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Déterminants du succès d’une démarche provinciale d’usage optimal des antipsychotiques chez les résidents en soins de longue durée selon les acteurs clés impliqués dans l’implantation

Published online by Cambridge University Press:  15 August 2022

Julie Lane*
Affiliation:
Faculté d’éducation, Université de Sherbrooke, 2500, boulevard de l’Université, Sherbrooke, Québec, J1K 2R1, Canada
Luiza Maria Manceau
Affiliation:
Faculté d’éducation, Université de Sherbrooke, 2500, boulevard de l’Université, Sherbrooke, Québec, J1K 2R1, Canada
Marie Massuard
Affiliation:
Faculté d’éducation, Université de Sherbrooke, 2500, boulevard de l’Université, Sherbrooke, Québec, J1K 2R1, Canada
Yves Couturier
Affiliation:
Département de travail social, Université de Sherbrooke, 2500, boulevard de l’Université, Sherbrooke, Québec, J1K 2R1, Canada
Benoit Cossette
Affiliation:
Faculté de médecine et des sciences de la santé, Université de Sherbrooke, 2500, boulevard de l’Université, Sherbrooke, Québec, J1K 2R1, Canada
Jacques Ricard
Affiliation:
Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de l’Estrie – Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke, 300 Rue King Est, Sherbrooke, Québec, J1G 1B1, Canada
Chantal Viscogliosi
Affiliation:
Faculté de médecine et des sciences de la santé, Université de Sherbrooke, 2500, boulevard de l’Université, Sherbrooke, Québec, J1K 2R1, Canada
Véronique Déry
Affiliation:
Faculté de médecine et des sciences de la santé, Université de Sherbrooke, 2500, boulevard de l’Université, Sherbrooke, Québec, J1K 2R1, Canada
Patricia Gauthier
Affiliation:
Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de l’Estrie – Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke, 300 Rue King Est, Sherbrooke, Québec, J1G 1B1, Canada
*
Corresponding author: La correspondance doit être transmise à l’adresse suivante : Julie Lane, PhD, Professeure associée Université de Sherbrooke Département d’études sur l’adaptation scolaire et sociale, Faculté d’éducation Directrice Centre RBC d’expertise universitaire en santé mentale 2500, boulevard de l’Université Sherbrooke, QC J1K 2R1, Canada Tél : 819 993-2306 (Canada) Courriel : julie.lane@usherbrooke.ca
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Résumé

Le Québec présente le taux de prescriptions d’antipsychotiques le plus élevé chez les personnes âgées de 65 ans et plus au Canada. La démarche « Optimiser les pratiques, les usages, les soins et les services – antipsychotiques » (OPUS-AP) vise à pallier cet enjeu. Étant donné ses premiers résultats prometteurs, notre étude visait à identifier les déterminants de son succès. Elle repose sur un devis d’étude de cas regroupant une analyse documentaire et 21 entrevues auprès d’acteurs clés impliqués dans l’implantation. Les résultats mettent en lumière cinq déterminants centraux : 1) une démarche intégrée, collaborative et probante; 2) des communications et des réseaux au service de la démarche; 3) un climat d’implantation favorable aux changements; 4) un engagement et une implication des parties prenantes; et 5) une stratégie d’application des connaissances intégrée et appuyée. Des défis et recommandations pour assurer la pérennisation et la mise à l’échelle d’OPUS-AP et inspirer des démarches similaires sont identifiés.

Abstract

Abstract

Quebec has the highest rate of antipsychotic prescriptions among people aged 65 or over in Canada. The Optimiser les pratiques, les usages, les soins et les services – antipsychotiques (OPUS-AP) initiative aims to address this issue. Given its promising initial results, our study aimed to identify the determinants of these results. Our study was based on a case study design and involved a literature review and 21 individual interviews with key stakeholders of the OPUS-AP initiative. The results highlight five central determinants: 1) an integrated, collaborative and evidence-based approach; 2) communications and networks to support the process; 3) a climate of implementation that favours change; 4) stakeholder’s commitment and involvement; and 5) an integrated and supported knowledge translation strategy. Challenges were also identified and recommendations made to ensure the sustainability and scaling-up of this initiative and to inspire similar projects.

Type
Article
Copyright
© Canadian Association on Gerontology 2022

Introduction

Contexte de l’étude

Au Québec, jusqu’à 80 % des résidents en centre d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) sont atteints de troubles neurocognitifs (TNC) majeurs (Ministère de la Santé et des Services sociaux [MSSS], 2009). Comme les symptômes comportementaux et psychologiques de la démence (SCPD) sont intimement associés à l’apparition, à l’évolution ainsi qu’à la sévérité des TNC majeurs, la grande majorité de ces résidents présentera à un moment ou à un autre au moins l’un des SCPD (Azermai et al., Reference Azermai, Petrovic, Elseviers, Bourgeois, Van Bortel and Vander Stichele2012; Steinberg et al., Reference Steinberg, Shao, Zandi, Lyketsos, Welsh-Bohmer and Norton2008). Ces symptômes regroupent un ensemble de manifestations associées à l’agressivité, l’agitation et à des symptômes qui ne répondent pas à la médication telles que l’errance, les comportements répétitifs ou la désinhibition verbale (Breton et al., Reference Breton, Carpentier, Gernigon, Robitaille, Saury and Tessier2017). Les personnes présentant un TNC majeur ne doivent généralement pas être traitées en première intention par des antipsychotiques (Reus et al., Reference Reus, Fochtmann, Eyler, Hilty, Horvitz-Lennon and Jibson2016) et l’usage de ces derniers devrait être réservé à des indications circonscrites et de durée limitée, en cas d’urgence pour prendre en charge les symptômes psychotiques ou d’agressivité qui entraînent un danger immédiat pour la personne elle-même ou pour autrui (Breton et al., Reference Breton, Carpentier, Gernigon, Robitaille, Saury and Tessier2017; MSSS, 2011; Reus et al., Reference Reus, Fochtmann, Eyler, Hilty, Horvitz-Lennon and Jibson2016). Aspirant à susciter une réelle transformation des pratiques en ce sens, le Québec, qui présente le plus élevé taux de prescriptions d’antipsychotiques chez les personnes âgées de 65 ans et plus au Canada (Tadrous et al., Reference Tadrous, Martins, Herrmann, Fernandes, Yao and Singh2015), s’est joint au mouvement visant l’utilisation appropriée des antipsychotiques sous l’impulsion et le soutien (dont financier) de la Fondation canadienne pour l’amélioration des services de santé (Fondation canadienne pour l’amélioration des services de santé [FCASS], s.d.) et du MSSS. L’ensemble des centres intégrés de la santé et des services sociaux et des centres intégrés universitaires de la santé et des services sociaux (CISSS et CIUSSS qui seront appelés « établissements » dans cet article) ont alors appuyé la proposition de lancer la démarche Optimiser les pratiques, les usages, les soins et les services – antipsychotiques (OPUS-AP). En 2017, une structure nationale de gouverne et de soutien dédiée à OPUS-AP, regroupant les acteurs clés du réseau de la santé et des services sociaux (RSSS), a été mise en place et soutenue activement par la FCASS. L’Institut national d’excellence en santé et services sociaux a été mandaté par le MSSS pour élaborer des recommandations cliniques. Au moment d’écrire ces lignes, la structure OPUS-AP était composée de : 1) un comité directeur qui détermine les orientations et assure le suivi et la réédition de compte; 2) un comité scientifique qui examine les outils cliniques, propose les adaptations nécessaires et contribue à définir les orientations cliniques; 3) un comité Faculté qui élabore/adapte et déploie le curriculum de formation des équipes de soins et les soutient selon les besoins émergents; 4) un comité Mesure, évaluation et systèmes d’information qui évalue l’implantation et les effets d’OPUS-AP; 5) une équipe de coordination (un directeur, une cheffe de projet, une cheffe territoriale et une représentante de la FCASS) qui veille au déploiement et au suivi d’OPUS-AP et accompagne la mise en place des pratiques privilégiées par OPUS-AP; et 6) des équipes responsables d’OPUS-AP en établissement (des représentants de directions cliniques et de soutien, un chargé de projet, un expert de la mesure de 1ère ligne et des formateurs OPUS-AP) qui déploient OPUS-AP et veillent au soutien de proximité des équipes de soins.

Une implantation de la démarche OPUS-AP à l’échelle du Québec se déroule en trois phases (en 2018, 2019 et 2021) et vise à améliorer la qualité et l’expérience de soins dans les CHSLD pour les personnes présentant un TNC majeur, leurs proches et le personnel. Cette démarche met en œuvre une approche centrée sur le résident, des interventions non pharmacologiques et la déprescription des antipsychotiques (ou la cessation ou la diminution du dosage). Fondée sur des données probantes, OPUS-AP est mis en œuvre par le biais d’une stratégie d’application des connaissances intégrée (formation, outils cliniques, soutien personnalisé et visites en présence). Le travail des équipes de soins se situe au cœur de la démarche OPUS-AP et s’actualise notamment par le biais de rencontres « caucus » portant sur le résident et son historique, d’un plan d’intervention interdisciplinaire individualisé ainsi que d’un partenariat avec le résident et ses proches.

