriel, Gérard, « Socio-histoire d’un concept. Les usages du mot ‘nationalité’ au xixe siècle », Genèses. Sciences sociales et histoire, 20, 1995, p. 4-23Google Scholar, ici p. 15-16.

28 Subrahmanyam, Sanjay, « Connected Histories: Notes towards a Reconfiguration of Early Modern Eurasia », Modern Asian Studies, 31-3, 1997, p. 735-762CrossRefGoogle Scholar ; McDougall, James, « Modernity in ‘Antique Lands’: Perspectives from the Western Mediterranean », Journal of the Economic and Social History of the Orient, 60-1/2, 2017, p. 1-17CrossRefGoogle Scholar. Pour un même argument à propos de la nationalité dans le monde arabe, Oualdi, voir M’hamed, « La nationalité dans le monde arabe des années 1830 aux années 1960. Négocier les appartenances et le droit », Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée, 137, 2015, p. 13-28CrossRefGoogle Scholar.

29 L’affaire Samama montre également que les questions de nationalité étaient déterminées en partie « from below », non seulement dans les halls du Parlement et les palais des beys, mais aussi dans les tribunaux où débattaient les juristes italiens et tunisiens. Pour une histoire qui s’attache à recomposer cette nationalité « par le bas », voir ibid.

30 Sur cette fonction, Larguèche, voir Abdelhamid, Les ombres de la ville. Pauvres, marginaux et minoritaires à Tunis, xviiie et xixe siècles, Manouba, Centre de publication universitaire, Faculté des lettres de Manouba, 1999, p. 353-355Google Scholar.

31 Des sources expliquent que Samama quitta la Tunisie parce qu’il était tenu pour responsable par les rebelles d’une hausse d’impôts impopulaire : A. Larguèche, « Nasim Shammama… », art. cit., p. 145 ; M’hamed Oualdi, Esclaves et maîtres. Les mamelouks des beys de Tunis du xviie siècle aux années 1880, Paris, Publications de la Sorbonne, 2011, en particulier le chap. 9 sur le contexte plus général de cette révolte.

32 Le gouvernement tunisien ne cessa de s’endetter auprès des banques étrangères durant la seconde moitié du xixe siècle : Ganiage, Jean, Les origines du protectorat français en Tunisie, 1861-1881, Paris, Puf, 1959Google Scholar.

33 Samama obtint un passeport de la part du consulat italien le 24 mars 1871 : Mancini, Pasquale Stanislao, Per gli eredi testamentari del fu Conte Caid Nissim Samama contro i pretendenti alla sua eredità ab intestato. Ricerca della legge regolatrice della successione del testatore, Rome, F. Pallotta, 1880, p. 255Google Scholar. La Commune de Paris dura du 18 mars au 28 mai 1871.

34 Ibid., p. 253.

35 Ya’akov Sapir, ‘Edut be-Yehosef, Mayence, s. n., 1874, p. 4.

36 Voir la traduction française de ce testament dans Robert Attal, Le caïd Nessim Samama de Tunis, mécène du livre hébraïque, Jérusalem, R. Attal, 1995. Pour la traduction en judéo-arabe et en hébreu, Jarmon, voir Yehudah, Naḥalat Avot, Livourne, Mordekhai Finzi, 1877, p. 1a-3bGoogle Scholar. Pour un arbre généalogique partiel, voir Y. Harouvi, « Les conflits autour du testament du caïd Nessim Scemama… », art. cit., p. 154-155.

37 Nombres, 23: 8-11, et Deutéronome, 21:17.

38 R. Attal, Le caïd Nessim Samama…, op. cit., p. 29.

39 J. Ganiage, Les origines du protectorat français…, op. cit., p. 296.

40 Tunis, Archives nationales de Tunisie (ci-après ANT), C 102, D 239.19, contrat entre le gouvernement tunisien et Qa’id Momo, 27 févr. 1873 (29 Dhū al-ḥijja 1298).

41 Oualdi, M’hamed, « Le ‘pluralisme juridique’ au fil d’un conflit de succession en Méditerranée à la fin du xixe siècle », Revue d’histoire du dix-neuvième siècle, 48, 2014, p. 93-106CrossRefGoogle Scholar ; Id., « L’héritage du général Husayn. La pertinence du ‘national’ et de la nationalité au début du protectorat français sur la Tunisie », in F. Ben Slimane et H. Abdessamad (dir.), Penser le national au Maghreb et ailleurs, Tunis, Arabesques, 2013, p. 65-88. Sur la nomination d’Ḥusayn, voir ANT, SH, C 104, D 254.2, 10 juin 1873.

42 Cette question suscita une grande controverse chez les juristes juifs. Des rabbins de part et d’autre de la Méditerranée et au-delà débattaient en effet pour savoir si le testament de Samama était bien valide au regard de la loi juive. Pour un traitement partiel du débat juridique juif concernant l’affaire, voir Y. Harouvi, « The Rabbinical Elite of Tunis in the Modern Era… », op. cit., p. 85-183.

