Il serait vain d'énumérer ici les érudits sortis de l'École des Chartes qui ont contribué à l'élaboration de l'histoire économique et sociale. De Benjamin Guérard à Mr Ferdinand Lot, en passant par Léopold Delisle ou P. Guilhiermoz, ils sont légion. Actuellement, aux Archives Nationales et dans les dépôts départementaux, un certain nombre de savants, isolément ou en liaison avec des institutions officielles ou privées, françaises ou étrangères, ont entrepris des dépouillements considérables, collaboré à des enquêtes délicates, proposé des conclusions importantes en matière économique. Dans cet effort intéressant, peut-être convient-il de faire une place à la Direction des Archives, qui, ne bornant pas sa fonction à la simple administration d'un service national, se préoccupe d'apporter une aide fructueuse à l'entreprise générale de l'historiographie française. Qu'il s'agisse des actes de Philippe-Auguste, des ordonnances des rois de France, ou des Cahiers des États généraux de 1789, l'action de la Direction des Archives se révèle éminemment utile.

« Peut-on travailler en province ? » Dans une jolie conférence toute pénétrée des réminiscences, du vieux Tréguier, où de bons prêtres, naguère, lui avaient révélé la dignité du travail intellectuel, Renan un jour se posa cette question. Naturellement il répondait : oui ; et il avait bien raison Encore faut-il que l'on veuille bien, par diverses facilités, s'abstenir de rendre la tâche trop rude. L'un de nous, dernièrement, sollicitait d'une grande bibliothèque parisienne, en faveur de la bibliothèque — « nationale » elle aussi — de sa résidence, le prêt d'un manuscrit. Avec une ironie certainement involontaire, l'institution intéressée le remit à « son prochain voyage à Paris ». Le problème que soulève cette petite mésaventure dépasse, en portée, l'horizon proprement provincial. Car il arrive, cela va de soi, que des chercheurs parisiens soient, à leur tour, obligés de faire appel aux dépôts des départements.

Du livre de Mr André Gibert sur la Porte de Bourgogne et d'Alsace — ce qu'au temps de ma jeunesse, nous nommions la «Trouée de Belfort” — je vais essayer de parler sans faveur. J'y aurai quelque peine. C'est qu'il traite d'une contrée que je connais, en historien, et dont les destinées m'intéressent toujours ; il s'appuie du reste volontiers sur telle ou telle de mes études franccomtoises, en rectifie parfois les données, souvent les confirme en les ajustant pour ainsi dire au sol. Il représente le premier livre sérieux, solide et fin, le premier vrai livre de géographe qui se soit proposé de traiter avec ampleur d'une partie de ce complexe qu'est la Franche-Comté. Et il me plaît qu'en la personne de Mr Gibert la géographie, pour début, soit allée droit, et comme d'instinct, à ce seuil historique, à ce couloir vital dont j'ai pu dire, avec quelque excès peut-être — mais précisément, le livre de Mr Gibert fait la mise au point — qu'il était, en définitive, la raison d'être de la « province».

Lorsque Mr André Siegfried, si étroitement associé, dès le début, à notre effort, nous a adressé, sur notre demande, son livre, son beau livre — pourquoi reculer devant l'épithète ? elle est dans toutes les bouches — sur la « crise britannique », un problème, au visage familier, s'est posé à nous : quel collaborateur prier de présenter l'ouvrage ? A vrai dire, nous n'avons guère hésité. Un Français ? Non pas. Mais, bien plutôt, dans une revue comme la nôtre, « de direction nationale, d'esprit international », un économiste qui appartînt au pays même dont le grand drame présent était décrit — et jugé — avec tant de franchise à la fois et de sympathie. Certes, nous le savions bien, le livre, parce qu'il porte le scalpel dans des chairs vivantes, parce qu'il est bien loin, lui-même, d'une indifférence glacée, devait forcément appeler, du côté que nous avons choisi, moins un simple compte rendu qu'une riposte. Nous avons dit : tant mieux. C'est l'honneur des controverses intellectuelles que de ne pas souffrir les réticences. Cette réponse, Mr J.-H. Clapham, de Cambridge, a bien voulu s'en charger. Avec quelle compétence : tant de travaux justement estimés — son étude comparée sur les économies française et anglaise notamment et cette excellente histoire économique de l'Angleterre au XIXe siècle, qu'il édifie pierre à pierre — nous en étaient à l'avance, les sûrs garants. Avec quel talent; il faut laisser aux lecteurs le plaisir de le découvrir. Le débat est grave; donnons la parole à la réplique.