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Hommes de lettres et révolution scientifique

Genèse d’un récit au temps de Louis XIV

Published online by Cambridge University Press:  14 February 2024

Oded Rabinovitch*
Affiliation:
Université de Tel Avivodedra@tauex.tau.ac.il
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Résumé

Au contraire d’autres mouvements équivalents, lemouvement scientifique né dans l’Europe du xviie siècle s’inscrivit dans la durée au lieu de s'essouffler au bout de quelques générations. Afin de comprendre cette persistance, cet article s’appuie sur le cas de la France au temps de Louis XIV (r. 1643-1715). Il soutient que les hommes de lettres ont joué un rôle crucial dans la légitimation du mouvement scientifique naissant. Ces hommes de lettres, qui jouissaient d’une affinité sociale, intellectuelle et esthétique avec la « nouvelle science », tissèrent le récit du progrès scientifique en mettant en avant l’idée d’une rupture radicale avec le passé. Défenseurs des idées modernes ou des modèles classiques, ils diffusèrent ce récit au sein de l'élite culturelle, mobilisant penseurs, découvertes et instruments scientifiques de leur époque à travers des débats variés. Ce faisant, ils forgèrent le récit d'une « révolution scientifique », qui exerça une profonde influence sur l’histoire sociale et culturelle de la science moderne.

Abstract

Abstract

In contrast to other scientific renaissances, the culture forged in seventeenth-century Europe became an enduring phenomenon rather than dissipating in a few generations. In an effort to understand the persistence of European science, this article uses the case study of France under Louis XIV (r. 1643–1715) to argue that men of letters played a crucial role in the legitimation of the nascent scientific movement. These men of letters enjoyed a social, intellectual, and aesthetic affinity with the “new science” and developed a narrative of scientific change that foregrounded the idea of a radical break with the past. They diffused this narrative among the cultural elite, mobilizing recent thinkers, discoveries, and scientific instruments as they participated in wide-ranging debates, regardless of whether they supported modern innovations or classical models. In so doing, they invented the narrative of a “scientific revolution,” a construction that has wielded a profound influence over the social and cultural history of European science.

Type
Histoire des savoirs Nouvelles approches
Copyright
© Éditions de l’EHESS

L’émergence de la science moderne dans l’Europe des xviie et xviiie siècles continue de faire l’objet de débats passionnés. Dans le sillage de l’étude classique de Joseph Ben-David sur le rôle des scientifiques dans la société, parue en 1971, Stephen Gaukroger et H. Floris Cohen ont tous deux adopté une démarche comparative pour souligner la persistance des mutations du monde de la science en Europe, laissant de côté la question de leurs originesFootnote 1. D’après ces deux auteurs, si de nombreuses civilisations connurent des âges d’or de la pensée scientifique au cours de l’histoire, seul l’épanouissement des sciences dans l’Europe du xviie siècle a atteint un degré de cristallisation suffisant pour se maintenir sans se tarir. Dans la même veine, Joel Mokyr a récemment affirmé que ce ferment scientifique, unique par son caractère pérenne, a abouti à une explosion de l’innovation technique que l’on associe aux racines de la révolution industrielle et aux vastes transformations qui bouleversèrent les sociétés agrariennesFootnote 2. L’enjeu de ces débats est de taille : il s’agit de comprendre comment les idées élaborées par Galilée, René Descartes et Isaac Newton ont eu un retentissement durable au point de constituer un mouvement essentiel pour l’histoire du mondeFootnote 3.

À partir d’une étude de cas portant sur la France de Louis XIV (r. 1643-1715), cet article entend montrer que les hommes de lettres ont joué un rôle essentiel dans la sensibilisation des élites lettrées aux progrès scientifiques de leur époque. Ils ont pour cela façonné l’image d’une rupture nette avec le passé, encourageant la participation à un mouvement culturel relativement cohérent auquel ils apportèrent ainsi une indispensable dynamique sociale et scientifique. Certes, les hommes de sciences, qui étaient souvent eux-mêmes des hommes de lettres, pouvaient être amenés à consacrer une grande partie de leur temps et de leur énergie à des travaux littéraires ou érudits sans aucun lien avec ce que l’on pourrait définir comme des activités scientifiques. Mais les hommes de lettres formaient une communauté bien plus diverse que ceux qui poursuivaient activement des projets scientifiques ; ils comprenaient des auteurs influents qui s’adressaient à des publics variés. Même les auteurs ne possédant aucune expérience scientifique reconnue pouvaient influencer la perception des innovations scientifiques parmi les élites et prendre part à toute une série de débats culturels. Les grandes découvertes comme celle des lunes de Jupiter, les instruments qui les avaient permises (ici le télescope) et les « génies » à qui on les devait (Galilée dans ce cas précis) leur servirent de matériau pour forger un grand récit : le développement des connaissances naturelles s’expliquerait par l’existence d’un mouvement intellectuel faisant intervenir un ensemble plus ou moins bien défini d’acteurs et d’événements. Parmi les auteurs scientifiques ayant contribué à cette entreprise dans la France d’Ancien Régime, le plus célèbre est probablement Bernard de Fontenelle (1657-1757), qui fut secrétaire perpétuel de l’Académie royale des sciences. Au-delà du rôle institutionnel important qu’il joua au sein de cette académie, plusieurs travaux récents ont de fait montré qu’il fut pour beaucoup dans la création d’un nouvel amalgame entre dessein intellectuel et esthétique littéraire, et qu’il codifia les connaissances existantes tout en « inventant » l’histoire des sciencesFootnote 4.

Ce sont toutefois les hommes de lettres n’appartenant pas au sérail scientifique et ne contribuant pas directement aux discussions savantes qui seront au centre de cet articleFootnote 5. « Professionnels des lettres » pour la plupart, ces auteurs avaient bâti leur carrière grâce à leurs relations avec les élites parisiennes influentes, les académies royales et privées, et la cour. Combinant différentes conventions esthétiques et intellectuelles, ils tissèrent le récit d’un changement scientifique « héroïque » à un moment propice où, l’histoire n’étant pas encore une discipline académique, les récits historiques visaient avant tout à satisfaire les goûts de lecteurs toujours plus nombreux et divers. Au cours de la seconde moitié du xviie siècle, on assiste en effet à un rapprochement entre récit historique et fiction littéraire qui donne lieu à des romans historiques novateurs et à des pseudo-mémoires comme la « nouvelle historique » de César de Saint-Réal Dom Carlos (1672) ou les Mémoires de M. d’Artagnan de Courtilz de Sandras (1700)Footnote 6.