43 P. S. Mancini, Per gli eredi testamentari del fu Conte Caid Nissim Samama…, op. cit., p. 281. Les juristes occidentaux traitaient la Tunisie comme un régime semi-souverain depuis le xviie siècle : G. Calafat, « Ottoman North Africa and Ius Publicum Europaeum… », art. cit.

44 Le gouvernement ottoman pouvait revendiquer l’ottomanité de certains officiels tunisiens musulmans dont les biens étaient réclamés par le Trésor tunisien, comme cela se produisit après la mort du général Ḥusayn en 1887 (M. Oualdi, « Le ‘pluralisme juridique’… », art. cit., p. 93).

45 Tandis que des hommes d’État tunisiens mettaient l’accent sur la distance avec la Sublime Porte, tel Aḥmad Bey, qui régna de 1837 à 1855 (Guellouz, Azzedine, Masmoudi, Abdelkader et Smida, Mongi, Histoire générale de la Tunisie, t. 3, Les temps modernes (941-1247 H/1534-1881), Tunis, Sud éditions, 2007, p. 376-379Google Scholar), d’autres cherchèrent à nouer des liens plus étroits avec l’empire ottoman – en particulier pour empêcher la colonisation, comme le fit le ministre Khayr al-Dīn (Khaïrreddine) (ibid., p. 422-426). Une analyse détaillée des relations entre la Tunisie et l’empire ottoman à l’époque du procès Samama déborderait le cadre de cet article.

46 La sentence fut prononcée le 29 novembre 1877 et publiée le 28 décembre de la même année.

47 ANT, SH, C 105, D 259, Pierantoni au premier président (Cesarini) de la cour d’appel de Lucques, 9 janv. 1883.

48 ANT, SH, C 105, D 259, Pierantoni au premier président (Cesarini) de la cour d’appel de Lucques, 9 janv. 1883.

49 P. S. Mancini, Per gli eredi testamentari del fu Conte Caid Nissim Samama…, op. cit., p. 22 et 138 ; K. H. Nadelmann, « Mancini’s Nationality Rule… », art. cit., p. 51.

50 Ce texte était tiré d’une leçon inaugurale qu’il donna à l’occasion de son élection à la chaire de droit international public et privé à l’université de Turin en 1850 : Pasquale Stanislao Mancini, Della nazionalità come fondamento del diritto delle genti. Prelezione al corso di dritto internazionale e marittimo, Turin, E. Botta, 1851 ; Catellani, Enrico, « Les maîtres de l’école italienne du droit international au xixe siècle », Recueil des cours. Académie de droit international, 46-4, 1933, p. 710-826Google Scholar, ici p. 711 ; Bertrand Ancel, Éléments d’histoire du droit international privé, Paris, Éd. Panthéon-Assas, 2017, p. 439-456.

51 Codice civile del regno d’Italia, Turin, Stamperia Reale, 1865, p. vi.

52 Mancini, Pasquale Stanislao, « De l’utilité de rendre obligatoires pour tous les États, sous la forme d’un ou de plusieurs traités internationaux, un certain nombre de règles générales du droit international privé pour assurer la décision uniforme des conflits entre les différentes législations civiles et criminelles », Journal de droit international privé, 1-4, 1874, p. 221-239Google Scholar et 283-304, ici p. 297. L’auteur était conscient du fait que le respect accordé à la nationalité d’un individu pouvait menacer la souveraineté de l’État qui s’engageait à appliquer la loi d’un autre pays. Il limitait ainsi l’application des lois extraterritoriales en ajoutant, à l’article 12, une clause qui prévenait l’application de droits étrangers allant à l’encontre de l’« ordre public » ou des « bonnes mœurs » de l’Italie. Des lois qui autoriseraient l’esclavage, la féodalité ou la polygamie contreviendraient à l’ordre public et ne seraient donc pas reconnues en Italie, même si un étranger invoquait leur application dans son pays d’origine.

53 K. H. Nadelmann, « Mancini’s Nationality Rule… », art. cit., p. 51-52.

54 Le Royaume-Uni et les États-Unis refusèrent d’adopter le principe de nationalité et continuèrent à appliquer la loi locale. Ces différences persistantes entre États créèrent inévitablement des problèmes ; par exemple, la succession d’un Français qui décédait en Angleterre pouvait être jugée selon deux régimes juridiques : la loi anglaise, d’après le droit anglais, ou la loi française, d’après le droit français. De tels conflits de loi créaient non seulement de la confusion, mais aussi du « forum shopping » et des subversions délibérées des règles de droit. Inspirés par l’esprit de progrès et de science, un nombre croissant d’universitaires et de politiciens – Mancini au premier chef – estimaient que la seule solution était de ratifier des accords réciproques entre États qui accepteraient de rationaliser leur législation respective en matière de droit international privé. P. S. Mancini, Per gli eredi testamentari del fu Conte Caid Nissim Samama…, op. cit., p. 147, a discuté cette idée de coordination entre États au cours de l’affaire Samama.

