Un ouvrage de Lucien Pebvre est toujours une leçon de méthode. Que ce soit un gros livre ou un article, que le sujet soit Martin Luther, ou, les origines de la Réforme française, où l'incroyance au XVIe siècle, il s'agit d'abord de poser correctement, c'est-à-dire historiquement, les questions historiques : à chaque fois le titre pourrait être coiffé de ce « chapeau » batailleur qui annonce le bon combat pour la méthode : « une question mal posée… ».

En cherchant à mieux poser le problème de l'incroyance au XVIe siècle, Lucien Febvre dérangera ceux qui sont jplus avides de savoir que de comprendre (p 18). Il était commode de savoir que Rabelais fut libre-penseur en plein XVIe siècle. Pien mieux, savoir qu'il le fût radicalement, avec une rare audace, cachée sous l'onction évängélique ou sous l'inoffensive irrévérence, c'était bénéficier d'une émouvante révélation.

A mesure qu'il remonte dans le passé, l'historien des prix voit se restreindre les sources de sa documentation. A partir de 1756, nous disposons d'une table annuelle des prix du blé qui peut être considérée comme une statistique valable pour la France entière. Cependant les « états de subdélégation » qui ont servi à son élaboration ne se retrouvent pas au complet, même à cette époque tardive. Avant 1756, « on ne dispose que de séries de prix exclusivement régionales et locales. Pour cette première période chronologique, M. Labrousse a dû recourir à diverses sources analogues à celles que nous retrouvons aux époques antérieures. Il a même prolongé rétrospectivement son calcul jusqu'en 1701, mais en faisant à ce sujet « des réserves particulières ». Parmi ces réserves, notons celle-ci que, de 1701 à 1736, « les sources sont moins nombreuses qu'au cours de la période 1726-1755.

Qu'est-ce que l'espace ? Au sens où nous prendrons ce mot, ici, c'est la portion d'enveloppe de notre planète qui sert de scène à la vie humaine et qui fournit à l'homme, en même temps que son support, en même temps que ses moyens de subsistance, le cadre de sa vie et de ses activités.

Qu'est-ce qu'organiser l'espace ? C'est en trouver, au profit de l'homme, la meilleure utilisation possible. Lui donner, si l'on veut, sa meilleure fin en fonction de l'homme et de ses besoins, matériels sans doute, mais spirituels aussi.

Or, c'est un fait, assez paradoxal mais évident : l'espace terrestre est au nombre des réalités que l'homme a non seulement perdues de vue, mais méconnues au point qu'il lui a été possible d'en mésuser. Inutile de dire qu'une telle méconnaissance a eu des conséquences fâcheuses pour la personne humaine qui, dans sa réalité profonde:, n'était dans le même temps ni mieux connue, ni plus respedtée.

Dans notre précédent Bulletin, nous avons rendu compte de guides-manuels d'histoire locale, destinés à diriger les travailleurs dans l'établissement de monographies. Une publication analogue nous vient de Belgique : Monographie géographique de village. Directives pour l'étude d'une commune rurale, par F. Quicke. Il s'agit sans doute ici de géographie, mais la géographie et l'histoire sont tellement mêlées actuellement, surtout s'agissant d'histoire urbaine, que les historiens ont un réel intérêt à connaître ce Guide. Si, des trois parties de l'étude, la première, le milieu physique, intéresse plutôt, dans son détail, la géographie, les deux autres, le milieu humain et le milieu économique, concernent tout autant l'histoire : ce Guide géographique n'est ainsi qu'un des éléments d'un Guide historique general.

Une note de M. G. Chabot, dans les Annales de Géographie, critique un emploi malencontreux que l'on pourrait faire de la toponymie. Il montre qu'en Bourgogne, par exemple, les noms de lieux dérivés de la vigne sont également dispersés sur toute la province et manquent dans la région actuellement viticole. Il en conclut : « Les indications toponymiques ne doivent donc être utilisées par les géographes qu'avec de grandes précautions. On devine le résultat que l'on obtiendrait dans quelques siècles en reconstituant, à l'aide des seuls noms de lieux, la carte du vignoble bourguignon supposé totalement disparu. Ce sont les exceptions et les contrastes qui attirent l'attention et fixent les noms de lieux : la toponymie révèle surtout les marges. »

Dans les Annales de Bourgogne (1943, IV,), M. Paul Lebel montre, une fois de plus, comment l'étude rationnelle des noms de personne et de lieu « constitue une branche particulière de l'information historique, au même titre que l'archéologie ou la numismatique ». Il ne le montre pas abstraitement, mais de façon concrète, en prenant pour objet d'étude une forêt des environs de Châtillon, la forêt d'Auberive (Haute-Marne).

