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Conceptions prénuptiales et développement du capitalisme dans la Principauté de Neuchâtel (1678-1820)*

Published online by Cambridge University Press:  25 May 2018

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Nous voulons étudier ici le phénomène des conceptions prénuptiales au XVIIIe siècle en fonction d'un certain nombre de facteurs — folklorique, juridique, religieux et, en dernière analyse, économique et social — sans lesquels il ne peut être compris à la fois dans son intensité et son évolution, et à l'égard desquels il fonctionne jusqu'à un certain point comme symptôme. Le cadre de l'étude est le village de Cortaillod, dans la Principauté de Neuchâtel, en Suisse romande.

L'étude démographique du village par la méthode des reconstitutions des familles révèle l'existence de conceptions prénuptiales en proportion appréciable. Durant la période 1678-1820, 748 mariages ont été célébrés à Cortaillod ; ils ont été suivis par 495 premières naissances, dont 155 correspondent à des conceptions prénuptiales, soit 31, 3%. Ce chiffre est nettement plus élevé que celui que l'on connaît généralement en France à la même époque ; en revanche, il est sensiblement voisin de certains taux anglais ou allemands.

Type
Histoire et Sexualité
Copyright
Copyright © Les Éditions de l’EHESS 1974

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Footnotes

*

Je remercie MM. Jean-Louis Flandrin (Paris) et Alfred Schnegg (Neuchâtel) qui ont bien voulu relire le manuscrit de cet article et me faire part de leurs observations.

References

1. Nous avons compté comme prénuptiales les conceptions ayant donné lieu à des naissances moins de huit mois révolus après le mariage. C'est là une définition étroite, qui a tendance à sous-estimer le phénomène. Les problèmes de méthode sont exposés dans P. E. H. HAÏR, «Bridai pregnancy in rural England in earlier centuries», Population Studies, 1966, pp. 233-243 et « Bridai pregnancy in earlier England further examined », ibid., 1970 pp. 59-70. Cf. aussi L. Henry, Intervalle entre le mariage et la première naissance. Erreurs et corrections », Population, 1972, pp. 261-284.

2. On trouvera un utile tableau des principaux taux de conceptions prénuptiales relevés à ce jour en Europe et en Amérique du Nord dans l'important article de E. Shorter, « Female Emancipation, Birth-control, and Fertility in European History », American Historical Review, juin 1973, pp. 605-640. Du même auteur : « Illegitimacy, Sexual Révolution and Social Change in Europe, 1750-1900 », Journal of Interdisciplinary History, octobre 1971, pp. 231-272.

3. Chiffres calculés d'après les tabelles de dénombrement de la juridiction de Cortaillod, 1750 et 1775-1815 (Archives de l'État de Neuchâtel).

4. Archives de l'État de Neuchâtel : Fonds de la Fabrique-Neuve de Cortaillod (1754-1820).

5. A. Dreyer, Les toiles peintes en pays neuchâtelois, Neuchâtel et Paris, 1923 ; D. Berthoud, Les indiennes neuchâteloises, Boudry, 1951.

6. Au 16 décembre 1818, 476 ouvriers sur les 621 qu'occupe alors la Fabrique-Neuve, habitent à Cortaillod (Archives de la commune de Cortaillod, K K I).

7. C'est le point de vue des contemporains, qui jugent ces effets pernicieux : « Les grands rassemblements d'hommes, et surtout de jeunes gens de tout sexe et de tout pays, n'ont jamais été l'école des moeurs », dit H. F. Henriod (Jusqu'à quel point les arts et le commerce peuvent-ils être exercés utilement dans ce pays ?, Neuchâtel, 1799, p. 29) ; même jugement chez M. Matthey-doret : « la décadence de l'agriculture a été suivie de celle des moeurs : l'une et l'autre tiennent à la même cause, je veux dire à l'introduction de l'industrie et des étrangers » (Essai descriptif sur la juridiction de Bevaix, Neuchâtel, 1801 p. 35).

8. La première correspond, pour Cortaillod, à un minimum de conceptions prénuptiales, la seconde à un maximum. Il est clair cependant que les périodes ainsi choisies ne préjugent qu'imparfaitement, pour les autres paroisses, de la tendance réelle de l'évolution.

9. Boudry compte 334 ouvriers en toiles imprimées en 1770, 590 en 1790, 367 en 1820. Bevaix, un peu moins d'une centaine durant la même période (Archives de l'État de Neuchâtel. Tabelles de dénombrement.)