55 M. Koskenniemi, The Gentle Civilizer of Nations…, op. cit., p. 39-41. Sur l’un des fondateurs de l’Institut, Genin, voir Vincent, « L’institutionnalisation du droit international comme phénomène transnational (1869-1873). Les réseaux européens de Gustave Rolin-Jaequemyns », Journal of the History of International Law, 18, 2016, p. 181-196CrossRefGoogle Scholar. L’Annuaire de l’Institut de droit international publiait un compte rendu officiel de chaque réunion.

56 Annuaire de l’Institut de droit international, 1, 1877, p. 1.

57 M. Koskenniemi, The Gentle Civilizer of Nations…, op. cit., p. 3-4. Il fait remonter l’idée d’une « conscience » du monde à l’école historique du droit en Allemagne, associée en particulier à Friedrich Carl von Savigny (ibid., p. 42-44).

58 Ibid., p. 35-39.

59 Ibid., p. 57-58.

60 Pierantoni, Augusto, Corte di appello di Lucca. Per il governo di S. A. Il bey di Tunisi nella Successione Samama. Parte Prima : Della nazionalità del testatore, Rome, F. Pallotta, 1879, p. 42-49Google Scholar ; P. S. Mancini, Per gli eredi testamentari del fu Conte Caid Nissim Samama…, op. cit., p. 57 et 108-109.

61 A. Pierantoni, Della nazionalità come fondamento del diritto delle genti…, op. cit., p. 211, concluait son libelle défendant un renversement de la sentence émise à Livourne en assurant : « La cour [d’appel de Lucques] ne laissera pas dans les annales du droit de la patrie une sentence erronée, qui nierait tout les progrès de notre législation. » P. S. Mancini, Per gli eredi testamentari del fu Conte Caid Nissim Samama…, op. cit., p. 355-356, exprimait au contraire l’espoir que la cour d’appel de Lucques arriverait à une décision qui « resplendira dans nos annales judiciaires comme un monument de justice et de doctrine ».

62 F. Ben Slimane, « Entre deux empires… », art. cit., p. 116.

63 Belkeziz, Abdelouahed, La nationalité dans les États arabes, Rabat, Éd. La Porte, 1963, p. 13Google Scholar ; Flournoy, Richard W. et Hudson, Manley O. (dir.), A Collection of Nationality Laws of Various Countries as Contained in Constitutions, Statutes, and Treaties, New York, Oxford University Press, 1929, p. 567Google Scholar.

64 Sur le régime des capitulations, voir Maurits Van den Boogert, The Capitulations and the Ottoman Legal System: Qadis, Consuls, and Beraths in the 18th Century, Leyde, Brill, 2005 ; Özsu, Umut, « Ottoman Empire », in Fassbender, B. et Peters, A. (dir.), The Oxford Handbook of the History of International Law, op. cit., p. 429-448Google Scholar.

65 A. Belkeziz, La nationalité dans les États arabes, op. cit., p. 8-9 ; F. Ben Slimane, « Entre deux empires… », art. cit., p. 111-112 ; W. Hanley, Identifying with Nationality…, op. cit.

66 A. Guellouz, A. Masmoudi et M. Smida, Histoire générale de la Tunisie…, op. cit., vol. 3, p. 392. La Constitution fut cependant suspendue en 1864.

67 R. W. Flournoy et M. O. Hudson (dir.), A Collection of Nationality Laws…, op. cit., p. 568-569 ; W. Hanley, « What Ottoman Nationality Was… », art. cit. Sur cette rupture radicale avec la tradition, Karpat, voir Kemal H., « Nation and Nationalism in the Late Ottoman Empire », in Karpat, K. H. (dir.), Studies on Ottoman Social and Political History: Selected Articles and Essays, Leyde, Brill, 2002, p. 544-554Google Scholar, ici p. 546.

68 Can, Lale, « The Protection Question: Central Asians and Extraterritoriality in the Late Ottoman Empire », International Journal of Middle East Studies, 48-4, 2016, p. 679-699CrossRefGoogle Scholar ; Ahmed, Faiz, « Contested Subjects: Ottoman and British Jurisdictional Quarrels in re Afghans and Indian Muslims », Journal of the Ottoman and Turkish Studies Association, 3-2, 2016, p. 325-346CrossRefGoogle Scholar.

69 A. Belkeziz, La nationalité dans les États arabes, op. cit., p. 13. Sur le traité de Madrid, Miège, voir Jean-Louis, Le Maroc et l’Europe, 1830-1894, Paris, Puf, 1961, vol. 3, p. 277-292Google Scholar ; Parsons, Frederick V., The Origins of the Morocco Question, 1880-1900, Londres, Duckworth, 1976Google Scholar ; Ibn Manṣūr, ‘Abd al-Wahhāb, Mushkilat al-ḥimāya al-qunṣuliyya bi-’l-Maghrib, Rabat, al-Maṭba‘a al-mālikīya, 1985, p. 77-114Google Scholar.

70 F. Ben Slimane, « Entre deux empires… », art. cit., p. 112.

71 Ibid., p. 112-113.

72 W. Hanley, « What Ottoman Nationality Was… », art. cit., a de la même façon défendu l’idée que la loi ottomane sur la nationalité de 1869 devait être mesurée à l’aune de cette extraterritorialité.