En 1135, une abbaye s'installait en plein cœur de cette forêt. Mais l'essartement n'en fut jamais poussé très loin. Aujourd'hui, les clairières culturales y sont encore très rares, et ne contiennent pas de villages, mais des fermes : ce type d'habitat dispersé est rare en pays langrois. A quand donc remonte la lutte de l'agriculteur contre la forêt ? Interrogeons les noms de lieux.

André Leroi-Gourhan est un chercheur original. Il m'avait donné, en 1935, à l'Encyclopédie Française (T. VII, L'Espèce Humaine) un premier Essai de Technologie comparée qui ne manquait ni de nouveauté ni d'intérêt. Voilà l'essai devenu livre, et livre précieux, sous le titre de : L'Homme et la Matière — titre qui, d'ailleurs, n'est peut-être pas tout à fait exact, mais qui marque une tendance.

Il s'agit à la fois d'un vigoureux effort de description des procédés techniques justiciables de l'Ethnologie et de l'Ethnographie, et employés par l'homme pour réaliser sa vie matérielle, se nourrir, se vêtir, s'abriter, etc., — et d'un non moins vigoureux effort de classification de ces procédés d'après des principes nouveaux. — Car, des classifications, on n'en manque pas. Toutes aboutissent à ranger les techniques sous une vingtaine de rubriques diverses parfaitement définies : habitation, vêtement, agriculture, chasse, pêche, etc.

Les gaudes. — Intéressante note, dans le fascicule de décembre (1943, IV) des vaillantes et vivantes Annales de Bourgogne, sur l'histoire de la culture du maïs en France — et surtout, sur l'histoire, fort obscure, du mot gaudes, qui désigne, en Franche-Comté et en Bourgogne, la farine de maïs délayée et cuite dans du lait — ce qui constituait, au XVIIe, au XVIIIe, au XIXe siècle encore, le fond de l'alimentation rustique dans les pays de Saòne où pousse la plante amie des étés chauds, et ce qui est resté pour les Comtois une manière de plat national : quand, exilés de chez eux, ils se réunissent en groupe — c'est pour communier sous les espèces des gaudes. Or, d'où vient ce mot ?

Au Centre International de Synthèse, la Septième Semaine de Synthèse avait été consacrée, en 1935 (juin), à La Statistique : ses applications, les problèmes qu'elle soulève. Les exposés qui furent faits, à cette date déjà lointaine, paraissent aujourd'hui en librairie. Mais le temps ne fait rien à l'affaire, et ils demeurent d'un vif intérêt.

C'est Emile Borel qui s'était chargé de présenter l'Instrument mathématique : le Calcul des Probabilités. Inutile de dire que le grand mathématicien était là sur son terrain, et que les trente pages de cet exposé, suivies de discussions auxquelles prirent part, sous la présidence de P. Langevin, toute une série de mathématiciens qualifiés, sont dignes de toute notre attention. — Cet exposé avait été précédé d'un historique de la Statistique et de son organisation ; c'est le Directeur de la Statistique générale de la France, M. Huber, qui le fit brillamment.

Introduction à telle ou telle science, à telle ou telle discipline — travail d'homme mûr, généralement, d'homme en pleine maîtrise de ses moyens, d'homme qui, pendant trente ou quarante ans de service, a creusé son sillon dans un des vastes champs de l'inquiétude humaine. Alors, l'Introduction comporte une part de confidences, une part de testament C'est un legs à ceux qui reprennent le manche de la charrue au point où l'abandonne le maître riche d'expérience, le maître qui a tant peiné et qui mesure maintenant avec exactitude et le petit chemin qu'il a parcouru lui-même, et le long chemin qu'il faudra tracer demain, en pays inconnu, en pays hostile. — Ou bien, Introduction, travail d'homme jeune. D'homme qui a besoin de penser son action et d'ordonner son œuvre à venir. D'en fixer au départ l'intention directrice.

