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Irresponsabilités relationnelles, asymétries de pouvoir et injustices ordinaires du quotidien

Published online by Cambridge University Press:  08 July 2021

Stéphanie Mayer*
Affiliation:
University of Ottawa, École d'études politiques, 75 Laurier Ave E, Ottawa, ONK1N 6N5
*
*Auteure correspondante. Courriel : stef.mayer@gmail.com
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Résumé

Dans cet article, les injustices en matière de responsabilités de care entre les partenaires hétérosexuel.les sont problématisées comme des irresponsabilités relationnelles. D'abord, l'apport des théories du care à l'appréhension des asymétries de pouvoir liées au déséquilibre dans le travail de soin est discuté. Ensuite, les manifestations de ce déséquilibre sont illustrées dans les arrangements intimes établis par les couples. Ces conséquences injustes sont, par la suite, conceptualisées comme des « irresponsabilités relationnelles ». Enfin, une conception de la coresponsabilité relationnelle est proposée dans une perspective de plus de justice et de démocratie entre les personnes, dans le privé comme le public.

Abstract

Abstract

This paper problematizes injustices in care responsibilities between heterosexual partners as relational irresponsibilities. Firstly, the relevance of care theories for understanding power asymmetries related to an imbalance in care work is analyzed. Secondly, the paper analyzes concrete illustrations of the manifestations of this care imbalance in the intimate arrangements established by couples. These unjust consequences are conceptualized as "relational irresponsibilities". Finally, the concept of “relational co-responsibility” is proposed, as one intellectual tool to work towards more justice and democracy between individuals, in both the private and public spheres.

Type
Étude originale/Research Article
Copyright
Copyright © The Author(s), 2021. Published by Cambridge University Press on behalf of the Canadian Political Science Association (l’Association canadienne de science politique) and/et la Société québécoise de science politique

En dépit d'avancées en droits pour les femmes au Canada au cours des cinq dernières décennies, des inégalités perdurent entre les femmes et les hommes. Par ailleurs, bon nombre de ces inégalités sont expérimentées dans la sphère privée, comme en atteste une panoplie de travaux récents. À titre d'exemple, les femmes effectuent plus de tâches ménagères en comparaison avec leur conjoint, que celles-ci aient ou non un travail salarié, et cet écart s'accentue avec l'arrivée des enfants (Crespo, Reference Crespo2018; Moyser & Burlock, Reference Moyser and Burlock2018). La prise des congés à la suite d'une naissance ainsi que les façons préconisées pour articuler vies familiale et professionnelle ont des conséquences sur les avancées en carrière des femmes, comme sur les conditions financières de leur retraite (Lamalice & Charron, Reference Lamalice and Charron2015; Rose, Reference Rose2016). Les partenariats conjugaux consolident des inégalités économiques qui peuvent être cristallisées lors d'une séparation (Belleau & Lobet, Reference Belleau and Lobet2017). Il est permis de faire l'hypothèse que ces conséquences injustes sont reliées au patriarcat, même s'il reste difficile de désarticuler les effets des systèmes de domination comme le racisme et le capitalisme.

Selon Diane Richardson (Reference Richardson1996 : 11), les couples hétérosexuels constituent un « raw material » pour penser les sociétés patriarcales contemporaines. Effectivement, le couple formé d'une femme et d'un homme permet de réfléchir sur l’état actuel des rapports sociaux de sexe et la persistance des inégalités, de rendre visible l'hétérosexualité pour en dégager ses logiques et de s'interroger sur les transformations advenues au cours des dernières décennies. Au début des années 1970, des féministes radicales et lesbiennes formulent les premières critiques envers l'hétérosexualité avec l'objectif d’établir son rapport avec le patriarcat (le travail d'Adrienne Rich [Reference Rich1981] sur la contrainte des femmes à l'hétérosexualité est déterminant). Stevi Jackson (Reference Jackson1996) affirme que l’étude de l'institution hétérosexuelle permet de mieux comprendre les hiérarchies (la domination) entre les femmes et les hommes ainsi que celles entre les formes de sexualité (les privilèges et les normes sociales). Cela étant dit, les couples gais, lesbiens, queers ou polyamoureux ne sont pas exempts de rapports de pouvoir. La norme hétérosexuelle influence les arrangements non hétérosexuels, ce que Liza Duggan nomme « l'homonormativité » (Reference Duggan2003). Bien que les responsabilités ne soient pas aussi inéquitablement réparties dans ces couples, le fait de devenir parents constitue aussi un moment lors duquel s'accroissent les disparités en matière de soins aux enfants (Goldberg, Reference Goldberg2010). Il serait possible d’établir des rapprochements entre les asymétries de pouvoir qui existent entre les partenaires dans l'ensemble des configurations conjugales et le déséquilibre dans la prise en charge du care, mais ce n'est pas le projet envisagé avec cet article.

Ce texte entreprend plutôt de problématiser l'hétérosexualité en étudiant les logiques sexistes sous-jacentes à la persistance des inégalités et des asymétries de pouvoir entre les femmes et les hommes, et ce, à partir des outils offerts par les théories féministes du care qui s'intéressent aux questions de responsabilité, de justice et de soin. L'article vise différents objectifs. D'abord, il y a l'ambition de faire la lumière sur les formes intimes que prend le pouvoir patriarcal en mettant l'accent sur le maintien des inégalités dans les couples hétérosexuels. Ensuite, deux contributions théoriques sont projetées. La première consiste à montrer les apports des théories du care aux réflexions critiques sur l'hétérosexualité, et tout particulièrement les avantages de la pensée de Joan C. Tronto (Reference Tronto2009). La seconde est une invitation lancée aux féministes du care à réinjecter leurs volontés de politisation des relations de care à l’échelle globale dans l'analyse des relations duales, comme le couple. Enfin, il importe d'apporter un correctif aux recherches sur le care en relevant la dimension explicitement hétérosexuelle de ces relations marquées d'un déséquilibre de prise en charge du care, un aspect qui, il me semble, reste implicite ou souvent non problématisé.

La réflexion proposée dans les lignes qui suivent s'organise en trois parties. La première portera sur les liens à établir entre les théories sur l'hétérosexualité et celles sur le care. La deuxième fera état des dimensions ordinaires des injustices qui perdurent dans les arrangements intimes hétérosexuels en prenant appui sur des données issues d’études conduites dans les champs des sciences sociales. La troisième montrera l'apport du concept « d'irresponsabilité des privilégiés » proposé par Tronto pour réfléchir sur les injustices dans les couples hétérosexuels et sur les formes de privilèges qu'ils perpétuent. Par ce concept, la politologue suggère que « [l]e caractère déséquilibré des rôles et des obligations de soin dans notre culture » permet d’éviter « aux individus relativement privilégiés de remarquer les besoins des autres » (Tronto, Reference Tronto2009 : 166). Ce faisant, « les privilégiés sont donc dispensés de répondre directement aux processus concrets du care et de faire face aux besoins fondamentaux », affirme Tronto (Reference Tronto2009 : 167). Cette conception éthique et politique de la responsabilité comprise comme relationnelle servira d'assise à la problématisation des injustices qui perdurent dans les arrangements hétérosexuels.