73 Cette question touche tous les États d’Afrique du Nord : Marglin, Jessica M., « The Two Lives of Mas‘ud Amoyal: Pseudo-Algerians in Morocco, 1830-1912 », International Journal of Middle East Studies, 44-4, 2012, p. 651-670CrossRefGoogle Scholar.

74 Pour Mancini et les autres avocats des héritiers testamentaires, l’abandon de la nationalité tunisienne par Samama menait à l’alternative suivante : soit il avait acquis (ou recouvré) la nationalité italienne (P. S. Mancini, Per gli eredi testamentari del fu Conte Caid Nissim Samama…, op. cit., p. 250-255), soit il était devenu apatride (ibid., p. 52-64). Dans les deux cas, le droit italien s’appliquait, puisque les biens des apatrides étaient régis selon la loi du domicile – un principe suggéré à l’Institut par Mancini en personne (P. S. Mancini, « De l’utilité de rendre obligatoires pour tous les États… », art. cit., p. 304) et adopté en 1880 (Annuaire de l’Institut de droit international, 5, 1882, p. 56). Le tribunal de Livourne avait établi en première instance que Samama était apatride : Galeotti, Leopoldo, Reale Corte d’Appello di Lucca. Memoria in causa Governo di Tunisi e Samama. Applicazione della legge ebraica, legge nazionale del defunto. Nullità di testamento secondo la legge ebraica, Florence, L. Niccolai, 1879, p. 50Google Scholar.

75 Sur les débats à propos des nations civilisées face aux nations non civilisées, Obregón, voir Liliana, « The Civilized and the Uncivilized », in Fassbender, B. et Peters, A. (dir.), The Oxford Handbook of the History of International Law, op. cit., p. 917-939Google Scholar, ici p. 924-925. Sur le statut de l’empire ottoman comme exemple d’un État demi-civilisé, Özsu, voir Umut, « The Ottoman Empire, the Origins of Extraterritoriality, and International Legal Theory », in Orford, A. et Hoffmann, F. (dir.), The Oxford Handbook of the Theory of International Law, Oxford, Oxford University Press, 2016, p. 123-137Google Scholar.

76 P. S. Mancini, Per gli eredi testamentari del fu Conte Caid Nissim Samama…, op. cit., p. 268.

77 Ibid., p. 280.

78 Général Heussein, Lettre du général Heusseïn au collège de la défense du gouvernement tunisien dans l’affaire du caïd Nessim Samama ; traduction de l’arabe, Paris, Veuves Renou, Maulde et Cock, 1878, p. 11-12. L’original arabe se Al-Giniral Ḥusayn, trouve dans, « Al-qusṭās al-mustaqīm fī ẓuhūr ikhtilāl al-ḥukm bi-nafī jinsīyat al-qā’id Nisīm », Ḥayātuhu wa-ātharuhu, éd. al-Ṭawīlī, par A., Tunis, s. n., 1994Google Scholar. Le texte français laisse de côté des passages que l’on trouve à la fin de la version arabe (p. 272-276 et 277-278), notamment une célèbre citation de François Ier (p. 278) avec lequel Ḥusayn conclut son texte : « tout est perdu fors l’honneur ». La plupart des passages laissés dans la traduction française portent des accusations selon lesquelles Samama aurait volé le gouvernement tunisien. Une traduction italienne fut également publiée deux ans plus tard : Generale Heussein, Lettera del generale Heussein agli onorevoli avvocati componenti il collegio della difesa del governo di Tunis, Florence, M. Ricci, 1880.

79 Général Heussein, Lettre du général Heusseïn au collège de la défense du gouvernement tunisien…, op. cit., p. 7 : « wa-ḍiyā‘u al-jinsīyata lā aṣla lahu fī sharī‘ati al-islāmi » ; Id., « Al-qusṭās al-mustaqīm… », art. cit., p. 237.

80 Par exemple, Ḥusayn défendait l’idée que les musulmans étaient libres d’émigrer, mais que le droit islamique s’appliquait également à eux lorsqu’ils étaient à l’étranger : Général Heussein, Lettre du général Heusseïn au collège de la défense du gouvernement tunisien…, op. cit., p. 7 ; Id., « Al-qusṭās al-mustaqīm… », art. cit., p. 237.

81 A. Pierantoni, Della nazionalità come fondamento del diritto delle genti…, op. cit., p. 154-155.

82 Ibid., p. 156.

83 Jusqu’en 1868, aux États-Unis, il n’existait aucune loi garantissant un droit à l’expatriation : R. W. Flournoy et M. O. Hudson (dir.), A Collection of Nationality Laws…, op. cit., p. 578-579. Néanmoins, la plupart des juristes états-uniens estimaient que la Constitution permettait l’expatriation, quoiqu’il y eut un désaccord sur la façon dont ce droit pouvait s’exercer : Kettner, James H., « The Development of American Citizenship in the Revolutionary Era: The Idea of Volitional Allegiance », The American Journal of Legal History, 18-3, 1974, p. 208-242CrossRefGoogle Scholar, ici p. 242.