Nous n'avons jamais, ici, dit d'ensemble ce que nous aurions souvent voulu dire sur la monumentale Histoire de la Langue Française, de Ferdinand Brunot. Quand ce grand travailleur nous quitta, j'eus l'idée do placer sa figure familière et cordiale dans notre galerie d'Economistes, Historiens et Hommes d'Action. Brunot avait tous les droits d'y figurer, et à ces deux derniers titres à la fois. Car, historien, il le fut dans la plénitude du terme — et, pour le reste, il ne fut jamais l'un de ces scholars enfermés dans leur cabinet, en tête-à-tête avec leurs boîtes à fiches, et qui se désintéressent de tout ce qui n'est pas leur petit labeur mécanique. Homme de fermes convictions, solide homme de l'Est, il n'enseignait pas pour faire des diplômés. Il travaillait à faire des Français.

« L'histoire du mouvement communal, écrit M. Grand, se résume en cette constatation : elle fut le triomphe de la possession d'état. Les communes s'imposèrent par le fait, non par le droit. Elles ne sont pas nées…, entre le XIIIe et le XIVe siècles, d'une manifestation spontanée de la politique et de la législation : elles représentent une sorte de création continue des collectivités d'habitants, réalisant elles-mêmes leurs besoins et leurs aspirations sur le terrain économique et social. Leur victoire fut consacrée par des accords [avec les seigneurs], mais jamais elle ne découla de la reconnaissance d'un principe organique de la société féodale. Le fait répété [devint] l'usage confirmé par le temps et enregistré par la jurisprudence. Le temps a transformé peu à peu en coutumes établies ce qui n'était à l'origine que privilèges ou usurpations. »

L'introduction de plus d'une soixantaine de pages de M. E. Lousse au tome I de son ouvrage, La Société d'Ancien Régime. Organisation et représentation corporatives, nous montre le but de l'auteur. Elle expose les deux théories qu'ont soutenues les historiens qui, depuis plus d'un siècle et demi, se sont intéressés à l'histoire des Assemblées d'Etat. Les uns, selon le point, de vue libéral anglo-français, les ont considérés comme des institutions d'esprit parlementaire ; les autres (et leur conception a pris naissance,dans les milieux universitaires de culture germanique) y voient une forme de représentation corporative ; ils se font, si l'on veut, une conception constitutionnelle et corporative de leur sujet. Ce second système a la préférence absolue de l'auteur. La renaissance corporative actuelle amène sans doute à se demander si on ne pourrait s'en inspirer pour étudier les institutions du passé, mais le mieux paraît être d'utiliser la méthode comparative en rapprochant les différents pays, afin de permettre l'édification d'une synthèse générale valable pour toute la chrétienté.

Un grand sujet, qui, presque entièrement neuf sous l'angle où il a été pris, est traité avec beaucoup de pénétration et de science ; en outre, accompagnant et soutenant l'exposé, un copieux recueil de textes, toujours instructifs, souvent savoureux : le dernier ouvrage de M. Georges Espinas tient pleinement ce que nous sommes habitués à attendre de ce maître des études urbaines médiévales. Certes, le morceau est gros ; plus de onze cents pages, sans compter les pièces justificatives. Un peu comme François Simiand — malgré tant de contrastes de formation et d'esprit — et pour des raisons, en somme, analogues, M. Espinas a l'ellipse en horreur. Son intransigeante probité intellectuelle n'admet pas qu'aucune assertion puisse se produire sans avoir été d'abord éprouvée sous toutes ses faces, précisée dans toutes ses implications, amenée enfin, à coup de retouches verbales successives, le plus près possible de la fuyante vérité.

Il manque des ouvrages d'ensemble sur l'histoire du Blocus Continental en France… et en Angleterre. Les pages que lui a consacrées M. Georges Lefebvre dans son Napoléon (« Peuples et Civilisations », t. XIV, 1935) constituent, en attendant, une excellente mise au point. On ne peut s'empêcher de s'y reporter après la lecture du volume que M. Bertrand de Jouvenel, intitule : Napoléon et l'Economie dirigée. Le Blocus Continental et où il a étudié non seulement la politique économique de Napoléon (en s'arrêtant toutefois au mois — décisif il est vrai — de juillet 1810), mais encore à celle du Consulat — surtout aux environs de la paix d'Amiens : avant et après — et même du Directoire et de la Convention. C'est un récit parfois un peu touffu, vu la complexité des questions en jeu et des intérêts en présence, en même temps et surtout qu'un recueil documentaire grâce aux matériaux empruntés aux A. N. et généralement cités avec une ampleur très, suffisante et, partant fort suggestive.