Dans la seconde moitié du XXème siècle, le soutien à l'indépendance du Québec a connu de grandes variations dans le temps, atteignant son apogée au début des années 1990, lors d'une crise constitutionnelle comme le Canada n'en avait jamais connu. Si le projet indépendantiste a été porté par la jeunesse québécoise des années 1960 et 1970 – les jeunes baby-boomers –, on peut se demander si ce projet a continué à être porté par cette génération qui mûrissait, et s'il a ensuite été soutenu par les nouvelles générations de Québécois et QuébécoisesFootnote 1 qui ont suivi (Langlois, Reference Langlois, Binette and Taillon2018). De même, le Parti québécois (PQ), le véhicule politique que René Lévesque avait créé pour atteindre l'objectif de l'indépendance du Québec, a connu une ascension régulière suivie d'une période longue, mais soutenue de déclin électoral, ce qui a incité certains à le considérer comme un « parti générationnel » qui a principalement reçu le soutien de la cohorte des baby-boomers (Lemieux, Reference Lemieux2011).
L'indépendance du Québec a-t-elle été le projet d'une seule génération, à un moment donné de l'histoire? Ou est-elle devenue le projet de toute une nation? De même, le destin électoral du PQ est-il lié au déclin, et éventuellement à la disparition, d'une génération spécifique? Ces questions commencent à retenir l'attention dans la littérature scientifique sur les générations et le nationalisme dans le contexte québécois (e.g., Mahéo et Bélanger, Reference Mahéo and Bélanger2018; Dufresne et al., Reference Dufresne, Tessier and Montigny2019; Vallée-Dubois et al., Reference Vallée-Dubois, Dassonneville and Godbout2020). Cela dit, la disponibilité limitée de données longitudinales sur l'opinion publique concernant à la fois l'indépendance et, surtout, le soutien aux partis politiques a eu tendance à limiter les recherches antérieures. La nécessité de réexaminer ces questions de manière empirique est également stimulée par la récente multiplication des partis politiques au Québec. En effet, le fait d'avoir jusqu’à trois partis concurrents nationalistes – la Coalition avenir Québec (CAQ) et Québec solidaire (QS) rejoignant le PQ à l'extrémité nationaliste de l’échiquier politique – complique le tableau. Cela soulève la question de savoir si chacun de ces partis représente des courants différents de nationalisme qui attirent des groupes générationnels spécifiques. Enfin, nous pouvons noter que nous ne savons pas encore si d'autres indicateurs du nationalisme, tels que les sentiments d'identité et d'attachement au Québec et au Canada, révèlent eux aussi une quelconque dynamique générationnelle.
Pour ces diverses raisons, il est opportun de réexaminer le lien entre les générations et le nationalisme au sein de la population québécoise du début du XXIème siècle. À l'aide des données d'opinion publique des six dernières Études électorales québécoises (de 2007 à 2022), nous explorons comment le soutien à l'indépendance du Québec et aux partis nationalistes (la CAQ, QS et le PQ), ainsi que les sentiments d'identité nationale (l'attachement au Québec, l'attachement au Canada et une mesure de l'identité imbriquée), ont évolué parmi les différentes générations au cours des 15 dernières années. Plus précisément, nos analyses visent à mettre en lumière les sources de ces variations liées aux cohortes, en examinant les effets de cohortes nets des effets de cycle de vie et de période. Avant de présenter les données que nous utilisons et les résultats empiriques obtenus, nous offrons d'abord un aperçu de l’état de la littérature scientifique sur la relation entre les générations et les attitudes et comportements nationalistes dans le cas du Québec.
Les générations à travers les contextes politiques
Les attitudes et comportements politiques des individus sont façonnés à la fois par le contexte de leur jeunesse et par leur contexte politique contemporain. La socialisation politique postule que les acteurs-clés de l'enfance et les événements durant l'adolescence d'un individu façonnent son développement politique et conditionnent ses attitudes et ses comportements politiques à l’âge adulte (Beck et Jennings, Reference Beck and Jennings1982; Klecka, Reference Klecka1971). La famille est considérée comme le principal lieu d'apprentissage politique, puisque les parents transmettent leurs valeurs politiques à leurs enfants et jouent un rôle de modèles politiques, ce qui tend à expliquer certaines ressemblances attitudinales entre les générations (Jennings et Niemi, Reference Jennings and Niemi1968; Jennings et al., Reference Jennings, Stoker and Bowers2009; Neundorf et al., Reference Neundorf, Smets and Garcia-Albacete2013). Mais l'apprentissage politique se poursuit au-delà de l'adolescence, durant la jeunesse et le début de l’âge adulte – ce que l'on appelle aussi les années impressionnables –, et les individus sont alors influencés par leur contexte politique et des événements sociétaux contemporains (Jennings, Reference Jennings2002; Johnston, Reference Johnston1985). Comme les individus d'une même cohorte de naissance sont socialisés dans un contexte sociopolitique similaire et partagent des expériences communes d’événements politiques au cours de leurs années formatives, ils ont tendance à développer des attitudes politiques distinctes de celles des autres cohortes de naissance. En période de changements sociétaux rapides et intenses, les individus sont plus susceptibles de développer une conscience commune et des orientations politiques particulièrement distinctes, donnant naissance à une génération politique (Mannheim, Reference Mannheim and Kecskemeti1952).
Ainsi, à chaque moment dans l'Histoire, les citoyens présentent certaines des valeurs et des attitudes héritées de leurs parents, mais ils portent aussi l'empreinte des valeurs et des attitudes dominantes de leur époque sociopolitique. Ceci explique donc que l'on dénote à la fois une certaine continuité, mais aussi des changements et différences, dans les orientations sociales et politiques d'une génération à l'autre.
Au Québec, aujourd'hui, il y a principalement trois générations qui participent aux élections : les baby-boomers (nés entre 1940 et 1959), la génération X (née entre 1960 et 1979) et les millénariaux (nés entre 1980 et 1995) – en plus de la génération silencieuse qui est aujourd'hui assez âgée et sur le déclin (née entre 1900 et 1939) et de la génération Z qui débute sa carrière politique (née après 1995) (Gélineau, Reference Gélineau2015; Mahéo et Bélanger Reference Mahéo and Bélanger2018).