84 P. S. Mancini, Per gli eredi testamentari del fu Conte Caid Nissim Samama…, op. cit., p. 268-269.

85 Mancini n’était pas le seul à concevoir ainsi l’expatriation. George Cogordan, La nationalité au point de vue des rapports internationaux, Paris, L. Larose, 1879, p. 7, juriste français qui publia l’un des premiers livres sur les lois de nationalité, défendit de manière encore plus vive la nécessité de reconnaître un droit universel d’expatriation. Il considérait la nationalité comme un contrat entre un individu et un État. En tant que tel, « il serait choquant et contraire à la liberté humaine qu’un individu fût indéfiniment enchaîné dans l’allégeance que sa naissance lui a attribuée ».

86 P. S. Mancini, Per gli eredi testamentari del fu Conte Caid Nissim Samama…, op. cit., p. 284 et 299.

87 Ibid., p. 292.

88 A. Pierantoni, Della nazionalità come fondamento del diritto delle genti…, op. cit., p. 146.

89 Ibid., p. 146-147. Le texte provient d’un discours que Mancini a adressé au Parlement en 1875, titré  « Modificazione della giurisdizione esercitata dai Consolati italiani in Egitto », que l’on peut trouver dans Pasquale Stanislao Mancini, Discorsi parlamentari di Pasquale Stanislao Mancini. Raccolti e pubblicati per deliberazione della Camera dei Deputati, Rome, Tipografia della Camera dei Deputati, 1895, p. 580.

90 A. Pierantoni, Della nazionalità come fondamento del diritto delle genti…, op. cit., p. 150.

91 Ibid., p. 46.

92 Galeotti, le collègue de Pierantoni parmi les avocats de la défense, était encore plus explicite lorsqu’il défendait l’idée que le droit international s’appliquait bel et bien en Tunisie. Parce que l’empire ottoman et la Tunisie avaient été à un moment de leur histoire soumis aux lois de l’Empire romain – et donc au Code Justinien qui s’appliquait sur ces territoires −, il considérait qu’ils étaient tous deux sujets des pays de ius commune : L. Galeotti, Applicazione della legge ebraica…, op. cit., p. 87. Mancini et Pierantoni défendaient le principe qu’une reconnaissance mutuelle des lois nationales était un devoir des États, garanti par les traités internationaux, plutôt qu’un acte de bonne volonté et de générosité (comitas) : P. S. Mancini, « De l’utilité de rendre obligatoires pour tous les États… », art. cit., p. 227-231.

93 Annuaire de l’Institut de droit international, 4, 1879-1880, vol. 1, p. 300. La seule opposition à ce principe fut énoncée par Joseph Hornung (1822-1884), un juriste genevois qui considérait que l’extraterritorialité était européocentrique et injuste (ibid., p. 305-307).

94 Cette ambiguïté se retrouve dans le traité de Paris de 1856, qui donna à l’empire ottoman le droit de « participer aux avantages du droit public et du concert européens », mais qui n’abolit par les capitulations – symbole d’un régime juridique inégal. Voir U. Özsu, « The Ottoman Empire and the Abode of Islam », art. cit., p. 437-438 ; W. Hanley, « International Lawyers without Public International Law… », art. cit., p. 1000.

95 Gong, Gerrit W., The Standard of « Civilization » in International Society, Oxford, Clarendon Press, 1984Google Scholar ; Horowitz, Richard S., « International Law and State Transformation in China, Siam, and the Ottoman Empire during the Nineteenth Century », Journal of World History, 15-4, 2004, p. 445-486CrossRefGoogle Scholar ; U. Özsu, « The Ottoman Empire, the Origins of Extraterritoriality… », art. cit. ; Rodogno, Davide, « European Legal Doctrines on Intervention and the Status of the Ottoman Empire within the ‘Family of Nations’ Throughout the Nineteenth Century », Journal of the History of International Law, 18-1, 2016, p. 5-41CrossRefGoogle Scholar.

96 Paz, Moria, « A Most Inglorious Right: René Cassin, Freedom of Movement, Jews and Palestinians », in Loeffler, J. et Paz, M. (dir.), The Law of Strangers: Critical Perspectives on Jewish Lawyering and International Legal Thought, Cambridge, Cambridge University PressGoogle Scholar, à paraître.

97 A. Pierantoni, Della nazionalità come fondamento del diritto delle genti…, op. cit., p. 8.

98 Cette distinction n’est pas commune car, d’ordinaire, les sujets sont définis comme ceux qui vivent dans des États non démocratiques et les citoyens comme ceux qui sont capables de voter et d’exercer leurs droits politiques. Les sujets et les citoyens, cependant, sont considérés comme des ressortissants de leurs États respectifs. Weis, Voir Paul, Nationality and Statelessness in International Law, Londres, Stevens, 1956, p. 4-5Google Scholar.

99 P. S. Mancini, Per gli eredi testamentari del fu Conte Caid Nissim Samama…, op. cit., p. 246.

100 Général Heussein, Lettre du général Heusseïn au collège de la défense du gouvernement tunisien…, op. cit., p. 6 : « anna al-siyāsata al-islāmīyata murṭābitata bil-dīni, fa-ra‘āyā al-islāmi ‘alā ikhtilāfi ajnāsihim wa-millihim munāqadūnu li-aḥkāmi sharī‘ati al-islāmi » ; Id., « Al-qusṭās al-mustaqīm… », art. cit., p. 236.