10. Sur l'histoire de ces communes : E. Quartier-la-tente, Le Canton de Neuchâtel, 5 vol., Neuchâtel, 1897-1925.

11. C. D. Vaucher, Description topo graphique et économique de la mairie de Lignières, Neuchâtel, 1801, pp. 88 ss.

12. D. M. Allamand, Essai statistique sur la mairie des Verrières, Neuchâtel, 1831, pp. 71 ss.

13. Peter, Description topo graphique de la paroisse et du vallon des Ponts, Neuchâtel, 1806, pp. 35 ss.

14. Rousseau, J.-J., Correspondance générale, Ed. Dufour, Paris, 1928, t. IX , p . 16.Google Scholar

15. M. Burger, Trois versions d'une chanson de « veillée » en patois des montagnes neuchâteloises, Musée neuchâtelois, 1964, pp. 113-119.

16. Peter, op. cit., ibid.

17. D. M. Allamand, op. cit., ibid.

18. Kiltgang est un mot suisse-allemand, qui signifie « rendez-vous nocturne ».

19. K. R. V. Wikman, Die Einleitung der Ehe, Âbo, 1937. Sur la Suisse romande : pp. 249-251.

20. A. Van Gennep, Manuel du folklore français contemporain, t. 1, I, pp. 260-261.

21. A berdzi (Héberge) est un mot d'origine vaudoise. Aberdzao désigne à la fois le galant reçu nuitamment par la jeune fille, et le petit jupon « de chasteté » que mettait cette dernière lorsqu'elle recevait son galant. Cf. Glossaire du patois de la Suisse Romande, Neuchâtel et Paris, 1924 et ss., t. I, pp. 48-54.

22. J. F. Ostervald, Traité contre l'impureté, 3e édition, Bâle, 1748, pp. 128-129. Même condamnation du « commerce trop libre des jeunes gens de l'un et l'autre sexe » dans le Traité des sources de la corruption, Bâle, 1730, t. II, pp. 177-195.

23. S. de Chambrier, Description topographique de la mairie de Valangin, Neuchâtel, !795. pp. 103 ss.

24. Les critères de choix pour le garçon, précise Chambrier, ne sont pas la beauté de la fille. Ce qu'ils recherchent est, dans l'ordre : a) la fille la plus riche, b) la meilleure ouvrière, c) la plus économe, la plus laborieuse, la plus robuste. Cf. infra, pp. 000 et 000.

25. C. D. Huguenin, op. cit., ibid.

26. Les conditions requises pour la validité des fiançailles sont sévères : consentement des parents jusqu'à l'âge de 22 ans révolus, qualités physiques requises pour le mariage, absence de fiançailles précédentes encore en vigueur, parité de religion (mais non de confession) entre les fiancés, etc. Cf. H. F. Calame, Droit privé d'après la coutume neuchâteloise, Neuchâtel, 1858, pp. 302-312.

27. L'étude qui suit se fonde sur l'analyse de registres des Vénérables Chambres Matrimoniales de Neuchâtel et de Valangin. Ces deux chambres jugeaient essentiellement deux sortes d'affaires : les contestations à propos de promesses de mariage, et les demandes de divorce. Registres et dossiers de pièces annexes sont conservés aux Archives de l'État de Neuchâtel.

28. Voici à titre d'exemple la teneur des promesses échangées en 1743 par David Barbier et Marie-Madeleine Favre : « Moi soussigné David, fils de feu le sieur Abram Barbier, conseiller de Boudry, certifie et confesse d'avoir promis et engagé, promets et engage, comme je le fais par la présente, Marie-Madeleine fille de feu le sieur Jérémie Favre, docteur en médecine, et Esther Sandoz, sa mère, présente et agréante, savoir, qu'après quelque temps que j'ai fréquenté ladite Marie-Madeleine Favre, au sujet du mariage que je viens aujourd'hui de conclure par véritable et sincère amitié, c'est donc à ce sujet que je m'engage à ladite Marie-Madeleine Favre, fais et déclare les mêmes promesses, d'avoir et regarder d'ors en là [dorénaVant] ledit Barbier pour mon époux, m'engageant ici d'être sa fidèle épouse, enfin nous promettons l'un et l'autre de ne prendre ni ne faire aucune autre promesse ni engagement semblable avec aucune autre personne, c'est ce que nous déclarons ici sous notre signature et au lieu du serment…

A Boudry, le 24 avril 1741

signé : David Barbier, Marie-Mad. Favre. »

(Chambre matrimoniale de Neuchâtel, n novembre 1743.)