Compte tenu de l’évolution sociopolitique du Québec, il semble indéniable que le processus d’éveil nationaliste, qui a accompagné la Révolution tranquille et la création du mouvement et du parti indépendantistes de Lévesque dans les années 1960 (Balthazar, Reference Balthazar2013), a conduit les membres de la génération des baby-boomers québécois à développer des sentiments nationalistes intenses qui les ont habités durant la majeure partie de leur vie (Ricard, Reference Ricard1992; Guay, Reference Guay1997). La résurgence des tensions constitutionnelles au début des années 1990 lors de la débâcle de l'Accord du lac Meech et, dans une moindre mesure, au milieu des années 2000 lors du scandale des commandites (Yale et Durand, Reference Yale and Durand2011) pourrait avoir joué un rôle de socialisation similaire pour les cohortes qui ont atteint l’âge adulte à ces époques. Bien que la littérature existante indique que de tels effets générationnels se sont produits, nous verrons dans cette section que cette littérature reste néanmoins incomplète et limitée d'un point de vue méthodologique.
Les générations et le soutien à l'indépendance
Les différences générationnelles qui sous-tendent le soutien des citoyens québécois à l'indépendance politique ont été examinées dans plusieurs études d'opinion publique. Étant donné que la montée de cet enjeu a été étroitement liée à l'arrivée de René Lévesque et du Parti québécois sur la scène politique, il n'est pas surprenant de constater que les baby-boomers, en tant que génération, ont le plus embrassé l'indépendance en comparaison aux autres cohortes, tout comme ils ont adhéré au PQ en plus grand nombre que les Québécois plus âgés. Le fait d'avoir atteint l’âge adulte durant la période d'effervescence nationaliste qui a accompagné la Révolution tranquille a donc rendu cette cohorte d'individus plus orientée vers des valeurs progressistes et postmatérialistes (Martin, Reference Martin1994; Piroth, Reference Piroth2004) et plus enthousiaste à l’égard de l'objectif révolutionnaire de faire du Québec un pays indépendant (Lazure, Reference Lazure1970; Chartier, Reference Chartier2019). Cette situation a amené, par exemple, Latouche (Reference Latouche1985 : 245) à parler du « mariage du nationalisme et de la jeunesse québécoise » de cette époque.
Les premières études sur le sujet ont en effet montré que le soutien à l'indépendance dans les années 1970 et 1980 était généralement plus élevé chez les jeunes (Blais et Nadeau, Reference Blais, Nadeau and Crête1984b; Pinard, Reference Pinard and Baer2002). Toutefois, une modélisation APC plus sophistiquée a révélé par la suite que ces premiers résultats reflétaient vraisemblablement un effet de cohorte provoqué par les baby-boomers (Vallée-Dubois et al., Reference Vallée-Dubois, Dassonneville and Godbout2020). Les analyses de l'opinion publique de Guay (Reference Guay1997 : 90) suggéraient que la génération suivante – la génération X – était presque aussi favorable à l'indépendance que les baby-boomers, mais des études plus récentes indiquent qu'aucun effet de cohorte de ce type ne peut en fait être observé pour la génération X (Dufresne et al., Reference Dufresne, Tessier and Montigny2019; Vallée-Dubois et al., Reference Vallée-Dubois, Dassonneville and Godbout2020). Ces résultats suggèrent que le fait d'avoir atteint l’âge adulte pendant les luttes constitutionnelles du début des années 1990 n'a pas amené les membres de la génération X à soutenir l'indépendance de manière durable.
Une étude plus fine utilisant les cohortes d'années de naissance – une procédure rendue possible par le grand nombre d'observations individuelles recueillies (plus de 130 000) – a mis en évidence un effet de génération plus récent au Québec (Dufresne et al., Reference Dufresne, Tessier and Montigny2019). Cette étude a en effet montré que le soutien à l'indépendance du Québec est plus important chez les individus nés entre 1986 et 1995. Bien que statistiquement significatif, cet effet de cohorte n'est pas aussi important que celui observé pour les baby-boomers. Cela dit, les auteurs attribuent cette poussée générationnelle du soutien à l'indépendance au scandale des commandites qui a entaché l'opinion des Québécois à l’égard du gouvernement fédéral libéral au milieu des années 2000. Bien que cet effet de cohorte soit intrigant et semble confirmé par Langlois (Reference Langlois, Binette and Taillon2018), il faut noter qu'aucune de ces études n'utilise la modélisation APC pour l'estimer. Ainsi, pour récapituler, nous nous attendons à trouver un effet de cohorte relatif aux baby-boomers lorsque nous examinons le soutien à l'indépendance comme variable dépendante, et peut-être un effet de cohorte légèrement plus faible associé aux membres de la génération des millénariaux.
Au-delà de ces tendances générationnelles, des études existantes ont également montré la présence d'un effet de cycle de vie dans le soutien à l'indépendance : après avoir contrôlé pour les effets de cohortes, les jeunes Québécois sont systématiquement plus favorables à l'indépendance que les Québécois plus âgés (Dufresne et al., Reference Dufresne, Tessier and Montigny2019; Vallée-Dubois et al., Reference Vallée-Dubois, Dassonneville and Godbout2020). Ce profil de cycle de vie dans le soutien à l'indépendance rend cette variable dépendante distincte de celle du soutien au PQ, pour laquelle aucun effet de cycle de vie n'est observable au fil des ans. Comme l'ont souligné Cloutier et ses collègues (Reference Cloutier, Guay and Latouche1992 : 121) : « Que ce soit en 1970, en 1975, en 1980 ou en 1990, les jeunes ont toujours eu un faible pour cette option » (voir aussi Piroth, Reference Piroth2004). Bien que nous nous attendions à trouver un effet de cycle de vie similaire dans notre analyse de données, nous nous gardons néanmoins de prédire une augmentation mathématique dans le temps du soutien à l'indépendance, qui proviendrait du remplacement des générations plus âgées par des générations plus récentes, toujours plus favorables à cette option constitutionnelle. Comme l'indique la littérature analysée ci-dessus, il y a un mélange d'effets de cycle de vie et de cohorte à l’œuvre, en plus d'effets de période, qui peuvent contrecarrer cette hypothèse mathématique (à ce sujet, voir également Durand, Reference Durand and Gagnon2008 : 40–44). Par ailleurs, on peut noter que Langlois (Reference Langlois, Binette and Taillon2018 : 72) observe ce qu'il appelle une disparition d'un effet de cycle de vie après 2011 dans le soutien à l'indépendance.
