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Comment choisir son camp. Interroger l'expérience et évaluer les hypothèses dans la Lettre sur les aveugles de Diderot

Published online by Cambridge University Press:  02 April 2024

Laura Berchielli*
Affiliation:
Laboratoire philosophies et rationalités (PHIER), Université Clermont Auvergne, Clermont-Ferrand, France
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Résumé

Dans la Lettre sur les aveugles, Denis Diderot décrit, en se basant sur la physique mathématique, une méthode pour l’évaluation des hypothèses dans des situations où la certitude ne peut pas être atteinte. La thèse de cet article est que l'auteur de la Lettre étend cette méthode aux questions métaphysiques du finalisme et de l'idéalisme. Diderot présente les positions antagonistes de manière telle que la personne lisant le texte est invitée à peser et soupeser les arguments et à choisir celle qui lui paraît la meilleure, ou la plus probable.

Abstract

Abstract

In his Letter on the Blind, Denis Diderot describes, based on mathematical physics, a method for evaluating hypotheses in situations where certainty cannot be reached. This article's thesis is that the author of the Letter extends this method to metaphysical questions of finalism and idealism. Diderot presents each pair of antagonistic positions (finalism-antifinalism and idealism-realism) in such a way that readers are invited to carefully weigh the arguments and to choose the one that appears to be the best, or most probable, position.

Type
Article
Copyright
Copyright © The Author(s), 2024. Published by Cambridge University Press on behalf of the Canadian Philosophical Association/Publié par Cambridge University Press au nom de l’Association canadienne de philosophie

La Lettre sur les aveugles à l'usage de ceux qui voient paraît en juin 1749Footnote 1. Bien qu'elle soit publiée sans porter le nom de son auteur, un mois plus tard Diderot se verra emprisonné au château de Vincennes en tant qu’« auteur du livre de l'Aveugle » (Bonnefon, Reference Bonnefon1899, p. 207). Les accusations ne visent pas des passages précis de la Lettre, mais à la lecture de l’œuvre, il est facile de trouver plusieurs propos susceptibles d'avoir retenu l'attention de la censure. Les imputations peuvent s'appliquer aussi bien à des affirmations explicites qu'à des propos seulement suggérés.

De manière générale, identifier les thèses que Diderot défend dans la Lettre est une tâche compliquée puisque, à plusieurs reprises, il semble dire des choses sans vraiment les dire, ou en mêlant ses affirmations à d'autres propos ensuite critiqués et les thèses qui semblent être soutenues font parfois l'objet d'un retournement pour se retrouver ensuite dans la position inversée de cible critique. De plus, puisque la Lettre se conclut par « nous ne savons presque rien » (Lettre, p. 185) et « Hélas ! Madame, quand on a mis les connaissances humaines dans la balance de Montaigne, on n'est pas éloigné de prendre sa devise », tout ce qui, dans la Lettre, peut apparaître comme l'affirmation positive d'une thèse semblerait devoir être plutôt compris comme une simple hypothèse dont la vérité ne peut en tout cas être établie. Bien que cette complexité puisse être expliquée par différents ordres de raisons, qui vont de la simple prudence à l'expression de principes épistémologiques et didactiques propres à la philosophie de Diderot, il est indubitable qu'elle rend difficile la saisie du contenu de la Lettre et peut expliquer la multiplicité des interprétations contradictoires concernant les thématiques abordées, les thèses présentées et l'attitude de Diderot face à ces thèsesFootnote 2.

Dans cet article, je me propose de montrer comment la multiplicité des thématiques et les propositions apparemment contradictoires de la Lettre participent à une même structure argumentative visant à établir de quelle manière, là où la certitude ne peut pas être atteinte, la raison peut néanmoins nous faire avancer sur le chemin de la connaissance. La Lettre, prise dans son ensemble, dépasse ainsi le scepticisme de ses dernières lignes en montrant comment trouver l'explication des phénomènes la plus probable.

Je ne suis pas la première à proposer une lecture anti-sceptique de la Lettre Footnote 3. Trois points me semblent distinguer mon interprétation des précédentes. Le premier est l’étude d'une partie (souvent passée sous silence par les commentateurs) dans laquelle Diderot explique comment, dans les sciences de la nature, les mathématiques peuvent contribuer à évaluer le degré d'adéquation d'un ensemble d'hypothèses à la réalité. Le deuxième consiste à montrer comment l’évaluation de l'adéquation des hypothèses décrite à propos de la physique mathématique structure l'approche des questions métaphysiques de la deuxième partie de la Lettre (celles notamment du finalisme et de l'idéalisme)Footnote 4. Le troisième aspect qui singularise mon approche des précédentes a trait au type d’éléments sur lesquels je fonde la réponse de Diderot à l'idéalisme.

Le plan de mon article est le suivant : dans la première section, je donnerai quelques éléments du contenu de la Lettre ; dans la deuxième, je décrirai la position idéaliste et son fondement tels qu'ils sont présentés par Diderot dans le texte ; dans la troisième, j'avancerai les éléments témoignant de la présence d'une position anti-idéaliste. Je me pencherai, dans la section quatre, sur la description de la méthode que Diderot propose pour choisir, dans la physique mathématique, les meilleures ou plus adéquates hypothèses lorsque la certitude ne peut être atteinte. Dans les trois dernières sections, je montrerai comment la méthode utilisée en physique mathématique s'applique à la métaphysique, d'abord de façon générale (section cinq), puis relativement à la question du finalisme (section six) et à la question de l'idéalisme (section sept).

1. Description sommaire de la Lettre

Le texte se présente sous la forme d'une Lettre écrite par Diderot à une dame dont le nom n'est pas mentionné et qu'il semble vouloir accompagner sur le chemin de la connaissance à partir de ce que l'on peut savoir des aveugles. La Lettre aborde des thématiques en apparence très éloignées les unes des autres, et tenues ensemble par leur rapport plus ou moins étroit avec l'expérience des aveugles. Les premières lignes décrivent l'occasion de la Lettre et sa première finalité : Diderot s’était engagé auprès de la dame à assister en sa compagnie, ainsi que celle de quelques « philosophes » et « personnes de la plus haute distinction », aux premiers moments de perception visuelle d'une jeune aveugle que M. de Réaumur, de l'Académie royale des sciences, avait fait opérer. La promesse n'avait pu être tenue parce que M. de Réaumur avait préféré observer et interroger l'aveugle guérie à huis clos. Diderot propose alors à la dame de lui faire connaître autrement ce qu'elle espérait apprendre de l'observation directe de ces premiers instants d'expérience visuelle. De ses premières lignes, on induit que la Lettre est précisément ce parcours de substitution.

Bien que généralement on partage la Lettre en trois parties, dont la première est consacrée à l'aveugle de Puiseaux, la deuxième à Nicholas Saunderson et au dialogue avec Gervaise Holmes sur le finalisme et la troisième à la discussion de la question de Molyneux, je propose un autre découpage qui laisse de côté les thématiques spécifiques et distingue deux grandes parties d’à peu près la même longueur. La première, plutôt descriptive, contient le récit sur l'aveugle de Puiseaux, sur Saunderson et sur d'autres personnages réels ou hypothétiques ne possédant pas le sens de la vue. La deuxième, plutôt problématique, est occupée par la présentation et la discussion d'un certain nombre de problèmes parmi lesquels on trouve la question du finalisme, la réponse à l'idéalisme, la discussion de la question de Molyneux ainsi que les problèmes liés à l'interrogation d'un aveugle à qui la vue aurait été restituée. Entre les deux se trouvent trois paragraphes, relativement isolés du reste, présentant une méthode mathématique pour l’évaluation de la plausibilité des hypothèses de la physique mathématique. Dans la mesure où les questions métaphysiques de la partie problématique aussi bien que la méthode de la physique mathématique seront traitées dans des sections séparées, je donnerai ici quelques détails concernant la première partie de la Lettre, à savoir la partie descriptive.

Les descriptions de cette partie fournissent un riche ensemble de données concernant ce que les aveugles parviennent à faire et à connaître, malgré l'absence de la vueFootnote 5. La plupart des capacités perceptives décrites dépendent de la possibilité de repérer plusieurs contenus à travers la perception de rapports de qualités sensibles relevant d'autres sens que la vue.

C'est de cette manière que, par exemple, l'aveugle de Puiseaux peut distinguer un passage ouvert d'un cul-de-sac à partir des mouvements de l'air sur son visage (Lettre, p. 145), connaître le degré de remplissage d'une bouteille par le bruit du liquide qui la remplit (Lettre, p. 145), détecter la beauté d'un visage à partir des caractéristiques du son de la voix (Lettre, p. 146)Footnote 6 ; et que Saunderson peut concevoir les nombres et exécuter des opérations sur ceux-ci par l'utilisation d'une part de données sensorielles venant du toucher et, d'autre part, par le développement de signes adéquats (comme la forme et la position des clous de son abaque ; Lettre, p. 152-162).