Au cours des deux premières années d’implantation, la démarche OPUS-AP a fait l’objet d’une évaluation. L’étude de Cossette et al. (Reference Cossette, Bruneau, Couturier, Gilbert, Boyer and Ricard2020) présente les résultats prometteurs de la phase I à partir d’un suivi sur neuf mois des prescriptions d’antipsychotiques, de benzodiazépines et d’antidépresseurs, le suivi des SCPD et des chutes chez les résidents au sein des 30 équipes (de 24 établissements). Sur 1054 résidents, 78,3% avaient un diagnostic de TNC majeurs et 51,7% avaient une prescription d’antipsychotique. La cohorte comprenait 464 résidents ayant à la fois un diagnostic de TNC et une prescription d’antipsychotiques. La déprescription d’antipsychotiques a été tentée chez 220 des 344 résidents hébergés à un suivi de 9 mois. Un arrêt complet a été observé chez 116 de ces résidents (52,7%) et une diminution du dosage chez 72 (32,7%), pour un total de 188 résidents (85,5%; intervalle de confiance à 95% : 80,1%, 89,8%). Une diminution des prescriptions de benzodiazépines et une amélioration des scores de l’inventaire d’agitation de Cohen-Mansfield ont été observées chez les résidents dont les antipsychotiques ont été déprescrits (Cossette et al., Reference Cossette, Bruneau, Couturier, Gilbert, Boyer and Ricard2020). Étant donné la nature, l’ampleur et les premiers résultats prometteurs de la démarche OPUS-AP, il importait de cibler les déterminants centraux de ces résultats. L’identification de ces déterminants est primordiale pour analyser le potentiel de cette démarche pour gérer, soutenir et maintenir en partenariat et à vaste échelle la transformation de pratiques cliniques en CHSLD, mais aussi d’autres pratiques dans d’autres domaines au sein du RSSS.

Importance et impact de notre étude

Optimiser les pratiques en soins de longue durée pour les aînés à l’égard de l’usage approprié des antipsychotiques conjointement à l’utilisation des approches non pharmacologiques est un besoin largement reconnu (Langford, Chen, Robert, & Schneider, Reference Langford, Chen, Robert and Schneider2019; Tannenbaum et al., Reference Tannenbaum, Farrell, Shaw, Morgan, Trimble and Currie2017) et appuyé par des guides de pratiques cliniques au Canada (Bjerre et al., Reference Bjerre, Farrell, Hogel, Graham, Lemay and McCarthy2018), aux États-Unis (Reus et al., Reference Reus, Fochtmann, Eyler, Hilty, Horvitz-Lennon and Jibson2016) et en Australie (Laver et al., Reference Laver, Cumming, Dyer, Agar, Anstey and Beattie2016). Plus spécifiquement, ces guides soulignent l’importance de réduire l’usage inapproprié d’antipsychotiques pour traiter les SCPD associés aux TNC majeurs et d’intégrer l’approche de base et des interventions non pharmacologiques individualisées (Azermai et al., Reference Azermai, Petrovic, Elseviers, Bourgeois, Van Bortel and Vander Stichele2012; Gitlin, Kales, & Lyketsos, Reference Gitlin, Kales and Lyketsos2012).

L’usage optimal des antipsychotiques, combiné aux soins centrés sur la personne, peut entrainer des effets positifs chez les patients. Elle permet par exemple d’améliorer le fonctionnement social et la communication avec les autres (Palagyi, Keay, Harper, Potter, & Lindley, Reference Palagyi, Keay, Harper, Potter and Lindley2016), de combler d’autres besoins (ex. : sociaux, culturels, spirituels, etc.) en personnalisant les soins (Chenoweth et al., Reference Chenoweth, Jessop, Harrison, Cations, Cook and Brodaty2018), d’améliorer la perception des patients de leur état de santé général (Turner, Edwards, Stanners, Shakib, & Bell, Reference Turner, Edwards, Stanners, Shakib and Bell2016) et de réduire l’incidence et la sévérité de l’agitation et de la résistance envers leurs soins personnels et des problèmes comportementaux (Chenoweth et al., Reference Chenoweth, Jessop, Harrison, Cations, Cook and Brodaty2018). Plus largement, une telle approche peut aussi entrainer la baisse d’hospitalisations et l’augmentation de la longévité (Turner et al., Reference Turner, Edwards, Stanners, Shakib and Bell2016) ainsi que la réduction des coûts (Bjerre et al., Reference Bjerre, Farrell, Hogel, Graham, Lemay and McCarthy2018).

De façon générale, deux groupes d’initiatives visant à optimiser les pratiques liées aux antipsychotiques dans les centres de soins de longue durée sont identifiés : 1) les initiatives cliniques centrées sur les activités des praticiens (ex. : implantation d’algorithmes ou de protocoles de réduction de dose); et 2) les initiatives administratives ou structurelles centrées sur les aspects organisationnels et législatifs en santé (ex. : lignes directrices nationales) (Langford et al., Reference Langford, Chen, Robert and Schneider2019; Tannenbaum et al., Reference Tannenbaum, Farrell, Shaw, Morgan, Trimble and Currie2017). Ces deux groupes d’initiatives se butent à de nombreux défis liés à l’utilisation et à la pérennisation des interventions de déprescription de médicaments chez les aînés (Dharmarajan et al., Reference Dharmarajan, Choi, Hossain, Munasinghe, Lakhi and Lourdusamy2019; Jessop et al., Reference Jessop, Harrison, Cations, Draper, Chenoweth and Hilmer2017; Langford et al., Reference Langford, Chen, Robert and Schneider2019). Plusieurs recherches ont identifié les facteurs qui freinent l’implantation de la déprescription, dont les structures organisationnelles rigides (Palagyi et al., Reference Palagyi, Keay, Harper, Potter and Lindley2016), la culture de soins centrée sur la tâche (Palagyi et al., Reference Palagyi, Keay, Harper, Potter and Lindley2016), le manque ou le roulement des ressources humaines (Bjerre et al., Reference Bjerre, Farrell, Hogel, Graham, Lemay and McCarthy2018; Chenoweth et al., Reference Chenoweth, Jessop, Harrison, Cations, Cook and Brodaty2018; Palagyi et al., Reference Palagyi, Keay, Harper, Potter and Lindley2016; Turner et al., Reference Turner, Edwards, Stanners, Shakib and Bell2016), le manque de formation des équipes de soins sur les effets secondaires, la gestion et la documentation des médicaments (Palagyi et al., Reference Palagyi, Keay, Harper, Potter and Lindley2016), la croyance que l’usage d’antipsychotiques peut alléger le fardeau des soignants (Bjerre et al., Reference Bjerre, Farrell, Hogel, Graham, Lemay and McCarthy2018), la peur de contribuer à la détérioration de l’état (Turner et al., Reference Turner, Edwards, Stanners, Shakib and Bell2016) ou du comportement du patient (Bjerre et al., Reference Bjerre, Farrell, Hogel, Graham, Lemay and McCarthy2018; Chenoweth et al., Reference Chenoweth, Jessop, Harrison, Cations, Cook and Brodaty2018), les différences de perception entre les professionnels, les patients ou leurs proches (ex. : à l’égard du bien-fondé de la démarche et du rôle de chacun) (Chenoweth et al., Reference Chenoweth, Jessop, Harrison, Cations, Cook and Brodaty2018; Jessop et al., Reference Jessop, Harrison, Cations, Draper, Chenoweth and Hilmer2017; Palagyi et al., Reference Palagyi, Keay, Harper, Potter and Lindley2016; Turner et al., Reference Turner, Edwards, Stanners, Shakib and Bell2016), la volonté d’éviter les conflits (Palagyi et al., Reference Palagyi, Keay, Harper, Potter and Lindley2016; Turner et al., Reference Turner, Edwards, Stanners, Shakib and Bell2016) et le manque de suivi (Palagyi et al., Reference Palagyi, Keay, Harper, Potter and Lindley2016). D’autres recherches ont également identifié les facteurs qui facilitent l’implantation de la déprescription, dont la volonté administrative, le leadership et le soutien politique et logistique des gestionnaires et de la direction (Brodaty et al., Reference Brodaty, Aerts, Harrison, Jessop, Cations and Chenoweth2018;Chenoweth et al., Reference Chenoweth, Jessop, Harrison, Cations, Cook and Brodaty2018; Jessop et al., Reference Jessop, Harrison, Cations, Draper, Chenoweth and Hilmer2017), la vision interdisciplinaire du changement (Abrahamson, Nazir, & Pressler, Reference Abrahamson, Nazir and Pressler2017; Turner et al., Reference Turner, Edwards, Stanners, Shakib and Bell2016), la combinaison de la déprescription avec une approche centrée sur le patient et ses besoins (Chenoweth et al., Reference Chenoweth, Jessop, Harrison, Cations, Cook and Brodaty2018; Jessop et al., Reference Jessop, Harrison, Cations, Draper, Chenoweth and Hilmer2017), l’implication et la collaboration de toutes les parties prenantes dans les décisions et les changements apportés auprès du patient (Abrahamson et al., Reference Abrahamson, Nazir and Pressler2017; Brodaty et al., Reference Brodaty, Aerts, Harrison, Jessop, Cations and Chenoweth2018; Chenoweth et al., Reference Chenoweth, Jessop, Harrison, Cations, Cook and Brodaty2018; Palagyi et al., Reference Palagyi, Keay, Harper, Potter and Lindley2016; Turner et al., Reference Turner, Edwards, Stanners, Shakib and Bell2016), l’accessibilité à de l’information, à des preuves empiriques et à des protocoles définis (Abrahamson et al., Reference Abrahamson, Nazir and Pressler2017; Bjerre et al., Reference Bjerre, Farrell, Hogel, Graham, Lemay and McCarthy2018; Brodaty et al., Reference Brodaty, Aerts, Harrison, Jessop, Cations and Chenoweth2018; Chenoweth et al., Reference Chenoweth, Jessop, Harrison, Cations, Cook and Brodaty2018; Farrell et al., Reference Farrell, Richardson, Raman-Wilms, De Launay, Alsabbagh and Conklin2018; Jessop et al., Reference Jessop, Harrison, Cations, Draper, Chenoweth and Hilmer2017; Palagyi et al., Reference Palagyi, Keay, Harper, Potter and Lindley2016; Turner et al., Reference Turner, Edwards, Stanners, Shakib and Bell2016), la formation du personnel (Brodaty et al., Reference Brodaty, Aerts, Harrison, Jessop, Cations and Chenoweth2018; Chenoweth et al., Reference Chenoweth, Jessop, Harrison, Cations, Cook and Brodaty2018; Farrell et al., Reference Farrell, Richardson, Raman-Wilms, De Launay, Alsabbagh and Conklin2018), la présence de champions au sein des équipes de soins (Farrell et al., Reference Farrell, Richardson, Raman-Wilms, De Launay, Alsabbagh and Conklin2018), la mobilisation des médecins généralistes en synergie avec les autres membres de l’équipe (ex. : infirmier-ère, pharmacien-ne) (Chenoweth et al., Reference Chenoweth, Jessop, Harrison, Cations, Cook and Brodaty2018; Palagyi et al., Reference Palagyi, Keay, Harper, Potter and Lindley2016; Turner et al., Reference Turner, Edwards, Stanners, Shakib and Bell2016), la communication de l’information concernant le patient (ex. : dossier médical et besoins) (Abrahamson et al., Reference Abrahamson, Nazir and Pressler2017; Chenoweth et al., Reference Chenoweth, Jessop, Harrison, Cations, Cook and Brodaty2018), le suivi des changements apportés et la diffusion des résultats qui en découlent auprès des professionnels, des patients et leurs proches (Turner et al., Reference Turner, Edwards, Stanners, Shakib and Bell2016).