Les générations et les sentiments nationalistes
Contrairement au choix de vote et au soutien à l'indépendance, on en sait beaucoup moins sur la relation entre les générations et d'autres mesures d'attitudes nationalistes au Québec. Une étude clé sur la mesure de l'opinion publique quant aux sentiments nationalistes au Québec est celle de Mendelsohn (Reference Mendelsohn2002), mais elle ne ventile pas ces sentiments par âge ni par cohortes. Cependant, elle présente trois mesures importantes de ces sentiments nationalistes que nous examinerons plus en détail dans notre étude. Ces mesures sont les degrés d'attachement au Québec et au Canada, ainsi qu'une échelle de cinq points d’« identité imbriquée », inspirée des travaux sur les cas catalan et écossais (Linz et al., Reference Linz, Gómez-Reino, Orizo and Vila1981; Moreno, Reference Moreno, McCrone and Brown1988), et adaptée au cas du Québec pour mesurer dans quelle mesure un individu s'identifie comme un Québécois et/ou un Canadien.
Les quelques études empiriques qui existent sur l'aspect générationnel des sentiments nationalistes des Québécois présentent des résultats qui indiquent des différences significatives entre les cohortes. Certains auteurs ont démontré que les membres de la cohorte des baby-boomers ont été les premiers à s'identifier principalement comme « Québécois », rapidement suivis par ceux de la génération X (Latouche, Reference Latouche1985; Guay, Reference Guay1997 : 84). En outre, parmi les Canadiens francophones (principalement du Québec) interrogés au début des années 1990, les baby-boomers et les membres de la génération X se sont révélés beaucoup moins attachés au Canada que ne l’étaient les personnes nées avant la Deuxième Guerre mondiale, tandis que les niveaux d'attachement au Québec ne variaient pas de manière significative d'un groupe d’âge à l'autre (Martinez, Reference Martinez, Craig and Bennett1997 : 153). Il convient toutefois de noter qu'aucune de ces études n'a évalué les effets de cohorte à l'aide d'un modèle APC. Pour leur part, les études qualitatives récentes basées sur des groupes de discussion tendent à démontrer que l'ouverture à la diversité ethnoculturelle au Québec est plus grande chez les millénariaux (Côté, Reference Côté2016; Turgeon et Bilodeau, Reference Turgeon and Bilodeau2021), ce qui amène ces citoyens à se sentir moins insécurisés par rapport à leur identité québécoise que les groupes plus âgés.
L'identité et l'attachement sont des mesures de l'opinion publique intéressantes et pertinentes à examiner ici, car elles reflètent une dimension différente, plus répandue et peut-être plus stable des inclinaisons nationalistes d'une personne, que le choix de vote ou le soutien à l'indépendance. Elles représentent des sentiments profondément ancrés que les acteurs politiques et les partis politiques tentent de mobiliser et de politiser – parfois même de stimuler – d'une manière ou d'une autre (Anderson, Reference Anderson1983; Smith, Reference Smith2009). Cette dynamique entre les acteurs politiques et les citoyens est une caractéristique centrale – certains pourraient même dire constante – de la politique des nations minoritaires (par exemple, Bélanger et al., Reference Bélanger, Nadeau, Henderson and Hepburn2018; Pinard, Reference Pinard2020). De plus, l'identité et l'attachement sont généralement considérés comme des moteurs du soutien à l'indépendance, bien que ces attitudes soient loin de le déterminer complètement (Pinard, Reference Pinard, Phillips Davison and Gordenker1980; Blais et Nadeau, Reference Blais and Nadeau1992; Bélanger et al., Reference Bélanger, Nadeau, Henderson and Hepburn2018 : 129).
Nos attentes concernant les effets de cohorte pour les sentiments d'identité et d'attachement sont assez simples. Comme pour le soutien à l'indépendance, nous nous attendons à ce que les baby-boomers se distinguent le plus sur ces questions attitudinales parce qu'ils ont atteint l’âge adulte au début de la Révolution tranquille. Cette période de la politique québécoise a non seulement favorisé l’émergence de sentiments nationalistes dans la société en général, mais aussi le développement d'un État-providence provincial plus étendu et « distinct » (Béland et Lecours, Reference Béland and Lecours2008). Les avantages et la satisfaction tirés de politiques sociales plus spécifiquement québécoises – distinctes des régimes de politiques publiques en vigueur dans les autres provinces canadiennes – sont susceptibles de renforcer les sentiments de solidarité territoriale et, par conséquent, l'auto-identification en tant que Québécois et l'attachement au Québec, et d'affaiblir l'attachement au Canada. Une partie de cet effet institutionnel peut avoir persisté dans le temps, socialisant les cohortes ultérieures de Québécois de la même manière, bien que son influence sur les sentiments nationalistes soit susceptible d'avoir diminué chez les générations X et des millénariaux qui ont atteint l’âge adulte au cours d'une période de restructuration de l’État, après une série de ralentissements économiques.
Les générations et le soutien aux partis nationalistes
Le lien entre les cohortes d’âge et le soutien aux partis au Québec a été étudié en profondeur par Lemieux (Reference Lemieux2011). Dans son étude, Lemieux soutient que le Québec a connu trois partis générationnels au fil des ans. Le Parti libéral du Québec (PLQ) a été soutenu à la fin du XIXème siècle par toute une génération d’électeurs profondément mécontents du Parti conservateur fédéral de John A. Macdonald et de sa gestion de l'affaire Louis Riel. Au cours des années 1930, un deuxième parti générationnel émerge, l'Union nationale (UN) de Maurice Duplessis, qui bénéficie du soutien des électeurs de droite et des jeunes partisans anciennement libéraux qui veulent se distancer du PLQ et de son image de corruption. Le troisième parti générationnel est le PQ, dont le succès électoral reposait sur le soutien des nombreux baby-boomers favorables à l'indépendance du Québec.
Cette caractérisation de la base électorale du PQ est cohérente avec plusieurs analyses ayant démontré que l'appui au PQ à ses débuts était le plus fort parmi la plus jeune cohorte d’électeurs, soit les individus nés au cours des années 1940 et 1950 (Hamilton et Pinard, Reference Hamilton and Pinard1976; Pinard et Hamilton, Reference Pinard and Hamilton1978; Blais et Nadeau, Reference Blais, Nadeau and Crête1984a). Des études ultérieures sur la clientèle péquiste ont montré que les baby-boomers continuaient à soutenir le parti en grand nombre, tout comme les membres de la génération X – les personnes nées dans les années 1960 et 1970 – mais dans une moindre mesure (Blais et Crête, Reference Blais and Crête1986; Nadeau et Bélanger, Reference Nadeau, Bélanger and Boily1999). Des études plus récentes tendent à montrer que la génération suivante des millénariaux – les individus nés après 1980 – a soutenu le PQ en nombre nettement inférieur à celui des Baby-boomers et de la génération X (Mahéo et Bélanger, Reference Mahéo and Bélanger2018; Bélanger et Mahéo, Reference Bélanger and Mahéo2020; Daoust et Jabbour, Reference Daoust and Jabbour2020).