La partie descriptive des facultés perceptives des personnes privées de la vue se conclut avec l'explication de ce qui peut paraître la capacité la plus étonnante de Saunderson, à savoir le fait qu'il a pu enseigner aussi l'optique et la théorie des couleurs. En reconduisant cette capacité, à première vue prodigieuse, au schéma précédent, Diderot montre que celle-ci se fonde sur l'existence d'hypothèses qui permettent une mathématisation de la nature de la lumière et une réduction des phénomènes lumineux à des rapports mathématiques (Lettre, p. 162). Ces hypothèses explicatives sont formulées par un physicien géomètre qui, ayant un accès direct aux effets visuels de la lumière, suppose l'existence de certaines causes dont les actions sont descriptibles par la géométrie (telle, par exemple, l'existence d'un certain nombre de lumières simples ayant une couleur et un angle de réfraction spécifiques). Évidemment, Saunderson ne peut pas formuler ou inventer les éléments du modèle explicatif, mais il peut comprendre le modèle et maîtriser tous les rapports internes aux éléments introduits par la description géométrique de la lumière.

Or, comme nous l'avons vu, la Lettre se présente comme ce qui se substitue à l'observation des premières perceptions visuelles d'une aveugle nouvellement opérée des cataractes, et le cadre narratif de la rencontre avec l'aveugle de Puiseaux consiste précisément en l’élaboration d'une situation d'observation aussi riche, voire plus riche, qu'une confrontation directe avec l'aveugle. En effet, l'aveugle de Puiseaux décrit les éléments de son expérience en répondant aux questions que lui posent à tour de rôle les philosophes accompagnant Diderot dans le récit. Celui-ci met en scène l'entretien en montrant à plusieurs reprises que les questions ne viennent pas d'un seul individu, mais d'un groupe, avec une pluralité d'intérêts, et que ce dispositif permet de considérer le sujet à étudier sous différents points de vue. Si les questions sont distribuées selon les compétences spécifiques de chacun, les leçons à tirer des réponses sont en revanche partagées, montrant ainsi que chacun peut tirer parti de données qu'il n'aurait pas eu l'idée de recueillir. La recherche apparaît donc devoir être non seulement publique, mais aussi collégiale et, au moins en partie, interdisciplinaireFootnote 7.

La Lettre veut ainsi mettre en place un modèle de recueil des données. En s'adressant à une destinataire, et avec elle implicitement à tous ses lecteurs et lectrices, Diderot souligne la nécessité de se préparer activement à la réception des informations qu'il est en train de transmettre. Cette préparation se fait à la fois par la connaissance précise des conditions qui sont celles de l'aveugle, et par un effort d'imagination pour prédire les effets que tel ou tel aspect de ces conditions peut produire sur l'expérience vécue en première personne. La destinataire de la Lettre est ainsi invitée à se mettre à la place de l'aveugle, et à concevoir comment elle-même s'y prendrait pour accomplir certaines tâches, comme enfiler un fil dans une aiguille, accomplir des calculs ou construire des lignes. Elle est aussi amenée à formuler des hypothèses sur les contenus de l'expérience de l'aveugle, que le récit de Diderot est en mesure ensuite de confirmer ou d'infirmer. Les résultats des observations de Diderot sont donc censés être reçus de manière réfléchie et critique. Dans la grande majorité des cas, la destinataire est supposée tirer seule les conclusions à partir des informations reçues.

Les questions posées par le comité de philosophes permettent d'interroger de manière méthodique les phénomènes relatifs à la perception et à la métaphysique des aveugles. Leurs réponses fournissent des données susceptibles d’être organisées de manière systématique. Ainsi, malgré la forme digressive de l'exposition, que Diderot revendique et défend explicitement (Lettre, p. 164 et 180), les expériences décrites ne sont nullement une suite d'expériences curieuses aptes à étonner et à divertir, mais un ensemble de données issues d'observations recherchées et permettant de formuler des hypothèses sur la perception et sur la réalitéFootnote 8.

Selon le découpage que je propose, la partie problématique commence après la description du fondement tactile des concepts mathématiques de Saunderson et trois courts paragraphes sur l'usage des mathématiques dans l’évaluation de l'adéquation des hypothèses de la physique. Elle débute, de manière assez abrupte, par la définition de l'idéalisme et de l'argument qui le fonde (Lettre, p. 164). C'est cette définition que j'analyserai dans la prochaine section. Je traiterai des paragraphes sur l'usage des mathématiques dans l’évaluation des hypothèses de la physique plus loin, à la section 4.

2. Idéalisme

Diderot présente l'idéalisme ainsi :

[…] On appelle idéalistes ces philosophes qui, n'ayant conscience que de leur existence et des sensations qui se succèdent au dedans d'eux-mêmes, n'admettent pas autre chose […] ; système qui, à la honte de l'esprit humain et de la philosophie, est le plus difficile à combattre, quoique le plus absurde de tous. Il est exposé avec autant de franchise que de clarté dans trois dialogues du docteur Berkeley, évêque de Cloyne […]. (Lettre, p. 164)

Selon Diderot, la thèse idéaliste s'appuie sur l'idée que, puisque nous ne sommes conscients que de nous-mêmes et de nos idées, tout jugement qui poserait l'existence de quelque chose d'extérieur à ce cercle serait infondé. Dans le passage cité, Diderot associe la thèse à George Berkeley, mais quelques lignes plus bas, il renvoie à l’Essai sur l'origine des connaissances humaines pour montrer que la même position peut être légitimement attribuée à Étienne Bonnot de CondillacFootnote 9.

L'attribution de ce type d'idéalisme à Berkeley et à Condillac ne va pas sans soulever des difficultés. L'argument principal de Berkeley pour l'idéalisme n'est pas celui rapporté par Diderot (l'impossibilité d'accéder à autre chose qu'au contenu de sa propre conscience), mais celui fondé sur le caractère contradictoire de la notion de matière (ce que l'on appelle le « master argument »)Footnote 10. En ce qui concerne Condillac, on trouve certes dans l’Essai l'affirmation qu'il est impossible de sortir du cercle des idées, mais Condillac n'en tire aucune conséquence à l’égard de la question de l'existence du monde extérieur. Nous laisserons cependant de côté ces deux points pour nous consacrer à ce qui intéresse vraiment Diderot. En effet, les lignes qui suivent la définition de l'idéalisme dans la Lettre laissent comprendre que l'idéalisme a été introduit par Diderot surtout pour montrer la nécessité de sa réfutation : l'idéalisme est en fait, en même temps, la thèse la plus absurde et la plus difficile à réfuter qui soit. Ainsi, si l'appel à Condillac pour trouver une réponse à l'idéalisme peut susciter quelques perplexités, étant donné que ce même Condillac venait aussi d’être accusé — citation à la main — d’être un représentant de l'idéalisme, cet appel produit également l'impression que Diderot pense qu'il est possible de répondre à l'idéalisme. Il me semble donc que c'est au nom de cette possibilité qu'il exhorte ses contemporains, et parmi eux les esprits les plus brillants, à concentrer leurs forces pour venir à bout du défi idéaliste. L'accent mis sur la difficulté d'y répondre est plutôt à entendre comme une incitation à chercher une telle réponse que l'admission d'un échec.

Diderot ne donne pas de nom à la conception qu'il caractérise seulement comme opposée à l'idéalisme. Pour en faciliter l'exposition, j'appellerai cette thèse « réalisme »Footnote 11.

Dans ce qui suit, j'aimerais montrer que la Lettre fournit un ensemble d’éléments réalistes pouvant décrire et fonder la thèse de l'existence de « choses » extérieures et celle de la possibilité d'un accès cognitif à celles-ci. En effet, même si Diderot ne développe pas explicitement les arguments pour une position réaliste (comme il le fait avec les thèses du finalisme, de l'anti-finalisme et de l'idéalisme), on trouve dans la Lettre un ensemble d’éléments qui vont dans le sens du réalisme et qui, mis bout à bout, constituent une véritable alternative à l'idéalisme. Cependant, puisque le discours de Diderot n'est ni explicite, ni complètement développé, je ne parlerai pas d'arguments ou de thèses réalistes, mais plutôt d’éléments.

3. Les éléments réalistes

La majorité des éléments étayant le réalisme qui parsèment la Lettre sont développés dans le cadre de la longue discussion de la question de Molyneux (dorénavant qdM), qui prend place dans la dernière partie de la Lettre. On peut distinguer deux groupes. Le premier prend place dans la partie préliminaire à la discussion de la qdM, où Diderot présente une série de critiques à l'encontre de la question et propose une série d'amendements — je traiterai ces éléments en 3.1. Le second se développe dans le cadre des réponses proposées par Diderot aux différentes versions de la qdM — j'analyserai ces éléments en 3.2. Enfin, je décrirai assez rapidement en 3.3 les éléments étayant le réalisme dans les autres parties de la Lettre.

