Produite par l’administration pénitentiaire de façon continue entre 1852 et 1939, la Statistique pénitentiaire est une source fournissant de nombreuses informations sur la situation des prisons. En retraçant l’ensemble de la chaîne d’existence des chiffres de la prison, de leur conception à leur utilisation, cette étude entend mettre en lumière le contraste entre l’importance des moyens que la production de ce document suppose, la diversité des informations qu’il recèle et la faiblesse de ses usages. Pensé initialement comme un outil pour la réforme des prisons, il se présente comme une statistique des établissements pénitentiaires, produite à tous les échelons de l’administration. Alors que les prisons et le crime sont au cœur des débats publics à la fin du xixe siècle, son utilisation en dehors de l’administration apparaît toutefois marginale. Cette discrétion dans les arènes de discussion sur ce sujet révèle un effacement de la statistique des prisons au profit de la statistique judiciaire, plus prestigieuse et plus à même d’alimenter les débats politiques sur la récidive. En 1911, pourtant, un projet de fusion des statistiques judiciaire et pénitentiaire peut apparaître comme une occasion de redonner aux chiffres de la prison une utilité dans la connaissance du crime. Mais l’échec de cette fusion confirme le peu d’intérêt que cette source suscite et s’accompagne d’un appauvrissement conséquent de ses tableaux, avec la suppression des informations sur les individus incarcérés à partir de 1911. Cet article entend ainsi poser la question de l’utilité d’une source qui est apparue peu utile, afin de réinterroger les rapports entre statistique, prison et État.