À la lumière de ces recherches, force est de constater que les interventions et stratégies optimales visant l’optimisation de l’usage des antipsychotiques et les facteurs freinant ou facilitant leur implantation sont aujourd’hui largement connus (Harrison et al., Reference Harrison, Cations, Jessop, Hilmer, Sawan and Brodaty2019; Tannenbaum et al., Reference Tannenbaum, Farrell, Shaw, Morgan, Trimble and Currie2017). Il importe de souligner qu’au moment de la conceptualisation du projet OPUS-AP en 2017, ces interventions ou stratégies étaient peu connues. Des données additionnelles sont toutefois requises pour identifier les moyens concrets pour favoriser le passage de la théorie ou de l’innovation montrée prometteuse en contexte expérimental aux guides ou orientations cliniques et, finalement, à la réalité de la pratique clinique pour une transformation durable des soins de longue durée (Harrison et al., Reference Harrison, Cations, Jessop, Hilmer, Sawan and Brodaty2019). Enfin, les recherches nous éclairent encore peu sur les déterminants centraux qui peuvent jouer un rôle de déclencheur d’un mouvement entraînant l’optimisation de l’usage des antipsychotiques.

Objectifs de l’étude

L’objectif principal de notre étude était de documenter et analyser la démarche OPUS-AP (le processus d’implantation, la structure de gouverne et de soutien et la stratégie d’application des connaissances intégrée) afin d’identifier les déterminants centraux des premiers résultats prometteurs de cette démarche tels que perçus par les répondants. Le rapport de recherche fait état de l’ensemble des résultats de cette étude (Lane et al., Reference Lane, Manceau, Massuard, Cossette, Couturier and Viscogliosi2020). Cet article vise particulièrement à mettre en lumière les déterminants centraux.

Méthodes

Approche

L’approche préconisée est inspirée de l’évaluation réaliste de Pawson et Tilley (Pawson & Tilley, Reference Pawson, Tilley, Chelimsky and Shadish1997) et repose sur un devis d’étude de cas (soit la démarche OPUS-AP). Les quatre étapes principales de l’approche réaliste (Pawson & Tilley, Reference Pawson, Tilley, Chelimsky and Shadish1997) ont été réalisées, soit 1) la formulation de la question de départ; 2) l’élaboration d’une théorie de programme initiale de la démarche OPUS-AP à partir des données disponibles et soutenues par les écrits portant sur l’implantation d’innovations en santé et de l’application des connaissances en soins de longue durée; 3) la mise à l’épreuve de la théorie initiale du programme auprès d’acteurs clés impliqués dans l’implantation de la démarche OPUS-AP et des chercheurs collaborateurs; et 4) la formulation de configurations de chaînes causales contexte-mécanismes-effets perçus.

Cadres conceptuels

Deux cadres complémentaires, issus de la science de l’implantation, ont été au cœur de la conception des outils de collectes de données et de l’analyse : le Consolidated Framework for Implementation Research (CFIR) (Damschroder et al., Reference Damschroder, Aron, Keith, Kirsh, Alexander and Lowery2009) qui s’intéresse aux déterminants du processus de mise en œuvre d’une innovation et le cadre Knowledge-to-Action (KTA) (Straus, Tetroe, & Graham, Reference Straus, Tetroe and Graham2013) qui s’intéresse au processus d’implantation des connaissances.

Collecte de données

Les données ont été collectées sur une période de six mois à l’aide de quatre stratégies:

1) L’analyse documentaire d’une centaine de documents produits dans le cadre de la démarche OPUS-AP visait à documenter le processus d’implantation et décrire la structure de gouverne et de soutien au changement ainsi que les modalités de la stratégie d’application des connaissances intégrées (ACi).

2) Des entrevues individuelles semi-dirigées visaient à mettre en lumière l’expérience et le point de vue des répondants au regard de la démarche OPUS-AP. Elles ont été menées auprès de 21 répondants : 1 représentant d’une direction du MSSS, 8 directions ou gestionnaires d’établissements (CISSS et CIUSSS), 6 partenaires du RSSS ou chercheurs et 6 personnes responsables de l’implantation d’OPUS-AP au niveau provincial. La grille d’entrevue s’appuyait sur l’évaluation réaliste (contexte-mécanismes-effets perçus) et sur les cadres conceptuels.

3) L’analyse de la plateforme d’apprentissage en ligne (ou Bureau virtuel) et des documents y figurant visait à identifier la présence/l’absence d’ingrédients favorables à l’application des connaissances et aux transformations des pratiques cliniques. L’observation non participante de huit rencontres de type séminaire à l’intention des intervenants engagés dans l’implantation d’OPUS-AP dans les établissements (ex. : chefs d’unités, des chargés de projet, des « champions » médecins, infirmières et préposées aux bénéficiaires, etc.) et diffusées sur le Bureau virtuel au cours de la phase II a également été réalisée dans cette optique.

4) En complément à l’observation non participante des webinaires, cinq questions portant sur des facteurs prédicteurs du transfert des apprentissages (Lauzier, Annabi, Mercier, & Des Rochers, Reference Lauzier, Annabi, Mercier, Des Rochers, Lauzier and Denis2016) ont été ajoutés à un sondage portant sur la satisfaction des participants aux webinaires, et ce, pour la période comprise entre les mois de juin et novembre 2019, inclusivement.

Analyse de données

Une analyse de contenu thématique dirigée des données qualitatives issues des documents produits dans le cadre de la démarche OPUS-AP et des entrevues individuelles semi-dirigées retranscrites a été effectuée. La codification a été réalisée à l’aide du logiciel NVivo selon une stratégie semi-inductive à partir d’une grille de codage initialement composée des construits du cadre CFIR (Damschroder et al., Reference Damschroder, Aron, Keith, Kirsh, Alexander and Lowery2009). La grille a ensuite été enrichie au fil des analyses; ceci a notamment permis de comprendre le processus d’implantation des connaissances tel que défini par le cadre KTA (Straus, Tetroe, & Graham Reference Straus, Tetroe and Graham2013). Une technique de double codage des deux premières entrevues a permis de confirmer la cohérence de la codification entre les personnes qui codaient (Miles & Huberman, Reference Miles and Huberman1994). Une analyse de contenu thématique dirigée des données qualitatives issues des observations non participantes des webinaires a également été effectuée. La codification a aussi été réalisée selon une stratégie déductive à partir des construits des cadres conceptuels. Comme méthode de validation inter-juges, un premier webinaire a été écouté par deux professionnelles de recherche et les observations annotées ont été comparées pour assurer une compréhension commune et favoriser la cohésion des observations. En complément, des analyses descriptives ont été effectuées à partir des données quantitatives issues du sondage. Une analyse par triangulation des données (Denzin & Lincoln, Reference Denzin N and Lincoln2011) selon la source (documents, perceptions des acteurs clés, observations d’activités d’ACi) et les personnes a permis de limiter les biais d’interprétation et nuancer la valeur des éléments de configuration et des facteurs et barrières identifiés. La mise à l’épreuve de la théorie initiale du programme auprès d’acteurs clés impliqués dans l’implantation de la démarche OPUS-AP et des chercheurs collaborateurs a finalement permis d’enrichir les analyses.