101 Général Heussein, Lettre du général Heusseïn au collège de la défense du gouvernement tunisien…, op. cit., p. 20 : « thumma lammā kānat al-jinsīyatu fī sharī‘ati al-islāmi manūṭatu bil-dīni bil-nisbati lil-muslimi, wa-bi-‘ahdi al-dhimmati bil-nisbati lil-ra‘āyā ghayri al-muslimīni » ; Id., « Al-qusṭās al-mustaqīm… », art. cit., p. 252.

102 Général Heussein, Lettre du général Heusseïn au collège de la défense du gouvernement tunisien…, op. cit., p. 35 : « wal-diyānatu al-islāmiyatu ja‘alat li-ahli dhimmati al-islāmi mā lil-muslimīni wa-‘alayhim mā ‘alayhim ». La version arabe est moins spécifique : « l’Islam accorde aux dhimmi-s et aux musulmans les mêmes droits et les mêmes obligations » (Id., « Al-qusṭās al-mustaqīm… », art. cit., p. 277). Afin de faire passer son message, Ḥusayn ajoutait que c’est précisément cette égalité qui attira jadis les juifs dans le monde islamique (il pensait vraisemblablement aux juifs de la péninsule Ibérique expulsés en 1492 et qui gagnèrent pour partie l’Afrique du Nord).

103 Mark R. Cohen, Under Crescent and Cross: The Jews in the Middle Ages, Princeton, Princeton University Press, 1994, chap. 4 : « The Legal Position of Jews in Islam », p. 52-75.

104 Sur les circonstances qui ont conduit à l’adoption de l’‘Ahd al-amān, voir Ridha Ben Rejeb, « La question juive et les réformes constitutionelles en Tunisie », et Yaron Tsur, « Réformistes musulmans et juifs en Tunisie à la veille de l’occupation française », in S. Fellous (dir.), Juifs et musulmans en Tunisie…, op. cit., respectivement p. 131-142 et 161-168 ; A. Guellouz, A. Masmoudi et M. Smida, Histoire générale de la Tunisie…, op. cit., vol. 3, p. 382-387. Sur Batto Sfez, le cocher de Samama, voir Habib Jamoussi, Juifs et chrétiens en Tunisie au xixe siècle. Essai d’une étude socio-culturelle des communautés non-musulmanes, 1815-1881, Sfax, Amal Éditions, 2010, p. 197.

105 F. Ben Slimane, « Entre deux empires… », art. cit., p. 110.

106 Dans l’empire ottoman, par exemple, la capitation imposée traditionnellement aux dhimmī-s (connue sous le nom de jizya) fut remplacée par le bedel-i askeri, une taxe qui exemptait les non-musulmans de service militaire – une exemption en vigueur jusqu’en 1856 et l’abolition de la dhimma. Aytürk, Voir İlker, « Bedel-i Askeri », in Stillman, N. (dir.), Encyclopedia of Jews in the Islamic World, Leyde, Brill, 2010, vol. 1, p. 360-361Google Scholar. K. H. Karpat, « Nation and Nationalism… », art. cit., p. 546-547, considère la guerre de Crimée comme un tournant majeur dans l’histoire du statut des non-musulmans au sein de l’empire ottoman.

107 H. Jamoussi, Juifs et chrétiens en Tunisie au xixe siècle…, op. cit., p. 201-204.

108 A. Larguèche, Les ombres de la ville…, op. cit., p. 376 ; M. Oualdi, Esclaves et maîtres…, op. cit., p. 333. Nombre de musulmans se plaignaient également des juifs qui vivaient en dehors du quartier juif à Tunis : A. Larguèche, Les ombres de la ville…, op. cit., p. 377.

109 Allagui, Abdelkrim, Juifs et musulmans en Tunisie. Des origines à nos jours, Paris, Tallandier/Projet Aladin, 2016, p. 59-60Google Scholar. L’exception demeurait au sein du al-Majlis al-a’lā (le Grand Conseil), l’équivalent de la Cour suprême, un conseil de soixante représentants fondé par la Constitution de 1861, où les juifs n’étaient pas admis.

110 Voir les arguments avancés par Ibn Abī Diyāf, un réformateur et historien de la Tunisie, discutés dans Chérif, Mohamed-Hédi, « Ben Dhyâf et les juifs tunisiens », Confluences Méditerranée, 10, 1994, p. 89-96Google Scholar, en particulier p. 91-92 ; Y. Tsur, « Réformistes musulmans… », art. cit., p. 161-162 ; Marglin, Jessica M., « A New Language of Equality: Jews and the State in Nineteenth-Century Morocco », British Journal of Middle Eastern Studies, 43-2, 2016, p. 158-175CrossRefGoogle Scholar. L’argumentaire de Ḥusayn sur l’égalité des juifs et des musulmans était quelque peu en désaccord avec sa position première concernant l’admission des juifs à l’al-Majlis al-a’lā ; Ḥusayn souhaitait que les juifs n’y soient pas admis, bien qu’il leur reconnut l’égalité devant la loi : Bercher, Louis, « En marge du pacte ‘fondamental’. Un document inédit », Les cahiers de Tunisie, 79-80, 1972, p. 243-260Google Scholar ; A. Larguèche, Les ombres de la ville…, op. cit., p. 373. À partir des années 1880, Ḥusayn devint ouvertement antisémite : M. Oualdi, Esclaves et maîtres…, op. cit., p. 379-380.