Ces auteurs et leurs œuvres montrent combien les membres de l’élite éduquée avaient souvent une bonne connaissance historique des progrès scientifiques. Plus important encore, ils ont eux-mêmes joué un rôle significatif dans ce processus en produisant, en dehors de l’Académie royale des sciences, des récits synthétiques de ce changement qu'ils diffusaient auprès d’un lectorat aux motivations diverses et en constante expansion. La « nouvelle science » émergea en tant que mouvement socioculturel grâce à la médiation d’auteurs qui proposèrent un nouveau récit aux élites lettrées. Un tel mouvement ne pouvait prendre de l’ampleur par les seuls efforts de ces « génies » consacrés par l’historiographie contemporaine. Devenu un phénomène majeur de la culture de l’élite au-delà de la préoccupation exclusive des experts, il courrait moins le risque de s’étioler au fil des générations.

Bien que ce nouveau récit du progrès scientifique se soit cristallisé à l’échelle européenne – prenant forme dans les cours princières allemandes, les palazzi italiens, les ports hollandais et les cafés anglais –, une étude approfondie de la France à l’époque de Louis XIV est tout à fait pertinente pour plusieurs raisons. La haute culture française bénéficiait d’une aura particulière dans l’Europe entière, et les textes qu’elle produisait touchaient de nombreux lecteurs partout sur le continentFootnote 7. Forte de son statut de capitale culturelle, Paris attirait de grandes figures comme le Hollandais Christiaan Huygens, l’Anglais Thomas Hobbes et l’Allemand Gottfried Wilhelm Leibniz, qui s’y établissaient pour de longs séjoursFootnote 8. Surtout, une telle étude de cas permet de reconstruire les dynamiques culturelles dans une arène clairement délimitée. Il s’agit là d’une question centrale pour la recherche actuelle, qui s’attache à expliquer l’avènement, à l’époque moderne, de cultures scientifiques différentes mais liées les unes avec les autres. En effet, alors que vers 1600 les Européens cultivés partageaient les mêmes hypothèses sur le monde naturel, en 1730, l’Angleterre développa une culture scientifique distincte de celle du continentFootnote 9. Les Lettres philosophiques de Voltaire (1734) reflètent cette divergence entre, d’un côté, le Paris cartésien où l’on se représente l’univers composé de tourbillons et la Terre en forme de melon et, de l’autre, le Londres newtonien où l’on conçoit un univers autorisant le vide et une Terre « aplatie des deux côtés »Footnote 10. Une étude approfondie du cas français peut donc apporter un éclairage nouveau sur quelques-uns de ces vastes courants et questions.

Rendre justice au rôle joué par les hommes de lettres en tant que « passeurs » de la science moderne permet de réévaluer la charge conceptuelle qui pèse sur les philosophes naturels et les savants dans la recherche actuelle. Les études influentes de S. Gaukroger et de H. F. Cohen persistent à mettre en avant les idées et les techniques qui ont bouleversé les approches européennes du monde naturel sans chercher à savoir pourquoi leur diffusion n’a pas été qu’un épisode fugace dans l’histoire intellectuelle. Pour J. Mokyr, des érudits comme Bacon et Newton peuvent être vus comme des « entrepreneurs culturels », un raccourci utile pour comprendre leur influence au-delà du domaine strictement scientifiqueFootnote 11. Cette expression ne me semble toutefois guère adaptée à une personnalité relativement discrète comme celle de Newton. La différence entre son parcours personnel et le « newtonianisme » en tant que phénomène intellectuel et culturel montre que de tels courants ne peuvent être réduits aux intentions – ni même aux formidables réalisations – de leurs inspirateurs. La construction du newtonianisme est l’aboutissement d’un processus long impliquant de nombreux acteurs. En outre, on pouvait s’en réclamer pour différentes raisons. Il n’a certainement pas été inventé par le mathématicien de Cambridge, qui vécut plus ou moins reclus pendant les années les plus productives de sa vie intellectuelleFootnote 12.

La pérennité de la science européenne n’a pas été assurée par les idées elles-mêmes, aussi brillantes fussent-elles, mais par leur ancrage dans l’espace social. Après tout, d’autres périodes de renouveau scientifique ont aussi vu fleurir des idées brillantes, sans que celles-ci n’engendrent un mouvement scientifique doté d’une dynamique propre et amené à durer. Pour comprendre comment, pourquoi et quand la science européenne s’est imposée sur la longue durée, il faut distinguer les deux éléments constitutifs de toute « culture scientifique » : son aspect proprement « scientifique » et sa dimension « culturelle ». De même, il importe de cerner correctement la place de la science dans la culture européenne, sans quoi toute comparaison avec d’autres mouvements scientifiques modernes risque d’être incomplète et trop hâtiveFootnote 13.

Les hommes de lettres et le public de la science

L'affinité particulière des hommes de lettres pour le mouvement scientifique peut s’expliquer par le processus de « littérarisation » à l’œuvre dans le paysage culturel français de l’époque moderne : un nombre croissant de textes étaient produits en dehors du contexte des institutions socialement reconnues, essentiellement les universités, qui avaient jusqu’alors légitimé les discours visant à expliquer le monde naturel. Ce processus permit aux hommes de lettres de redéfinir leur identité sociale. Alors qu’au début du xviie siècle, ils dépendaient encore grandement du modèle de l’université, un siècle plus tard, ce n’était plus le cas : le champ littéraire avait gagné en autonomie – qu’il s’agisse de ses acteurs, de leurs stratégies ou de leurs relations avec les différents publics. Pour autant, le statut social de ces acteurs n’était pas encore clairement arrêté ; ils évoluaient en effet dans différents espaces sociaux, travaillant comme secrétaires ou précepteurs des enfants de l’aristocratie, ou fournissant des services textuels, tels que la composition de panégyriques ou la rédaction de pamphlets politiques pour le compte de leurs mécénesFootnote 14.

Ces évolutions renforcèrent les similitudes entre les hommes de lettres et le mouvement scientifique émergent à trois niveaux différents : intellectuel, dans la mesure où leur message sur le changement culturel bénéficiait des nouvelles découvertes ; esthétique, les scientifiques produisant eux aussi – à l’instar des littérateurs – des textes qui s’appuyaient sur de nouvelles formes et s’éloignaient des modèles convenus de discours sur le monde naturel ; et social, puisque les uns comme les autres ne jouissaient pas encore d’un statut professionnel bien défini. En fin de compte, la question de l’autorité de la nouvelle science et des institutions qui la légitimaient s’avérait essentielle aussi bien pour les hommes de lettres que pour les savants du mouvement scientifique émergent.