Éthique

Les approbations scientifique et éthique ont été émises par le comité d’évaluation scientifique et le comité d’éthique de la recherche du CIUSSS de l’Estrie-CHUS (#MP-31-2019-3210).

Résultats

Pour la suite de l’article, lorsqu’il est question de la structure de gouverne ou de soutien de la démarche OPUS-AP, le terme « structure OPUS-AP » est utilisé. Le terme « acteurs OPUS-AP » fait référence aux personnes ayant joué un rôle dans l’implantation de la démarche par le biais de cette structure. Le terme « instances/acteurs des établissements » fait référence aux groupes ou personnes œuvrant au sein de la structure des établissements (ex. : directions cliniques et de soutien, chargé de projet, formateurs OPUS-AP, chefs d’unités, équipes de soin en CHSLD). Le terme « instances/acteurs du RSSS » regroupe l’ensemble des groupes ou personnes œuvrant au sein du RSSS (ex. : comités de direction, comité de gestion et table de coordination nationale du MSSS, présidence et comités des réseaux universitaires intégrés de santé et de services sociaux [RUISSS], gestionnaires et cliniciens des établissements).

L’analyse des données a permis de faire émerger cinq déterminants (regroupant plusieurs chaînes de causalité) identifiés comme centraux puisqu’ils ont joué un rôle de déclencheur du mouvement ayant entraîné les effets tels que perçus par les répondants. Dans l’esprit de l’approche réaliste, des configurations de chaînes causales (contexte-mécanismes-effets perçus) sont proposées. Pour chacun des déterminants, les figures 1 à 5 résument et positionnent les mécanismes ayant une influence positive à gauche, les mécanismes ayant une influence négative à droite ainsi que les effets qu’ils entraînent au centre tels que perçus par les répondants.

Figure 1. Mécanismes et effets perçus relatifs à la démarche intégrée, collaborative et probante

Déterminant 1 : Une démarche intégrée, collaborative et probante

Les mécanismes et effets perçus liés à ce déterminant sont présentés à la Figure 1.

Intégrer OPUS-AP aux structures en place

Construire et articuler de façon cohérente les éléments structuraux d’OPUS-AP avec ceux du RSSS a permis de lancer un signal fort des priorités et de la direction à prendre, de favoriser la coordination au niveau stratégique et tactique, de rallier les forces vives du RSSS (ou les ressources humaines et financières) ainsi que d’assurer la participation des instances/acteurs concernés par la démarche. Utiliser les espaces formels et les voies décisionnelles reconnues, adopter les mêmes modalités de gestion de projet et mettre à contribution les ressources du RSSS auraient d’ailleurs contribué à l’adhésion des acteurs des CHSLD. Pour d’autres répondants, choisir d’utiliser ces voies, modalités et ressources a plutôt demandé de composer avec les limites du RSSS (ex. : normes, valeurs et règles régissant les décisions et l’action, ressources disponibles ou non). Ceci a mené à l’implantation de solutions temporaires qui ont freiné le passage d’un mode expérimental vers un mode intégré et fragilisé la routinisation d’OPUS-AP. En ce qui a trait aux arrimages, certains répondants soulignent le manque de coordination avec d’autres initiatives perçues comme cohérentes et en continuité avec OPUS-AP.

Je vous avoue qu’à mon avis c’est probablement un des plus grands défis du réseau de la santé […] c’est toujours vu comme des projets les uns à côté des autres même s’ils touchent la même clientèle et ce qui est plus compliqué à mon avis, c’est que non seulement ça touche la même clientèle, mais ce sont les mêmes intervenants. (Entrevue 3)

Ces difficultés de coordination observées à différents niveaux (stratégique, tactique et opérationnel) ont entraîné des changements de pratiques en parallèle ainsi qu’un sentiment d’incompréhension et d’incohérence chez certains acteurs en établissement. Afin de mener à bien la démarche, quelques répondants nomment les nombreux compromis réalisés entre les parties prenantes et en fonction du contexte québécois (ex. : lois, règlements, orientations ministérielles, cadres et ententes de gestion, protocoles cliniques, etc.).

Adopter une posture collaborative

La posture collaborative adoptée a contribué à l’adhésion des instances/acteurs stratégiques et tactiques du RSSS puisqu’elle a été accueillie comme un souffle nouveau (par opposition à la posture habituellement directive). Nommons, à titre d’exemple : l’engagement de l’ensemble des hauts dirigeants des établissements à la démarche reconnue pour sa pertinence et son caractère prioritaire; le niveau de participation élevé des acteurs OPUS-AP et des instances/acteurs des établissements; la mise de l’avant de pratiques visant à favoriser la collaboration interprofessionnelle ainsi que la collaboration avec les résidents et leurs proches.

Dans ce projet, la gouvernance, c’est une des seules fois où j’ai vu au Québec qu’on avait les quatre réseaux universitaires intégrés en santé ensemble avec la même vision… on n’imposait pas quelque chose, on proposait quelque chose [….] (Entrevue 2)

En contrepartie, adopter une posture de collaboration a entraîné la multiplication des lieux d’information et de négociation au sein du RSSS, mais aussi de la structure OPUS-AP. Quelques répondants perçoivent cette multiplication comme un paradoxe puisque les décisions leur apparaissaient prises par seulement quelques acteurs et, parfois, dépendantes du MSSS. Pour ces répondants, le nombre important d’instances/acteurs sollicités et à diverses occasions (en raison d’allers-retours fréquents) a notamment ralenti la prise de décision.

Inclure la mesure (ou le suivi et la recherche) dans un projet d’intervention en CHSLD

OPUS-AP a fourni aux établissements une occasion d’intégrer la mesure des effets cliniques d’une intervention en CHLSD, plus spécifiquement le suivi des prescriptions d’antipsychotiques et des SCPD : « Pour une fois, on faisait des choses en CHSLD et on le mesurait. Et souvent l’aspect de la mesure en CHSLD ce n’est pas un aspect qui s’apprivoise bien. Le mot important là c’est qu’on développe l’importance de la mesure » (Entrevue 2). D’autres répondants nomment qu’OPUS-AP était parfois perçu comme un projet de recherche – et donc, la mesure comme temporaire. Malgré les défis associés à la mesure (ex. : mise en place d’un système informatique temporaire et indépendant des outils cliniques et managériaux usuels, perception de lourdeur de la collecte de données sur le terrain), plusieurs répondants soulignent l’importance et l’utilité des données qui en sont issues. En plus de permettre d’ajuster les processus de gestion et la prestation de soins, apprécier l’expérience vécue au sein des établissements ainsi que mesurer les effets de l’implantation d’OPUS-AP avec rigueur et continuité, ces données ont permis d’identifier les succès (ex. : actions réalisées, effets cliniques bénéfiques) et documenter les défis à relever. À long terme, ces données contribueraient aussi à veiller à l’intégrité des pratiques (telles qu’elles ont été réfléchies) ainsi qu’à leur pérennité. Quelques répondants nomment que la perception de ces avantages, joints à la sensibilité et à la réalité terrain des acteurs OPUS-AP et aux ajustements réalisés, a permis de faire face aux défis associés à la mesure.

Déterminants 2 : Des communications et des réseaux aux services de la démarche OPUS-AP

Les mécanismes et effets perçus liés à ce déterminant sont présentés à la Figure 2.

Figure 2. Mécanismes et effets perçus relatifs aux communications et réseaux

Investir les espaces formels existants et les compléter avec de nouveaux

C’est en tirant à la fois parti des modes de gestion du RSSS (accès directs aux espaces formels de coordination et de décision et canaux de communication) et propres à OPUS-AP (équipe de coordination, comités et groupes de travail) que les acteurs OPUS-AP ont pu assurer une circulation de l’information, une orientation des actions et des processus décisionnels ascendants (via OPUS-AP) et descendants (via le RSSS).

Il y avait toute une structure pour permettre ça. Et suite aux expériences terrain, il y a des informations qui sont montées vers le haut, c’est-à-dire le Comité directeur, le Comité de gestion du réseau. Le Ministère a dit… « Écoutez, il faut essayer de voir les solutions possibles, voici la démarche, voici comment ça se passe, il y a des embûches, il y a des risques, alors vous faites partie de la solution tout le monde ensemble. (Entrevue 2)

Mettre à contribution ou développer des liens privilégiés

Miser sur les liens privilégiés entre les différentes parties prenantes a contribué à l’implantation d’OPUS-AP. Ces liens sont, par exemple, à l’origine de la collaboration avec la FCASS et de la mobilisation des instances/acteurs du RSSS. Toutefois, une grande variabilité de nature et de qualité des liens existants/établis au sein des établissements est décrite par les répondants (ex. : responsables de l’implantation – formateurs – équipes de soins). Selon certains, la présence ou l’absence de liens de proximité influencent la perception des changements proposés par OPUS-AP (ex. : avantages, degré de complexité) ou le sentiment d’être soutenus dans la transformation de leurs pratiques. Quant aux liens développés entre les acteurs OPUS-AP, ils ont permis de constituer une structure de gouverne et de soutien perçue comme « intégratrice de l’ensemble des parties prenantes » et permettant de mener à bien la démarche OPUS-AP.