Hétérosexualité et théories féministes du care

Les théories féministes du care fournissent des outils précieux pour problématiser le rôle joué par l'hétérosexualité dans le maintien des injustices patriarcales. En mettant l'accent sur l'ordinaire du quotidien et la vulnérabilité humaine, ces théories s'avèrent utiles pour politiser les asymétries qui perdurent dans les arrangements intimes hétérosexuels en raison du déséquilibre entre les femmes et les hommes dans la prise en charge des responsabilités de care. Pour saisir les avantages de cette démarche, apportons des précisions sur les termes employés dans cette première partie.

D'abord, il faut rappeler que la problématisation de l'hétérosexualité remonte aux années 1970 dans le féminisme nord-américain et ouest-européen. L'objectif était de montrer que l'hétérosexualité ne se réduit pas à une orientation sexuelle naturalisée, car elle a des dimensions sociales et politiques historiquement situées (Katz, Reference Katz2001). Ces débats ont montré que l'intimité hétérosexuelle soulève des questions féministes parce qu'elle constitue une expérience individualisée du patriarcat. Une telle critique permet d'envisager sa transformation pour plus d’égalité, de justice et de liberté pour les femmes. Plus généralement, l'hétérosexualité désigne une manière d'organiser, en fonction d'une préférence amoureuse et sexuelle, la vie quotidienne conjointe des femmes et des hommes. Il s'en dégage des normes sociales hégémoniques fondées sur la complémentarité genrée, des façons de faire vraisemblablement injustes qui sont reproduites, des logiques relationnelles qui ont des effets individuels et collectifs sur les femmes en général, ce qui permet d'en faire une lecture politique et systémique dépassant le statut des relations particulières. L'expérience de l'hétérosexualité se rapporte à des éléments comme les modes d'interactions fondés sur la différence genrée; les pratiques sexuelles; les sentiments amoureux; la cohabitation conjugale; le travail domestique; le potentiel projet parental. Ces éléments du quotidien exigent des arrangements entre les partenaires sur lesquels il est possible d'infléchir.

Ensuite, les théories féministes du care constituent une pensée critique dans le champ de la pensée éthique et politique intéressée par les activités de soin, les relations d'interdépendance, les responsabilités et la vulnérabilité. Ces travaux tiennent leurs racines dans la psychologie morale des années 1970 et concernent, plus récemment, des réflexions intersectionnelles et décoloniales visant la politisation des relations de care à l’échelle globale des vies humaines, mais aussi pour les objets, les autres vivants et l'environnement (l’étendue des thématiques concernées rejoint la définition canonique du care que proposent Tronto & Fisher [Reference Tronto, Fisher, Abel and Nelson1990Footnote 1]). Dans Une voix différente (Reference Gilligan2008 [1982]), Carol Gilligan suggère que l’éthique du care constitue un paradigme éthique original qui provient des activités concrètes de soin accomplies par les femmes et de leurs responsabilités à l’égard d'autrui. Ce travail participe à une critique plus large des théories idéalisées de la justice, dont la plus débattue est celle de John Rawls, A Theory of Justice (Reference Rawls1971), à laquelle des féministes, en partie rattachées au care, ont proposé des amendements majeurs à cette perspective libérale, par exemple : Eva Feder Kittay (Reference Kittay1999) qui considère les formes de dépendances inévitables ou Susan Moller Okin (Reference Okin1989) qui examine les conséquences de la distribution injuste du travail au sein de la famille. Les figures initialement mobilisées par ces réflexions sont la relation mère-enfant et celles des femmes comme aidantes ou travailleuses auprès des malades, des personnes âgées ou des plus vulnérables. Avec la volonté de dépasser la dichotomie genrée à l’égard de la morale, une « deuxième vagueFootnote 2» de féministes souhaite échafauder une théorie politique du care comprise comme activité sociale indépendante du genre de la personne qui pourvoit les soins. Cette visée est d'ailleurs celle de Tronto (Reference Tronto1987) qui exhorte les féministes à rester critiques quant à l'existence d'une « women's morality » et à dépasser l'idée de la différence genrée afin de poser la réflexion en des termes politiques et de justice sociale. Dans Un monde vulnérable (Reference Tronto2009 [1993]), Tronto politise les asymétries de pouvoir découlant des relations de soin et problématise la centralité (et l'invisibilité) du care pour les sociétés et éventuellement, pour la démocratie dans une perspective de responsabilité et d’égalité, plus particulièrement dans Caring Democracy (Reference Tronto2013a). D'autres féministes abondent en ce sens plaidant en faveur de dé-sentimentaliser le care (Friedman, Reference Friedman, Paperman and Laugier2011; Paperman, Reference Paperman, Molinier, Laugier and Paperman2009) pour mettre à l'avant-plan son caractère politique et transformateur pour les sociétés (Garrau & Le Goff, Reference Garrau and Le Goff2012; Laugier, Reference Laugier2010; Tronto, Reference Tronto2009, Reference Tronto2013a). Plus récemment, les réflexions ont insisté sur le fait que les relations de care ne se réduisent pas au privé, en montrant l'existence de ces pratiques d'attention et de ces sentiments de responsabilité à l’égard des autres dans la sphère publique, comme dans les milieux de travail, les espaces politiques ou les espaces militants (Bourgault & Perreault, Reference Bourgault and Perreault2015; Garrau & Le Goff, Reference Garrau and Le Goff2012; Molinier, Laugier & Paperman, Reference Paperman, Molinier, Laugier and Paperman2009). En fait, les éthiques du care servent de cadrage théorique à des projets intellectuels et militants divers qui, sans les évacuer, vont au-delà de l’étude des relations dyadiques comme l'ont fait certaines précurseures (Gilligan, Reference Gilligan2008; Nodding, Reference Noddings1984; Ruddick, Reference Ruddick1989). Dans ce cas-ci, ces théories féministes supportent une démarche de politisation des arrangements intimes hétérosexuels en considérant la centralité et l'invisibilité des enjeux reliés au care entre les conjoint.es.