3.1. Les éléments réalistes de la partie préliminaire de la discussion de la question de Molyneux

La qdM consiste en une question que le savant irlandais William Molyneux pose à John Locke dans une lettre de 1693 et que celui-ci publie, accompagnée d'une réponse, dans la deuxième édition de l’Essay concerning Human Understanding de 1694. Diderot, dans la Lettre, fait explicitement référence à la question discutée par Locke, mais il n'en donne qu'une paraphrase incomplète. Le texte de la question, telle qu'elle apparaît dans l’Essay de Locke, est le suivant :

[…] Suppose a Man born blind, and now adult, and taught by his touch to distinguish between a Cube, and a Sphere of the same metal, and nighly of the same bigness, so as to tell, when he felt one and t'other, which is the Cube, which the Sphere. Suppose then the Cube and Sphere placed on a Table, and the Blind Man to be made to see. Quaere, Whether by his Sight, before he touch'd them, he could now distinguish, and tell, which is the Globe, which the Cube. (Locke, Reference Locke and Nidditch1975, II. ix, 9 ; p. 146)

Dans son texte originaire, la question a pour objet les idées de figures et la maîtrise des capacités cognitives relatives à ces idées. Avant Diderot, cette question avait déjà été discutée par de nombreux philosophes tels Berkeley (1709 et 1732), Voltaire (1738), James Jurin (1738), Julien Offray de La Mettrie (1745) et Condillac (1746).

En introduisant la qdM, Diderot indique que celle-ci en appelle immédiatement une autre qui lui serait préalable et qui concerne la possibilité même de retrouver soudainement la vueFootnote 12. Diderot précise que l’œil, avant de pouvoir voir parfaitement, doit être exercé et que cet exercice peut se faire aussi sans l'aide du toucher (Lettre, p. 176). Il précise également que pour beaucoup de contenus, la vision est redevable à l'expérience et — point important pour la question du réalisme — que l'expérience intervient dans la constitution d'une croyance en l'existence extérieure et continuée des corps (Lettre, p. 176). Pour appuyer cette affirmation, il reporte l'avis de ceux qui pensent que les jeux des nourrices qui amusent les enfants en faisant disparaître et réapparaître des objets sont une manière de leur apprendre la permanence des objets extérieurs (Lettre, p. 174-176). Une première conclusion tirée par Diderot est que « l’œil expérimenté d'un homme fait mieux voir les objets, que l'organe imbécile et tout neuf d'un enfant ou d'un aveugle de naissance à qui l'on vient d'abaisser les cataractes » (Lettre, p. 76).

Mais comment le passage des sensations à la réalité s'opère-t-il ? D'après Diderot, puisque les sensations « n'ont rien qui ressemble essentiellement aux objets », l'expérience ne peut nous fournir que des rapports, des régularités, des analogies (Lettre, p. 76). Ce sont donc ces rapports et ces analogies qui fondent et justifient notre croyance en l'existence extérieure et continuée des corps et en leurs capacités d'agir différemment sur nous et sur les autres corps. Ainsi, explique Diderot, c'est parce qu'il y a une régularité, une loi stable entre les corps pointus et la sensation de douleur qu'ils procurent, que nous pouvons nous conserver en vie, alors que si certains corps pointus nous procuraient de la douleur et d'autres du plaisir, nous n'y parviendrions pas (Lettre, p. 76). L'existence de corps pointus comme existant indépendamment de nos sensations et comme cause de nos sensations de douleur est une hypothèse explicative qui peut être rationnellement justifiée et dont la plausibilité peut être évaluée. La régularité de la succession des sensations est donc ce qui nous amène à construire et à justifier l'hypothèse d'une existence extérieure et continuée des corps et de leurs propriétés spécifiques, hypothèse qui s'oppose à l'idéalismeFootnote 13.

3.2. Les éléments réalistes des variations de la question de Molyneux et de ses réponses

Avant de répondre à la question, Diderot annonce qu'il en a changé certaines des conditions de départ. Ainsi, puisque la perception de la distance et de la profondeur doit être apprise par l'expérience (Lettre, p. 182), Diderot propose d’éliminer les contenus qui ne seraient sûrement pas reconnus par l'aveugle guéri et de remplacer le cube et la sphère de la question originaire par un carré et un cercle. Aussi, puisque l’œil ne peut pas voir immédiatement après l'opération, il propose que l'aveugle opéré donne sa réponse seulement lorsque son œil est devenu complètement performant. Ces modifications sont importantes, car elles écartent de la question tous les éléments qui, chez ses prédécesseurs, servaient précisément à interroger la thèse de la nécessité d'apprendre à voir et étaient donc déterminants pour une réponse affirmative ou négative. De plus, il propose de poser la question à plusieurs sujets ayant des connaissances et des capacités réflexives différentesFootnote 14. Diderot n'hésite donc pas à transformer radicalement la qdM pour qu'elle puisse porter sur une thématique différente de celles associées aux réponses de ses prédécesseurs et qui l'intéresse davantageFootnote 15.

On peut résumer la réponse de Diderot à la qdM par un « ça dépend ». Il suggère, en effet, que les réponses varieront selon les connaissances et les capacités de réflexion du sujet interrogé. Dans sa réponse, il considère quatre types de sujets. Les personnes du premier type sont des personnes « grossières, sans éducation, sans connaissances, et non préparées » (Lettre, p. 181). Ces personnes pourront tout aussi bien reconnaître ou ne pas reconnaître le carré et le cercle (Lettre, p. 181), mais quelle que soit leur réponse, elles ne sont pas en mesure de la justifier, car elles ne savent pas analyser ni comparer. Les personnes du second type auront plus de capacité à comparer les idées nouvellement perçues avec les idées connues par le toucher et dire qu'il s'agit d'un carré et d'un cercle. Cependant, puisque la comparaison ne se fait pas assez distinctement, elles ne peuvent être certaines de la vérité de leur jugement et en donner des raisons précises (Lettre, p. 181). Ce qui est central, dans ces premières réponses, est la manière de justifier les réponses et de communiquer les raisons.

La situation change radicalement lorsque les sujets appelés à répondre sont le « métaphysicien Locke » et le « géomètre Saunderson », qui sont capables d'analyser et de comparer précisément les contenus de leurs perceptions. Ces personnages reconnaissent de manière assurée les idées de carré et de cercle qu'ils avaient appris à reconnaître par le toucher. Les idées nouvellement perçues sont les idées de cercle et de carré qu'ils avaient déjà perçus et appris à distinguer et à nommer par le toucher. Que les deux sujets reconnaissent les idées de figure n'est pas étonnant étant donné que, dans la partie descriptive de la Lettre, Diderot avait proposé une analyse spécifique des idées des lignes et des figures perçues par un aveugle, où il décrivait des correspondances structurelles importantes entre les contenus spatiaux perçus par l'aveugle et ceux perçus par le voyant : ainsi, il écrivait que si les doigts de l'aveugle « glissent le long d'un fil bien tendu, il prend l'idée d'une ligne droite ; s'il suit la courbe d'un fil lâche, il prend celle d'une ligne courbe » (Lettre, p. 148-149)Footnote 16. Dans l'analyse proposée, la correspondance structurelle des deux types de lignes et de figures était explicitement affirmée : « Nous combinons des points colorés ; il ne combine, lui, que des points palpables, ou, pour parler plus exactement, que des sensations du toucher dont il a mémoire. » (Lettre, p. 149)Footnote 17. Contrairement à ce qui se passe pour l'idée du beau, dont l'aveugle est dit ne pas pouvoir avoir l'idée, mais seulement en juger à partir de la perception tactile de la disposition des parties (Lettre, p. 145), les idées des lignes et des figures peuvent être perçues tactilement par l'aveugleFootnote 18.

Le métaphysicien Locke et le géomètre Saunderson reconnaissent donc les idées de figures perçues par la vue nouvellement acquise comme étant les idées d'un carré et d'un cercle, mais tous les deux se posent ensuite une nouvelle question concernant, cette fois, les propriétés des corps perçus. À propos de ce Locke aveugle-né à qui la vue a été redonnée, Diderot écrit :

Je ne doute nullement que celui-ci ne raisonnât dès l'instant où il commencerait à apercevoir distinctement les objets, comme s'il les avait vus toute sa vie ; et qu'après avoir comparé les idées qui lui viennent par les yeux avec celles qu'il a prises par le toucher, il ne dît, avec la même assurance que vous et moi : « Je serais fort tenté de croire que c'est ce corps que j'ai toujours nommé cercle, et que c'est celui-ci que j'ai toujours appelé carré mais je me garderai bien de prononcer que cela est ainsi. Qui m'a révélé que, si j'en approchais, ils ne disparaîtraient pas sous mes mains ? Que sais-je si les objets de ma vue sont destinés à être aussi les objets de mon attouchement ? […] Ces objets pourraient fort bien se transformer dans mes mains, et me renvoyer, par le tact, des sensations toutes contraires à celles que j'en éprouve par la vue. […] » (Lettre, p. 181-182)

La réponse de Locke aveugle-né explique pourquoi, bien qu'il soit certain de percevoir une idée de carré et une idée de cercle, son expérience de la relation entre les idées de la vue et celles du toucher est trop limitée pour savoir qu'un objet perçu comme carré à la vue sera perçu de la même manière au toucher et non pas, par exemple, comme un cercleFootnote 19 : cette correspondance ne peut pas être connue a priori, car la possibilité que le toucher, pendant le processus perceptif, agisse sur la forme de l'objet extérieur et la modifie existe.