29. En 1734, par exemple, David Gaberel est condamné à verser à Marie-Madeleine Dessaules 600 livres faibles, plus une pension annuelle de 37 livres 6 gros pendant 15 ans. M. M. Dessaules avait demandé 1 500 livres « en dédommagement pour les souffrances qu'elle avait eues, non seulement en son honneur, mais aussi en mettant au monde un enfant » (Chambre matrimoniale de Valangin, 7 mai 1734.)

30. J. Boyve, Annales historiques du Comté de Neuchâtel et Valangin depuis Jules César jusqu'en 1722, Berne et Neuchâtel, 5 vol., 1854-1859, t. II, pp. 495-496. La plupart des coutumiers du xvnie siècle reprennent la substance de ce texte.

31. Bibliothèque de la Ville de Neuchâtel ; Ms A 519 : Coutumier de Neuchâtel, par J. F. Boyve, 3 vol. (fin du XVIIIe siècle), vol. I, pp. 147 ss.

32. J. F. Boyve, op. cit., pp. 139 ss.

33. Ainsi, dans le procès opposant Marie Jeanneret à Jean-Aimé Robert, les témoins certifient que ce dernier « conduisait Marie Jeanneret dans tous les bals », « qu'ils étaient ensemble dans toutes les veillées », et que lors d'une promenade ils l'ont vu « avoir longtemps sa main dans le sein de Marie Jeanneret ». Le tribunal reconnaîtra dans ce cas la réalité des promesses de mariage, mais les annulera, car J. A. Robert n'avait pas l'âge légal pour les contracter en l'absence de consentement paternel (Chambre matrimoniale de Neuchâtel, 24 octobre 1799). Autre affaire semblable, mais avec succès pour la demanderesse : Chambre matrimoniale de Valangin, 19 mars 1745, affaire Gretillat-Magnin.

34. En 1776, Jean-Pierre Eckard refuse d'épouser Catherine Griff, car il s'est aperçu, dit-il, qu'elle était considérée comme une prostituée. L'interrogatoire de plusieurs témoins corrobore ses affirmations : un hôtelier qui avait C. Griff à son service témoigne « qu'elle se levait de son lit pour rejoindre les étrangers logeant chez lui », et qu'une fois « il l'a trouvée sur l'escalier, tenant dans ses mains le membre d'un inconnu, sortant de sa culotte ». D'autres témoins confirment « qu'elle avait excité les passions lascives de plusieurs personnes, et ensuite les avait éteintes manuellement ». Un dernier enfin déclare que, comme plusieurs autres, il a eu commerce charnel avec elle, et « qu'elle remuait fort bien sous le cavalier ». Pourtant, C. Griff a gain de cause, prouVant que J. P. Eckard connaissait sa réputation au moment où il lui avait promis le mariage, et avait même déclaré à un témoin qu'à ses yeux « bon ménage valait mieux que pucelage », et que « pourvu qu'elle n'ait pas eu commerce charnel avec son père, il l'épouserait ». La Chambre matrimoniale ordonne donc la publication des bans (Chambre matrimoniale de Neuchâtel, 22 février 1776).

En re Vanche, Elisabeth Monnet et Louise Françoise Feynet sont déboutées de leurs demandes, et leurs enfants déclarés illégitimes, car elles avaient notamment participé à des « veillées un peu suspectes » en compagnie de plusieurs garçons, postérieurement aux promesses qu'elles affirmaient leur avoir été faites. (Chambre matrimoniale de Neuchâtel, 6 août 1772 et 24 septembre 1778.).

35. H. F. Calame, op. cit. p. 303.

36. Chambre matrimoniale de Neuchâtel, 24 octobre 1799.

37. Guillaume Farel, 1489-1565, Paris-Neuchâtel, 1930, p. 605 ss.

38. Chambre matrimoniale de Neuchâtel, 11 novembre 1743 : le délai fixé par le texte des promesses est de « deux ans environ ».