Bien que la tendance générationnelle derrière le soutien électoral au PQ semble assez claire, il faut noter qu'aucune de ces études n'a tenté de démêler les effets de cohorte, des effets d’âge, et de période par le biais de la modélisation APC, comme nous visons à le faire ici. De plus, les travaux sur les préférences électorales des générations au Québec se sont concentrés presque exclusivement sur le soutien au PQ, au détriment des autres partis politiques. Cela est certes compréhensible, mais quelque peu problématique étant donné l’éclatement actuel du système de partis de la province (Bélanger et al., Reference Bélanger, Daoust, Mahéo and Nadeau2022). En plus du PQ indépendantiste, nous avons maintenant un parti qui se présente comme fédéraliste, mais qui est clairement nationaliste dans ses orientations politiques (la CAQ), et un autre parti qui est en faveur de l'indépendance du Québec, mais qui ne met pas cette option constitutionnelle comme la première priorité de sa mission politique comme le fait le PQ (QS) (Bélanger et al., Reference Bélanger, Nadeau, Henderson and Hepburn2018). De plus, ces partis ont des positions clairement distinctes sur la dimension gauche-droite de la politique. Alors que la CAQ est clairement un parti de droite et QS un parti de gauche, le PQ a oscillé – au fil des ans – entre des positions de gauche et de droite, mais s'est positionné plus à gauche du spectre politique lors des deux dernières élections. Dans un environnement électoral aussi compétitif, quelle est la force de la relation entre les générations et les partis nationalistes?
Nous nous attendons à ce que les baby-boomers, en tant que génération initiale ayant aidé le Parti québécois à émerger et à s’établir dans le système de partis et ayant été socialisée pendant la poussée nationaliste de la période de la Révolution tranquille, continuent d’être la cohorte la plus étroitement associée au PQ. Nous nous attendons également à ce que la CAQ séduise le plus les membres de la génération X, qui ont atteint l’âge adulte pendant la crise constitutionnelle des années 1990 et sont donc devenus nationalistes sans nécessairement développer un attachement aussi fort au PQ que les baby-boomers. Les membres de la génération X sont également plus conservateurs dans leurs préférences politiques (Mahéo et Bélanger, Reference Mahéo and Bélanger2018), ce qui peut également contribuer à leur plus grand soutien à la CAQ, un parti de droite. Enfin, nous nous attendons à ce que le soutien de QS soit le plus fort parmi les millenniaux, dont beaucoup sont arrivés à l’âge adulte pendant une période de démobilisation du mouvement indépendantiste. Les plus jeunes de cette cohorte ont également été socialisés au moment de la crise du « Printemps érable », durant laquelle les étudiants universitaires ont fait la grève et ont défilé dans les rues pendant des mois pour protester contre la hausse des frais de scolarité de l'enseignement postsecondaire (Dufour et Savoie, Reference Dufour and Savoie2014). Comme cette crise n'avait pas grand-chose à voir avec la question nationale, cela signifierait que l'attachement générationnel – s'il y en a un – derrière l'appui à QS n'est probablement pas lié à la position indépendantiste du parti, mais plutôt à sa position interventionniste forte sur l'axe économique gauche-droite (Daoust et Jabbour, Reference Daoust and Jabbour2020; Bélanger et al., Reference Bélanger, Daoust, Mahéo and Nadeau2022).
Données et méthodologie
Les analyses présentées dans cette étude sont basées sur six sondages électoraux. Tous ces sondages ont été réalisés par la firme Léger Marketing, dans les semaines suivant chaque élection provinciale québécoise, entre 2007 et 2022. Chacun de ces six sondages contient entre 1 200 et 2 800 répondants, qui sont tous majeurs, citoyens canadiens et résidents du Québec. Tous ces répondants sont ici combinés en un seul ensemble de données pour réaliser l'analyse longitudinale. Toutes les analyses quantitatives présentées ci-dessous incluent un minimum de 6 300 répondants, et jusqu’à 9 100 répondants, en fonction de la variable dépendante considérée et du nombre d'années au cours desquelles elle a été mesurée (voir l'Annexe).
Nous concentrons notre attention sur trois concepts principaux liés au nationalisme dans le contexte du Québec : le soutien à l'indépendance du Québec, l'identité nationale et le soutien des individus aux partis nationalistes. Premièrement, le soutien à l'indépendance du Québec est mesuré à l'aide d'un énoncé demandant aux répondants comment ils voteraient lors d'un référendum portant sur l'indépendance du Québec (ou sur la question de la « souveraineté-partenariat » dans les questionnaires de 2007 et 2008) (codé comme une variable dichotomique, basé sur les réponses oui ou non) (l'Annexe présente toutes les questions et réponses des sondages utilisés dans cette étude, ainsi que le codage des variables incluses dans les analyses empiriques). Deuxièmement, l'identité nationale est analysée à l'aide de trois mesures distinctes : l'attachement au Québec, l'attachement au Canada et une mesure de l'identité imbriquée. On a demandé aux répondants, dans deux questions distinctes, à quel point ils se sentaient attachés au Québec, puis au Canada (mais cette mesure n'est disponible que pour les années 2012 et suivantes). Ensuite, l'identité imbriquée des répondants a été mesurée à l'aide de l’échelle de Linz-Moreno, et les répondants ont été invités à indiquer s'ils se considéraient comme : uniquement Canadiens, plus Canadiens que Québécois, également Canadiens et Québécois, davantage Québécois, ou uniquement Québécois. Cette variable est une variable continue, allant de 0 « uniquement Canadien » à 1 « uniquement Québécois ». Enfin, le soutien des répondants aux partis nationalistes – Coalition avenir Québec (CAQ), Québec solidaire (QS) et Parti québécois (PQ) – est mesuré par une question sur le choix du vote lors des élections (dans les semaines précédant l'enquête). Par conséquent, nous présentons des résultats basés sur le choix de vote auto-déclaré pour la CAQ, QS et le PQ (toutes des variables dichotomiques).