Revenons sur les profondes mutations intellectuelles, esthétiques et sociales qui ont affecté le modèle prédominant de l’homme de lettres au cours du xviie siècle. Autour de 1600, la plupart des auteurs suivaient encore les conventions de l’humanisme érudit : ils louaient les modèles de l’Antiquité, en particulier pour l’histoire et la rhétorique ; ils lisaient et écrivaient principalement en latin ; et le soutien dont ils bénéficiaient dans la société provenait surtout de cercles érudits masculins, pour la plupart liés aux parlements. Ce modèle fut peu à peu délaissé par des auteurs qui se mirent à écrire en langue vulgaire afin de toucher un lectorat en plein essor et à accorder autant, sinon plus, d’importance aux valeurs esthétiques qu’à l’érudition, si chère à leurs prédécesseurs immédiats. Pour ces « nouveaux doctes », la littérature surpassait les autres formes d’écriture par ses qualités esthétiques, puisqu’en termes de fonctionnalité – instruire et inculquer la vertu –, elle ne s’éloignait pas tellement de la prétendue « pédanterie » qu’elle ambitionnait de remplacer. Du fait du déclin du patronage des parlementaires et de la haute aristocratie – lié en particulier à l’abandon croissant d’un style de vie rural par la noblesse –, les hommes de lettres, dont la carrière dépendait de plus en plus de cercles urbains formés par des érudits et des amateurs, furent amenés à fréquenter une élite de lecteurs éduquée et hétérogèneFootnote 15.

Cette diversité se marque notamment par le rôle nouveau des femmes dans le monde des lettres. En effet, le nombre et la visibilité des autrices s’accrurent au xviie siècleFootnote 16. Les femmes participaient activement à la transmission du savoir et de la culture écrite : dans certaines familles d’intellectuels, elles assuraient l’éducation des jeunes enfants à leur domicileFootnote 17 et contribuaient toujours plus à la socialisation des hommes de lettres en jouant un rôle de premier plan dans les cercles littérairesFootnote 18. Les auteurs écrivant en langue vulgaire devaient prendre en compte ce nouveau public et ses attentes, même si leurs prises de position sur les femmes pouvaient aller de la satire féroce chez Nicolas Boileau à l’apologie chez Charles PerraultFootnote 19. En dépit de leurs différences sur cette question – et bien d’autres encore –, nous verrons par la suite que ces deux auteurs ont en fait promu une vision similaire du progrès scientifique.

À l’instar des hommes de lettres, les auteurs scientifiques s’adaptaient aux attentes esthétiques d’un public qui était de plus en plus nombreux à s’intéresser aux progrès de la science. En 1639, le géomètre Girard Desargues publia un court traité sur les propriétés des sections coniques, préambule à un traitement plus étoffé du sujet. Il sollicita l’avis de René Descartes sur les différents lectorats auxquels cet ouvrage à venir pourrait s’adresser, des doctes érudits aux amateurs curieux. Le philosophe lui répondit en ces termes, dut-il choisir de s’adresser aux seconds :

Il est certain que vos termes, qui sont français et dans l’invention desquels on remarque de l’esprit et de la grâce, seront bien mieux reçus par des personnes non préoccupées que ceux des Anciens ; et même ils pourront servir d’attrait à plusieurs, pour leur faire lire vos Écrits, ainsi qu’ils lisent ceux qui traitent des armoiries, de la chasse, de l’architecture, etc., sans vouloir être ni Chasseurs, ni architectes, seulement pour en savoir parler en mots propresFootnote 20.

Descartes recommanda encore que l’ouvrage soit facile à lire, pas plus malaisé à comprendre que « la description d’un palais enchanté dans un romanFootnote 21 ».

En 1650, une part notable de l’élite culturelle française manifestait un intérêt pour les sciences naturelles, qu’elle cultivait par goût, par la lecture de publications et par des formes de sociabilité émanant du monde des lettres. Dans son Grand dictionnaire des Pretieuses (1660), qui se voulait une description du milieu des salons de l’aristocratie parisienne, Antoine Baudeau de Somaize inclut quatorze portraits d’hommes et de femmes manifestant un intérêt pour la nouvelle scienceFootnote 22. On y trouve, par exemple, le portrait d’une certaine « Circé » (pseudonyme d’une dénommée Madame Chataignères) qui déteste le chant et la danse, auxquels elle préfère l’astrologie et, surtout, la chimie : elle a des fourneaux dans sa maison spécialement conçus à ce dessein et « travaill[e] perpétuellement à trouver la pierre philosophaleFootnote 23 ». Dans le Mercure galant – le journal littéraire destiné à la bonne société –, des énigmes mathématiques, des articles sur des curiosités naturelles et des annonces de publications astronomiques côtoyaient les nouvelles de l’opéra et les nécrologies des officiers royauxFootnote 24. Des professeurs dont les enseignements étaient recherchés familiarisèrent les élites parisiennes avec la pensée de Descartes. Jacques Rohault, par exemple, publia plusieurs ouvrages de vulgarisation sur le système de philosophie naturelle de Descartes à l’intention de lecteurs qui n’étaient pas familiers des débats scientifiques et qui ne possédaient le plus souvent pas les compétences mathématiques nécessaires pour comprendre des sujets comme la chute libre ou la structure des anneaux de SaturneFootnote 25. Quand Molière écrivit sa fameuse satire des aspirations des femmes à maîtriser les nouveaux savoirs, il visait plus largement ce nouvel intérêt pour la science au sein de l’éliteFootnote 26.

D’autres considérations esthétiques et intellectuelles conduisirent à une sorte d’entente cordiale entre les auteurs littéraires et le mouvement scientifique. Après 1600, les auteurs littéraires commencèrent à utiliser une forme de périodisation qui mettait en avant une rupture avec le passé en consacrant de nouveaux auteurs de référenceFootnote 27. L’art poétique de Boileau, par exemple, saluait les modèles anciens, mais présentait les développements du début du xviie siècle comme un moment de rupture avec la période précédente. Pour Boileau, François de Malherbe (1555-1628) était le premier poète français à avoir amené à la poésie « une juste cadence », le culte du mot adéquat et bien placé ainsi que des règles précises. Cette rigueur et cette harmonie correspondaient à un nouveau contexte littéraire où, si le latin était encore estimé, « le lecteur François [voulait] estre respecté »Footnote 28. Malherbe devint ainsi le symbole d’une rupture esthétique avec la poésie du xvie siècle, représentée par Pierre de Ronsard (1524-1585)Footnote 29. La détermination à innover allait être au centre de l’une des querelles emblématiques de la première moitié du siècle, la « querelle de l’éloquence », déclenchée par la publication des Lettres de Jean-Louis Guez de Balzac en 1624. Pour répondre à ses détracteurs, Guez de Balzac fit cette déclaration provocante : « J’invente beaucoup plus heureusement que je n’imite ; et comme on a trouvé de notre temps de nouvelles étoiles qui avaient jusques ici été cachées, je cherche de même en l’éloquence des beautés qui n’ont été connues de personneFootnote 30. » Comme le montre sa référence aux découvertes astronomiques, l’affinité esthétique et intellectuelle entre les nouvelles formes poétiques et la nouvelle science allait jouer un rôle essentiel dans les débats structurants du xviie siècle.