39. Lachenbruch, P. A., « Frequency and timing of intercourse : its relation to the probability of conception », Population Studies, 21, 1967, pp. 2331.CrossRefGoogle Scholar

40. Vincent, P., Recherches sur la fécondité biologique. Etude d'un groupe de familles nombreuses, Paris, 1961, pp. 143 ss.Google Scholar

41. Selon R. Braun, qui se fonde sur le témoignage de contemporains, un grand nombre de mariages, parmi les travailleurs à domicile de l'Oberland zurichois, étaient provoqués par une grossesse, et se seraient ultérieurement terminés, pour cette raison, par des divorces : R. Braun, Industrialisierung und Volksleben : die Verânderungen der Lebensformen in einem làndlichen Industriegebiet vor 1800. (Zùrcher Oberland), Erlenbach, Zurich et Stuttgart, i960, pp. 70-71. A Neuchâtel, on ne constate rien de tel : de 1801 à 1807, on compte pour toute la principauté 2 619 mariages et 44 divorces, soit seulement 1,6 % (Archives de l'État de Neuchâtel : Liste des sommaires de tous les enfants qui ont été baptisés, des mariages bénis, et des personnes enterrées dans toutes les paroisses de la Principauté de Neuchâtel et de Valangin, 1761-1815).

42. A la différence peut-être de certaines régions françaises, pour lesquelles J. L. Flandrin a envisagé cette hypothèse : J. L. Flandrin, « Mariage tardif et vie sexuelle : discussions et hypothèses de recherches », Annales, 1972, n° 6, pp. 1351-1378. Étude des cas de Tamerville, en Normandie, et de Grenoble, pp. 1373 ss.

43. J. Boyve, op. cit., t. II, p. 496.

44. J. Boyve, op. cit., t. III, p. 125.

45. Publiée par F. Clerc, La discipline des églises de la souveraineté de Neuchâtel et Valangin (iyi2), Neuchâtel, 1959.

46. Rectifié en surcharge « 5 » dans un autre manuscrit (note de F. Clerc).

47. C. D. Vaucher remarque, à propos de Lignières, qu'il n'y a eu que quatre enfants illégitimes de 1789 à 1800. Sur ces quatre, « un seul a été conçu dans le lieu. Encore appartenait-il à une fille non sujette de l'État » (op. cit., ibid.).

48. Le reste du canton a également connu des transformations économiques : les industries à domicile de la dentelle et de l'horlogerie se sont fortement développées dans le Val-de-Travers et les Montagnes. Les villages restés agricoles eux-mêmes ont subi les contrecoups de la révolution industrielle : l'évolution des prix, ou des structures de l'emploi, s'inscrivent — au moins — dans un cadre cantonal. C'est néanmoins dans le Vignoble que l'industrialisation s'est présentée sous sa forme la plus radicale, puisqu'en quelques décennies ont été créés 1 500 emplois en fabrique, dans une région qui ne comptait encore, en 1750, qu'environ 2 000 habitants.

49. Cortaillod compte 33 étrangers sur 521 habitants en 1750, 221 sur 839 en 1780, 443 sur 1077 en 1815 (Archives de l'État de Neuchâtel. Tabelles de dénombrement).

50. Il faut cependant souligner que l'origine (au sens helvétique du terme) ne correspond pas forcément au lieu de naissance, même au XVIIIe siècle.

51. Cortaillod est l'un des rares villages à avoir connu jusqu'au début du XVIIIe siècle une institution curieuse, celle des « garde-vices », chargés de la surveillance des moeurs. Cf. J. Courvoisier, Une fonction disparue, celle de garde-vices, Musée neuchâtelois, 1965, pp. 44-47.

52. Sur 355 titres relevés au total, 187 sont ceux de « bourgeois ». Le titre de bourgeois de Boudry, Neuchâtel et/ou Valangin n'est pas forcément significatif d'un statut économique déterminé, puisque tous les communiers de ces trois villes en étaient par là même « bourgeois ». Cependant, les communiers d'autres villages, qui désiraient obtenir les aVantages juridiques ou financiers attachés à ce titre pouvaient se faire recevoir bourgeois de ces trois villes, moyennant finances. La somme d'argent exigée était variable, mais suffisamment forte pour réserver l'accession à une minorité de gens riches. Dans ces conditions, on peut s'attendre à trouver parmi les conjoints qualifiés de « bourgeois » une proportion plus forte que la normale de paysans aisés, de propriétaires, de négociants, ou de membres de professions libérales.

Les titres de justiciers (72), auxquels nous avons adjoint ceux, plus rares, de greffiers, jurés, conseillers et notaires (soit au total 83) appartiennent plus spécifiquement à la bourgeoisie rurale, les membres des cours de justice étant recrutés parmi les plus riches et les plus instruits de chaque village.