Notre stratégie analytique repose sur l'estimation d'un modèle de régression hiérarchique de type Âge-Période-Cohorte (APC) pour être capable de distinguer et de mieux isoler les effets des cohortes, des effets du vieillissement et de la période sur les différents indicateurs liés au nationalisme. La modélisation hiérarchique APC est une méthode d'analyse statistique de plus en plus utilisée pour démêler les effets de vieillissement, de période et de cohortes dans les sondages d'opinion répétés et regroupés comme c'est le cas ici (pour des exemples récents appliqués à la science politique, voir par exemple Dassonneville, Reference Dassonneville2013; Smets et Neundorf, Reference Smets and Neundorf2014; Ho et al., Reference Ho, Weng and Clarke2015; Vallée-Dubois et al., Reference Vallée-Dubois, Dassonneville and Godbout2020). Il s'agit d'un modèle de régression qui traite les individus comme étant imbriqués dans leur cohorte de naissance et dans l'année du sondage auquel ils ont participé. Cette méthode tient donc compte du fait que les individus nés dans la même cohorte de naissance, et interrogés durant la même période, ne sont pas indépendants les uns des autres et présentent des similarités qui leur sont propres (O'Brien et al., Reference O'Brien, Hudson and Stockard2008; Yang et Land, Reference Yang and Land2008). Avec la régression hiérarchique APC, l’âge des individus est traité comme un effet fixe (premier niveau de données) tandis que les cohortes et les périodes sont traitées comme des effets aléatoires (deuxième niveau de données). Cette conception multiniveau permet de distinguer les effets générationnels (ou de cohorte) des effets de vieillissement et de période, permettant ainsi de contourner (mais pas parfaitement) le problème de dépendance linéaire des variables qui tient au fait que l’âge d'un individu est toujours égal à l'année du sondage moins son année de naissance. Bien que cette méthode ait ses détracteurs (par exemple, Bell et Jones, Reference Bell and Jones2018), notamment parce qu'elle nécessite des quantités importantes de données pour pouvoir détecter les effets de cohorte et parce qu'elle fixe à zéro – ou près de zéro – l'effet combiné des cohortes (Fosse et Winship, Reference Fosse and Winship2019), elle demeure utile pour isoler les effets de cohorte, nets de ceux attribuables au vieillissement et au contexte, avec des données microsociologiques lorsque l'on étudie les attitudes et les comportements politiques (Dassonneville, Reference Dassonneville, Arzheimer, Evans and Lewis-Beck2017).
Pour l'estimation de nos modèles APC, la période est mesurée avec chaque année électorale (six années électorales distinctes, de 2007 à 2022). Le vieillissement est mesuré par la variable continue représentant l’âge des répondants (de 18 à 96 ans). Pour les cohortes, nous utilisons des groupes de 10 ans. En effet, l'utilisation de cohortes de 10 ans nous permet d'analyser les attitudes et comportements politiques des Québécois de manière plus libre et agnostique, sans présumer à l'avance que certaines cohortes ont les mêmes attitudes ou comportements parce qu'elles appartiennent à un groupe générationnel historiquement reconnu, tels que les baby-boomers. Plusieurs chercheurs examinant les effets âge-période-cohorte ont également adopté cette approche de travail qui repose sur de plus petites cohortes (tels que Bartels et Jackman, Reference Bartels and Jackman2014; Tilley et Evans, Reference Tilley and Evans2014; et Vallée-Dubois et al., Reference Vallée-Dubois, Dassonneville and Godbout2020). Ainsi, nous divisons les répondants en sept groupes : ceux qui sont nés entre 1900 et 1939, entre 1940 et 1949, entre 1950 et 1959, entre 1960 et 1969, entre 1970 et 1979, entre 1980 et 1989, et finalement, ceux nés entre 1990 et 1999. Ces cohortes de dix ans (mis à part pour la cohorte d'avant-guerre) nous permettent d'examiner des tendances plus précises et plus nuancées dans nos analyses, mais elles peuvent être plus largement associées à des groupes générationnels plus importants : la génération silencieuse (1900–1939), les baby-boomers (1940–1959), la génération X (1960–1979) et les millénariaux (1980–1999).Footnote 2 Enfin, nous incluons dans les modèles APC quelques variables de contrôle qui sont réputées avoir un impact sur les variables dépendantes : le niveau d’éducation des répondants (mesuré par le diplôme le plus élevé obtenu), le genre (femme codée 1), le revenu, et la langue (avec deux variables dichotomiques, comparant respectivement les allophones et les anglophones aux francophones, le groupe de référence).
Résultats
Dans cette section, nous donnons d'abord un aperçu général de l’évolution dans le temps de nos principaux indicateurs sur le nationalisme au Québec, et nous examinons ensuite s'il y a une indication d'une dynamique générationnelle au fil des ans. Ensuite, dans la deuxième partie de cette section, nous présentons les résultats du modèle APC, en nous concentrant sur les facteurs liés aux générations et au temps pour expliquer les sentiments nationalistes au Québec.
Le soutien à l'indépendance du Québec
Le premier quadrant de la figure 1 présente une baisse légère, mais toujours statistiquement significative du soutien général des Québécois à l'indépendance. Entre 2007 et 2012, environ 42% des répondants appuient l'option de l'indépendance du Québec. Cependant, après 2012, les niveaux de soutien diminuent à environ 34% en 2014, et restent à ce niveau en 2018 et 2022.
En ce qui concerne la figure 2 (premier quadrant) et les différences entre les cohortes, nous remarquons d'abord que les Québécois les plus âgés – ceux nés avant la Deuxième Guerre mondiale – sont ceux qui appuient le moins l'indépendance du Québec, et que cela n'a pas beaucoup changé dans les années les plus récentes. Plus intéressant encore, nous observons que les cohortes des années 1940 et 1950 (les baby-boomers) sont parmi les plus continuellement favorables à l'indépendance, suivies par les cohortes plus jeunes nées dans les années 1980 et 1990, et les cohortes des années 1960 et 1970, mais à un niveau légèrement inférieur. Cependant, l’élection de 2014 – marquée par d'intenses discussions sur le projet péquiste de charte des valeurs québécoisesFootnote 3 – semble avoir provoqué des réactions différentes parmi les cohortes : pour certaines cohortes (années 1940 et 1950), le soutien à l'indépendance reste relativement stable, tandis que pour d'autres cohortes, le soutien diminue (celles des années 1960 à 1990). Enfin, lors de l’élection de 2018 – une élection au cours de laquelle la question de l'indépendance n'a pas du tout été abordée – toutes les cohortes convergent vers un niveau de soutien relativement bas (d'environ 30–40%), et cette tendance se maintient lors de l’élection suivante de 2022 (à la seule exception de la cohorte des années 1940, dont le soutien à l'indépendance semble avoir augmenté). Ainsi, la figure 2 tend à confirmer nos attentes, puisque nous constatons que le soutien à l'indépendance du Québec est plus élevé chez les baby-boomers et, pendant un certain temps, chez certaines des générations les plus jeunes, les millénariaux. Les analyses APC nous diront si le soutien le plus élevé parmi les cohortes les plus jeunes est réellement dû à un effet de cohorte, et non un effet de cycle de vie.