Il faut le préciser, les théories du care portent une attention spécifique à l'ordinaire du quotidien. Comme l'entend Sandra Laugier, « l'ordinaire de la vie et à ce qui fait sa continuité » concerne « le fait que des gens s'occupent d'autres s'en soucient et ainsi veillent au fonctionnement courant du monde » (Reference Laugier2009 : 80). Ces dimensions ordinaires renvoient à la vie quotidienne et concernent les arrangements singuliers entre les personnes, comme ceux des conjoint.es. Ces arrangements sont gouvernés par ce que l'on appellera dans cet article des « élans genrés », ce qui se rapporte à une impulsion individuelle peu ou pas interrogée en cohérence avec la socialisation genrée ou avec une certaine conformité avec les attentes sociales à l'endroit des femmes et des hommes en contexte relationnel (par exemple : un comportement, une sensibilité, une préférence, une compétence, une attente). Il n'y a pas que dans l'intimité où les élans genrés influent sur les comportements des individus, mais l'intérêt ici est de s'attarder à leurs incidences sur la configuration du quotidien. En fait, les arrangements des couples s’établissent souvent sur la base de complémentarités en matière de division classique du travail (productif-salarié et reproductif-domestique) et de traits de personnalité (émotivité-rationalité; douceur-force; attention aux autres-distance). De plus, les théoriciennes du care contribuent à complexifier la conception libérale de l'autonomie et de la rationalité articulées à celle de l'indépendance en mettant en évidence les relations de dépendance (Tronto, Reference Tronto2009Footnote 3). La vulnérabilité est une « propriété commune, universellement partagée et coextensive à la vie humaine », soutient Marie Garrau (Reference Garrau2018 : 17). Cette vision nuance l'idée selon laquelle les adultes sont réellement « indépendants ». Généralement, les adultes ne sont pas associés aux catégories des « plus vulnérables », à moins que leur autonomie soit réduite par l’âge ou le handicap. Dans une certaine mesure, tout le monde mérite d’être considéré comme vulnérable et inscrit dans des relations de dépendance en raison des besoins inhérents à la vie. « [À] bien des égards, nous restons dépendants des autres tout au long de notre vie : cela fait partie de la condition humaine », affirme Tronto (Reference Tronto2009 : 212). Cette conception de la dépendance, de la vulnérabilité et de l'importance des besoins demande d'analyser autrement les arrangements hétérosexuels en mettant l'accent sur leur dimension essentielle en raison des pratiques de care. En couple, ces adultes « indépendants » sont des êtres aux besoins d'importance comparable auxquels les arrangements conjugaux constituent des pratiques quotidiennes responsables d'y répondre de manière relativement équivalente. C'est sous cet angle que les arrangements intimes seront problématisés afin d'interroger, à l'aune de l'importance du care, la persistance des injustices entre les partenaires.

Enfin, les théories du care offrent des outils pour faire la lumière sur les manières patriarcales de vivre dans l'intimité hétérosexuelle et invitent à partager les charges de care afin de dépasser les dichotomies genrées, les asymétries de pouvoir et les inégalités dans le partage du travail de soin.

Arrangements intimes hétérosexuels et ordinaire des couples

Les injustices subies par les femmes dans l'hétérosexualité ne sont plus aussi criantes. Par exemple : l'inégalité entre les statuts juridiques, l'obligation à la disponibilité sexuelle des épouses, l'impossibilité de divorcer, les violences conjugales non criminalisées, la dépendance économique des mères; ces enjeux ont été dénoncés, menant à des changements juridiques et sociaux.

Comme il a été relevé plus haut, les arrangements hétérosexuels méritent d’être envisagés comme des pratiques qui répondent aux besoins de care, non pas parce que cela leur est « dû » (selon une conception utilitariste), mais en raison de l'interdépendance et de la vulnérabilité fondamentale des partenaires. Jusqu'ici, l'idée d'arrangements intimes a référé à des façons de procéder établies conjointement. Toutefois, ceux-ci ne sont pas tous réellement discutés, car ils résultent souvent d’élans genrés et s'instaurent subtilement au gré du quotidien. Cette réflexion sur les arrangements hétérosexuels prend appui sur la proposition de Naïma Hamrouni de problématiser les « services rendus » aux indépendants, car ils « représentent toujours la part la plus invisible du care » (Reference Hamrouni, Bourgault and Perreault2015 : 74). L'idée de « services rendus » se rapproche de celle de « services personnels » proposée par Kari Wærness (Reference Wærness and Holter1984), lesquels désignent des activités qu'on pourrait s'offrir à soi-même mais qui sont reléguées à d'autres, et ces pratiques se distinguent du care nécessaire qui ne peut pas être donné à soi-même, car elles requièrent le travail d'une autre personne. Ces deux propositions distinguent les formes de care et mettent en évidence les dimensions politiques qu'elles comportent, c'est-à-dire la possibilité pour une personne d'avoir à sa disposition du care nécessaire (essentiel et relevant d'une injonction morale forte), mais aussi des services personnels (un privilège attribuable à des rapports de pouvoir). Faire l'objet du care de quelqu'un.e contribue à maintenir la vie et à la rendre plus agréable et confortable. Or, jouir de ces pratiques repose sur des conditions sociales découlant des systèmes de domination. Hamrouni (Reference Hamrouni, Bourgault and Perreault2015 : 77) précise que les services rendus aux indépendants impliquent « une proximité des corps » et constituent une « réponse à la vulnérabilité humaine ordinaire ». Dans les lignes qui suivront, les arrangements hétérosexuels entre conjoint.es dits « indépendants » seront analysés afin de faire voir les pratiques de care (celles essentielles à la vie et celles qui relèvent des services offerts) et leur répartition généralement inéquitable ainsi que leur manque apparent de réciprocité entre les partenaires. Bien que la socialisation genrée et la division du travail font en sorte que les femmes sont habituellement plus attentives aux corps, aux émotions et aux relations, il faut pointer les enjeux politiques que cette distribution comporte. Par exemple, les femmes assurent une part plus large des charges de care qu'encourt la relation conjugale et elles sont aussi des êtres de besoins envers qui une part semblable de pratiques de soin devrait être prodiguée par leur conjoint, ce qui n'est pas toujours le cas.

Dans cette deuxième partie, l'objectif sera d'examiner comment les déséquilibres à l’égard des charges de care se reproduisent dans les relations hétérosexuelles et débouchent sur des asymétries de pouvoir entre les partenaires. L'analyse portera sur les quatre dimensions des arrangements intimes suivantes : affective; sexuelle; domestique et ménagère; parentaleFootnote 4, au sein desquelles est prodigué du care. Sur le plan méthodologique, la démonstration prendra appui sur des travaux produits par des féministes issues du monde ouest-européen et nord-américain ainsi que des études empiriques et statistiques correspondant aux réalités québécoises et canadiennes. La présente analyse témoigne du caractère consubstantiel de ces dimensions des arrangements intimes afin de dégager l'intrication subtile des logiques sexistes de l'organisation quotidienne hétérosexuelle.

