La constitution du discours sémiotique s'étend sur plus de vingt siècles, mais c'est à peine de nos jours qu'il se reconnaît, demande à être reconnu et pénètre secrètement mais massivement les sciences dites humaines. Cette émergence de la sémiotique dans notre époque est un symptôme où l'on peut lire quelques-unes des caractéristiques majeures qui, pour être celles de la sémiotique aujourd'hui, ne sont pas moins propres à toute théorie dans le champ de ce qu'on appelle les « sciences humaines ». Quelles sont ces caractéristiques ?

Mon but principal est d'étudier ici quelques phénomènes de multiplication de divinités dans un village de l'Inde, que j'appellerai Kunje, et dans les villages voisins.

J'appellerai divin tout être qui est conçu comme un sujet échappant au contrôle direct de l'homme ; la nature du divin n'étant pas l'objet de notre recherche dans cet essai, je prends la liberté de ne pas exposer les observations sur lesquelles cette définition succincte est fondée et de ne pas l'entourer des nuances dont il est besoin pour la justifier. Elle implique par sa généralité qu'il nous est permis d'inclure les saints dans le « divin » lorsqu'il s'agira du catholicisme.

Les circonstances de la colonisation et l'héritage puritain se sont conjugués pour faire du mythe de l'Amérique — recherche de la Nouvelle Terre Promise, rêve d'un Eden nouveau de pionniers — une idée clef de la civilisation américaine. Sur le plan littéraire, elle constitue, depuis le XIXe siècle, comme un point de repère auquel les écrivains confrontent incessamment la réalité, y voyant d'abord la réalisation du rêve, puis, de plus en plus souvent, son effondrement. C'est ce qui explique la prépondérance dans le roman américain, surtout au XIXe siècle, du genre « romance » qui, sous sa forme apparemment fantastique ou moralisante, constitue en réalité une prise de position symbolique par rapport au mythe de l'Amérique. Moby Dick n'échappe pas à cette règle. Nous nous proposons de montrer dans cet article, par une analyse détaillée du texte, que le chef-d'oeuvre de Melville peut être interprété sous cet angle, étant bien entendu qu'il ne s'agit là que d'une dimension de cette oeuvre polyvalente.

Le thème de la pauvreté volontaire au Moyen Age a inspiré ces dernières années toute une série de travaux et d'études qui en renouvellent l'approche. La contribution la plus importante à cet approfondissement est sans aucun doute le livre récent de T. Manteuffel : Naissance d'une hérésie. Les adeptes de la pauvreté volontaire au Moyen Age. Il s'agit de la traduction française d'un ouvrage paru en Pologne en 1963. L'auteur y passe en revue toute une série de mouvements religieux qui, du XIe au XIVe siècle, ont fait une large place à l'aspiration à la pauvreté volontaire. Selon lui, c'est dans la Pataria milanaise, au milieu du XIe siècle, que serait apparue pour la première fois au Moyen Age l'idée que la renonciation aux biens de ce monde constitue une voie d'accès privilégiée à la perfection. Par la suite, tous les courants qui se développèrent dans le sillage de la Réforme grégorienne la reprirent à leur compte, selon des modalités diverses, dont la principale fut l'idéal de la « vita apostolica ».

« Chrétiens sans églises », plus modestement sous-titré « La conscience religieuse et le lien confessionnel au XVIIe siècle », pour l'histoire de la pensée, pour l'histoire tout court, paraît marquer à tout prendre un jalon, très important dans les courants historiographiques actuels. Découverte tardive, en raison des pesanteurs sociologiques et des barrières linguistiques, nous nous en excusons.

L'Athènes sarmate ne pense plus latin, et le polonais échappe à la quasitotalité des historiens occidentaux. Ce livre achevé au début de 1964, publié à Varsovie en 1965, nous parvient, grâce à Anna Posner (qu'elle soit remerciée), à la Bibliothèque de Philosophie que dirigent, chez Gallimard, Jean-Paul Sartre et Pierre Verstraeten, dans une traduction d'une rare élégance et, sans doute, d'une grande précision, quatre ans plus tard. Supposons deux ans, encore, pour que ce livre, d'une exceptionnelle richesse, suscite partout, à l'ouest le dialogue qu'il appelle.

Depuis quelques années, le Portugal n'est plus le parent pauvre de l'histoire. Marginal au regard de l'Europe — par sa géographie seulement — le petit État péninsulaire, aussi bien, est au coeur du monde au moment privilégié des mises en place : quand, hors des réticences et des blocages méditerranéens, s'articulent les réseaux d'une économie planétaire et s'organisent les circuits de relations humaines auxquels de multiples diasporas, dont l'étude en grande partie reste à faire, confèrent épaisseur et signification. Ce n'est pas par hasard que le Portugal a été l'objet, dans la dernière décennie, de travaux d'une exceptionnelle vigueur, et leurs conclusions, même si l'on s'en doutait un peu, sont quand même une révélation.

Le Printemps de Prague de 1968 a d'abord été le grand printemps désinformation et de l'opinion publique. Depuis 1948, seules des nouvelles rares et incomplètes parvenaient jusqu'aux journalistes occidentaux. La libéralisation relative du régime de Novotny, dans les années soixante, ne suscita guère d'échos à l'étranger. La Tchécoslovaquie avait été cataloguée une fois pour toutes comme un État socialiste dur, incapable de libéralisation, et rien ne paraissait capable de dissiper l'indifférence qui l'entourait. Or brusquement, dans les six premiers mois de 1968, une masse énorme d'informations, politiques, économiques, judiciaires, déferla dans le plus grand désordre sur les journalistes occidentaux surpris. Jamais, même dans la Hongrie ou dans la Pologne de 1956, une documentation aussi riche n'avait mis à jour tous les aspects et tous les mécanismes d'un état socialiste. Mais pour accueillir, trier, commenter cette information, il manquait des structures intellectuelles, une expérience réelle de l'histoire tchécoslovaque. A l'ouest, des journalistes sans formation historique se sont attribué le monopole de l'information ; en Tchécoslovaquie, les historiens ont joué un rôle de premier plan dans la libération avant même 1968, mais le printemps de Prague a été trop bref pour voir éclore de grandes synthèses historiques.