Les sentiments d'identité nationale
Les trois quadrants suivants de la figure 1 présentent trois indicateurs des sentiments nationalistes au Québec : si les Québécois se sentent attachés au Québec, s'ils se sentent attachés au Canada, et dans quelle mesure ils s'identifient comme Québécois et/ou Canadien.
Pour la période de 2014 à 2022, nous constatons que si le sentiment d'attachement au Québec reste élevé (un niveau de 0,8 indiquant que les répondants ont tendance à se sentir attachés ou très attachés au Québec), il y a eu une baisse légère, mais continue et statistiquement significative en 2018 et 2022. Par ailleurs, bien que le sentiment d'attachement au Canada demeure plus faible que le sentiment d'attachement au Québec (un niveau de 0,6 indiquant que les répondants ont tendance à se sentir attachés au Canada), il y a eu une augmentation statistiquement significative entre 2014 et 2018 (jusqu’à un niveau d'attachement au Canada de 0,66), suivie d'un retour à un niveau de 0,6 en 2022.
En ce qui concerne l'indicateur des identités imbriquées, nous observons deux tendances contrastées. D'une part, on constate que le nombre de Québécois qui se sentent « Canadien, pas Québécois », « plus Canadien que Québécois » et « également Canadien et Québécois » tend à augmenter légèrement, entre 2012 et 2018. En revanche, au cours de cette même période, la proportion généralement plus élevée de Québécois qui se sentent « Québécois et non Canadien » et qui se sentent « plus Québécois que Canadien » a tendance à diminuer. Ces tendances ont quelque peu ralenti (et ont peut-être commencé à reculer légèrement) en 2022, bien que l'ordre de préférence entre les diverses étiquettes identitaires n'ait pas changé du tout depuis 2014. Ainsi, ce dernier indicateur tend à corroborer les observations sur les deux autres mesures identitaires : on observe des changements faibles, mais nets dans l'identité des Québécois, qui tendent à être généralement moins en phase avec leur identité québécoise, et plus en phase avec leur identité canadienne.
Pour s'interroger sur les racines générationnelles potentielles de ce changement d'identité, nous nous tournons vers la figure 2. En examinant la figure sur l'attachement au Québec, nous observons un gradient générationnel « parfait », où les cohortes les plus âgées sont les plus attachées au Québec et où ce niveau d'attachement diminue progressivement avec chaque nouvelle génération. Ce qui est remarquable, c'est que les deux cohortes les plus jeunes (les millénariaux) sont moins susceptibles de se sentir attachées au Québec, et que leur sentiment d'attachement diminue au fil du temps (entre 2012 et 2022), alors que le sentiment d'attachement des autres cohortes reste plus stable. Le déclin global de l'attachement au Québec semble donc lié à la disparition progressive des cohortes plus âgées et à leur remplacement par des cohortes plus jeunes dont l'attachement à leur province diminue effectivement au fil du temps. La figure sur l'attachement au Canada présente un schéma différent. Alors que la cohorte la plus âgée (née entre les années 1900 et 1930) est la plus attachée au Canada (avec un léger déclin dans le temps), nous observons une augmentation de l'attachement au Canada parmi toutes les autres cohortes, et plus particulièrement parmi les cohortes les plus jeunes. Bien que cette augmentation semble s’être arrêtée (et peut-être légèrement inversée) en 2022, le déclin global de l'attachement au Canada observé pour cette année-là semble principalement attribuable à la perte de la génération silencieuse (la cohorte la plus constamment attachée au Canada au fil des ans) dans l’échantillon de l'enquête.
Le soutien aux partis nationalistes
Nous voyons d'abord dans le quadrant suivant de la figure 1 que le soutien au PQ – le véhicule politique du mouvement indépendantiste – présente une tendance générale au déclin, en particulier à partir de 2012 (lorsqu'il a formé le gouvernement pour la dernière fois).Footnote 4 Cela s'inscrit dans une tendance plus large et plus longue de déclin du PQ qui a commencé lors de l’élection de 1998, après la défaite du référendum de 1995 qui a initié une période de démobilisation du mouvement indépendantiste (Mahéo et Bélanger, Reference Mahéo and Bélanger2018). En revanche, nous voyons dans les deux derniers quadrants de la figure 1, que QS, et plus spécifiquement la CAQ, présente des niveaux de soutien électoral en hausse, et ce, surtout à partir de 2012. Pour rappel, la CAQ a été fondée en 2011 et a remplacé l'Action démocratique du Québec (ADQ) lors des élections provinciales de 2012.
Si nous nous tournons maintenant vers les trois derniers quadrants de la figure 2, qui présentent les niveaux de soutien aux partis dans le temps et par cohorte, nous pouvons voir que le sort de chacun de ces partis semble être lié au soutien (ou au manque de soutien) de cohortes spécifiques. Alors que le PQ pouvait compter sur l'appui des cohortes des années 1940 et 1950 (les baby-boomers) ainsi que sur celui de la cohorte des années 1980, ce qui est notable, c'est qu'en 2014, l'appui à ce parti a fortement diminué chez toutes les cohortes, à l'exception de la cohorte des années 1950 (membres de la génération des baby-boomers), dont l'appui demeure élevé (et à l'exception du groupe le plus âgé – la génération silencieuse –, dont l'appui demeure relativement faible et stable à l’égard du PQ depuis toujours). Puis, à partir de 2018, même la cohorte des années 1950 voit son soutien au PQ s'effondrer.
Pour la CAQ, nous observons d'abord des niveaux de soutien légèrement plus élevés parmi les cohortes des années 1960 et 1970 (génération X), jusqu'aux élections de 2014 et suivantes où presque toutes les cohortes offrent les mêmes niveaux de soutien à ce parti, à l'exception de la cohorte des années 1990, qui affiche généralement des niveaux de soutien plus faibles. Il convient de noter qu'aux élections de 2022, les baby-boomers semblent s’être ralliés à la CAQ en plus grand nombre qu'auparavant, peut-être en raison de leur satisfaction à l’égard de la mise en œuvre par le gouvernement Legault de politiques nationalistes telles que le projet de loi sur la laïcité. Pour QS, on observe encore une autre tendance. Les deux cohortes des années 1980 et 1990 – les millénariaux – sont systématiquement plus favorables à ce parti, et l'appui de la cohorte des années 1990 augmente substantiellement entre 2012 et 2022, à partir du « Printemps érable ».