À l’instar des nouveaux savants qui tentaient de briser le consensus scolastique dans le domaine de la philosophie naturelle, la plupart des auteurs mirent volontairement à distance le modèle jusqu’alors dominant du commentaire de texte pour présenter les nouvelles découvertes. Si le commentaire (ainsi que la rédaction de manuels) restait un choix possible – comme l’atteste Les principes de la philosophie (Principia philosophiae, 1644) de Descartes –, ce n’était désormais plus qu’une option parmi d’autres pour l’écriture scientifique, ce qui constitue en soi un changement radical. Fidèle au conseil qu’il avait donné à Desargues, Descartes lui-même chercha le moyen de s’adresser aux amateurs sans pour autant s’aliéner les érudits qui privilégiaient les modèles antiques et risquaient d’être rebutés par une nouvelle terminologie. Le résultat se traduisit par l’expérimentation d’un large éventail de genres, au rang desquels des dialogues d’esprit et même un traité d’escrimeFootnote 31.

À l’inverse, ceux qui, dans le milieu universitaire, étaient opposés à la nouvelle philosophie continuaient à s’en remettre aux conventions scolastiques du commentaire, une forme étroitement liée à leur rôle de pédagogues reconnus, même dans des textes polémiques destinés à être publiés. Par exemple, en 1692, Jean-Baptiste Du Hamel publia une critique de la philosophie cartésienne dans laquelle il s’affichait comme « licensié en Théologie » de la Sorbonne et ancien Professeur de philosophie au collège du Plessis-Sorbonne. Sa discussion de la philosophie cartésienne consistait en un commentaire de citations de Descartes et de son vulgarisateur, Pierre-Sylvain Régis, lequel venait d’élaborer tout un cours de philosophie à partir des idées cartésiennes. Ce commentaire prétendait révéler les contradictions et les problèmes inhérents à certains principes cartésiens, tel l’usage méthodique du doute comme fondement de la philosophie. Le texte de Du Hamel revendiquait le format du commentaire universitaire jusque dans la présentation graphique, les sujets étant répartis dans des sections numérotées primo, secondo, tertio, etc., soit précisément le format de la dispute scolastique tourné en ridicule par Molière dans Le malade imaginaire Footnote 32.

Parmi les opposants à la nouvelle philosophie, certains firent cependant le choix de délaisser le latin au profit du français dans le but de toucher un nouveau lectorat. En 1675, un membre de l’ordre de l’Oratoire, Jean-Baptiste de La Grange, publia une diatribe contre les « nouveaux philosophes, Descartes, Rohault, Regius, Gassendi, le Père Maignan, &c. ». Il affirmait qu’il n’entendait pas limiter son texte à une défense des positions aristotéliciennes pour deux raisons : premièrement, le philosophe antique n’avait pas formulé d’avis explicites sur certains des sujets dont il entendait discuter ; et deuxièmement, les cartésiens et les gassendistes ne reconnaissaient aucunement son autorité. Tout en s’appuyant sur Aristote, La Grange devait en effet tenir compte du nouveau lectorat. Comme il s’en ouvre à ses lecteurs, il avait d’abord rédigé une grande partie de son texte en latin, mieux adapté aux réflexions philosophiques que le français, convaincu que seuls les « gens d’estudes » le liraient. Or cela n’aurait pas convenu au contexte du moment, dans lequel « [l]a plupart des Livres de nos nouveaux Philosophes sont François, & qu’il est à propos de detromper ceux qui peuvent estudier leurs livres & entrer dans leurs sentimensFootnote 33 ». Pourtant, La Grange s’adresse à ce nouveau lectorat dans un format qui sied tout à fait à l’enseignement universitaire : les opinions de ses adversaires sont classées et commentées, avec des chapitres traitant de sujets tels que « la nature des choses sensibles » ou « Comment on peut connoistre si deux choses sont distinguées réellement ; & si elles sont deux Entités différentes »Footnote 34. En d’autres termes, l’enseignement universitaire continuait à avoir une forte affinité avec les approches aristotéliciennes et le genre du commentaire, dont il mobilisait la structure et la valeur symbolique pour combattre la nouvelle philosophie.

Rejetant les liens noués de longue date entre la philosophie aristotélicienne comme ressource intellectuelle, l’Université comme source de légitimité et le commentaire comme modèle textuel, les auteurs littéraires présentaient leurs récits historiques du changement scientifique en dehors du contexte universitaire et sous des formes esthétiques particulièrement variées. Malgré les clivages intellectuels et les inimitiés personnelles, ces textes proposaient dans leur ensemble un récit relativement cohérent des progrès scientifiques les plus récents et répandaient l’image d’un mouvement ayant une généalogie bien établie auprès d’un large public au sein de l’élite instruite. Pour bien cerner l’émergence de ce basculement, il faut donc prendre en considération toutes ses dimensions, que celles-ci soient d’ordre intellectuel, esthétique ou social. En effet, dans une étude subtile et érudite sur l’émergence des sciences de la vie au xviie siècle, Pascal Duris affirme de manière convaincante que les discours sur l’innovation, même les plus enthousiastes, laissent entrevoir une hésitation et une ambivalence et restent profondément redevables aux Anciens. Ce constat, s’interroge-t-il, doit-il conduire à remettre en cause l’idée même d’une « révolution scientifique », au sens d’une rupture nette avec le passé, au xviie siècleFootnote 35 ? Certes, les auteurs de cette époque ne cachaient pas leur admiration pour les Anciens et reconnaissaient volontiers qu’ils devaient beaucoup aux traditions antérieures, y compris lorsqu’ils étaient convaincus que les Modernes pouvaient surpasser les réalisations du passé. Toutefois, en attachant trop d’importance à ces aspects intellectuels, on court le risque de sous-estimer les dimensions esthétiques et sociales de ce basculementFootnote 36. En particulier, le point de vue de P. Duris tend à minimiser une question : qui avait autorité pour parler de la nature ? Cette interrogation était pourtant au cœur des débats portant sur les moyens de communiquer au sujet de la science et des nouvelles découvertes. D’une manière générale, la thèse proposée dans cet article ne concerne pas véritablement le progrès scientifique en tant que tel. Il s’agit plutôt de mettre en lumière l’émergence, parmi l’élite instruite, d’un nouveau canon – un ensemble de personnalités, d’instruments et de découvertes organisé en un récit du progrès scientifique par le biais de nouvelles formes textuelles. Comme nous allons le voir, les partisans des Anciens ou les adversaires de Descartes ne pouvaient faire l’économie d’une discussion autour de ces nouvelles conventions. Même lorsqu’ils l’attaquaient, ils contribuaient à entériner ce nouveau cadre dans l’esprit de leurs lecteurs.