Dimension affective

Les arrangements intimes hétérosexuels ont une dimension affective qui répond aux besoins des partenaires d’être aimés, écoutés, soutenus. Elena Pulcini parle de « care out of love » (Reference Pulcini, Bourgault and Pulcini2018 : 20), en référant aux relations dont le lien affectif précède le care. L'amour romantique n'est pas la seule motivation à la relation conjugale ni à son maintien. Cependant, les femmes et les hommes n'arrivent pas égaux face à l'amour et les perceptions associent traditionnellement les premières à l’émotivité et les seconds à la rationalité. L'investissement émotionnel se fait encore selon les antagonismes typiques du féminin et du masculin. Par exemple, Paul Johnson (Reference Johnson2005) considère qu'en général, les femmes expérimentent par l'amour une transformation d'elles-mêmes se sentant complétées par l'autre, tandis que les hommes vivent l'amour comme une forme d'ajout à ce qu'ils sont tout en demeurant prétendument indépendants face à la relation. La prise en charge des responsabilités de care entourant cette dimension se rapporte à l'idée du « travail émotionnel » introduite par Arlie Russell Hochschild (Reference Hochschild1983) pour le contexte du travail salarié (dans les secteurs largement féminins), ce qui implique une gestion et un contrôle des émotions. Le travail émotionnel se fait dans la sphère publique comme privée et exige des compétences sociales qui sont généralement l'apanage des femmes. La conception occidentale plus traditionnelle et romantique du couple suppose que les femmes offrent les conditions « émotionnelles » des relations tandis que les conditions « matérielles » sont fournies par les hommes. Heureusement, ce modèle est moins dominant, mais cette tension resurgit souvent lorsqu'il advient des conflits concernant les manières de signifier l'amour à l'autre (Langford, Reference Langford1999) et de prendre soin de la relation. Lena Gunnarsson montre que le geste d'amour des femmes suppose de « loving him for who he is », ce qui entraîne une délégitimation de ce qu'elles jugent mériter une attention, tandis que le point de vue de leur conjoint apparaît comme neutre : « when the women express dissatisfaction with their partner's behaviour they tend to see this dissatisfaction as a subjective standpoint that is relative to the more absolute standpoint of the man » (Reference Gunnarsson2014 : 99). Si les arrangements intimes reposent implicitement sur la prise en charge du travail émotionnel par les conjointes, les conjoints restent relativement dispensés de développer ces compétences (et de les transmettre comme parents). Ces responsabilités de care sont déséquilibrées au profit des hommes et la mise en évidence d'une rencontre inadéquate de ces besoins affectifs par les femmes est souvent accueillie comme une demande attribuée à leur émotivité.

Dimension sexuelle

La dimension sexuelle constitue une « expérience fondatrice des relations conjugales » (Bozon, Reference Bozon2009). L'aspect récréatifFootnote 5 de la sexualité devrait supposer une attention accordée à la satisfaction des besoins sexuels des partenaires. Or, les hommes hétérosexuels semblent demeurer peu attentifs aux besoins sexuels d'autrui. C'est ce qu'attestent, néanmoins, des études qui dénoncent le « gender orgasm gap » persistant (Lloyd, Reference Lloyd2006). Avec des données états-uniennes reposant sur un échantillon de 52 588 adultes de 18 à 65 ans, il a été possible de quantifier l'accès différencié à la jouissance lors de la dernière relation sexuelle hétéro : 95% des hommes disent avoir atteint l'orgasme pour 65% des femmes (Frederick et al., Reference Frederick, John, Garcia and Lloyd2017)Footnote 6. Parmi les hétérosexuelles, il existe une sorte d'omerta en matière de satisfaction sexuelle, car les questions sont rarement ouvertes, pouvant engendrer malaises et conflits. Même si l'accès aux orgasmes est influencé par les scripts sexuels et la socialisation genrée, il demeure un déséquilibre dans le souci porté à l’égard de pratiques permettant de répondre aux besoins sexuels de chacun.e. S'il est difficile pour certaines femmes de se faire énonciatrices de leurs désirs, les pratiques sexuelles demeurent apparement injustes en secondarisant leurs besoins (Boisvert, Reference Boisvert2017). Ces disparités sont politiques et témoignent de l'importance des services sexuels offerts par les femmes aux hommes, lesquels ne vouent pas la même attention à satisfaire les besoins de leur partenaire.

Dimension domestique et ménagère

Les arrangements intimes ont aussi une dimension domestique et ménagère à deux volets : les partenariats conjugaux concernant l'habitat, d'une part, et les charges ménagères reliées au maintien en vie des personnes, d'autre part. Le premier aspect à analyser concerne le cadre matériel plus général de l'habitat et des partenariats économiques. Il y a des conséquences financières découlant du déséquilibre des charges de care entre les conjoint.es. Dans nos sociétés, tout converge (politiques étatiques et fiscales, coût de la vie, discours normatifs) pour valoriser la cohabitation conjugale. Les logiques qui président aux ententes financières et à la répartition des dépenses consolident souvent des inégalités au profit des hommes et celles-ci se matérialisent lorsqu'advient une séparation, surtout si la relation n’était pas régie par des liens légaux (notamment au Québec). L'encadrement légal amenuise les injustices par des mécanismes de répartition des biens acquis durant la relation. Hélène Belleau et Delpine Lobet constatent que les ménages suivent des logiques genrées de répartition des dépenses : « les femmes sont plus nombreuses que les hommes à s'occuper du “liquide”, de ce qui passe de ce qui est périssable, les hommes prenant davantage en charge le “solide”, soit les biens durables » (Reference Belleau and Lobet2017 : 84). Ceci découle en partie des responsabilités de care qui demandent aux femmes des dépenses rapidement consommées, comme l’épicerie ou les vêtements. Le deuxième aspect de cette dimension concerne le travail de care relié aux besoins des personnes. Ces pratiques quotidiennes essentielles assurent la vie, comme les repas, la lessive, le nettoyage, les soins prodigués aux corps. Avec une méthode comptable, les écarts entre la prise en charge par les femmes et les hommes de ces responsabilités deviennent incontestables. Selon les données québécoises de l'Enquête sociale générale de 2015 (ESG), les femmes effectuent plus de tâches ménagères que leur conjoint. Pour la population active de plus de 15 ans, les hommes consacrent 4 h 06 par jour aux activités professionnelles et 2 h 27 aux tâches domestiques, tandis que les femmes se dédient 3 h 05 par jour aux activités professionnelles pour 3 h 29 aux activités domestiques (Crespo, Reference Crespo2018 : 2). Au cours des cinquante dernières années, les hommes ont investi plus de temps dans les tâches ménagères, pendant que les femmes ont augmenté le temps consacré aux activités professionnelles, tout en conservant leurs responsabilités domestiques (Crespo, Reference Crespo2018; Champagne, Pailhé et Solaz, Reference Champagne, Pailhé and Solaz2015). La socialisation genrée féminine joue un rôle dans la perception des tâches à accomplir, ce qui s'accompagne d'une « charge mentale », une notion introduite par Monique Haicault (Reference Haicault1984), laquelle recouvre l'anticipation et la planification des tâches relatives à la vie du couple ou de la famille. On peut dire que l'opposé de la charge mentale est la possibilité de ne pas se sentir responsable, ce qui présuppose que d'autres assument ces responsabilités. Lorsque des femmes se sentent débordées par leurs charges (sans parvenir à une meilleure répartition avec leur conjoint), certaines peuvent opter pour déléguer une partie de ce « sale boulot » (Anderson, Reference Anderson2000; Molinier, Reference Molinier2010) à d'autres femmes plus pauvres, racialisées ou venant d'ailleurs, comme le facilitent les États par des programmes spécifiques empreints de racisme et de néocolonialisme (Dorlin, Reference Dorlin, Paperman and Laugier2011; Glenn, Reference Glenn2010). Ce luxe d'une portion de femmes leur permet de se délester–en contrepartie de salaires moindres et de conditions de travail souvent pénibles offerts–de certaines responsabilités (l'entretien de la maison, les tâches relatives à la nourriture et les soins aux enfants) afin de s'investir davantage sur le plan professionnel ou de se libérer du temps pour des activités personnelles. De nombreux conflits sont reliés à la dimension domestique et ménagère. Si les représentations de l'amour romantique empêchent d'envisager la fin de la relation et les conséquences économiques des arrangements choisis et si déléguer une partie des tâches diminue les tensions conjugales libérant certaines femmes, ces stratégies d’évitement ou d'apaisement des conflits contribuent surtout à dispenser une majorité d'hommes d'assumer leur juste part des responsabilités de care.