Interpeller les instances/acteurs adéquats en temps opportun

La réactivité de la structure OPUS-AP (ou la « réaction en temps réel ») repose sur la capacité des acteurs OPUS-AP à naviguer dans le RSSS et à interagir avec les instances/acteurs adéquats. Ces interactions ont favorisé une décision partagée et accélérée et contribué au progrès de la démarche.

Miser sur des interactions régulières et de qualité

Plus les interactions sont régulières et sollicitent un niveau de participation élevé (ex. : délibération et collaboration), plus les parties prenantes : 1) comprennent les objectifs visés; 2) saisissent la vision et les pratiques privilégiées; 3) s’approprient OPUS-AP et s’y engagent; 4) comprennent ce qui est attendu d’eux; 5) contribuent à l’implantation d’OPUS-AP et à faire tomber les barrières; et 6) adoptent les pratiques proposées par OPUS-AP. De nombreux efforts ont été investis en ce sens par les acteurs OPUS-AP. Les répondants expliquent que la nature et la qualité des interactions a contribué à la réactivité d’OPUS-AP.

Harmoniser les activités de communications à l’échelle provinciale et régionale

Selon certains répondants, le comité des communications d’OPUS-AP n’a pas été en mesure de remplir entièrement son mandat au plan provincial en raison des visions divergentes de ses membres quant aux objectifs à cibler et aux stratégies à privilégier. Ce comité a cependant réalisé de nombreuses actions visant à harmoniser les activités de communications (ex. : image de marque, gabarits et de trousse de diffusion des résultats, outils promotionnels, relations médias).

Déterminant 3 : Un climat d’implantation favorable (ou non) aux changements

Les mécanismes et effets perçus liés à ce déterminant sont présentés à la Figure 3.

Figure 3. Mécanismes et effets perçus relatifs au climat d’implantation

Percevoir la nécessité de transformer les pratiques

Les acteurs stratégiques du RSSS étaient globalement réceptifs à la proposition de déployer OPUS-AP puisqu’ils s’entendaient sur la présence d’un problème et d’un « momentum » pour s’y attaquer, ainsi que la pertinence et l’adéquation d’OPUS-AP pour soutenir la transformation de pratiques et améliorer la situation en CHSLD. Face à l’appui des acteurs stratégiques du RSSS, les acteurs tactiques et opérationnels auraient davantage saisi la priorité relative et la compatibilité d’OPUS-AP; ceci a contribué à ce qu’ils adhèrent à OPUS-AP. À l’opposé, d’autres se seraient vus dans l’obligation de déployer OPUS-AP sans y adhérer pleinement. C’est surtout en raison d’une perception d’incompatibilité entre OPUS-AP et la réalité vécue en CHSLD que ces acteurs y auraient peu ou pas adhéré (ex. : rythme difficile à suivre, concurrence entre les priorités, culture en CHSLD, etc.).

Ce qui était pris en considération, c’était l’importance de l’effort. Et on savait que c’était une innovation qui requérait beaucoup d’effort de la part des gens du terrain. Et ça c’était pris en compte, mais pas du fait qu’il y avait d’autres innovations à mener. (Entrevue 6)

Identifier un but précis et commun

Certains répondants mentionnent que les acteurs du RSSS étaient portés par le sentiment de travailler ensemble dans un but précis avec des objectifs et des cibles visées bien définis. Ce sentiment a permis l’établissement d’une vision commune, plus particulièrement sur la posture à adopter (ou un niveau de participation élevé des parties prenantes), l’orientation à suivre, les actions à réaliser et les résultats à atteindre (gestion globale, implantation et effets d’OPUS-AP).

Le gros avantage d’un modèle OPUS, c’est qu’il permet aux décideurs d’avoir une cible, de coaliser les acteurs autour d’une cible et d’avoir une action relativement dense. Et ça, d’un point de vue de management du changement, je crois que c’est une très bonne stratégie de politique publique. Ça force le Ministère à avoir des priorités, il peut y en avoir quatre, cinq, mais pas deux cents, et à coaliser les gens autour de chacune de ces priorités. (Entrevue 6)

Cultiver un climat d’apprentissage favorable

Certaines conditions ont été identifiées incontournables, par exemple la présence d’acteurs clés au sein des équipes de soin (ex. : médecins, pharmaciens, préposés aux bénéficiaires, etc.), la capacité à libérer ces acteurs pour qu’ils prennent part aux activités proposées par OPUS-AP (ex. : formation, caucus en équipe de soin) ainsi que la collaboration interprofessionnelle. Lorsque ces conditions sont absentes ou partiellement présentes (ex. : exode des médecins vers d’autres milieux de pratique, priorisation de la contribution des pharmaciens en hôpital au détriment des CHSLD, manque de préposés aux bénéficiaires, culture de relation hiérarchique ou de prescription, modes d’organisation et de travail en silo, etc.), cela nuit à la participation des acteurs clés en CHSLD, au déploiement en cohérence avec la vision, les objectifs et les pratiques OPUS-AP ainsi qu’à une réelle transformation des pratiques cliniques.

Bien c’est sûr que la phase I d’OPUS, ce qui était prévu c’était de choisir le milieu idéal, le milieu où on est assuré du succès, mais on se donnait les conditions de succès. Donc, il y avait une interdisciplinarité très forte entre l’infirmière, le médecin et le pharmacien. Ça c’est une équipe gagnante. […] Dans la phase II, on a choisi encore des milieux qui étaient plus facilitants. […] Pour la phase III, je vous dirais que le défi va être très grand. […] Pour les équipes médicales, c’est très différent d’un CHSLD, d’un territoire à l’autre. Parfois ce sont des médecins dédiés et parfois ce sont des médecins des équipes médicales qui se déplacent et qui continuent de suivre leurs patients quand ils deviennent en CHSLD. Donc là ça ne fait pas une équipe solide, ce sont plus des intervenants qui travaillent ensemble; ça c’est un défi. (Entrevue 12)

Déterminant 4 : L’engagement et l’implication des parties prenantes

Les mécanismes et effets perçus liés à ce déterminant sont présentés à la Figure 4.

Figure 4. Mécanismes et effets perçus relatifs à l’engagement et l’implication des parties prenantes

Assurer la participation des instances/acteurs concernés

La formalisation de la contribution des parties prenantes (ex. : ententes, manuel d’organisation de projet, plans de déploiement) a permis d’établir les bases de leur participation. Différents mandats/rôles ont été attribués aux comités de la structure OPUS-AP qui regroupaient la plupart des détenteurs d’intérêts importants. Lorsque les acteurs impliqués n’étaient pas les bons (ex. : responsabilités ou niveau décisionnel inadéquats) ou que des services (ex. : direction des soins infirmiers) ou professionnels (ex. : médecins de famille) étaient sous-représentés ou non représentés, l’efficacité d’OPUS-AP était alors limitée. Malgré les difficultés rencontrées (ex. : rythme rapide et soutenu des travaux, écart entre le rôle prévu et assumé, superposition de certains mandats), les mandats des comités tels que définis au moment de la conception et révisés en cours de déploiement se sont actualisés autour d’OPUS-AP. Du côté des établissements, plusieurs acteurs ont contribué à l’implantation d’OPUS-AP. Certains répondants soulignent avoir perçu les effets de l’instabilité de ces acteurs (ex. : changement de direction ou chargé de projet, roulement de gestionnaire ou personnel soignant), tels que la variabilité du degré de compréhension, la fragilisation des liens et la modification des décisions au regard d’OPUS-AP dans le temps.

Miser sur un leadership partagé par les dirigeants

Lancer un signal fort de la direction à prendre avec OPUS-AP a permis de mobiliser les parties prenantes. Ce signal a été lancé à la fois de bas en haut (via OPUS-AP) et de haut en bas (via le RSSS). Du côté d’OPUS-AP, plusieurs répondants nomment le leadership inspirant des acteurs OPUS-AP qui ont su rallier les forces vives du RSSS autour d’un projet collectif et innovateur (ex. : adhésion et mobilisation des acteurs clés, allocation et libération de ressources, accès aux données, etc.). En ce qui a trait au RSSS, plusieurs répondants perçoivent l’engagement des acteurs stratégiques du RSSS comme un moteur de réussite et un levier pour faire face aux résistances à OPUS-AP. Selon ces répondants, leur engagement a permis de susciter l’adhésion, de favoriser la mobilisation et faciliter la participation des acteurs des établissements ainsi que de contribuer à l’efficacité d’OPUS-AP. Plusieurs répondants sont d’avis que la participation des acteurs des établissements s’est avérée indispensable au succès d’OPUS-AP, leur prise en charge d’OPUS-AP permettant de déployer OPUS-AP et d’assurer le soutien des équipes de soins en CHSLD.

D’autres expliquent que la perspective provinciale adoptée a fortement favorisé la mobilisation des acteurs du RSSS autour d’OPUS-AP alors perçu comme un projet phare. Vivre et partager les succès avec d’autres (ex. : en misant sur une prise en charge partagée, déployant OPUS-AP dans tous les établissements, débutant par des unités réunissant les conditions facilitantes) a entraîné un sentiment de fierté favorisant l’adhésion et la prise en charge partagée d’OPUS-AP. Quelques répondants ne partagent pas cet avis. Ils nomment avoir le sentiment qu’OPUS-AP était perçu par certains comme un projet éloigné des équipes de soins en CHSLD ou un « projet ministériel » mené de haut en bas.