111 F. Ben Slimane, « Définir ce qu’est être Tunisien… », art. cit., p. 15, n. 62, note que Ḥusayn présenta une traduction de l’‘Ahd al-amān ainsi que la Constitution de 1861 aux avocats de la défense en 1878. Cependant, Ḥusayn négligea de mentionner ces documents dans son mémoire.

112 P. S. Mancini, Per gli eredi testamentari del fu Conte Caid Nissim Samama…, op. cit., p. 285.

113 Un décret de 1858 accordait aux juifs le droit d’acquérir des propriétés immobilières et de porter des chéchias rouges : A. Larguèche, Les ombres de la ville…, op. cit., p. 358 et 372 ; A. Allagui, Juifs et musulmans en Tunisie…, op. cit., p. 61. Je n’ai pas réussi à déterminer si les activités agricoles leur étaient vraiment interdites.

114 A. Pierantoni, Della nazionalità come fondamento del diritto delle genti…, op. cit., p. 8.

115 Lors du Risorgimento, le Piémont fut le premier territoire italien à émanciper les juifs en 1848. Mais ce ne fut pas avant 1870 – lorsque Rome fut intégré au nouvel État italien – que le dernier ghetto fut aboli et que tous les juifs d’Italie obtinrent une pleine et entière citoyenneté : Rossi, Mario, « Emancipation of the Jews in Italy », Jewish Social Studies, 15-2, 1953, p. 113-134Google Scholar, ici p. 123-124 et 133-134. Sur ce sujet, voir l’agumentaire d’A. Pierantoni, Della nazionalità come fondamento del diritto delle genti…, op. cit., p. 14 et 19.

116 A. Pierantoni, Della nazionalità come fondamento del diritto delle genti…, op. cit., p. 14, expliquait que de nombreux pays, tels que les États-Unis, l’Allemagne et la Suisse, comportaient certains droits particuliers en fonction des États, des régions et des cantons, mais accordaient à tous la même nationalité : il rapprochait ce fédéralisme de l’autonomie relative permise aux juifs en Tunisie.

117 Mahmood, Saba, « Religious Freedom, the Minority Question, and Geopolitics in the Middle East », Comparative Studies in Society and History, 54-2, 2012, p. 418-446CrossRefGoogle Scholar.

118 Elmilik, Léon, Observations relatives au testament de feu le général comte Nissim Samama de Tunis et présenté à messieurs les juges européenes et aux rabbins israélites, Bône, Impr. J. Dagand, 1878, p. 28-29Google Scholar. Il allait même jusqu’à insinuer que les juifs qui avaient la pleine citoyenneté en Italie – et qui, par conséquent, avaient renoncé au privilège de suivre leur propre droit national – se considéraient comme appartenant à une seule et même nation juive.

119 L. Galeotti, Applicazione della legge ebraica…, op. cit., 30.

120 Ibid., p. 29 et 48.

121 Ibid., p. 169 et 373-374.

122 M. Rossi, « Emancipation of the Jews in Italy », art. cit.

123 P. S. Mancini, Per gli eredi testamentari del fu Conte Caid Nissim Samama…, op. cit., p. 65.

124 Ibid., p. 66.

125 Ibid., p. 67.

126 A. Pierantoni, Della nazionalità come fondamento del diritto delle genti…, op. cit., p. 30.

127 Ibid., p. 128-129. Pierantoni citait à l’appui de cette assertion l’article 29 de la Constitution tunisienne.

128 Cependant, quelques Italiens – y compris d’importants hommes politiques – continuaient de défendre l’idée que les juifs constituaient une nation à part et qu’ils ne pouvaient par conséquent être considérés comme de vrais Italiens : Schächter, Elizabeth, The Jews of Italy 1848-1915: Between Tradition and Transformation, Londres, Vallentine Mitchell, 2011, p. 110-111Google Scholar. P. S. Mancini, Per gli eredi testamentari del fu Conte Caid Nissim Samama…, op. cit., p. 93, 103 et 240, expliqua que si les juifs étaient bien une nation, leur loi n’était pas un droit au plein sens du terme, mais plutôt une série de « simples pratiques et traditions » qui ne pouvaient être envisagées comme un droit national. En dépit du progressisme revendiqué par Mancini, sa description du droit juif donne un indice de l’adhérence des stéréotypes antisémites, y compris dans les milieux européens et italiens les plus progressistes du xixe siècle : E. Schächter, The Jews of Italy…, op. cit., chap. 4.