Dimension parentale

Jusqu'ici, la démonstration a porté sur le déséquilibre entre les conjoint.es dits « indépendants » à l’égard du care nécessaire et des services personnels, mais il faut aborder la dimension parentale. Ce ne sont pas tous les couples qui auront des enfants, mais leur présence entraîne des responsabilités de care qui sont assumées en priorité par les femmes (Moyser & Burlock, Reference Moyser and Burlock2018). Selon l'ESG de 2015, c'est à partir de 25 ans (période lors de laquelle les adultes deviennent parents) que le temps investi dans les tâches domestiques connaît une croissance marquée et que les écarts s'intensifient, surtout entre 35–44 ans (Crespo, Reference Crespo2018 : 7). Par exemple, pour la situation des couples dont l'enfant le plus jeune a moins de cinq ans, les femmes consacrent 5 h 20 par jour aux tâches ménagères et aux soins des enfants en comparaison à 3 h 56 pour les hommes (Crespo, Reference Crespo2018 : 7). Selon l’étude de Clara Champagne, Ariane Pailhé et Anne Solaz, le temps investi dans les charges domestique, ménagère et parentale augmente pour les femmes avec l'arrivée de chaque enfant, tandis que le temps investi généralement par les hommes dans ces activités connaît l'effet inverse (Reference Champagne, Pailhé and Solaz2015 : 212–213). L’écart dans le temps investi pour ces tâches se maintient même lorsque les femmes reprennent une occupation professionnelleFootnote 7 et que les enfants vieillissent (Moyser & Burlock, Reference Moyser and Burlock2018). La socialisation genrée fait en sorte que les femmes et les hommes n'ont généralement pas les mêmes compétences au moment de devenir parents. Or, ces savoirs n’étant pas innés peuvent être acquis, si l'on s'en donne les moyens par une présence continue auprès de l'enfant. L’étude d'Olivier Lamalice et Hélène Charron révèle que les parents discutent très peu la répartition du congé parental : il est jugé naturel que la mère reste au foyer lors des premiers mois de vie de l'enfant (Reference Lamalice and Charron2015 : 56–57). Depuis l'instauration du congé de paternité au Québec, les pères se prévalent à environ 85% des semaines accordées. Or, le tiers des hommes ne prend pas son congé au moment de la naissance, mais dans la première année, et selon « deux pics dans l'année » (Hamelin, Reference Hamelin2017 : 80–81) : juillet-août et décembre-janvier. Cela ressemble à du temps passé en famille en mode « vacances » plutôt qu’à une gestion ordinaire de la vie domestique d'un seul parent avec l'enfant. Les arrangements que prennent les parents reposent donc sur des logiques peu interrogées qui ont des conséquences généralement à la défaveur des mères et cela a aussi pour répercussion de transmettre un modèle familial inégalitaire aux enfants.

En somme, il se dégage trois conséquences coextensives de cette analyse : (1) il y a un déséquilibre clair entre les partenaires dans la prise en charge des responsabilités de care; (2) par voie de conséquence, une importance moindre est accordée aux réponses devant être fournies aux différents besoins des partenaires féminins; et (3) il se fait un travail constant sur la relation pour amenuiser les effets des conflits comme expression des injustices découlant du déséquilibre de la prise en charge. Ces conséquences subies plus souvent par les femmes occasionnent aussi des accès différenciés à des « biens rares » convoités, lesquels sont des privilèges. À titre d'exemple, il peut s'agir de temps libre en continu, de l'espace mental faisant place à des projets valorisés, de sommeil sans trop d'interruption, de liberté de déplacement marquée de peu de charges, d'une satisfaction sexuelle récurrente, du soutien émotionnel, de choix professionnels, de la perception d'une autonomie et d'une liberté individuelle. Ce déséquilibre entre les conjoint.es n'est pas de la même intensité dans tous les couples et celui-ci peut varier selon les contextes. Il arrive parfois que ce déséquilibre soit à la défaveur des hommes en raison des responsabilités de care qu'ils assument. En dépit des exceptions, il demeure des tendances majoritairement injustes dans l'hétérosexualité qui méritent une attention critique.

Quand ce déséquilibre existe, différents scénarios peuvent advenir. Il est possible qu'il passe inaperçu ou bien qu'il fasse l'objet d'une observation critique et dans le meilleur des cas, cela peut conduire à la politisation des injustices subies. Cela peut entraîner du conflit entre les partenaires. Or, le conflit (lequel se distingue de la violence conjugale) est l’ébranlement du cours ordinaire de la relation et son avènement – même avec l'espoir de plus de justice – exige généralement plus de travail de care pour le conjoint et pour la relation de la part des femmes. À ce titre, l’étude de Mélanie Lamarre auprès de thérapeutes conjugaux montre que les femmes proposeraient à 52% les solutions pour résoudre les conflits en s'investissant plus dans la relation, tandis que 6% des solutions proviendraient uniquement des hommes (Reference Lamarre2009 : 41). La gestion des conflits conjugaux constitue une charge excédentaire de care pour les femmes au profit des hommes. Il est ainsi possible de constater le rôle dissuasif du conflit dans les difficultés à modifier les arrangements intimes. Enfin, ces conséquences injustes subies par les femmes témoignent de la persistance des asymétries de pouvoir entre les partenaires dans l'hétérosexualité.