Les études de cas qui vont suivre montrent comment les textes littéraires ont précisément fait cela. Les hommes de lettres mobilisaient le récit sur les progrès scientifiques dans diverses querelles portant sur de multiples sujets, de la controverse religieuse autour du jansénisme jusqu’aux débats sur l’héritage de Descartes et sur les mérites respectifs des Anciens et des Modernes. Faire circuler certaines représentations pouvait légitimer de nouvelles pratiques, en particulier dans le contexte de lutte autour du statut des hommes de science et de leur rôle dans la sociétéFootnote 37. De ce point de vue, les hommes de lettres ont indubitablement participé à diffuser un récit historique qui a enraciné l’idée d’une « nouvelle science ». Par-delà les limites étroites du débat érudit, ce récit du progrès scientifique a gagné en visibilité et s’est peu à peu ancré dans la conscience historique de l’élite instruite et, partant, dans une culture plus large.

Défendre la science contre le Parlement et l’Université : l’Arrêt burlesque

En 1671, l’archevêque de Paris, François de Harlay de Champvallon, publia un décret royal ordonnant aux universités de s’en tenir à l’enseignement de la doctrine tel que défini dans leurs statuts. Le roi s’inquiétait que « certaines opinions que la Faculté de théologie avait censurées autrefois et que le parlement [de Paris] avait défendu d’enseigner [ou] de publier, se [répandaient] présentement, non-seulement dans l’Université, mais aussi dans le reste de cette ville et dans quelques autres du royaumeFootnote 38 ». Il s’agissait là d’une référence à une condamnation de l’atomisme proclamée en 1624, désormais utilisée pour empêcher la circulation des thèses de Descartes dans les universités. Plusieurs d’entre elles – à Angers, Caen et Paris – tentèrent en effet d’appliquer ce décret de manière à empêcher l’enseignement des doctrines cartésiennes.

La conjoncture était délicate. Dans les années 1660, plusieurs des œuvres de Descartes, par exemple Le monde, avaient été publiées à titre posthume et le transfert de sa dépouille à l’église Sainte-Geneviève à Paris avait offert l’occasion de célébrer en grande pompe le philosophe et son influence. Pour autant, les menaces planaient sur l’avenir de la « nouvelle philosophie ». La philosophie cartésienne fut censurée à Louvain en 1662 et l’année suivante, à Rome, les œuvres de Descartes se trouvèrent mises à l’Index des livres interdits jusqu’à ce qu’elles soient corrigées (donec corrigatur). Si ces décisions n’entraînèrent pas immédiatement la condamnation parisienne, elles suscitèrent des interrogations, notamment sur les implications de la philosophie de Descartes pour la compréhension de l’Eucharistie. Les réponses conciliantes des disciples de Descartes, comme Antoine Arnauld et Rohault, sur ce problème ne convainquirent pas leurs détracteurs et pourraient même avoir encouragé la condamnation formelleFootnote 39.

Les hommes de lettres furent prompts à réagir. En août 1671 parut un bref pamphlet longuement intitulé Requeste des Maistres ès arts, Professeurs et Regens de l’Université de Paris, présentée à la Cour souveraine de Parnasse : Ensemble l’Arrest intervenu sur ladite Requeste contre tous ceux qui prétendent faire, enseigner ou croire de Nouvelles découvertes qui ne soient pas dans Aristote Footnote 40. Singeant le ton pompeux et les positions conservatrices de l’Université, le texte – qui se compose d’une fausse requête suivie du verdict de la cour – se moque de tous ceux qui niaient les progrès de la nouvelle science. La présentation matérielle de l’ouvrage elle-même n’est pas exempte d’ironie, la page de titre indiquant que le texte a été publié « à Delphes, par la société des imprimeurs ordinaires de la Cour de Parnasse ». Paru dans un premier temps sans nom d’auteur, ce texte est l’œuvre de François Bernier, célèbre voyageur et orientaliste qui avait publié des lettres adressées à ses mécènes (Jean-Baptiste Colbert, Jean Chapelain, François de La Mothe Le Vayer) décrivant son séjour à la cour mogholeFootnote 41, et de Boileau, poète et meneur des Anciens dans la querelle des Anciens et des Modernes. Il se pourrait que Jean Racine, l’un des plus grands dramaturges de l’époque, y ait participé. Enfin, Nicolas Dongois, greffier au Parlement de Paris et neveu de Boileau, pourrait avoir fourni des conseils sur la terminologie juridique à employerFootnote 42. Ce texte, connu aujourd’hui sous le titre d’Arrêt burlesque, comprenait plusieurs sections, probablement rédigées par ces différents auteurs, et circula dans deux versions au moins, l’une que l’on désignera comme la « version de Bernier » et l’autre, plus courte, que l’on nommera la « version de Boileau ». Celle-ci parut bien plus tard, en 1701, et après moult modifications, dans les œuvres complètes du poèteFootnote 43.

Bien qu’elle apparaisse dans la bouche des membres de l’Université, qui essaient de manière comique de les décrier, la liste des découvertes scientifiques mises en avant dans la version de Bernier se lit comme le texte d’un manuel moderne sur la Révolution scientifique, avec des allusions aux lunes de Jupiter, aux taches solaires et aux trajectoires supra-lunaires des comètes (voir l’annexe 1)Footnote 44. Sont également mentionnées des découvertes censées réfuter Aristote – par exemple, le poids de l’air ou l’existence du vide – ou les autorités médicales de l’Antiquité – par exemple, la circulation du sang ou le fait que la tête, et non le cœur, se trouve au centre du système nerveuxFootnote 45.

La version de Boileau est moins ambitieuse. Elle porte principalement sur trois questions liées à l’autorité de l’Université, en particulier dans le champ de la médecine : les dernières découvertes dans le domaine de la physiologie, les nouveaux traitements médicaux et la publication de textes contestant les autorités associées à l’université de Paris. On y lit ainsi :

Une inconnuë nommée la Raison, auroit entrepris d’entrer par force dans les Ecôles de ladite Université […] par une procedure nulle, de toute nullité, auroit attributé audit Cœur la charge de recevoir le chile appartenant cy-devant au Foye ; Comme aussi de faire voiturer le Sang par tout le corps, avec plain pouvoir audit Sang d’y vaguer, errer et circuler impunément par les veines et arteres, n’ayant autre droit ni titre pour faire lesdits vexations que la seule Experience, dont le témoignage n’a jamais esté reçû dans lesdites EcôlesFootnote 46.