Mettre à contribution les forces des acteurs impliqués

Les caractéristiques des acteurs impliqués constituent l’une des clés les plus décisives de l’efficacité d’OPUS-AP. Les répondants nomment l’importance de la bonne connaissance de la vision, des objectifs et des pratiques d’OPUS-AP, de l’attitude positive envers OPUS-AP, de la croyance en ses capacités à remplir son mandat ou assumer ses rôles, d’une préparation adéquate (ex. : formation, expérience, réseaux), d’un niveau d’engagement à OPUS-AP élevé et de la présence des attributs personnels permettant de remplir son mandat ou assumer ses rôles. Plusieurs insistent sur l’importance d’avoir impliqué les bonnes personnes dès le départ.

Déterminant 5 : Une stratégie d’application des connaissances intégrée et appuyée

Les mécanismes et effets perçus liés à ce déterminant sont présentés à la Figure 5.

Figure 5. Mécanismes et effets perçus relatifs à la Stratégie d’ACi et appuyée

Mettre à contribution les connaissances scientifiques, cliniques et expérientielles

La démarche OPUS-AP s’est inscrite en continuité avec les approches et pratiques démontrées efficaces ou reconnues prometteuses. Pour ce faire, les connaissances issues de la littérature scientifique et grise, des expertises des parties prenantes et de l’expérience d’OPUS-AP des acteurs des établissements ont été mises à contribution. Pour plusieurs répondants, ces connaissances scientifiques, cliniques et expérientielles sont à la base de la richesse scientifique d’OPUS-AP et un élément déterminant de la structure OPUS-AP et de la stratégie d’ACi. D’autres mentionnent qu’OPUS-AP aurait pu bénéficier d’un maillage plus important avec les initiatives déjà en place (ou en voie de l’être) dans le RSSS (ex. : arrimage des formations). De plus, quelques répondants expliquent que mettre à contribution l’expertise et le vécu des parties prenantes pour soutenir la transformation des pratiques s’est avéré mobilisant. Ils disent avoir le sentiment que les outils et les contenus développés ou adaptés par les acteurs OPUS-AP ou les acteurs des établissements appartiennent aux parties prenantes de la démarche, cela les motivant à poursuivre leur implication et leurs efforts.

Proposer une stratégie d’ACi adéquate

La stratégie d’ACi était complète et adaptée au contexte d’implantation. Lorsque ses modalités ont été déployées à leur plein potentiel (ex. : Bureau virtuel consulté, webinaires visionnés, outils utilisés, mentorat effectué, suivi réalisé, etc.), elle a favorisé l’appropriation de la vision, des objectifs et des pratiques d’OPUS-AP et ultimement, la transformation des pratiques par les parties prenantes. D’autres répondants doutent plutôt de la capacité d’entraîner et de maintenir des changements en misant principalement sur l’implication locale. Ils citent par exemple les changements de responsables et formateurs OPUS-AP et des équipes de soins en CHSLD qui a entraîné une perte des connaissances et la pénurie de main-d’œuvre en CHSLD (ex. : médecins, pharmaciens, préposés aux bénéficiaires) et les difficultés à libérer le personnel soignant (ex. : incompatibilité avec l’horaire sur quart et le temps supplémentaire obligatoire, réponse à d’autres priorités, enjeux syndicaux) qui a limité la participation aux activités d’OPUS-AP; ceci affectant l’efficacité de la stratégie d’ACi (ex. : moins d’accès, moins d’appropriation).

Soutenir l’implantation d’OPUS-AP

Les acteurs OPUS-AP ont principalement veillé à l’élaboration de la stratégie d’ACi ainsi qu’à son déploiement et son suivi dans les établissements. Constituant le « cœur de la démarche OPUS-AP », ils ont contribué à soutenir la transformation des pratiques (ex. : médiation entre les parties prenantes d’OPUS-AP, diffusion d’informations, formation et mentorat, conseils et encadrement en réponse à des besoins particuliers, etc.). Cette contribution, reposant sur la qualité et la complémentarité des acteurs OPUS-AP, a permis de favoriser l’accès aux informations et connaissances ainsi que l’appropriation de la vision, des objectifs et des pratiques d’OPUS-AP par les acteurs stratégiques, tactiques et opérationnels du RSSS.

Les gens ont beau vouloir avoir les meilleures pratiques, si on ne se donne pas les moyens et s’il n’y a pas un accompagnement des chefs d’équipes, etc., de mentors sur place pour créer un processus de révision des pratiques et être capable de trouver des stratégies alternatives aux antipsychotiques et de diminuer la prescription, bien c’est difficile à faire sur le terrain. Alors tout cet accompagnement-là puis avec les webinaires, les journées de formation, mais aussi surtout l’imputabilité des chefs d’équipes et des mentors sur place et le suivi de ça, je pense que c’est un moteur qui est plus puissant que juste une bonne volonté. (Entrevue 15)

Des acteurs œuvrant au sein des établissements (équipes responsables de l’implantation, formateurs OPUS-AP, chefs d’unités de soins) ont également contribué en prenant en charge le soutien de proximité. Parmi les modalités proposées, la majorité des répondants s’entendent sur la force des actions de formation et de mentorat pour l’application des connaissances, plus particulièrement celles à l’intention des équipes de soins en CHSLD. Malgré les nombreux efforts investis sur les plans provincial et régional, plusieurs répondants mentionnent une variabilité dans l’accès aux informations et connaissances et l’appropriation d’OPUS-AP au sein des établissements. Différentes raisons sont évoquées pour expliquer ce constat, par exemple la nature et la qualité des liens et des interactions qui a limité la diffusion des informations et connaissances ainsi que les caractéristiques individuelles des acteurs impliqués qui ont influencé le potentiel de transformation des pratiques (ex. : croyances et attitudes envers les pratiques ou activités proposées, compréhension du rôle, sentiment d’efficacité, attributs personnels).

Et ce n’est pas un rôle facile [formateur OPUS-AP] parce que les autres vont dire… Oui, mais tu n’es pas à notre place sur le plancher, on n’est pas assez et on court et on rush et on est à moins deux et trois sur l’unité. Et ça dépend toujours comment c’est amené, mais… Alors ce sont les formateurs qui descendent la formation, qui font le transfert de connaissances, qui font du soutien et de l’écoute active aussi au travers. C’était plus par-là que ça devait passer. Et encore là, on revient à un manque de ressources c’est sûr. (Entrevue 9)

Mobiliser les acteurs des établissements autour d’OPUS-AP

Certaines modalités de la stratégie d’ACi associées à la structure de gouverne et de soutien (tant à l’échelle provinciale que régionale) ont contribué à la mobilisation de ces acteurs (ex. : soutien offert par l’équipe de coordination ou du formateur OPUS-AP). D’autres répondants mentionnent que les ateliers de lancement et les formations (ex. : formation en présence, webinaires et capsules en ligne) réalisés à l’échelle du Québec ont permis d’engendrer une grande motivation chez les participants en plus de diffuser les informations et connaissances jugées essentielles. Quelques répondants expliquent qu’une perception positive du processus et de ses résultats par le biais de rétroactions génère un sentiment de confiance, d’accomplissement et de fierté qui motive les acteurs des établissements à poursuivre leurs efforts d’implantation d’OPUS-AP.

Assurer l’accès à des ressources informationnelles et matérielles

En raison de leur potentiel de rejoindre un large public cible, deux modalités de la stratégie d’ACi ont été analysées plus en détail, soit la plateforme d’apprentissage (ou le Bureau virtuel) et les webinaires conçus et animés par des experts. Le Bureau virtuel contenait une multitude de documents pour informer, former, outiller sur le plan organisationnel et clinique ainsi qu’un forum de discussion (inactivé en raison du faible achalandage). La cohérence et l’organisation de la connaissance du Bureau virtuel gagneraient à être améliorées (ex. : schéma intégrateur, catégorie de documents). Lorsque pris individuellement, les documents disponibles semblaient adaptés à la réalité du travail en CHSLD et appuyés par des données probantes, mais gagneraient à être mis en contexte (lecteur cible et objectif visé). De leur côté, les webinaires rejoignaient la plupart des ingrédients favorables à l’application des connaissances et aux transformations des pratiques cliniques. Certains éléments essentiels au transfert des apprentissages sont plus difficiles à intégrer dans le cadre de ce type d’activités. La stratégie d’ACi d’OPUS-AP a toutefois permis de combler les limites de la formule du webinaire grâce à d’autres modalités.

Discussion

Les deux premières phases d’implantation de la démarche OPUS-AP tendent à démontrer le succès d’un vaste changement de pratiques en CHSLD au Québec. Notre étude a permis d’identifier les cinq déterminants centraux des premiers résultats prometteurs de cette démarche. Ces déterminants s’inscrivent en cohérence avec certains écrits liés à la science de l’implantation qui proposent les stratégies optimales à mettre en œuvre dans de vastes changements de pratiques dans un système de santé. Notre étude permet également d’identifier des zones de vulnérabilité ou barrières et la nécessité de la mise en place de mesures structurelles transversales au sein du RSSS afin que les changements de pratiques souhaités demeurent des priorités et se réalisent dans une optique de pérennisation. Cette discussion revient sur ces dernières.