L’évolution des trois partis nationalistes au Québec révèle donc trois histoires générationnelles distinctes, qui tendent à confirmer toutes nos attentes en matière de soutien aux partis nationalistes. Alors que le PQ a pu compter sur le soutien plus durable des baby-boomers (et jusqu’à un certain point de la cohorte des années 1980), l'ADQ et la CAQ ont été plus soutenues au début par la génération X, avant d'obtenir un soutien plus large parmi les Québécois (y compris parmi les baby-boomers). À l'inverse, QS a été distinctement soutenu par les deux cohortes de millénariaux, dès le début.
Résultats du modèle APC : explication de l’évolution du nationalisme au Québec
Après avoir décrit l’évolution de nos indicateurs de nationalisme au Québec, de 2007 à 2022, et examiné comment les différentes cohortes de Québécois ont évolué au fil du temps sur ces indicateurs, nous passons maintenant à la partie plus explicative de l’étude. Avec le modèle APC, nous visons à démêler les effets de l’âge, des périodes et des cohortes sur la variation des indicateurs de nationalisme au fil du temps, et à examiner s'il y a une véritable explication générationnelle à certains des changements que nous avons observés. Nous nous concentrons ci-dessous sur la présentation des effets de période et de cohorte, et présentons les résultats des modèles APCFootnote 5 dans les figures 3 et 4. Bien que l'effet de cycle de vie ne soit pas au cœur de notre étude, nous pouvons tout de même noter que dans le modèle APC, les effets statistiquement significatifs associés à l’âge vont dans la direction attendue, puisque nous constatons qu'avec l’âge, les Québécois sont : plus susceptibles de développer un attachement au Canada et au Québec (et davantage pour le Québec), et moins susceptibles d'appuyer QS.Footnote 6
La figure 3 présente tous les effets de cohorte dérivés du modèle APC. Le soutien à l'indépendance présente des effets de cohorte intéressants, qui sont conformes à nos attentes : la cohorte des années 1950 est beaucoup plus susceptible de soutenir le projet d'indépendance, par rapport aux cohortes des années 1970, 1980 et 1990, et également par rapport aux cohortes 1900–1930 qui sont beaucoup moins susceptibles de soutenir l'indépendance du Québec. En ce qui concerne les sentiments nationalistes, nous constatons que la cohorte des années 1950 est significativement moins attachée au Canada. L'indicateur d'identité imbriquée présente également des différences entre les cohortes : les cohortes des années 1940 et 1950 se sentent clairement plus Québécoises que les autres cohortes (alors que les cohortes 1900–1930 et celle des années 1990 se sentent moins Québécoises que les autres). Enfin, les trois quadrants inférieurs présentent la variation globale du PQ, de QS et de la CAQ selon les cohortes. Contrairement à nos attentes, le PQ ne montre pas d'effets de cohorte clairs (malgré des niveaux de soutien un peu plus élevés parmi les cohortes de baby-boomers). En revanche, nous constatons que pour QS, les cohortes des années 1970 et 1980 sont moins susceptibles de soutenir le parti, tandis que la cohorte des années 1990 est beaucoup plus susceptible de le soutenir. La figure concernant le soutien à la CAQ montre le schéma inverse, où la cohorte des années 1970 est beaucoup plus susceptible de soutenir le parti, tandis que la cohorte des années 1990 est beaucoup moins susceptible de le soutenir (tout comme les cohortes 1900–1930).
En ce qui concerne les effets de période, nous constatons dans le premier quadrant de la figure 4 que le niveau de soutien à l'indépendance en 2014 est significativement plus faible que lors des autres années électorales, tout en étant plus élevé en 2008 (une fois que les effets de cycle de vie et de cohorte sont contrôlés). Nous trouvons quelques effets de période statistiquement significatifs pour les sentiments nationalistes, dans les trois quadrants suivants de la figure 4. Ces effets suggèrent que les diverses tendances que nous avons déjà observées dans la figure 1 en ce qui concerne l’évolution des sentiments nationalistes au Québec sont largement indépendantes de tout effet de cycle de vie ou de cohorte. Dans l'ensemble, nous trouvons plus d'effets des années électorales sur le soutien aux partis que pour les quatre indicateurs précédents. Pour le PQ, nous constatons des niveaux de soutien significativement plus élevés en 2008 et 2012 (lorsque le parti a formé le gouvernement pour la dernière fois), et des niveaux de soutien plus faibles en 2007, 2018 et 2022 (lorsque le PQ a obtenu certains de ses scores électoraux les plus bas de son histoire). Pour l'ADQ/CAQ, l'année 2008 affiche des niveaux de soutien significativement plus bas (lorsque l'ADQ a subi un revers électoral important, perdant la plupart des sièges qu'elle avait gagnés en 2007) et un soutien plus élevé pour les années 2018 et 2022 (lorsque la CAQ a été élue avec des majorités confortables de sièges). Pour QS, le soutien au parti en 2018 et 2022 est significativement plus élevé que les années précédentes (en ligne avec sa progression lente, mais constante, dans l’électorat).
Les résultats du modèle APC révèlent des explications distinctes sur l’évolution de nos trois indicateurs globaux de nationalisme au Québec. Premièrement, l’évolution du soutien à l’indépendance s'explique par certains effets de période, mais surtout par des effets de cohorte : les baby-boomers demeurant plus favorables à l'indépendance que la génération silencieuse et les millénariaux. Les données statistiques du modèle indiquent plus précisément que les cohortes représentent 75% de la variance dans le soutien à l'indépendance, tandis que les périodes en représentent 25% (Gelman et Hill, Reference Gelman and Hill2007). Pour leur part, les faibles variations dans le temps des sentiments d'attachement s'expliquent surtout (à près de 100%) par des effets de période que par des effets de cohorte, alors que c'est plutôt l'inverse (à près de 100%) pour les variations dans l’identité : les cohortes de baby-boomers étant plus enclines à s'identifier comme Québécois que les autres cohortes, en particulier les millénariaux. Enfin, les variations dans le soutien aux partis nationalistes s'expliquent davantage par des effets de période que par des effets de cohorte (la proportion de variance expliquée par les périodes est de 88% pour le PQ, 57% pour QS et 70% pour la CAQ; celle expliquée par les cohortes étant de 12% pour le PQ, 43% pour QS et 30% pour la CAQ). Cependant, nous trouvons encore des effets de cohorte clairs pour la CAQ, qui tendent à être plus soutenus par la cohorte des années 1970 et moins soutenus par la cohorte des années 1990, et pour QS, qui tend à être plus soutenu par la cohorte des années 1990 et moins soutenu par les cohortes des années 1970 et 1980.