Les anciens d'église (46) formaient, autour du pasteur, le consistoire admonitif de chaque paroisse, chargé notamment de la police des moeurs. Eux aussi se recrutent surtout dans la bourgeoisie rurale, mais le facteur spécifiquement religieux joue un rôle important pour expliquer leur comportement. Nous avons donc adjoint à ce groupe les pasteurs (3) et les régents (8).

La dernière catégorie (28 titres relevés) regroupe les représentants du gouvernement central dans les diverses circonscriptions civiles et militaires de la principauté (maires, châtelains, lieutenants, capitaines, majors, etc.). Ils appartiennent à la fraction supérieure de la bourgeoisie neuchâteloise, qui vit par ailleurs du revenu de ses terres ou du négoce.

53. A Cortillod, sur 264 notables qui se marient de 1721 à 1820, 140 le font entre eux. Sur ces 264, 144 sont des hommes, et 120 des femmes. Comme il y a eu, durant cette période, 551 mariages au total, cela signifie qu'une femme n'a théoriquement que 26 % de chances d'épouser un notable, alors que, si elle est elle-même fille de notable, ses chances objectives s'élèvent à 58 %. Pour les hommes, les chiffres sont respectivement de 22 % à 48 % soit, là encore, des chances objectives plus de deux fois supérieures aux chances théoriques.

54. Sur les stratégies matrimoniales dans la France contemporaine : P. Bourdieu, « Célibat et condition paysanne », Études rurales, 5-6, 1962, pp. 32-135, et « Les stratégies matrimoniales dans le système de reproduction », Annales, 1972, 4-5, pp. 1105-1125. Sur l'évolution de ces stratégies dans l'Oberland Zurichois au xvme siècle : R. Braun, op. cit., chap. 11 : « Wandel des Familien- und Bevôlkerungstruktur in den Industriegebiet», pp. 59-89.

55. Pour remédier aux conséquences de « défaillances individuelles », les coutumiers, ainsi que les chambres matrimoniales, tenaient bien compte du facteur social dans les affaires de promesses de mariage. Ainsi, J. F. Boyve souligne que « la confession que fait un jeune homme d'avoir rendu la fille enceinte est une chétive preuve de mariage, vu que l'on peut avoir quelque commerce avec elle sans intention de mariage, et sans même en avoir parlé, surtout quand la fille n'est pas d'une condition égale à celle du galant… » (J. F. Boyve, op. cit., pp. 139 ss.).

56. Les études sur la France contemporaine confirment cette similitude : les conceptions prénuptiales connaissent leur taux le plus élevé à la fois chez les salariés agricoles (22 %) et les ouvriers de l'industrie (20 %) ; les taux les plus bas se trouvent à la fois chez les cultivateurs (9 %) et les cadres supérieurs (5 %). Chiffres cités par A. Girard, Une enquête psycho-sociologique sur le choix du conjoint dans la France contemporaine, Paris, 1964, p. 167. Cf. aussi les résultats de l'étude de P. Vincent, op. cit., p. 132.

57. Les salaires des ouvriers qualifiés de la Fabrique-Neuve de Cortaillod étaient au moins égaux aux revenus des petits paysans du Vignoble. Vers 1780, les dessinateurs et graveurs gagnaient généralement plus de 500 L, les imprimeurs plus de 400 L (1 livre neuchâteloise = 1,42 livre de France). De plus, le processus de fabrication dans la fabrique, nécessitant l'emploi simultané d'hommes, de femmes et d'enfants en proportion à peu près égale, rendait possibles de très hauts salaires familiaux, supérieurs parfois à 1 000 ou 1 500 livres. Quant à la sécurité de l'emploi, elle était considérable, les ouvriers de toutes catégories restant, en moyenne, plus de 25 ans à la fabrique (Archives de l'État de Neuchâtel, fonds de la Fabrique-Neuve. Grands Livres, Livres pour les ouvriers, 1754-1820.)

58. En 1813, la fortune mobilière et immobilière des habitants de Cortaillod était estimée à 1 650 000 L, dont 500 000 L pour la seule famille Du Pasquier, propriétaire de la Fabrique-Neuve. Cette même année, la masse des salaires versés par la Fabrique-Neuve se montait à 110 944 L. En capitalisant cette somme a 5 %, ou même 10 %, on obtient un chiffre supérieur à celui du patrimoine de toute la paysannerie du village (Archives de la Commune de Cortaillod, P P, p. 15 ; Fonds de la Fabrique-Neuve, Grand-Livre, 1813).