Irresponsabilités relationnelles et charges de care

Les théories féministes du care préconisent une conception relationnelle de la responsabilité. Cette conception offre un cadre d'analyse utile pour complexifier la compréhension des logiques sexistes injustes qui perdurent entre les femmes et les hommes. Cette réflexion vise à révéler les liens qui s’établissent entre les irresponsabilités commises et les injustices répertoriées. Dans cette troisième partie, il importe de préciser la conception relationnelle de la responsabilité et de montrer son apport à la problématisation des injustices qui caractérisent les arrangements hétérosexuels.

Les théories du care réfèrent aux obligations morales, sociales et politiques de répondre aux besoins des autres et il s'agit d'une responsabilité. Dans Moral Understandings, Margaret Urban Walker soutient : « We are obligated to respond to particular others when circumstance or ongoing relationship render them especially, conspicuously, or peculiarly dependent on us » (ses italiques, Reference Walker1998 : 107). Frédérique Plot (Reference Plot, Paperman and Laugier2011 : 264) montre que l’éthique du care s'accorde en partie avec l’éthique de la vertu sur une critique des conceptions morales prédominantes : la conduite morale n'obéit pas à des principes abstraits ou universalisables (par exemple : la morale kantienne) ou le principe fondamental de la morale devant guider les comportements ne se réduit pas à la poursuite du bonheur ou du plaisir (par exemple : l’éthique utilitariste). Toutefois, Plot (Reference Plot, Paperman and Laugier2011 : 276–279) affirme que l’éthique du care se distingue de l’éthique de la vertu (vision plus « héroïque » de la vie vertueuse inspirée d'Aristote) notamment pour son souci concret à l’égard des pratiques devant répondre aux besoins des personnes dépendantes et vulnérables. Par ailleurs, Laugier (Reference Laugier2009) explique que les théories du care rapportent la moralité au niveau de l'ordinaire et au sentiment de responsabilité à l’égard des autres. Pour sa part, Patricia Paperman suggère de concevoir le care dans ses dimensions descriptive et normative : « l'activité est caractérisée par sa visée, son intention ou sa finalité qui est morale » (Reference Paperman, Molinier, Laugier and Paperman2009 : 90). Le care exige une réflexion à la fois éthique et politique. On ne peut pas, selon Paperman, décrire les pratiques de care sans considérer ses dimensions éthiques et inversement, les dimensions éthiques du care ne peuvent pas être analysées sans considérer les mécanismes sociaux et politiques de prise en charge (ou d'attribution) du care. Ainsi, les féministes du care envisageaient dès le départ un paradigme moral à partir des besoins fondamentaux et des expériences particulières de soin qui étaient jusqu'alors absentes des réflexions dominant le champ des éthiques classiques et des théories sur la justice.

Les travaux sur le care se rassemblent autour de l'idée de la responsabilité et on peut déjà la retrouver dans la vision morale d'Amy face au dilemme de HeinzFootnote 8. L'obligation morale de la responsabilité provient de la prise en compte de la vulnérabilité des autres et des relations d'interdépendance qu'elle entraîne. Dans une perspective du care, l'obligation tient ses racines dans les « pratiques concrètes à l’égard de cette responsabilité », en comparaison à des obligations qui seraient régies par « un ensemble de règles formelles ou dans une série de promesses » (Tronto, Reference Tronto2009 : 178). Les responsabilités de care sont toujours et déjà là. Inhérentes aux relations, elles engagent tout le monde comme êtres vulnérables et responsables. Tronto suggère que la responsabilité devient : « quelque chose que nous avons fait, ou n'avons pas fait » (Reference Tronto2009 : 178) à l’égard de besoins de soin d'autrui. D'ailleurs, elle entrevoit différentes phases du care et leur associe des qualités éthiquesFootnote 9. Plus précisément, la deuxième phase du care consiste à « se charger » (caring of) et la qualité éthique est la responsabilité, laquelle n'est pas innée, mais une attribution façonnée par les statuts relatifs au genre, à la classe et à la race. Certaines personnes se sentent plus en charge ou sont plus responsabilisées que d'autres. En somme, la responsabilité de se charger du care et inversement, la possibilité d'en être délesté.e sont une question morale et politique, car ces déséquilibres entre les personnes découlent d'asymétries de pouvoir individuelles et structurelles qui contribuent aux injustices sociales.

Plus particulièrement, le concept « d'irresponsabilité des privilégiés » (Reference Tronto2009; Reference Tronto2013a), que Tronto proposait déjà en Reference Tronto1990 pour le compte du racisme, influence ma réflexion à l’égard des injustices dans les arrangements hétérosexuels. Comme cela a été défini en introduction, « l'irresponsabilité des privilégiés » désigne un mécanisme par lequel des personnes en position hiérarchiquement favorable voient leurs besoins de care (services personnels et care nécessaire) satisfaits par d'autres et sont exemptées de répondre (par indifférence, ignorance ou délégation) aux besoins d'autrui. Pour dire simplement : l'opposé de la responsabilité serait l'irresponsabilité. Les puissants de ce monde échouent à reconnaître leur dépendance fondamentale aux autres, leurs privilèges et les conséquences subies par les autres en raison des systèmes d'attribution des charges de care. Avec ce concept, Tronto expose un rapport politique : « some people have to take up their caring responsibility, while others are given “passes” out of such responsibilities » (Reference Tronto2013a : 33). En fait, l'autrice réfléchit à l'attribution genrée des responsabilités de care et montre que les hommes bénéficient de « passes », c'est-à-dire d'une exemption individuelle, mais inscrite structurellement dans l'injustice sociale, fondée sur le fait de protéger (protection pass) et une autre sur la base de la production (production pass) leur permettant culturellement et économiquement de déléguer aux femmes le travail de care dans le privé, là où sa valeur et son importance sont minorisées (Tronto, Reference Tronto2013a : 67–94). Parce qu'ils protègent et produisent sur une base individuelle, les hommes sont engagés d'une certaine manière à l’égard des autres, tout en conservant leur perception d'indépendance et de réalisation personnelle. Ce sont les effets combinés des systèmes de domination qui permettent ces irresponsabilités relationnelles et cela a des conséquences concrètes sur les protagonistes de la relation que l'on désigne comme des injustices. Les irresponsabilités des puissants se répercutent sur les personnes (mais aussi sur les autres vivants, si l'on se rapporte à la définition de Tronto & Fischer [Reference Tronto, Fisher, Abel and Nelson1990]) avec qui ils sont en relation.