129 Cesarini, Carlo, « Samama v. Samama, Corte d’Appello di Lucca », Annali della giurisprudenza italiana, 14, 1880, vol. 3, p. 216-251Google Scholar.

130 Rome, Istituto per la storia del Risorgimento, Mancini 856.13, Moïse Samama à Pasquale Stanislao Mancini, 22 juin 1880.

131 Pasquale Stanislao Mancini et al., Eredi Samama contro il Governo di Tunisi e LL. CC. Confutazioni dei ricorsi, rinunzia alle nazionalità, testamento valido, Florence, L. Niccolai, 1881, p. 3.

132 Ibid.

133 Je n’ai pas réussi à trouver une copie de ce mémoire ; il est mentionné sous la cote ANT, SH, C 105, D 259, Pierantoni au premier président (Cesarini) de la cour d’appel de Lucques, 9 janv. 1883.

134 Inghilleri, Calcedonio, « Samama v. Samama », Annali della giurisprudenza italiana, 17, 1883, vol. 1, p. 306-310Google Scholar, et vol. 3, p. 377-414.

135 ANT, SH, C 105, D 259, Pierantoni au premier président (Cesarini) de la cour d’appel de Lucques, 9 janv. 1883 ; « Mancini, Pasquale Stanislao », Dizionario biografico degli Italiani, 68, 2007, http://www.treccani.it/enciclopedia/pasquale-stanislao-mancini_(Dizionario-Biografico).

136 Sur l’accord entre la banque Erlanger et les héritiers potentiels, voir ANT, SH, C 104, D 246, Giacomo Gutierres à Mohamed El Aziz Bou Attar, 1er janv. 1886. En outre, le gouvernement tunisien acceptait de partager les gains tirés de l’héritage avec Erlanger : la Tunisie obtiendrait 28 % et Erlanger 72 %. ANT, SH, C 12, D 109, contrat entre Giacomo Gutierres (agent du gouvernement tunisien) et Albert Dubois (agent d’Émile Erlanger et Cie), 8 sept. 1881.

137 C. Inghilleri, « Samama v. Samama », art. cit.

138 Ibid., p. 414.

139 L. Elmilik, Observations relatives au testament de feu le général comte Nissim Samama…, op. cit., p. 19.

140 Ibid., p. 20. Ce jugement d’Elmilik à propos du rapport de Samama à la nationalité montre que la notion de « citoyenneté flexible » n’est pas qu’une conséquence de la globalisation de la fin du xxe siècle, mais qu’elle est une réalité plus ancienne qui remonte au moins au xixe siècle. Ong, Voir Aihwa, Flexible Citizenship: The Cultural Logics of Transnationality, Durham, Duke University Press, 1999Google Scholar.

141 Clancy-Smith, Julia, Mediterraneans: North Africa and Europe in an Age of Migration, c. 1800-1900, Berkeley, University of California Press, 2011Google Scholar, chap. 6 ; Fahmy, Ziad, « Jurisdictional Borderlands: Extraterritoriality and ‘Legal Chameleons’ in Precolonial Alexandria, 1840-1870 », Comparative Studies in Society and History, 55-2, 2013, p. 305-329CrossRefGoogle Scholar ; Marglin, Jessica M., Across Legal Lines: Jews and Muslims in Modern Morocco, New Haven, Yale University Press, 2016, p. 50CrossRefGoogle Scholar et 148-149.

142 W. Hanley, Identifying with Nationality…, op. cit. Ironiquement, le principe de nationalité triompha après la Première Guerre mondiale, mais sous une forme que Mancini et Pierantoni n’avaient pas envisagé dans leurs travaux en droit international privé. Le principe de nationalité en faveur duquel Mancini avait pris parti durant sa carrière universitaire connut son apogée au cours de la décennie du procès Samama. À la fin du xixe et au début du xxe siècle, les juristes réalisèrent que des pays comme le Royaume-Uni et les États-Unis n’abandonneraient jamais le domicile comme critère décisif du droit international privé. Contrairement à l’idée défendue par Mancini d’un monde où tous les pays s’accorderaient sur les mêmes principes juridiques internationaux, le monde se divisa essentiellement entre les pays qui adhéraient au principe de nationalité et ceux pour qui primait le principe du territoire – une division qui demeure aujourd’hui. Voir A. Mills, « The Private History of International Law », art. cit., p. 41.

143 P. S. Mancini, Discorsi parlamentari…, op. cit., p. 580.

144 En effet, les affaires d’héritage soulèvent fréquemment des questions de nationalité. Comme l’explique W. Hanley, « When Did Egyptians Stop Being Ottomans… », art. cit., p. 104, « les jeux de nationalité débutent avec les morts ». Pour d’autres exemples, voir S. A. Stein, « Protected Persons… », art. cit. Voir également les procès qui entourent l’héritage d’Abraham Senior, un juif algérien mort dans la Jérusalem ottomane en 1845 (Aix-en-Provence, Archives nationales d’outre mer, France, Algerie, Oran, 3U/ 1), et le jugement de la Cour de cassation de Paris, daté du 19  août  1858 (Journal du Palais de Paris, 70, 1859, p. 64-65).