Cette deuxième question et sa réponse introduisent dans la discussion de la qdM le thème du réalisme. En effet, d'une part, la question ne concerne plus les idées de figures, mais les caractéristiques des corps qui produisent ces figures ; d'autre part, elle rend manifeste le cadre réaliste et mécaniste sous-jacent à la formulation même de la nouvelle question : la succession des sensations correspond à l'action causale régulière d'une réalité extérieure sur les organes de sens. Ainsi, l'hypothèse de la contradiction entre les sensations qu'un objet produit à la vue et au toucher (« Ces objets pourraient fort bien […] me renvoyer, par le tact, des sensations toutes contraires à celles que j'en éprouve par la vue. ») est encadrée dans une histoire causale (« Ces objets pourraient fort bien se transformer dans mes mains, et me renvoyer, par le tact […] ») où les mouvements du toucher modifient, par une action mécanique, la forme des objets et ne représentent pas une exception à la succession régulière des sensations.

Le géomètre Saunderson aborde la question dans le même cadre conceptuel que le métaphysicien Locke et, comme celui-ci, reconnaît les figures et se demande si l'objet qui produit la sensation de carré à la vue ne produirait pas la sensation de cercle au toucher et vice-versa. Cependant, Saunderson, qui a pu enseigner la géométrie à des voyants pendant sa cécité, possède, en plus de Locke, une expérience de la relation entre figure perçue à la fois et simultanément par la vue et par le toucher et c'est cette expérience qui va lui permettre d’écarter la possibilité de la contradiction entre les perceptions de la vue et celles du toucher produites en même temps par un même objet (Lettre, p. 182-183) :

Mais, aurait-il [Saunderson] continué avec Locke, peut-être que, quand j'appliquerai mes mains sur ces figures, elles se transformeront l'une en l'autre, de manière que la même figure pourrait me servir à démontrer aux aveugles les propriétés du cercle, et à ceux qui voient, les propriétés du carré. Peut-être que je verrais un carré, et qu'en même temps je sentirais un cercle. Non, aurait-il repris ; je me trompe. Ceux à qui je démontrais les propriétés du cercle et du carré n'avaient pas les mains sur mon abaque et ne touchaient pas les fils que j'avais tendus et qui limitaient mes figures ; cependant ils me comprenaient. Ils ne voyaient donc pas un carré quand je sentais un cercle ; sans quoi nous ne nous fussions jamais entendus […]. Mais puisqu'ils m'entendaient tous, tous les hommes voient donc les uns comme les autres : je vois donc carré ce qu'ils voyaient carré, et circulaire ce qu'ils voyaient circulaire. Ainsi voilà ce que j'ai toujours nommé carré, et voilà ce que j'ai toujours nommé cercle. (Lettre, p. 183)

L'avantage que Saunderson a sur Locke pour connaître la correspondance effective entre les sensations de la vue et du toucher causées par un corps ne lui vient pas de ses connaissances en géométrie, mais de son expérience acquise en enseignant cette science. La considération des contenus perceptifs est encore une fois intersubjective, et cette intersubjectivité permet à Saunderson de dire que les formes des objets perçues par la vue et par le toucher sont les mêmesFootnote 20.

Les personnages de Locke et de Saunderson donnent des réponses argumentées à la qdM et fournissent des descriptions, en troisième personne, des raisons qui les conduisent à penser que les corps extérieurs existent et qu'ils sont la cause de nos perceptions. La structure de leurs raisonnements est la même, ce qui change sont les données empiriques qui peuvent être utilisées comme prémisses de leurs raisonnements : le personnage Saunderson sait, alors que le personnage Locke ne le sait pas encore, que la perception tactile ne transforme pas la forme d'objet et ne peut faire qu'un objet qui apparaît circulaire au toucher apparaisse comme carré à la vue. L'ensemble de ces éléments (aussi bien les données que les raisonnements faits à partir de celles-ci) contribuent à expliciter les raisons d'une position réaliste ou anti-idéaliste.

De nouveaux éléments aptes à justifier rationnellement le réalisme se trouvent dans la réponse à une autre version de la qdM proposée par Diderot, qui consiste à s'interroger sur les conceptions d’« un homme en qui le sens de la vue et du toucher seraient perpétuellement en contradiction » (Lettre, p. 184). D'après Diderot, une telle personne :

[…] prononcerait, en général, qu'un corps a une forme ; mais il devrait avoir du penchant à croire que ce n'est ni celle qu'il voit ni celle qu'il sent.

[…] S'il était tenté d'en accuser un [de ses sens] de fausseté, je crois que ce serait au toucher qu'il s'en prendrait. Cent circonstances l'inclineraient à penser que la figure des objets change plutôt par l'action de ses mains sur eux, que par celle des objets sur ses yeux. Mais en conséquence de ces préjugés, la différence de dureté et de mollesse, qu'il observerait dans les corps, serait fort embarrassante pour lui. (Lettre, p. 184)

En se demandant lequel des deux sens devait être accusé de fausseté, le sujet dont les sens se contredisent rend manifeste qu'il présuppose : 1) une réalité extérieure qui existe de manière stable et indépendante des perceptions ; 2) que cette réalité est pensée comme étant la cause des sensations ; 3) que seules les sensations de figure « véridiques » représentent la figure réelle. De plus, en soupçonnant davantage le toucher, il paraît vouloir proposer une explication causale mécaniste de la fausseté de la représentation : c'est parce que le toucher exerce une action directe sur le corps qu'il est censé percevoir qu'il peut, en principe, modifier la forme de l'objet. Dans ce cadre, la perception du dur et du mou sont des cas « embarrassants », car le sujet qui perçoit ces qualités est conscient non seulement de l'action qu'il exerce sur les corps, mais aussi des modifications que celle-ci produit lorsque le corps est mou et qu'elle ne produit pas lorsque le corps est dur, alors que l'explication des inversions présuppose des modifications de la figure des objets dont le sujet n'est pas conscient.

Diderot donc semble aborder les différentes versions de la qdM, sous l'angle de la thématique du rapport perception-réalité. Ainsi, là où ses prédécesseurs discutaient de la qdM en considérant les idées et leurs relationsFootnote 21, Diderot, qui a déjà décrit ces contenus comme étant les mêmes dans la première partie, se préoccupe surtout de la manière de rendre compte de la succession des perceptions en termes réalistes et dans un cadre mécaniste. Je pense que ce déplacement du sens et de l'objet de la question, loin d’être le résultat d'une mécompréhension, est le signe des réels intérêts de Diderot dans la Lettre, lesquels concernent l'existence d'une réalité extérieure et indépendante de la perception. C'est donc parce que la discussion de la qdM a été réorientée du côté du rapport perception-réalité que Diderot peut y décrire les raisons qui, à partir d'une certaine structure ordonnée de perceptions, nous conduisent à penser une réalité extérieure et permanente qui serait la cause de ces perceptionsFootnote 22.

3.3. Les éléments réalistes de la première partie de la Lettre

D'autres éléments appartenant à un cadre explicatif réaliste se trouvent dans le riche ensemble d'observations de la première partie, où la description des perceptions alternatives des aveugles est parfois accompagnée par des indications de ce qui, au niveau de la réalité extérieure, pourrait expliquer la correspondance entre les sensations des différentes modalités sensorielles. Un de ces cas est celui de la beauté d'un visage, que l'aveugle peut détecter à partir du son de la voix et que Diderot propose d'expliquer en considérant les deux qualités sensibles (visuelles et sonores) comme l'effet d'une même cause, qui serait une certaine conformation anatomique (Lettre, p. 146).

Aussi, toujours dans la première partie, l'aveugle de Puiseaux est décrit comme sachant parler correctement des miroirs, et le récit précise que lorsqu'il s'enquiert de machines comme les microscopes, qui modifient les dimensions des objets, il demande si celles qui grossissent sont plus grosses que celles qui les rapetissent. Malgré son apparence quelque peu ridicule, cette question rend manifeste que l'aveugle a un schéma explicatif du changement des dimensions apparentes inspiré par la manière d'agir du toucher et qui relie les changements des dimensions des objets à une action matériellement grossissante ou rapetissante. Le récit rend donc évident que les anomalies dans la succession attendue des expériences amènent l'aveugle à proposer une explication mécanique, et que l'explication présuppose l'existence des objets extérieurs agissant (sur les objets et sur nos organes de sens) selon des lois constantes.

Ces éléments sont donnés dans le cadre de la description de la vie des aveugles et, à la différence de ce qui se passe dans la discussion de la qdM, ils ne sont pas intégrés dans un cadre explicatif. Ils me semblent néanmoins à considérer, car ils peuvent être vus comme une illustration des mêmes principes explicatifs rencontrés à propos de la discussion de la question de Molyneux et de ses réponses. L'ensemble des éléments réalistes que je viens de décrire me semblent suffisants pour parler d'une position réaliste présente à l'intérieur de la Lettre.