L'irresponsabilité doit être comprise comme un enjeu moral et politique qui renvoie, pour Tronto (Reference Tronto2009; Reference Tronto2013a), à un manque de démocratie et de justice sociale ainsi qu’à des structures qui rendent possible l'ignorance des privilèges. Les conséquences subies sont attribuables aux attitudes et aux pratiques concrètes par rapport aux responsabilités de care : de la satisfaction des besoins d'autrui à leur déni. Cette manière d'envisager la responsabilité met en relief les enjeux moraux tout en faisant apparaître les asymétries de pouvoir qui désignent les responsables et en exemptent d'autres. Toutes les relations appellent des responsabilités et il est difficile d'agir toujours de manière responsable. Nous faisons des choix et certaines de nos responsabilités peuvent être conflictuelles. Sur ce point, Tronto se fait rassurante en disant qu'il ne s'agit pas « d'une faute morale exceptionnelle, mais [qui] est inhérente à toute vie humaine » (Reference Tronto, Gilligan, Hochschild and Tronto2013b : 13), ce qui ne défausse pas à évaluer les dommages causés par nos irresponsabilités. En proposant d'inclure les « services rendus » aux indépendants dans les pratiques de care, Hamrouni (Reference Hamrouni, Bourgault and Perreault2015 : 77) soutient que ces activités ne relèvent pas de la même teneur morale que les soins prodigués aux personnes plus vulnérables (par exemple : les personnes handicapées ou âgées, les nourrissons), révélant les rapports de domination.

Le modèle relationnel de la responsabilité et le concept d'irresponsabilités des privilégiés contribuent de manière éclairante, il me semble, à la politisation des injustices persistantes dans les arrangements intimes hétérosexuels. En fait, Tronto (Reference Tronto2009; Reference Tronto2013a) ne traite pas explicitement, à ma connaissance, des incidences de l'hétérosexualité sur les logiques qui président à l'attribution et à la prise en charge des responsabilités de care. Elle invoque les rapports sociaux de sexe, la famille, le mariage, le travail ménager, les tensions entre les sphères privée et publique, le patriarcat, mais elle ne nomme pas explicitement le couple hétérosexuel. La norme hétérosexuelle demeure implicite dans ses travaux et elle situe sa réflexion sur le registre public et collectif de la démocratie. Pour ma part, je compte conserver son désir de politisation globale des asymétries de pouvoir découlant de l'attribution des responsabilités de care pour le resituer dans la relation dyadique du couple hétérosexuel.

Abordons maintenant l'enjeu d'attribution et de prise en charge des responsabilités de care dans les couples hétérosexuels. À la lumière de la démonstration faite dans la partie précédente, il est possible de constater la ligne de partage des ir/responsabilités entre les partenaires à l’égard du care, ce qui soulève des enjeux moraux et politiques. Le rapport qui s'instaure en raison des attitudes et des pratiques irresponsables est politique et patriarcal, par exemple : indifférence ou délégitimation des demandes d'ordre affectif; inattention à l’égard de pratiques qui permettent un accès égal aux jouissances; détachement relatif par rapport aux charges mentales, aux pratiques ménagères et aux soins du corps. Ces irresponsabilités diverses de nombreux conjoints sont rendues possibles en raison d'une culture patriarcale, de mœurs sociales et de systèmes de domination qui assignent–par la division du travail et la socialisation genrée – des responsabilités en priorité aux femmes. Visibiliser et politiser la ligne de partage entre les ir/responsabilités de care entre les conjoint.es montre les rapports de pouvoir structurant l'ordinaire des couples. Ce faisant, il est permis de faire l'hypothèse que la responsabilisation relationnelle soit l'une des conditions morales et politiques pour plus d’égalité entre les conjoint.es hétérosexuel.les. Par « responsabilisation relationnelle », j'entends un processus politique par lequel les hommes sont conscientisés quant aux responsabilités que commandent les relations sur la base de l'interdépendance ainsi qu'aux conséquences subies par leur conjointe à la suite de leurs irresponsabilités qui résultent de structures sociales. Ce processus doit les mener à prendre leurs responsabilités pour contrer les privilèges dont ils bénéficient individuellement et collectivementFootnote 10.

Ensuite, traitons des conséquences subies par les protagonistes de la relation en raison de ces irresponsabilités. Si la conduite morale tient ses racines dans les pratiques concrètes de responsabilités de care, les irresponsabilités particulièresFootnote 11 sont des fautes morales et politiques, dont la gravité peut varier. Ce sont les mécanismes sociaux et politiques qui rendent possible la faute morale, c'est-à-dire toutes les manières conscientes et inconscientes par lesquelles se manifestent des pratiques d'inattention, de déni ou de relégation des responsabilités à d'autres. À la suite des travaux de Tronto, il est possible de considérer que de nombreux conjoints commettent, dans le contexte hétérosexuel, des fautes morales par leurs irresponsabilités relationnelles. La gravité de ces irresponsabilités s’évalue aux conséquences subies par les conjointes. À titre d'exemple, elles demeurent les principales pourvoyeuses de toutes les formes de care, leurs besoins de care sont secondarisés ou corollaires à la satisfaction de ceux des conjoints (et des autres), leur accès est restreint aux biens rares qui demeurent des privilèges, leurs charges des relations les rendent plus engagées à leurs égards, ce qui concourt à offrir une perception d'indépendance et d'autonomie aux autres. Les relations conjugales seraient plus épanouissantes, justes et réciproques, si chacun.e pouvait compter sur le sentiment de responsabilité à l’égard des besoins fondamentaux. Les enjeux moraux et politiques de ces irresponsabilités varient selon les situations particulières et les contextes, mais ils concernent la dignité et l’égalité entre les personnes.

En contexte conjugal hétérosexuel, le concept d'irresponsabilité des privilégiés permet de révéler deux revers d'une même réalité. D'un côté, il y a les mécanismes sociaux et politiques qui délestent les hommes d’être assignés responsables ou de se sentir responsables des charges de care que commandent la vulnérabilité fondamentale de leur conjointe et éventuellement, des autres personnes en proximité comme les enfants. Et de l'autre, ces mêmes mécanismes attribuent aux femmes une part démesurée des responsabilités de care à l’égard de leur conjoint qui relèvent à la fois de care nécessaire et de services divers découlant de leur vulnérabilité.

En somme, les asymétries de pouvoir découlant des irresponsabilités de care sont l'une des manifestations contemporaines du patriarcat qui caractérise, avec une intensité variable, une majorité de couples hétérosexuels. En dépit d'un relatif processus d’égalisation sociale, les injustices entre les femmes et les hommes demeurent et il faut suivre la ligne de partage entre les ir/responsabilités pour le remarquer. Certains doivent individuellement prendre leurs responsabilités de care, ce qui implique de nouvelles répartitions des charges de care au-delà des dichotomies genrées. Cela doit s'accompagner de débats autour de ce qui est important, de ce qui assure la vie et de ce qui contribue à l’égalité entre les personnes. Voilà un programme politique démocratique autour des enjeux de care, comme le souhaite Tronto (Reference Tronto2013a) qui ouvre une avenue de transformation sans équivoque pour l'hétérosexualité patriarcale.

Comment responsabiliser les irresponsables?