S’agissant des traitements, le texte feint d’être scandalisé par les nouvelles méthodes qui délaissent la saignée et la purge au profit du vin pur, des poudres et de la quinine (quinquina) pour soigner les fièvres. Ces récriminations sont assorties de références faussement outragées à de vraies publications : « Physique de Rohault, Logique de Port-Royal, Traités du Quinquina, même l’Adversus Aristoteleos de Gassendi, et autres pieces attachées à ladite RequesteFootnote 47. »

Si la liste des découvertes scientifiques citées se lit comme un manuel moderne de la Révolution scientifique, du point de vue esthétique, l’Arrêt produit quelque chose de tout à fait différent. En faisant la satire de l’institution pédagogique qu’est l’Université et des opinions de ses membres – une question directement liée à la circulation de l’information scientifique par le biais de nouveaux genres littéraires et auprès de nouveaux publics –, le texte reflète les engagements esthétiques, sociaux et intellectuels de la « nouvelle philosophie ». La préface de la version de Bernier, intitulée « Alitophile [l’Amoureux de la vérité] au lecteur », détaille les circonstances de sa composition : plusieurs membres de l’université de Paris avaient tenté d’obtenir du Parlement l’interdiction de l’enseignement de Descartes. Ils avaient présenté ce dernier comme un athée, mais cette accusation ne tenait pas : ses Méditations étaient dédicacées à la Sorbonne, comme de nombreux docteurs s’en rappelaient encore. On pouvait d’autant moins le taxer d’athéisme, fait remarquer « Alitophile », que Descartes avait si bien démontré l’existence de Dieu et l’immortalité de l’âme que la Sorbonne avait dû reconnaître l’excellence de ses arguments. Les juges du Parlement rejetèrent prudemment les demandes d’interdiction de ses œuvres, affirmant qu’une telle mesure risquait de causer la perte de l’université, et décrétèrent que les nouvelles découvertes contredisant Aristote devaient être enseignées. On peut voir dans ce texte la manifestation d’une concurrence entre les autorités pour s’assurer le soutien des différents publics : le roi lui-même, affirme la préface, soutient « tous ceux qui travaillent à l’embellissement des sciences et qui font de nouvelles découvertesFootnote 48 ».

En termes esthétiques, l’effet comique de l’Arrêt provient du mélange des genres qu’il convoque. Enrobant ironiquement le discours scientifique dans un jargon juridique indigeste, le texte présente le Parnasse (la montagne des muses, symbole de l’art poétique) comme l’autorité légitime pour juger de la langue et du goût, ce qui est une manière de souligner le caractère inapproprié de la langue alambiquée et pédante en vigueur à la Sorbonne. Dans la version de 1701, Boileau remarque que « [l]a plaisanterie y descend un peu bas, & est toute dans les termes de la PratiqueFootnote 49 ». Le mélange des genres est également revendiqué dans la préface, qui décrit le texte comme à la fois « burlesque » et « savant ». Si l’aspect comique est évident, le pamphlet avait d’autres ambitions : « Au reste cette pièce […] contient les principales découvertes de ce siècle, […] fait voir que s’il fallait condamner Descartes, parce qu’il a écrit quelque chose qui ne se trouve pas dans Aristote, il faudrait censurer tous ceux qui ont part à ces nouvelles découvertes, et principalement Gassendi […]Footnote 50. » Le prestige intellectuel de Pierre Gassendi est un thème majeur de ce texte, la condamnation parodique expliquant que « Gassendi sera plus rudement traité comme le plus criminel, et comme ayant osé afficher des placars séditieux qu’on a voulu ignoramment faire ci-devant passer pour de grands et longs chapitres très doctes et très judicieux […] », placards dont les titres sont autant d’attaques explicites contre AristoteFootnote 51. Dans la mesure où Bernier allait devenir le principal vulgarisateur de Gassendi au xviie siècle, il n’est pas surprenant que l’Arrêt aille au-delà des travaux de Descartes et présente une image cohérente de l’ensemble des dernières découvertes scientifiquesFootnote 52. La brièveté et l’indéniable drôlerie du texte expliquent certainement son attrait auprès des lecteurs, qui y ont vu l’occasion de se divertir à peu de frais. Cependant, compte tenu des nombreuses allusions satiriques, on peut imaginer qu’il fallait être relativement familier des formulations juridiques et du jargon érudit pour en apprécier l’humour et, partant, que ses lecteurs avaient un profil similaire à celui des auteurs : des hommes éduqués au fait des dernières querelles érudites.

L’Arrêt, en particulier la version plus détaillée de Bernier, a probablement rencontré un certain succès. Dès 1671, le texte est également publié en Hollande, dans une édition incluant un texte sur les guerres « parnassiennes » entre Anciens et Modernes. Il semblerait qu’il ait été réédité deux fois, en 1672 et 1674, et il était toujours publié aux Pays-Bas en 1702, dans une version comportant une mise à jour des noms de certains scientifiques – Joseph-Guichard Duverney et Jean Méry remplaçant Niels Steensen et Theodore Kerckring, tandis que Pierre-Sylvain Régis et Pierre Bayle s’ajoutaient à la liste des auteurs à censurerFootnote 53. Dans la seconde moitié du xviiie siècle, l’Arrêt et son usage d’un galimatias juridique ont continué à servir de modèle aux auteurs désireux de ridiculiser leurs adversaires dans les débats scientifiques. La satire d’un ouvrage de 1766 prétendant proposer une cosmologie surpassant à la fois Descartes et Newton ainsi qu’un pamphlet de 1785 en faveur du mesmérisme le citent explicitement comme modèleFootnote 54. Si la version de Bernier a connu une longue postérité, celle de Boileau ne fut qu’un élément anecdotique dans l’œuvre du poète, qui reste surtout connu pour ses satires et ses travaux théoriques sur la poésieFootnote 55.

Par ses choix esthétiques (mélange des genres et des registres de langue), l’Arrêt se faisait l’écho de la position sociale et intellectuelle des hommes de lettres, et incarnait leur vision d’un changement scientifique rapide et profond. De plus, il transmettait cette vision aux élites sous une forme pratique et accessible, une tactique efficace qui fut également adoptée par les adversaires de la nouvelle philosophie, comme nous le verrons dans la prochaine partie.

La nouvelle philosophie et les polémiques religieuses : Voyage du monde de Descartes

Même les adversaires autoproclamés de la nouvelle philosophie étaient contraints de se confronter au canon scientifique promu par les auteurs de l’Arrêt. Que des auteurs se sentent obligés de le réfuter, de le réinterpréter ou de le tourner en ridicule montre à quel point ce nouveau cadre de référence était déjà bien établi. L’œuvre satirique du jésuite Gabriel Daniel, connu sous le nom de Père Daniel, en est un bon exemple. Son roman à succès, Voyage du monde de Descartes, publié en 1690, connut onze éditions et des traductions en quatre langues jusqu’au milieu du xviiie siècleFootnote 56.