Dans la prochaine section, j'aimerais montrer comment cette présence s'articule avec d'autres parties de la Lettre et est, à mon avis, essentielle pour saisir l'organisation générale de celle-ci. Plus particulièrement, il me semble que la présence, à l'intérieur de la Lettre, de la dichotomie idéalisme/réalisme crée les conditions pour appliquer ce que Diderot écrit à propos de l’évaluation des hypothèses explicatives de la physique mathématique. Dans la prochaine section, je décrirai les caractéristiques de cette méthode d’évaluation.

4. La méthode de la physique mathématique et les probabilités

À la fin de l'exposition des capacités du mathématicien aveugle Saunderson, Diderot explique que la condition qui l'a rendu capable d'enseigner l'optique et la théorie des couleurs est l'existence d'hypothèses qui permettent une mathématisation de la nature de la lumière et une réduction des phénomènes lumineux à des rapports mathématiques (Lettre, p. 162). Les paragraphes sur les hypothèses explicatives en optique permettent à Diderot d'aborder la question de l'adéquation entre hypothèses scientifiques et réalité. Pour cette discussion, Diderot s'insère dans le cadre classique qui suppose des hypothèses explicatives permettant la prévision de nouveaux phénomènes et pour lesquelles la conformité — ou non-conformité — des phénomènes effectifs à la prévision atteste l'adéquation — ou la non-adéquation — des hypothèses à la réalité. Il est à remarquer que cette discussion marque un changement de thématique important puisqu'on passe de la description et de l'analyse des contenus de l'expérience, en première partie, à des considérations concernant plutôt la réalité et notre possibilité d'accès à celle-ci.

Pour comparer la plausibilité de deux modèles explicatifs alternatifs, Diderot fait varier ce que j'appellerai « le degré de plausibilité » d'un modèle explicatif entre la valeur 0 et la valeur 1 en traversant un continuum de valeurs. Lorsque l'expérience effective est différente de la prévision, alors le système d'hypothèses est certainement faux (degré de plausibilité 0). Lorsque l'expérience effective est conforme à la prévision, il est possible que deux hypothèses erronées du système se compensent mutuellement, de la même manière que, dans une addition, le résultat peut être exact par la compensation de deux erreurs dans les sommes intermédiaires. Diderot explique que la conformité de l'expérience effective à la prévision confirme avec certitude le modèle (degré de plausibilité 1) seulement dans le cas où celui-ci est fondé sur une seule hypothèse et que la possibilité d'une double erreur peut être exclue. Dans la Lettre, Diderot ne dit rien sur la possibilité d'envisager, en physique, des explications à une seule hypothèse et indique simplement que, dans ce cas de figure, l'hypothèse aurait « la force de démonstrations géométriques » (Lettre, p. 162). Ensuite, le degré de plausibilité d'un système explicatif composé de plusieurs hypothèses et dont les prévisions sont confirmées par l'expérience est indexé à la possibilité de la compensation des erreurs. Diderot affirme alors que plus le système comprend d'hypothèses, moins les erreurs compensatoires sont probables (Lettre, p. 162). Il ne donne cependant aucun détail sur la manière selon laquelle la valeur du risque (ou la probabilité) d'erreurs compensatoires est attribuée au modèle en fonction du nombre d'hypothèses qu'il contient. Reste que Diderot, il est intéressant de le noter, propose des moyens mathématiques pour évaluer le degré de plausibilité d'un système d'hypothèses dans un domaine — celui de la physique mathématique — où la certitude ne peut pas être atteinte. L'idée est donc que même dans le cas où il y a de l'incertitude, il existe des moyens pour comparer la plausibilité des explications et pour choisir de manière réfléchie et rationnelle la meilleure explication, ou la plus plausible. Même dans l'incertitude, il faut établir, peser et fonder ses propres choix et les mathématiques donnent des moyens nouveaux pour la mesure de la plausibilité d'une hypothèseFootnote 23.

Ces paragraphes montrent aussi l'intérêt de Diderot pour une mathématique appliquée à l'incertain. Plusieurs écrits attesteront par la suite de son intérêt pour le calcul des probabilités dont il admire la simplicité des principes, les possibilités très vastes d'application et l'utilité dans la vie pratique. Bien que dans certains écrits, Diderot oppose mathématiques classiques et calcul des probabilités, en défendant parfois la supériorité de ce dernierFootnote 24, dans la Lettre, mathématiques classiques et probabilités semblent être placées sur un plan d’égalité. En effet, les mathématiques classiques sont dites propres à réaliser des calculs « de la plus grande difficulté » (Lettre, p. 162) et par là, permettre les prévisions qui seront ensuite confirmées ou infirmées, tandis que le calcul des probabilités permet de mesurer la plausibilité d'un système d'hypothèses en rapport à la probabilité des erreurs compensatoires.

5. La méthode et la métaphysique

La discussion concernant l’évaluation de l'adéquation d'un système d'hypothèses à la réalité occupe trois paragraphes, peu fréquentés par les commentateurs, et dont la thématique semble être relativement disjointe du reste. Comme je l'ai dit, sa position à l'intérieur de la Lettre marque la césure entre une première partie descriptive et une deuxième partie plus philosophique, au sens où Diderot aborde différentes questions.

Une des thèses du présent article est que ces paragraphes offrent une sorte de matrice méthodologique qui va être mise en œuvre pour traiter les questions métaphysiques de la seconde partie. Plus précisément, la partie sur la méthode dans les sciences de la nature sert à mettre en évidence qu'il existe des moyens rationnels pour choisir, lorsque la certitude n'est pas à portée de main, la meilleure (la plus plausible) entre deux hypothèses explicatives d'un même phénomène ou d'une même réalité. L'idée est qu'il est possible d'avancer dans les questions de métaphysique en développant des hypothèses et en choisissant les « meilleures » selon des critères rationnels analogues à ceux décrits pour la physique mathématique. Ce qu'il faut trouver n'est pas l'hypothèse certainement vraie, mais celle qui, comparée aux autres, est la plus plausible.

La première caractéristique de la méthode d’évaluation des hypothèses dans le domaine de la métaphysique est donc la présentation, pour une question donnée, de deux hypothèses explicatives alternatives (au moins) dont la plausibilité relative puisse être évaluée. La deuxième caractéristique concerne la manière de présenter les positions alternatives qui, malgré la participation par moment passionnée de l'auteur, doivent, du point de vue de la destinataire de la Lettre et de toutes les personnes qui la liront, se trouver sur un pied d’égalité et donner lieu à un choix. De l'absence d'une prise de position de la part de l'auteur suit la troisième caractéristique de la Lettre, qui concerne la place réservée aux lecteurs et aux lectrices. En effet, plusieurs aspects de la Lettre contribuent à les mettre dans une position active où ils doivent choisir un camp, une thèse à défendre. La destinataire de la Lettre et, par là, tous les lecteurs et toutes les lectrices, sont en effet régulièrement appelé.e.s à réfléchir par soi-même, à expérimenter en première personne certaines situations, à tirer des conclusions, etc. Outre cela, l'insistance sur les capacités réflexives des personnages de la Lettre et la description dans la partie de la physique mathématique d'un critère permettant d’évaluer rationnellement la plausibilité d'un système d'hypothèses en situation d'incertitude constituent autant d’éléments qui contribuent à mettre les lecteurs et les lectrices dans une position active de choix.

La Lettre propose donc une méthode pour avancer de manière rationnelle dans un domaine — celui de la métaphysique — où la connaissance certaine n'est pas toujours atteignable. Cette méthode consiste dans l’évaluation comparative de la force des arguments et de l’étendue des données dont chaque hypothèse explicative est capable de rendre compte. Puisque la Lettre sert à illustrer cette méthode, les questions de métaphysique sont présentées selon un même schéma narratif où, pour chaque problème, sont donnés deux hypothèses alternatives et leurs arguments respectifs (structure dichotomique). L'auteur ne dirige pas ses lecteurs et ses lectrices de manière catégorique sur la position à choisir, mais décrit plutôt les éléments dont il faut tenir compte pour arrêter son choix et, enfin, les invite à déterminer de manière active et personnelle leur camp à l'intérieur de la dichotomie en question.

Dans la section qui suit, je montrerai comment la discussion sur le finalisme du dialogue Saunderson-Holmes illustre parfaitement les éléments de la méthode d’évaluation des hypothèses que je viens de décrire. Dans la suivante, je traiterai de l'application de la méthode à la dichotomie idéalisme/réalisme.