L’importance d’une posture de collaboration

La mise en place de la structure OPUS-AP a permis d’activer la mobilisation et la mise en réseau de représentants des hautes instances et de gestionnaires intermédiaires du RSSS, d’acteurs cliniques des établissements et d’acteurs scientifiques œuvrant dans les RUISSS. Les activités réalisées dans une posture de collaboration par les acteurs OPUS-AP pour y arriver rejoignent celles proposées par Agranoff et McGuire (Reference Agranoff and McGuire2001) dans de telles démarches visant des changements de pratiques, soient des activités d’activation (par la contribution efficiente des parties prenantes), d’encadrement (par les modalités de collaboration), de mobilisation (par le partage de ressources) et de synthèse (par la mise en place de conditions facilitant les interactions et les liens). Soutenue adéquatement par des réseaux externes/internes à OPUS-AP de grande qualité (Li, Jeffs, Barwick, & Stevens, Reference Li, Jeffs, Barwick and Stevens2018), cette mise en réseau autour des cibles d’OPUS-AP constitue une force importante qui s’inscrit en cohérence avec les facteurs pouvant faciliter de telles démarches, soulevés par de nombreux auteurs (Abrahamson et al., Reference Abrahamson, Nazir and Pressler2017; Brodaty et al., Reference Brodaty, Aerts, Harrison, Jessop, Cations and Chenoweth2018; Chenoweth et al., Reference Chenoweth, Jessop, Harrison, Cations, Cook and Brodaty2018; Damschroder et al., Reference Damschroder, Aron, Keith, Kirsh, Alexander and Lowery2009; Palagyi et al., Reference Palagyi, Keay, Harper, Potter and Lindley2016; Tannebaum et al., Reference Tannenbaum, Farrell, Shaw, Morgan, Trimble and Currie2017; Turner et al., Reference Turner, Edwards, Stanners, Shakib and Bell2016). La reconnaissance et la mise à contribution des expertises scientifiques et cliniques des acteurs mobilisés, jointes aux connaissances issues de l’appréciation de l’expérience des participants et de la recherche, sont à la base de la richesse scientifique d’OPUS-AP. Vécue comme un grand succès, l’intégration de la mesure (suivi et recherche) a permis de monitorer les effets de l’implantation d’OPUS-AP et donc, d’en apprécier les succès et de réaliser les ajustements nécessaires. L’importance et l’utilité des données issues de la mesure ont été soulevées à maintes reprises par les répondants et rejoint d’autres études qui soulignent que l’adoption d’une pratique réputée efficace repose, entre autres, sur la valeur ajoutée, la perception de pertinence et d’utilité de la pratique proposée et sur la confiance que cela a un effet positif sur le résident (Dharmarajan et al., Reference Dharmarajan, Choi, Hossain, Munasinghe, Lakhi and Lourdusamy2019; Turner et al., Reference Turner, Edwards, Stanners, Shakib and Bell2016).

Toutefois, malgré l’ampleur et l’excellence des actions réalisées pour activer la mise en réseau, quelques améliorations pourraient être envisagées afin de représenter et impliquer l’ensemble des acteurs concernés, soient certains services (ex. : soins infirmiers) ou professionnels (ex. : médecin de famille) ainsi que les résidents et leurs proches afin de faciliter la réalisation des changements souhaités (Abrahamson et al., Reference Abrahamson, Nazir and Pressler2017; Brodaty et al., Reference Brodaty, Aerts, Harrison, Jessop, Cations and Chenoweth2018; Chenoweth et al., Reference Chenoweth, Jessop, Harrison, Cations, Cook and Brodaty2018; Palagyi et al., Reference Palagyi, Keay, Harper, Potter and Lindley2016; Turner et al., Reference Turner, Edwards, Stanners, Shakib and Bell2016). D’autre part, les arrimages entre les différentes initiatives en cours, perçues comme cohérentes et en continuité avec OPUS-AP, gagneraient à être bonifiés en misant sur la coordination de ces initiatives aux niveaux stratégique, tactique et opérationnel. Les défis associés à la mesure, tels que la mise en place d’un système informatique temporaire et les difficultés techniques, fragilisent également la démarche. À long terme, la poursuite de la mesure, par l’instauration d’un outil de collecte de données cliniques et pharmacologiques efficace et uniformisé à travers le RSSS (Tannenbaum et al., Reference Tannenbaum, Farrell, Shaw, Morgan, Trimble and Currie2017) et la routinisation des mécanismes de suivi et de rétroaction (Côté-Boileau, Denis, Callery, & Sabean, Reference Côté-Boileau, Denis, Callery and Sabean2019), contribuerait à veiller à l’intégrité des pratiques telles qu’elles ont été réfléchies et implantées dans l’ensemble des CHSLD ainsi qu’à leur pérennité.

L’importance de miser sur des leaders crédibles pleinement investis dans le changement

Compte tenu de la posture collaborative d’OPUS-AP, des rôles formels de leaders ont été attribués à différents niveaux décisionnels (Best et al., Reference Best, Greenhalgh, Lewis, Saul, Carroll and Bitz2012; Li et al., Reference Li, Jeffs, Barwick and Stevens2018). Du côté des acteurs OPUS-AP, les hauts dirigeants porteurs, la chargée provinciale de projet et les acteurs de la cellule stratégique et les acteurs OPUS-AP ont été identifiés comme les piliers de la démarche par plusieurs des répondants. C’est principalement en raison de leur grande qualité et complémentarité que les acteurs OPUS-AP ont pu exercer un leadership dit inspirant et contaminant permettant de rallier les acteurs du RSSS autour de la vision collective et intégratrice d’OPUS-AP. L’importance et la valeur ajoutée de la présence de ce leadership constitue l’un des déterminants les plus forts et consistants de l’utilisation d’un nouveau modèle de prestation de services (Brodaty et al., Reference Brodaty, Aerts, Harrison, Jessop, Cations and Chenoweth2018; Chenoweth et al., Reference Chenoweth, Jessop, Harrison, Cations, Cook and Brodaty2018; Jessop et al., Reference Jessop, Harrison, Cations, Draper, Chenoweth and Hilmer2017; Li et al., Reference Li, Jeffs, Barwick and Stevens2018). En se consacrant à l’adhésion, la diffusion, la conduite de l’implantation et au surpassement des résistances, ils influencent d’autres déterminants de la mise œuvre d’une innovation et donc, façonnent l’innovation, le contexte, les acteurs impliqués et le processus (Damschroder et al., Reference Damschroder, Aron, Keith, Kirsh, Alexander and Lowery2009; Li et al., Reference Li, Jeffs, Barwick and Stevens2018; Rycroft-Malone et al., Reference Rycroft-Malone, Burton, Wilkinson, Harvey, McCormack and Baker2016). Pour ce faire, ils ont su miser sur la nature et la qualité de leurs interactions et liens privilégiés ainsi que sur leur agilité à naviguer et négocier au sein du RSSS pour positionner la démarche en priorité, faciliter l’intégration des frontières intersectorielles (cliniques et scientifiques) et intra-organisationnelles (administratives et cliniques) à différents niveaux ainsi que mobiliser les ressources nécessaires à son implantation. Ces actions sont à la base de la réactivité d’OPUS-AP et rejoignent les travaux de Damschroder et al. (Reference Damschroder, Aron, Keith, Kirsh, Alexander and Lowery2009) et Rycroft-Malone et al. (Reference Rycroft-Malone, Burton, Wilkinson, Harvey, McCormack and Baker2016). Dans leur rôle de leader, les hauts dirigeants du MSSS et les hauts dirigeants des établissements ont représenté un moteur de réussite et un levier pour faire face aux résistances, plus particulièrement au regard de la planification, la vision et l’attribution de ressources au sein du RSSS.

Toutefois, bien que le leadership de ces acteurs ait joué un rôle crucial, au sein des établissements, c’est sur l’équipe responsable d’OPUS-AP et les chefs d’unités que reposait la démarche OPUS-AP. Puisqu’il semble que l’étendue de leur engagement et de leur implication ait varié dans le temps et entre les établissements, des améliorations pourraient être apportées sur ce plan. Soutenir l’engagement de ces acteurs indispensables permettrait de conduire à une intégration plus complète et plus précise des pratiques proposées par OPUS-AP (Li et al., Reference Li, Jeffs, Barwick and Stevens2018). Comme l’engagement est associé aux sentiments de rejoindre ses propres objectifs organisationnels et de contribuer à la prise de décision (Damschroder et al., Reference Damschroder, Aron, Keith, Kirsh, Alexander and Lowery2009), c’est sur ce sentiment que de nouveaux efforts gagneraient à être investis.

