Après les interdictions et les limitations introduites au moment de l’institution du ghetto en 1555, les juifs de Rome engagèrent une bataille séculaire pour sauvegarder leur capacité d’agir professionnelle et commerciale. De cette bataille dépendirent non seulement les modes de leur appartenance à la sphère économique, mais aussi la négociation et la défense de leur statut de citoyens. S’il fut plus difficile pour les habitants du ghetto de résister à la pression conversionniste de l’Église ainsi qu’aux confiscations et aux destructions répétées de leurs livres, ils parvinrent plus aisément à obtenir gain de cause sur le plan des revendications économiques, notamment en s’appuyant sur le ius commune. Les archives des tribunaux, y compris ceux du Saint-Office et de la Rote, conservent les traces des nombreux contentieux les opposant aux marchands et aux artisans chrétiens. Celles-ci montrent que les juifs romains réussirent à exercer, au cours de la longue histoire du ghetto, leurs multiples activités, non seulement grâce à des pratiques transgressives, ou à une tolérance pragmatique dictée par l’utilité de leurs métiers et de leurs trafics, mais aussi et surtout à travers l’infatigable défense des normes juridiques autorisant leur agir économique. En faisant preuve d’une extraordinaire résilience, ils réussirent à vivre pendant des siècles en tant que juifs dans une société à majorité chrétienne et à tenir tête, souvent avec succès, à des concurrents économiques qui, brandissant l’étendard de leur « chrétienté », prétendaient qu’il ne fallait pas considérer cette minorité comme « des hommes d’un même peuple et comme des citoyens ».