6. La méthode et la question du finalisme

Dans la Lettre, la question du finalisme et de l'anti-finalisme se développe sous la forme d'un dialogue entre Saunderson et HolmesFootnote 25. L'intégralité du dialogue se présente comme une suite d'arguments juxtaposés où chaque personnage défend à tour de rôle sa position, en ajustant ses nouveaux arguments aux objections et changements de perspective introduits par son interlocuteur. La stratégie argumentative de Saunderson est assez stable, et consiste à mettre d'abord en évidence les limites de la thèse de Holmes, pour proposer ensuite un nouveau point de vue à partir duquel il pense qu'il faut plutôt considérer les phénomènes. Le changement de point de vue proposé consiste en général dans un élargissement de la considération du phénomène dans l'espace ou dans le temps. Ainsi, de l'ordre de la nature et de la perfection des organes des êtres vivants de ce monde, la considération s’élargit à l’état d'imperfection des organes de tous les êtres qui se seraient succédé au cours du temps. Cette succession est d'abord celle de tous les êtres dans ce monde, et ensuite celle de tous les êtres de tous les mondes qui existent et qui auraient existé dans l'univers. Un second élément de désaccord entre les deux interlocuteurs, qui conduit également à une évolution du discours, concerne les inférences qu'il est légitime de tirer à partir de certaines données. Ainsi, par exemple, Saunderson objecte à Holmes que l'inférence par laquelle il passe de l'observation de la perfection d'un objet à l'existence nécessaire d'un créateur intelligent ne lui paraît nullement justifiée.

De son côté, Holmes décrit plusieurs ordres de phénomènes qui sont, dans l'ordre, la beauté (visuelle) de l'univers et la perfection des organes internes des êtres vivants, et qui toutes deux lui semblent indiquer de manière indubitable l'existence d'un Dieu créateur. Ensuite, confronté au refus de Saunderson qui n'accepte ni les prémisses ni la légitimité de l'inférence, il recourt en dernier ressort à un argument d'autorité fondé sur l'acceptation, de la part d'Isaac Newton et des « premiers génies du monde », de l'inférence à l'existence et à la perfection d'un créateur à partir de l'observation des perfections de la nature.

Le dialogue sur le finalisme se termine sans qu'un des personnages ne reconnaisse sa défaite ou la supériorité de l'autre. La position de Diderot est occultée de différentes manières et bien que, avec une sorte de changement de plan, le récit des derniers instants de la vie de Saunderson mette en scène sa conversion et que Diderot la commente en se disant outré que des gens qui voient le « spectacle étonnant » de la nature ne croient pas à l'existence d'un Dieu créateur intelligent, tout lecteur et toute lectrice ayant bien suivi la succession des arguments de Saunderson et Holmes a au moins quelques hésitations à croire que cette déclaration corresponde à la pensée effective de DiderotFootnote 26.

Une lecture rapide pourrait nous laisser croire que la controverse entre Saunderson et Holmes illustre une position sceptique, qui renverrait dos à dos les deux positions. Et il est vrai que Diderot concèderait au sceptique que, sur cette question, la certitude est inatteignable : le finalisme de Holmes comme l'anti-finalisme de Saunderson sont et resteront des hypothèses. Mais il est des hypothèses rationnellement plus vraisemblables que d'autres. La stratégie argumentative mise en place par Diderot vise précisément à placer les lecteurs et les lectrices dans la position de faire leur choix de manière informée et rationnelle. Il ne fait aucun doute que Diderot considère l'anti-finalisme de Saunderson comme l'hypothèse la plus plausible, mais il ne peut ni ne veut imposer ce choix, qui doit être rationnel, à celles et à ceux qui liront la Lettre. Le dialogue Saunderson-Holmes comprend ainsi tous les ingrédients de la matrice méthodologique décrite dans la section 4. Dans ce qui suit, j'aimerais montrer que la même matrice peut être retrouvée à propos de la question de l'idéalisme.

7. La méthode et la question de l'idéalisme

Dans le cas de l'idéalisme et de l'anti-idéalisme, la présentation des positions antagonistes ne prend pas la forme, structurellement très claire, d'un dialogue où chaque personnage, en même temps, présente sa position et s'oppose à celle de l'autre. La thèse réaliste et son opposition à l'idéalisme s'expriment de manière moins explicite. À la section 5, j'ai décrit les éléments du réalisme et ses arguments, et je me propose ici de faire émerger comment les deux positions s'articulent entre elles ainsi que les autres caractéristiques de leur présentation. Pour ce faire, il me faudra considérer la structure de la Lettre dans son ensemble.

Puisque la thèse réaliste se retrouve en différents endroits de la Lettre, le cadre dichotomique de l'opposition idéalisme/réalisme se donne de manière moins structurée et compacte que ce n’était le cas dans l'opposition finalisme/anti-finalisme du dialogue Saunderson-Holmes. Cependant, malgré le fractionnement de la thèse réaliste, l'opposition ne manque pas complètement de structure. En effet, la thèse idéaliste est introduite au début de la seconde partie, alors que, comme nous l'avons vu dans la section précédente, les éléments réalistes se concentrent dans une partie bien ultérieure, avec la discussion de la qdM qui conclut cette partie. Le dialogue Saunderson-Holmes se déroule à peine quelques paragraphes après la présentation de l'idéalisme, de sorte que les deux oppositions se trouvent emboîtées l'une dans l'autre. Si l'on reprend le déroulement de ces oppositions, on trouve donc que la deuxième partie de la Lettre commence par la présentation de l'idéalisme et ses raisons (A), à laquelle succède l'alternance serrée entre thèse et raisons finalistes (B) et thèse et raisons anti-finalistes (non B), pour finir avec la discussion de la qdM où se concentrent les éléments pour une justification du réalisme (non A). Les oppositions sur les questions de métaphysique se donnent donc selon le schéma suivant : A, B, non B, non AFootnote 27.

Dans les deux oppositions, Diderot ne prend pas position et dans le cas de la réponse à l'idéalisme, il indique plutôt les difficultés propres à une telle recherche, que peu d'esprits peuvent réussir à surmonter.

8. Conclusion

Si l'on regarde l'ensemble de la Lettre, on trouve, dans l'ordre : 1) la mise en place d'un certain nombre de données concernant la structure des perceptions des aveugles et de ceux qui voient, 2) la description d'une méthode d’évaluation de la plausibilité des hypothèses, et 3) la présentation de deux sujets métaphysiques comportant deux positions opposées : finalisme/anti-finalisme d'une part (avec le dialogue Saunderson-Holmes), et idéalisme et réalisme d'autre part (avec la description de la thèse idéaliste et les éléments réalistes de la discussion de la qdM). Dans les deux cas, Diderot ne prend pas explicitement position.

Ce que la partie sur la méthode d’évaluation des hypothèses de la physique mathématique a montré est que, même là où la certitude ne peut être atteinte, comme c'est le cas des explications des phénomènes naturels, il est possible d’évaluer et de choisir un système d'hypothèses comme étant le plus plausible, ou celui qui explique le mieux l'ensemble des phénomènes en question. Dans la comparaison de la plausibilité de différents systèmes d'hypothèses en physique mathématique, il est possible de recourir à un calcul de type probabiliste pour atteindre non pas la certitude, mais l'hypothèse la meilleure.

Mais, puisqu'il est possible en physique de choisir un système d'hypothèses même en situation d'incertitude, pourquoi ne pas faire de même en métaphysique ? Certes, dans le cas de la métaphysique, il ne s'agit pas de calculer le risque d'une double erreur selon le nombre des hypothèses, mais de considérer « en philosophe » quel modèle métaphysique rend compte d'un plus grand nombre de phénomènes ou le fait de la manière la plus adéquate.

Cette évaluation apparaît non seulement comme une possibilité, mais encore comme un devoir si l'on veut vivre en philosophe. Saunderson et Holmes, par exemple, s'interrogent et prennent rationnellement position sur une question qui dépasse l'expérience et la possibilité de certitude et, pour ce faire, observent la nature, recueillent des données, en infèrent d'autres non observables et tirent des conclusions sur les raisons et les causes de l'ensemble de ces phénomènes. Chacun d'eux a choisi, à partir des données qu'il a considérées comme pertinentes, ou suivant des inférences qui lui ont paru correctes. Dans la narration, leurs raisonnements apparaissent comme des modèles. La Lettre fournit une multitude d'exemples de réception réflexive de données de toute sorte et, dans son ensemble, peut être vue comme une invitation à suivre ces modèles et à se comporter de la même manière.

De manière similaire, la stratégie de réponse de Diderot à la question de l'idéalisme consiste à montrer que nous cherchons toujours des explications pour les régularités et structures de notre expérience : les contenus qui reviennent nous conduisent à formuler et à croire à l'hypothèse de la permanence des objets et de leurs propriétés ; la possibilité de changer la forme des objets par le toucher nous amène à croire à l'action du toucher sur le changement de forme des objets ; la possibilité de coordonner le discours sur les figures de la géométrie d'une personne aveugle avec celui des personnes qui peuvent voir et toucher fait croire à l'existence d'un objet extérieur unique également perceptible par la vue et par le toucher. Ainsi, étant donné les régularités de l'expérience, nous construisons l'hypothèse de causes matérielles, objectives et extérieures. La croyance métaphysique en la permanence des objets et de leurs propriétés prolonge aussi bien les croyances naturelles de l'homme du commun, que les hypothèses scientifiques dont les probabilités respectives peuvent être comparées. Le réaliste peut rendre compte d'une multiplicité de phénomènes — comme les miroirs ou l'apparente correspondance des contenus perceptifs de différents individus — qui restent inexpliqués dans l'hypothèse idéaliste.