L’importance d’une démarche d’implantation solide

Les résultats de notre étude permettent de constater que le processus de conception et de déploiement d’OPUS-AP s’inscrit généralement en cohérence avec les écrits dans le domaine de la science de l’implantation, dont le cadre KTA de Straus, Tetroe, & Graham (Reference Straus, Tetroe and Graham2013). On peut facilement reconnaître les efforts des acteurs OPUS-AP dans la mise en forme des connaissances, leur adaptation à la réalité du Québec et le monitorage de l’application des connaissances (ex. : temps de mesure, sondages, etc.). En ce qui a trait au soutien offert sur le plan national, les comités mis en place dans le cadre d’OPUS-AP ont joué et jouent toujours un rôle central, notamment par leur disponibilité, leur flexibilité à apporter des changements, leur écoute des besoins des différents acteurs des établissements, etc. De façon générale, la stratégie d’ACi proposée par OPUS-AP rejoint plusieurs actions reconnues efficaces dans les écrits du domaine de l’application des connaissances : champions, formation de formateurs OPUS-AP, audit et rétroaction, outils cliniques et administratifs faciles à utiliser, etc. (Best et al., Reference Best, Greenhalgh, Lewis, Saul, Carroll and Bitz2012; Li et al., Reference Li, Jeffs, Barwick and Stevens2018). Une clé à l’implantation est liée à la formation du personnel : les formations soutenues et de qualité, la présence régulière de ressources pour monitorer et accompagner le changement sur le terrain de même que la transition souple vers les nouvelles pratiques sont des conditions qui semblent essentielles pour optimiser le succès d’une implantation (Brodaty et al., Reference Brodaty, Aerts, Harrison, Jessop, Cations and Chenoweth2018; Chenoweth et al., Reference Chenoweth, Jessop, Harrison, Cations, Cook and Brodaty2018; Li et al., Reference Li, Jeffs, Barwick and Stevens2018). De plus, l’agilité et la flexibilité de la structure de gouverne et de soutien et des acteurs OPUS-AP qui s’y sont investis ont contribué à la mise en place de boucles de rétroactions régulières et efficaces avec les établissements (ex. : temps de suivi planifié au groupe de gestion du RSSS, appels fréquents avec les chargés de projets dans les établissements, suivis avec les formateurs). .

Toutefois, pour rehausser les activités proposées, il serait avantageux d’adapter les activités aux rôles spécifiques des acteurs clés et aux modalités de formation et de soutien clinique déjà en place dans les milieux (formations liées à d’autres initiatives, coaching, mentorat, soutien post-formation) (Harrison, Harrison et al., Reference Harrison, Cations, Jessop, Hilmer, Sawan and Brodaty2019). Ceci permettrait d’améliorer l’accès aux connaissances et la disponibilité des ressources qui sont significativement et positivement associés au succès de l’implantation et de l’accompagnement du changement de pratique (Chenoweth et al., Reference Chenoweth, Jessop, Harrison, Cations, Cook and Brodaty2018; Jessop et al., Reference Jessop, Harrison, Cations, Draper, Chenoweth and Hilmer2017; Palagyi et al., Reference Palagyi, Keay, Harper, Potter and Lindley2016; Turner et al., Reference Turner, Edwards, Stanners, Shakib and Bell2016; Reference Turner, Trogdon, Weinberger, Stover, Ferreri and Farley2018).

Pour qu’une innovation soit perçue comme soutenue, valorisée et attendue dans l’organisation (Turner et al., Reference Turner, Trogdon, Weinberger, Stover, Ferreri and Farley2018), les équipes de soins en CHSLD doivent percevoir que le changement demandé est aligné avec les priorités et les objectifs de l’organisation et en cohérence avec ses valeurs (Li et al., Reference Li, Jeffs, Barwick and Stevens2018; Turner et al., Reference Turner, Trogdon, Weinberger, Stover, Ferreri and Farley2018). En ce sens, un ajustement du message central d’OPUS-AP en faveur des approches non pharmacologiques permettrait de miser sur la « construction du sens » (Bosset & Bourgeois, Reference Bosset, Bourgeois, Lauzier and Denis2016) pour faire face à la tendance à déprescrire les antipsychotiques sans introduire l’approche de base et les interventions non pharmacologiques individualisées et valoriser la collaboration interprofessionnelle. Quoique le personnel de soins soit au cœur du changement souhaité par OPUS-AP, c’est plutôt dans le contexte organisationnel que s’inscrit la volonté de transformer les pratiques (Li et al., Reference Li, Jeffs, Barwick and Stevens2018; Tannebaum et al., Reference Tannenbaum, Farrell, Shaw, Morgan, Trimble and Currie2017). Certains établissements ont été confrontés au rythme imposé dans le cadre d’OPUS-AP difficile à suivre ainsi qu’à des difficultés pour soutenir les formateurs OPUS-AP ou libérer du personnel pour la formation dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre dans un contexte où ils ont peu de contrôle sur ces conditions structurelles (ex. : exode des médecins vers d’autres milieux de pratique, priorisation d’une présence des pharmaciens en hôpital, manque de préposés aux bénéficiaires, etc.). Des auteurs observent ces difficultés dans des contextes où les ressources dédiées à soutenir le changement sont insuffisantes ou instables (Bjerre et al., Reference Bjerre, Farrell, Hogel, Graham, Lemay and McCarthy2018; Chenoweth et al., Reference Chenoweth, Jessop, Harrison, Cations, Cook and Brodaty2018; Palagyi et al., Reference Palagyi, Keay, Harper, Potter and Lindley2016; Rycroft-Malone et al., Reference Rycroft-Malone, Burton, Wilkinson, Harvey, McCormack and Baker2016; Turner et al., Reference Turner, Edwards, Stanners, Shakib and Bell2016) ou encore lorsque les décideurs ne sont pas suffisamment engagés (Jessop et al., Reference Jessop, Harrison, Cations, Draper, Chenoweth and Hilmer2017; Li et al., Reference Li, Jeffs, Barwick and Stevens2018).

Enfin, il serait pertinent que la MSSS agisse sur les conditions structurelles en poursuivant des démarches pour positionner stratégiquement la démarche d’OPUS-AP et que l’utilisation d’approches non pharmacologiques en CHSLD ayant comme résultante l’usage optimal des antipsychotiques devienne une des priorités nationales (qui se traduisent ensuite en priorités des établissements). Il serait également pertinent que ces pratiques deviennent des pratiques organisationnelles requises dans le cadre de démarches d’agrément. Il serait aussi pertinent que le MSSS se dote d’un système de mesure en continu du processus de déprescription de tous les psychotropes pour que les établissements puissent évaluer leurs actions et les bonnes pratiques. De plus, le MSSS gagnerait à favoriser la mise en place des communications nationales transversales régulières valorisant cette démarche et témoignant de l’ampleur du changement de pratiques qu’elle entraîne afin de contribuer à faciliter les prochaines phases d’implantation et l’adhésion des prochains CHSLD. De telles communications sont essentielles dans une vaste démarche de changement et qui touche l’ensemble d’un réseau, car elles permettent de cultiver une culture organisationnelle de l’innovation (Li et al., Reference Li, Jeffs, Barwick and Stevens2018; Tannebaum et al., Reference Tannenbaum, Farrell, Shaw, Morgan, Trimble and Currie2017) et faciliter l’adoption en permettant aux acteurs de constater qu’ils sont partie prenante d’un vaste mouvement. Enfin, le MSSS gagnerait à soutenir l’équipe de coordination pour les prochaines années puisque l’accompagnement de tels changements de pratiques requiert de nombreuses années (Tija et al., Reference Tija, Field, Mazor, Lemay, Kanaan and Donovan2015).

Limites de létude

Une des principales limites de cette évaluation est l’absence de point de vue de certaines parties prenantes de la démarche OPUS-AP. Seuls deux répondants sont externes à la mise en œuvre de la démarche OPUS-AP. Aucun chef d’unité, membre du personnel soignant, résident ou proche n’a été interviewé. Cibler ces parties prenantes aurait permis d’enrichir les analyses. De plus, les webinaires sont la seule modalité de la stratégie d’ACi à avoir été spécifiquement analysée. D’autres modalités ont été réalisées avant le début de l’évaluation. En ce qui a trait au soutien offert, par exemple lors de rencontres de suivi téléphonique avec les formateurs OPUS-AP et de visites de la cheffe territoriale en CHSLD, il aurait difficilement pu être évalué avec les moyens disponibles à cette évaluation.

Conclusions

Notre étude a permis d’identifier les déterminants du succès de la démarche OPUS-AP, et qui doivent être pris en considération afin que les changements de pratiques soient maintenus par les établissements et les équipes de soins et que la pérennisation et la mise à l’échelle de l’implantation d’OPUS-AP à l’ensemble les CHSLD du Québec soit facilitée. Les résultats de notre étude peuvent également inspirer des démarches similaires d’implantation de pratiques cliniques réputées efficaces dans le RSSS.

Supplementary Materials

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Footnotes

Les personnes ayant contribué à la réalisation de la démarche OPUS-AP et de son évaluation sont nombreuses. Nous souhaitons particulièrement remercier l’ensemble des répondants à l’évaluation pour leur intérêt, disponibilité et générosité. Cette étude a été financée par le Ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) et par le Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de l’Estrie – Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke (CIUSSS de l’Estrie-CHUS).

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Figure 0

Figure 1. Mécanismes et effets perçus relatifs à la démarche intégrée, collaborative et probante

Figure 1

Figure 2. Mécanismes et effets perçus relatifs aux communications et réseaux

Figure 2

Figure 3. Mécanismes et effets perçus relatifs au climat d’implantation

Figure 3

Figure 4. Mécanismes et effets perçus relatifs à l’engagement et l’implication des parties prenantes

Figure 4

Figure 5. Mécanismes et effets perçus relatifs à la Stratégie d’ACi et appuyée

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