Dans ce roman, le narrateur rencontre un cartésien qui lui révèle le secret de la séparation de l’âme et du corps, consistant à priser un mélange de tabac chinois et d’herbes. Ainsi libérés, les deux personnages se rendent sur la lune où ils rencontrent les âmes d’illustres philosophes comme Socrate, Aristote, Jérôme Cardan ou Marin Mersenne ; ils discutent même plaisamment avec un philosophe chinois qui a rencontré les principes cartésiens. Enfin, le narrateur rencontre Descartes en personne, en train de construire un nouveau monde dans l’espace selon ses principes philosophiques. Le roman est clairement une critique de la « nouvelle philosophie » : les rencontres avec les philosophes et les dialogues auxquelles elles donnent lieu visent à convaincre les lecteurs que l’aristotélisme tel qu’enseigné dans les universités est en mesure de répondre aux nombreuses critiques qui lui sont adressées, tandis que le cartésianisme souffre de nombreuses contradictions et qu’il repose sur des hypothèses erronées.

La quatrième partie du livre se présente comme une lettre adressée à Descartes par le narrateur. Ce dernier, revenu sur Terre après s’être converti au cartésianisme, a entrepris de diffuser les doctrines cartésiennes à l’occasion de réunions mondaines et tient le philosophe informé de son entreprise. Il affirme à Descartes qu’il n’a jamais eu de « disciple plus zélé que [lui] pour l’honneur et l’accroissement de la SecteFootnote 57 ». S’il rencontre un certain succès et convertit plusieurs adeptes de la philosophie aristotélicienne, d’autres, en revanche, restent insensibles à ses arguments et lui font des objections qui appellent des réponses du maître lui-même. Ce procédé permet de mettre en évidence les problèmes soulevés par les théories cartésiennes dans le domaine de la physique, notamment s’agissant de la matière subtile, du vide et de la rotation des particules. De façon significative, il mobilise des arguments relevant du bon sens scolastique, « dont on se sert tous les jours dans les classes », plutôt que les observations, les expériences et les discussions mathématiques sur lesquelles reposait la contre-argumentation des autres participants au mouvement scientifiqueFootnote 58. Par ailleurs, Daniel présente la discussion comme mettant aux prises la « nouvelle philosophie » et la scolastique, fermement ancrée dans les institutions pédagogiques. Il semble donc qu’aux yeux du public, l’Université soit restée inextricablement liée à la philosophie aristotélicienne jusqu’à la dernière décennie du xviie siècleFootnote 59.

À l’époque de la publication du Voyage, partisans et adversaires du mouvement scientifique se trouvaient confrontés à un canon inédit composé de nouveaux problèmes philosophiques, de nouveaux instruments et de phénomènes naturels récemment identifiés. Daniel était donc obligé de réinterpréter l’éventail des phénomènes et des découvertes que des auteurs tels que Bernier et Boileau avaient présentés comme la preuve du triomphe de l’innovation scientifique. C’est notamment le cas de phénomènes centraux comme les lunes de JupiterFootnote 60. Toutefois, l’auteur évita d’évoquer d’autres découvertes comme les phases de VénusFootnote 61. S’il se concentra essentiellement sur des problèmes physiques se prêtant à une discussion conceptuelle dans la tradition scolastique, Daniel aborda également des questions controversées comme celle de savoir si les animaux ont une âmeFootnote 62. Il s’appuya même sur certains phénomènes établis depuis peu, comme l’existence du vide, pour argumenter contre Descartes et suggérer que la position d’Aristote sur ces sujets avait été mal compriseFootnote 63. De manière générale, le Voyage était probablement un roman très abordable : prenant la forme d’un voyage cosmique, il ne nécessitait pas que le lecteur soit familier des thèses cartésiennes ou des formes scolastiques de la discussion, contrairement à l’Arrêt. Puisqu’il pouvait aussi servir d’introduction critique aux idées de Descartes, il ne risquait pas de décourager les lecteurs dont l’instruction restait incomplète. Enfin, la connaissance des querelles contemporaines n’était pas non plus requise pour accéder à son argumentation. Comme pour les Entretiens de Fontenelle (1686), son lectorat pourrait avoir été bien plus hétérogène que celui de l’Arrêt, y compris en termes de genre.

Pour ses défenseurs comme pour ses détracteurs, la nouvelle philosophie s’inscrivait dans un cadre institutionnel informel qui facilitait la circulation et la discussion des textes en dehors de l’Université. Même les auteurs qui critiquaient la nouvelle science étaient contraints de prendre en considération ce nouveau contexte de transmission des idées. Lorsque le narrateur du Voyage revient sur Terre après avoir visité le monde de Descartes et s’être converti au cartésianisme, sa vie change radicalement. Il parle avec mépris de la philosophie scolastique, bonne seulement à remplir l’esprit des gens d’idées confuses. Invité à assister à la soutenance d’une thèse de philosophie, il se fait violence pour s’y rendre et observe les débats en éprouvant de la pitié. Il extrait de sa bibliothèque des livres de philosophes scolastiques, tels Francisco Suárez et Pedro da Fonseca, et les « abandonn[e] dans un méchant cabinet de décharge, à la merci de la poussière et des versFootnote 64 ». Il remplace les œuvres écartées par un volume magnifiquement relié de Descartes et des ouvrages de ses disciples. Alors qu’il ne supportait pas la vue d’un poulet mort, le narrateur pourrait maintenant abattre les chiens d’une ville entière afin de les disséquer. Enfin, Daniel décrit les « conférences et assemblées » que le narrateur tient avec d’autres savants pour diffuser les idées de son maîtreFootnote 65. Il ressort donc que pour les adversaires de Descartes, les idées cartésiennes étaient si manifestement fausses et dénuées de toute valeur intellectuelle qu’elles ne devaient leur succès qu’au cadre social et institutionnel les ayant rendues populairesFootnote 66.

Si l’accent mis sur le contexte social à l’origine de l’enracinement de la nouvelle science demeurait une constante, le contexte particulier du début des années 1690 influença de façon significative les choix d’auteur de Daniel. Le sentiment était manifestement que le dernier mot n’avait pas été dit sur Descartes, même quarante ans après sa mort. L’année 1691 vit la publication de la biographie en deux volumes du philosophe par Adrien Baillet, qui provoqua de violentes réactions dans certains milieux. Par exemple, l’évêque Pierre-Daniel Huet, l’un des plus grands érudits de l’époque, considérant que sa critique des positions cartésiennes sur le terrain du débat philosophique se trouvait dans une impasse, publia en 1692 un texte satirique visant à ridiculiser Descartes et son œuvreFootnote 67. L’ouvrage de Daniel s’inscrivait donc dans un courant de réévaluations du cartésianisme, dont toutes n’étaient pas savantes au sens traditionnel du terme. Mais le Voyage cherchait également, peut-être était-ce même sa véritable raison d’être, à participer à la polémique religieuse contre les jansénistes et leurs partisans.