Je pense que dans le cas du finalisme, aussi bien que dans celui de l'idéalisme, Diderot ne s'arrête pas à une position sceptique. À chaque fois, Diderot choisit, en philosophe, une des deux hypothèses et décrit les raisons et arguments qui soutiennent chacune des positions alternatives. Ses lecteurs et ses lectrices peuvent donc en faire autant et choisir leur position après avoir pesé et soupesé les raisons et arguments de chacune d'entre elles. Ce que j'ai essayé de montrer est que la structure de la présentation — avec une dichotomie de positions — détermine aussi le cadre pour le choix rationnel d'une position qui consiste donc dans la sélection de la meilleure hypothèse explicative entre les deux alternatives.

La volonté de ne pas apparaître dogmatique pour laisser une place au jugement des lecteurs et des lectrices peut également aider à lire la dernière phrase de la Lettre, où Diderot dit avoir entretenu son interlocutrice « sans vous rien dire ». Dans et par la Lettre, Diderot aurait instruit sur les questions, les données et les méthodes, mais n'aurait pas « dit » quelles étaient ses positions et quelles positions il fallait nécessairement choisir (Lettre, p. 185).

Les questions du finalisme/anti-finalisme et du réalisme/idéalisme ont pour point commun que leurs réponses exigent de dépasser les contenus de l'expérience immédiate — que cette expérience soit celle des aveugles ou des voyants. Les deux questions soulèvent la possibilité de « voir », au sens de connaître, à partir du contenu de l'expérience, ce qui est au-delà de ce contenu. Ainsi, la citation modifiée de Virgile que Diderot place en exergue de la Lettre : « Possunt, nec posse videntur » (« Ils peuvent et ils semblent ne pas pouvoir ») (Lettre, p. 139) peut s'appliquer aux aveugles, mais aussi à ceux qui voient. De même que les premiers peuvent accéder aux contenus de l'expérience de ceux qui voient à partir de bases sensorielles alternatives, les seconds peuvent « voir » ou « connaître » ce qui est au-delà des contenus de leur expérience sensible : nous pouvons, mais nous croyons ne pas pouvoir.

Remerciements

Je souhaite remercier les deux évaluateurs anonymes pour leurs précieuses suggestions.

Conflits d'intérêts

L'autrice n'en déclare aucun.

Footnotes

1 Denis Diderot, Lettre sur les aveugles à l'usage de ceux qui voient, dans Œuvres, sous la direction de Laurent Versini, Tome I (voir Diderot, Reference Diderot and Versini1994a, p. 139-185) ; dorénavant abréviée comme Lettre, suivi des numéros de page).

2 À titre d'exemple, dans la littérature relativement abondante sur la Lettre, il est possible de trouver aussi bien l'affirmation que Diderot, dans ce texte, montre la possibilité égale des hypothèses opposées (voir, par exemple, Bourdin, Reference Bourdin2000, p. 93-96), que celle selon laquelle Diderot présente plusieurs positions pour en défendre clairement une seule (voir, par exemple, Duflo, Reference Duflo2000, p. 107-109 et 118). De manière analogue, on peut lire que Diderot y défend une position matérialiste (Duflo, Reference Duflo2000, p. 123-124, 126 et 130 ; Chottin, Reference Chottin2014, p. 217-218), ou qu'il n'y a pas encore l'affirmation d'une thèse matérialiste (Bourdin, Reference Bourdin2000, p. 93 et 96 ; Tunstall, Reference Tunstall2011, p. 18).

3 Parmi les lectures « anti-sceptiques », on compte Charrak, Reference Charrak2000 ; Duflo, Reference Duflo2000 et 2013 ; Chottin, Reference Chottin2014 ; Quintili, Reference Quintili2016.

4 Dans un article intitulé « La fin du finalisme. Les deux natures : Holmes et Saunderson », Colas Duflo considère la Lettre comme un texte qui avance une théorie de la connaissance et qui illustre cette théorie dans son application à la question du finalisme et à la question de Molyneux (Duflo, Reference Duflo2000, p. 108, 109 et 131). L'interprétation que je propose traite aussi la Lettre comme un texte de théorie de la connaissance illustrée par la manière d'aborder un certain nombre de problèmes. Comme on le verra par la suite, deux aspects distinguent cependant mon approche de celle de Duflo. Le premier concerne la manière de comprendre la théorie de la connaissance promue par Diderot dans la Lettre ; le deuxième concerne les questions qui, dans la Lettre, seraient censées être une application de la théorie.

5 L'ensemble de ces éléments fournit une première explication du vers « Possunt, nec posse videntur » (« Ils peuvent et ils ne semblent pas pouvoir ») qui est une adaptation de Virgile, Éneide, V, v. 231 : « possunt quia posse videntur » (« Ils peuvent parce qu'ils croient pouvoir »). Voir Lettre, p. 139, note 1. Je reviendrai sur un second sens de l'exergue à la fin de cet article.

6 Sur la nature réelle ou fictive de l'aveugle de Puiseaux, voir Tunstall, Reference Tunstall and Chottin2009.

7 Ainsi, dans les pages qui décrivent la rencontre avec l'aveugle de Puiseaux, le sujet qui pose les questions n'est pas laissé dans l'indétermination et varie de « nous » (plusieurs occurrences ; Lettre, p. 140-144), « M. de… » (Lettre, p. 146), « quelqu'un de nous » (Lettre, p. 145) à « je » (Lettre, p. 141), mais aussi à un « je » qui relie ses questions à ses intérêts (« Comme je n'ai jamais douté que l’état de nos organes et de nos sens n'ait beaucoup d'influence sur notre métaphysique et sur notre morale, […] je me mis à questionner notre aveugle sur les vices et sur les vertus » ; Lettre, p. 147). De manière similaire, les réactions et les interprétations des réponses de l'aveugle peuvent être tantôt collectives (par exemple, « Cette réponse nous fit tomber des nues » ; Lettre, p. 142-144), tantôt personnelles à Diderot (par exemple, « Je conclus de là […] » ; Lettre, p. 142-144). Enfin, certaines des hypothèses formulées pour expliquer les réponses de l'aveugle sont renvoyées aux confirmations de spécialistes : « C'est aux anatomistes à nous apprendre s'il y a quelque rapport entre les parties de la bouche et du palais, et la forme extérieure du visage » (Lettre, p. 146).

8 Les pensées sur l'interprétation de la nature, de 1753, contiennent plusieurs sections illustrant cette conception « baconienne » de l'observation et de l'expérience. Voir par exemple Diderot, Reference Diderot and Versini1994b, les pensées IX, X et XV.

9 Lettre, p. 163-164. Une référence analogue à l'idéalisme et solipsisme de Berkeley se trouve dans Le rêve de d'Alembert, où la position de Berkeley est présentée comme un délire momentané (Diderot, Reference Diderot and Versini1994c, p. 620).

10 À ce propos, il est intéressant de remarquer que Diderot précise sa référence à la philosophie idéaliste des Three Dialogues between Hylas and Philonous en renvoyant plus particulièrement au premier dialogue, qui est un texte où Philonous (le porte-parole de l'idéalisme), confronté au refus de Hylas (le défenseur de la matière) de le suivre sur le chemin de la preuve de l'idéalisme à partir du caractère contradictoire de la notion de matière, laisse de côté cette preuve et se limite à montrer que tout ce à quoi nous avons accès, tout ce que nous pouvons penser ou percevoir, ne sont que des esprits et leurs idées (Berkeley, Reference Berkeley, Luce and Jess1949, p. 195).

11 J'ai préféré le terme « réalisme » à celui de « matérialisme », parfois utilisé dans ce contexte, parce que le second se réfère généralement à la thèse métaphysique moniste soutenant non seulement que la matière existe, mais aussi que la nature ultime de la réalité – y compris celle de la pensée – est matérielle. Or, ce monisme matérialiste n'est pas du tout la thèse dont je traiterai ici.

12 Le caractère déroutant de la discussion de la qdM dans la Lettre a été souligné par Richard Glauser (Reference Glauser1999, p. 384 et 399). Jean-Claude Bourdin (Reference Bourdin2000, p. 83) élargit ce caractère déroutant à la question du matérialisme.

13 P. Quintili (Reference Quintili2016, p. 18) parle d'une réfutation « biologique » de la thèse idéaliste, mais il ne donne pas de précisions sur le statut d'une telle forme de « réfutation ». Marion Chottin (Reference Chottin2014, p. 223) considère que la réponse de Diderot à l'idéalisme se dessine dans la réponse positive du personnage de Saunderson à la qdM. D'après Chottin, le fait de percevoir les mêmes idées de figure à la vue et au toucher suffit à prouver que les perceptions représentent les propriétés des objets.

14 L'ensemble de ces questions semble être le développement d'une « difficulté » introduite par Condillac dans l’Essai sur l'origine des connaissances humaines (1947, vol. 1, I, vi, §14, p. 58) et à laquelle Diderot fait explicitement référence (Lettre, p. 172-173).