En guise de conclusion, il me semble possible de soutenir que les injustices qui perdurent dans les arrangements intimes hétérosexuels sont des irresponsabilités relationnelles de la part de nombreux conjoints. Cela conduit à une question politique cruciale : comment responsabiliser les irresponsables? Pour mettre fin aux formes de domination qui structurent les rapports entre les femmes et les hommes, il faut engager un projet de transformation en profondeur de nos sociétés contemporaines, c'est-à-dire sur les plans individuel et collectif. Ainsi, ce projet a des implications tant publiques et collectives que privées et interpersonnelles. Par exemple, il doit concerner une modification radicale de la socialisation genrée, un changement des manières souvent toxiques d'aimer, une réelle politisation de l'intime, une interrogation de la place centrale du couple comme institution et de la norme hétérosexuelle, une réflexion sur le rôle de l’État et des politiques publiques comme partenaires de l’égalisation sociale, une reconfiguration majeure du rapport collectif à la productivité néolibérale et au travail salarié. Responsabiliser les irresponsables depuis l'intimité hétérosexuelle n'est qu'une partie d'un projet politique plus large en faveur de plus d’égalité entre les personnes. En fait, l'idée défendue selon laquelle la responsabilisation relationnelle est une condition pour plus de justice dans les couples hétérosexuels repose sur la conviction que ces relations ne sont pas condamnées à être façonnées de rapports de domination et d'injustices ordinaires banalisées. Si l'abandon de relations hétérosexuelles profondément injustes peut être une option valide, certaines personnes réclament encore leur transformation radicale. Dans cette perspective, il me semble que la responsabilisation relationnelle est une avenue éthique et politique à explorer plus avant.

Dans un couple, la coresponsabilité relationnelle devrait impliquer les éléments suivants : se reconnaître comme des êtres interdépendants et vulnérables; visibiliser et politiser les nombreuses pratiques de care qui répondent aux besoins fondamentaux de chacun.e; instaurer une préoccupation partagée et continûment renouvelée à l’égard des conséquences des arrangements sur les protagonistes de la relation; accepter qu'en dépit des bonnes intentions, ce rééquilibrage des responsabilités relationnelles entraîne des inconforts et probablement des conflits; reconnaître les limites de notre conception romantique de l'amour qui dramatise le conflit. À ce titre, le conflit n'est pourtant pas opposé au bonheur relationnel, mais devrait plutôt être entrevu comme une dimension politique des transformations sociales. Enfin, il semble que l'invitation à responsabiliser les irresponsables devrait s'accompagner d'un mouvement pour se décharger. Se décharger n'est pas ici synonyme d'abandonner les responsabilités, de négliger ce qui est essentiel dans ces relations de soin ou de déléguer ces charges à d'autres. Se décharger participe d'un nécessaire mouvement politique de rééquilibrage des responsabilités de care à titre commun et universel d’êtres vulnérables de besoins. Notre plus gros problème ne serait pas éventuellement un surplus de care, mais le manque persistant de réciprocité dans ces pratiques qui débouche sur des asymétries de pouvoir. En somme, les théories féministes du care indiquent une avenue pour transformer les dynamiques patriarcales relationnelles entre les femmes et les hommes en valorisant et en restituant pour tous le rôle névralgique et central des responsabilités de care dans nos sociétés contemporaines.

Footnotes

1 « [W]e suggest that caring be viewed as a species activity that includes everything that we do to maintain, continue, and repair our “world” so that we can live in it as well as possible. That world includes our bodies, our selves, and our environment, all of which we seek to interweave in a complex, life-sustaining web » (Tronto & Fisher, Reference Tronto, Fisher, Abel and Nelson1990 : 40).

2 L'expression de « vagues » pour distinguer les générations d'autrices fait l'objet de débats (voir Bourgault et Perreault [Reference Bourgault and Perreault2015 : 15] pour une discussion sur ce terme dans le monde académique francophone et anglophone).

3 En dépit des divergences, les théoriciennes du care s'accordent autour de l'idée d'une dépendance humaine fondamentale, par exemple : Martha Fineman (Reference Fineman2004), Virginia Held (Reference Held2006) ou Eva Feder Kittay (Reference Kittay1999).

4 Les quatre dimensions retenues pour l'analyse se retrouvent dans une proposition de théorie générale de l'hétérosexualité que j'ai élaborée (Mayer, Reference Mayer2018).

5 Dans le contexte de l'hétérosexualité, les pratiques sexuelles et la reproduction humaine ne sont pas toujours scindées. Pensons aux personnes qui souhaitent enfanter ou celles fertiles pour qui les contraceptifs ont été inefficaces.

6 Il y a peu de raisons permettant de croire que les résultats seraient différents au Canada.

7 La parentalité a des répercussions sur la vie professionnelle des femmes (Hamelin, Reference Hamelin2017; Lamalice & Charron, Reference Lamalice and Charron2015; Rose, Reference Rose2016). Par exemple : retrait du travail salarié lors du congé parental et absences pour raisons familiales; choix professionnels offrant plus de flexibilité durant l'enfance; conséquences sur les avancées en carrière; effets sur l’épargne personnelle et les conditions financières de la retraite; incidence du stress sur la santé mentale des femmes.

8 Gilligan (Reference Gilligan2008) critique la théorie du développement moral de Kohlberg (Reference Kohlberg1958) qui repose sur les jugements de Jack et d'Amy, onze ans, à l’égard des actions que devrait poser Heinz qui est trop pauvre pour payer un médicament pouvant épargner sa femme de la mort. Jack juge que Heinz devrait voler le médicament, tandis qu'Amy ne pense pas qu'il devrait le voler et suggère diverses avenues. Gilligan conteste l'analyse de Kohlberg selon laquelle la pensée d'Amy serait moins morale ou abstraite que celle de Jack pour y voir les bases d'une voix différente, d'une éthique du care, fondée sur l'importance des rapports humains. Gilligan (Reference Gilligan2008) n'oppose pas l’éthique du care à la justice; elle invite à intégrer le souci des autres et le respect de soi à l’éthique de la justice.

9 Chacune des cinq phases du care est jumelée à une qualité éthique : (1) se soucier de – l'attention; (2) prendre en charge – la responsabilité; (3) accorder les soins – les compétences; (4) recevoir les soins – la réactivité; (5) prise en charge publique du care – confiance et solidarité (Tronto, Reference Tronto2013a : 34–35).

10 Par manque d'espace, je ne pourrais pas développer davantage cette idée. Or, l’élaboration d'une pédagogie critique soutenant les dominants dans la prise de conscience de leur pratique individuelle et leur rôle dans la reproduction des structures oppressives que suggère Bob Pease (Reference Pease, Morley, Ablett and Noble2020) à partir du travail de Tronto et d'Iris Marion Young (Reference Young2011) me semble fort pertinente pour le contexte de l'hétérosexualité.

11 Le particulier est le registre de cette réflexion, mais Tronto propose plutôt une réflexion sur les ir/responsabilités globales.

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