Discussion et conclusion
L'existence et la persistance de mouvements nationalistes parmi les nations minoritaires peuvent avoir de nombreuses causes différentes. L'une de ces causes semble résider dans le contexte de socialisation des cohortes de citoyens et le processus de remplacement intergénérationnel. Ainsi, pour mieux comprendre les racines du nationalisme dans les régions subétatiques, il semble important d'examiner le développement et la reproduction des attitudes et des comportements nationalistes dans une perspective générationnelle. Quelques études récentes ont commencé à examiner ce phénomène au Québec (e.g., Mahéo et Bélanger, Reference Mahéo and Bélanger2018; Dufresne et al., Reference Dufresne, Tessier and Montigny2019; Vallée-Dubois et al., Reference Vallée-Dubois, Dassonneville and Godbout2020). Dans la présente étude, nous avons cherché à analyser de manière encore plus approfondie la relation entre le nationalisme et les générations au Québec en utilisant des techniques plus sophistiquées de modélisation âge-période-cohorte (APC), qui visent à tenir compte du fait que l’âge d'un individu est égal à l'année où il est sondé moins son année de naissance, et en nous appuyant sur un ensemble d'indicateurs de l'opinion publique liés au nationalisme plus large que celui utilisé dans les études précédentes.
Dans l'ensemble, nous observons un déclin général de certains des indicateurs clés liés au nationalisme et au mouvement indépendantiste au Québec : le soutien électoral au Parti québécois – le véhicule traditionnel du mouvement indépendantiste – est en baisse, le soutien au projet indépendantiste est en légère baisse, et les sentiments d'identité québécoise sont en baisse alors que les sentiments d'identité canadienne sont en hausse (au moins jusqu'en 2022). Bien que ces tendances puissent s'expliquer de plusieurs manières, par exemple par la composition ethnoculturelle de la population, nous nous concentrons sur les différentes générations qui cohabitent dans le Québec contemporain et sur la façon dont elles se positionnent par rapport au nationalisme et à l'indépendance.
Les résultats de nos analyses de six sondages post-électoraux sur une période de 15 ans révèlent qu'il y a effectivement une histoire générationnelle à raconter au sujet du nationalisme au Québec. Il y a des différences évidentes dans la façon dont les groupes générationnels se rapportent au nationalisme et au projet d'indépendance du Québec. Tout d'abord, la génération des baby-boomers est beaucoup plus susceptible de se sentir Québécoise que Canadienne, surtout si on la compare à la génération la plus jeune – les millénariaux. Deuxièmement, le soutien à l'indépendance du Québec oppose également les baby-boomers – plus favorables à ce projet – et les millénariaux – moins favorables à ce projet. Enfin, les plus jeunes millénariaux soutiennent davantage Québec solidaire que les autres cohortes, tandis que les plus âgés de la génération X sont plus enclins à soutenir la Coalition avenir Québec.
Ces résultats nous amènent à penser qu'il pourrait y avoir des « générations nationalistes » distinctes qui cohabitent présentement au Québec. Nous voyons d'un côté les baby-boomers – ceux qui ont été les principaux partisans du mouvement indépendantiste et du PQ dans leur jeunesse – qui restent distinctement une génération « nationaliste-indépendantiste ». Cependant, elle peut sembler désenchantée, car leur soutien habituellement élevé au PQ et à l'indépendance du Québec a diminué avec le temps, et certains d'entre eux ont commencé à se rallier à la CAQ. Cependant, nos données suggèrent que leur niveau de soutien à l'indépendance pourrait avoir rebondi quelque peu ces derniers temps. D'un autre côté, nous constatons que la génération X est plutôt une génération « nationaliste non indépendantiste », probablement en raison de leur expérience des échecs référendaires et de la démobilisation du mouvement indépendantiste après les années 1990. La nouvelle génération des millénariaux ne montre pas de penchants clairs pour le nationalisme, et elle est probablement le produit de son époque, une génération née dans un contexte de mondialisation et exposée à des mouvements de revendications identitaires diverses qui transcendent les nations et les identités nationales.
Alors que les baby-boomers semblent être la seule « génération indépendantiste » restante – et de plus, une génération vacillante, avec un soutien fluctuant à l'indépendance et un soutien en baisse au parti indépendantiste traditionnel –, on peut s'interroger sur l'avenir du mouvement indépendantiste au Québec. Mais ce mouvement est réactif (Richez et Bodet, Reference Richez and Bodet2012), et un affrontement avec Ottawa pourrait éventuellement raviver la croyance des Québécois que l'indépendance est la meilleure façon de protéger les intérêts du Québec. Par ailleurs, une nouvelle forme de nationalisme a émergé au Québec, promue par la CAQ et, dans une certaine mesure, par QS. Ce type de nationalisme vise à défendre, protéger et promouvoir les intérêts et les spécificités du Québec au sein de la fédération canadienne. Cette « nouvelle façon » d’être un nationaliste québécois, qui pourrait aussi être interprétée comme un retour à un nationalisme à la Robert Bourassa, semble être plus en phase avec les aspirations et les identités des nouvelles générations – la génération X et les millénariaux. Ce créneau nationaliste, anciennement occupé par le PLQ, est maintenant l'apanage des deux nouveaux partis (surtout la CAQ). Cette situation inédite amène donc à se questionner aussi sur les difficultés de mobilisation et de repositionnement du PLQ (Montigny, Reference Montigny2022).
On peut enfin s'interroger également à propos de la plus jeune génération, qui commence à peine sa vie politique – la génération Z – dont les membres sont nés après le dernier référendum, qui ont été socialisés dans un contexte politique où on parlait peu de l'indépendance du Québec, et qui évoluent dans un monde encore plus mondialisé et numérique. Cette génération semble continuer à s'identifier comme Québécois avant tout, mais n'est pas très indépendantiste, s'informe presque exclusivement par le truchement des réseaux sociaux, et semble peu encline à participer aux élections (Montigny et Cardinal, Reference Montigny and Cardinal2019). Il y a donc lieu de s'attendre à ce que les tendances générationnelles observées dans cette étude ne fassent que s'accentuer (à moins d'un revirement spectaculaire de la conjoncture politique). Mais il s'agit là d'une question de recherche à laquelle nous ne pourrons répondre de manière définitive que… dans une génération.
Matériel supplémentaire
Pour visualiser un contenu supplémentaire pour cet article, s'il vous plaît visitez https://doi.org/10.1017/S0008423924000106.
Remerciements
Nous tenons à remercier Danielle Bohonos et Thomas Gareau-Paquette pour leur travail sur le traitement des données de sondages. Nous tenons également à remercier les deux évaluateurs, ainsi que les participant.e.s au Colloque international « Générations et Nationalisme » tenu à l'UQAM en septembre 2022 pour leurs commentaires et suggestions sur cette étude.