15 Ne tenant pas compte de ces transformations, Chottin (Reference Chottin2014, p. 201) affirme que Diderot veut s'opposer aux réponses négatives de Locke et de Berkeley et que d'après lui « un aveugle-né à qui l'on rendrait la vue serait capable de distinguer et de reconnaître le cube et la sphère placés devant lui, à la condition qu'il fût géomètre. » (2014, p. 201). Or, non seulement, dans la Lettre, il n’écrit pas que l'aveugle reconnaîtra le cube et la sphère (étant donné que dans ses réponses il ne traite que de carrés et de cercles), mais tout induit à penser que sa réponse à propos d'un cube et d'une sphère serait négative. En effet, en expliquant les raisons qui l'avaient conduit à substituer le cercle à la sphère et le carré au cube, il écrit « qu'il y a toute apparence que nous ne jugeons des distances que par l'expérience, et conséquemment, que celui qui se sert de ses yeux pour la première fois, ne voit que des surfaces, et qu'il ne sait ce que c'est que saillie […] » (Lettre, p. 182). D'après Diderot donc, la reconnaissance du cube et de la sphère a besoin d'expérience et n'est pas possible pour un aveugle-né qui retrouve la vue.

16 De plus, combinant ces idées, il pourra se former les idées de toutes les figures et, « en grossissant ou en diminuant la partie affectée », il pourra aussi faire varier indéfiniment les dimensions des figures, des lignes, etc. (Lettre, p. 149).

17 Aussi bien pour la vue que pour le toucher, les idées des lignes et des figures dépendent donc d'une combinaison spatiale de parties plus simples (les points colorés ou palpables) ; le processus de combinaison de l'aveugle et de celui qui voit semble être exactement le même, ce qui nous amène à penser que les idées de figures ou de lignes sont les mêmes au regard de leur structure spatiale (qui dépend de la combinaison) tout en étant différentes au regard des qualités sensibles avec lesquelles elles apparaissent. Certes, d'après Diderot, « il ne se passe rien dans sa tête [celle d'un aveugle] d'analogue à ce qui se passe dans la nôtre », mais cela vient du fait que l'aveugle combine des qualités tactiles, alors que celui qui voit combine des couleurs. Il est à remarquer qu'en affirmant que les personnages de Locke et de Saunderson reconnaîtront les figures du cercle et du carré, Diderot ne renvoie pas à un processus d'abstraction et ce qu'il écrit, dans une autre partie de la Lettre, à propos de l'abstraction n'est pas suffisant pour connaître ni le type de processus qui conduit à la formation des idées abstraites (séparation de toute caractéristique particulière, attention sélective, ou autre), ni si celles-ci conservent des qualités sensibles (comme les idées générales non abstraites de Berkeley).

18 En affirmant l'identité des contenus spatiaux perçus par la vue et par le toucher, je prends ici mes distances vis-à-vis de l'interprétation proposée par Colas Duflo (Reference Duflo2013, p. 112), selon laquelle la perception des figures de l'aveugle est analogue à son jugement du beau. Selon Duflo, les idées des figures perçues par la vue et par le toucher sont complètement hétérogènes et ont besoin d'une construction pour devenir des idées générales communes (2013, p. 92-93, 126, 131 et 186-187). L'affirmation d'une hétérogénéité entre les figures de la vue et du toucher se trouve également chez Chottin (Reference Chottin2014, p. 204-206).

19 Chottin (Reference Chottin2014, p. 222) traite cette contradiction entre les figures perçues par la vue et par le toucher (Lettre, p. 182 : « De manière que la même figure pourrait me servir à démontrer aux aveugles les propriétés du cercle et à ceux qui voient, les propriétés du carré. ») comme un cas analogue à celui des images des miroirs qui apparaissent en relief à la vue et lisses au toucher. Cependant, les deux cas ne me semblent pas analogues, car une surface de miroir est toujours perçue comme lisse au toucher et en relief à la vue, et il n'y a pas de surface de miroir qui apparaisse comme lisse à la vue et en relief au toucher, alors que Diderot imagine la possibilité de deux objets dont l'un est perçu comme carré à la vue et circulaire au toucher, et l'autre comme circulaire à la vue et carré au toucher.

20 Lettre, p. 183 : « Il reste donc pour démontré […] qu'il y a des cas où le raisonnement et l'expérience des autres peuvent éclairer la vue sur la relation du toucher, et l'instruire que ce qui est tel pour l’œil, est tel aussi pour le tact. »

21 Locke, en effet, lors de la deuxième édition de l’Essay, décide d'insérer la discussion de la qdM dans le Livre II (intitulé Of Ideas), au chapitre IX (intitulé Of perception), et sa discussion concerne les contenus des idées de la vue et comment celles-ci peuvent être transformées au cours de l'expérience. Voir, à ce sujet, Berchielli, Reference Berchielli2002. Chez Berkeley aussi, la discussion de la qdM dans ses différentes versions consiste dans un examen de l'identité et de la différence entre les idées de la vue et du toucher.

22 Plusieurs auteurs qui traitent de la qdM en modifient les conditions de départ et rendent ainsi difficile, voire impossible, la comparaison des réponses. Locke, par exemple, dans sa réponse négative à la question, précise que l'aveugle guéri ne pourra pas identifier et nommer les deux figures immédiatement (« at first sight ») et avec certitude (« with certainty ») (Locke, Reference Locke and Nidditch1975, II. ix, 8 ; p. 146), alors que Diderot donne non seulement une réponse à l’égard de deux figures différentes, qui sont le carré et le cercle (et non pas le cube et la sphère), mais aussi ne délivre pas la réponse immédiatement, réponse dont le degré de certitude varie selon le sujet interrogé. Considérant ces différences, il m'apparait impossible de comparer les réponses de Locke et de Diderot. Sur la multiplicité des thématiques que la question de Molyneux peut servir à illustrer, voir Venturi, Reference Venturi1939, p. 277. Sur l'histoire de la discussion du problème de Molyneux, voir Degenaar, Reference Degenaar1996 ; Mazzeo, Reference Mazzeo2005 ; Chottin, Reference Chottin2014.

23 L’établissement d'une correspondance entre la théorie de la connaissance de la Lettre et la manière de confirmer un modèle en physique avait déjà été mis en avant par Duflo dans l'article « La fin du finalisme » (Duflo, Reference Duflo2000, p. 118). Cependant, Duflo présente le calcul mathématique comme « ce qui invalide l'hypothèse ou au contraire en souligne le caractère probable », sans mentionner l'aspect qui me paraît le plus intéressant du calcul décrit par Diderot : constituer une mesure comparative de la plausibilité, ou du risque d'erreur, de deux hypothèses explicatives toutes les deux possibles (donc confirmées par l'expérience effective). Selon mon interprétation, c'est parce que l'estimation de la plausibilité est comparative qu'elle ne sert pas à connaître la vérité d'une hypothèse explicative, mais seulement à choisir la meilleure option au sein d'une sélection de deux ou plusieurs alternatives et ce serait précisément en raison de cet aspect de la méthode que Diderot prend le soin de présenter toujours (au moins) deux positions.

24 Sur ce thème, voir Mayer, Reference Mayer1991.

25 Voir Duflo, Reference Duflo2000, p. 108 et 118. Dans cet article, l'auteur montre à mon avis de manière convaincante la non-neutralité de la position de Diderot sur la question du finalisme. Je renvoie à cet article pour une analyse complète du dialogue et de ses implications, et me limiterai ici à mettre en évidence certains aspects structuraux de l'argumentation. Sur la défense de l'anti-finalisme dans la Lettre, voir aussi Stenger, Reference Stenger1999, p. 108.

26 Le récit de la conversion de Saunderson ressemble beaucoup à ce que l'on peut lire à propos de Diderot lui-même, dans le placet envoyé par le lieutenant Perrault en 1747 à la police : « […] C'est un homme [Diderot] très dangereux et qui parle des saints mystères de notre religion avec mépris, qui corrompt les mœurs et qui dit que lorsqu'il viendra au dernier moment de sa vie, faudra qu'il fasse comme les autres, qu'il se confessera et qu'il recevra ce que nous appelons notre Dieu, et s'il le fait ce ne sera point par devoir, que ce ne sera que par rapport à sa famille, de crainte qu'on ne leur reproche qu'il est mort de cette façon-là […] », voir Bonnefon, Reference Bonnefon1899, p. 202-203. Une autre occurrence de conversion instrumentale se trouve dans L'entretien avec la Maréchale, voir Duflo, Reference Duflo2000, p. 129.

27 L’éloignement entre les deux parties opposées ne rend pas nulle leur relation ; dans Jacques le fataliste, par exemple, on ne découvre qu’à la fin du roman, et à la suite d'une chute de cheval aussi grandiose qu'inattendue, que Jacques avait longtemps auparavant saboté une courroie sous la selle de la monture de son maître pour prouver que toutes les actions humaines sont déterminées. Le décalage de la preuve conduit à une reconsidération de tous les événements du récit. Réflexion et reconsidération des événements sont donc régulièrement demandées aux lecteurs et lectrices par Diderot.

References

Références bibliographiques

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