Le rapprochement effectué par Daniel entre la réception de la philosophie cartésienne et un contexte religieux en pleine transformation vise de manière transparente le jansénisme. Lors de leur première rencontre, Descartes demande au narrateur de faire le point sur la fortune de sa philosophie. Conscient que sa réponse sera décevante, ce dernier raconte comment, après avoir un temps été à la mode, le cartésianisme a commencé à décliner. En particulier, les « conversions de huguenots », tel que Daniel appelle la révocation de l’édit de Nantes en 1685, ont coûté au philosophe beaucoup de partisansFootnote 68. En effet, ces nouveaux convertis au catholicisme, convaincus de la présence réelle du corps du Christ dans l’hostie, ont décelé les erreurs contenues dans les arguments de Descartes. Le récit que fait Daniel de l’histoire du cartésianisme insiste sur ses liens avec les institutions religieuses : n’ayant pu trouver de soutien auprès des Jésuites, Descartes a embrassé les positions des jansénistes ; c’est ainsi qu’il a dû, pour assurer la postérité de sa philosophie, s’en remettre aux Oratoriens, un autre ordre d’enseignement concurrentFootnote 69.

La polémique antijanséniste qui structure le Voyage et, plus généralement, la carrière littéraire de Daniel, trouve une cible de prédilection en la personne de Blaise Pascal, le célèbre philosophe, pionnier des sciences expérimentales et polémiste janséniste. Dans le Voyage, Daniel commence par louer Pascal pour ses expériences sur le vide dans la mesure où elles permettent de réfuter la physique de Descartes et son hypothèse d’un plenum. Mais il jette ensuite le discrédit sur lui, en affirmant par exemple que ladite expérience a été réalisée par M. Périer, son beau-frère, et qu’elle aurait dû porter le nom de Descartes, lequel prétend avoir encouragé Pascal à la réaliser. D’autre part, il suggère que le travail de Pascal sur les sections coniques aurait été fortement inspiré par Desargues et que son père, Étienne Pascal, en aurait probablement été le véritable auteur. Le narrateur et Descartes déconstruisent ensuite l’histoire de la découverte par Pascal, alors enfant, des 32 premières propositions d’Euclide, telle qu’elle est racontée dans la biographie écrite par sa sœur, Gilberte Périer. Pour finir, Daniel conteste explicitement que Pascal soit l’auteur du recueil anti-jésuite Les provinciales, qui s’appuie, à l’en croire, sur des mémoires rédigés par d’autres jansénistes « qu’il croioit vrais, tout faux qu’ils étoient, ne connoissant pas assez l’esprit du parti où il s’étoit engagéFootnote 70 ».

Daniel continua à critiquer Pascal dans d’autres publications parues dans les années 1690, en réaction aux louanges dont celui-ci faisait l’objet dans le Parallèle des Anciens et des Modernes de Perrault, dont il cite directement un passage du second volume, paru en 1690Footnote 71. Pasquier Quesnel, oratorien et important théologien janséniste, a même suggéré que les ouvrages de Daniel visaient directement à provoquer Arnauld, philosophe et théologien janséniste de premier plan, dans l’espoir que ce partisan des idées cartésiennes s’engage dans une querelle publique avec un auteur « essayant de [se] faire un nom dans le mondeFootnote 72 ».

Daniel se fit effectivement un nom et à sa mort, en 1728, il jouissait d’une certaine visibilité grâce à son Histoire de France (1696-1713) et à son Histoire de la milice française (1721). Le Voyage, qui fut rapidement traduit en anglais (1692), en latin (1694), en espagnol (à la fin du xviie siècle), en hollandais (1700) et en italien (1703), contribua certainement à sa renommée internationale. Ces traductions montrent que ce type de texte pouvait être reçu dans des contextes philosophiques et religieux différents. Ainsi, le traducteur anglais, T. Taylor, membre du Magdalen College à Oxford, qui allait également traduire Nicolas Malebranche en anglais, semblait très intéressé par les débats continentaux sur Descartes et ses adeptesFootnote 73. La traduction italienne, en revanche, fut réalisée par Giovanni Battista De Benedictis, un jésuite influent de la région de Naples, féroce opposant aux courants réformateurs de l’Église. Enfin, on doit la traduction espagnole de 1742 à Alonso Ambrosio, le chroniqueur général de l’ordre cistercien en EspagneFootnote 74. Au contraire de la réception de l’Arrêt, qui continua à nourrir la discussion scientifique et philosophique, y compris à la fin du xviiie siècle, la transmission du Voyage s’est appuyée sur des réseaux d’ordres religieux, ce qui semble indiquer que l’ouvrage était reçu par des publics différents, à la fois universitaires et religieux.

Le Voyage de Daniel montre comment une série apparemment bien définie de problèmes intellectuels – née de la confrontation avec la philosophie de Descartes – s’est trouvée mêlée à une nouvelle polémique religieuse et s’est diffusée à travers différents canaux. Mais il est également important de souligner les points communs. Les auteurs du xviie siècle ont appréhendé les changements apportés par la nouvelle philosophie en des termes qui transcendaient les nouvelles idées sur la nature. À leurs yeux, la diffusion de la nouvelle philosophie par l’édition et des cercles académiques informels a conduit à la formation d’un canon rassemblant des problèmes et des phénomènes incontournables qui ne se limitaient pas à un seul courant philosophique, tel le cartésianisme, aussi important soit-il. Les hommes de lettres transmettaient ce canon pour des raisons qui leur étaient propres : Daniel, par exemple, utilisait la critique de Descartes dans le cadre d’une attaque contre le jansénisme, le courant religieux qui formulait les critiques les plus sévères à l’encontre du laxisme moral supposé des Jésuites au xviie siècle. Ces débats avaient un très large écho et, quelles que soient les positions intellectuelles défendues, contribuèrent à diffuser au sein de l’élite intellectuelle l’image d’une rupture scientifique récente, nette et profonde.

La science au cœur d’une querelle esthétique : le Parallèle des Anciens et des Modernes de Charles Perrault

Avant le mois d’octobre 1688, Perrault écrivit une lettre à Huygens, un des plus grands savants du xviie siècle et un ami proche de sa famille, afin de solliciter son opinion au sujet d’une thèse qu’il souhaitait défendre et selon laquelle « il n’y a point d’art, ni de science, ou les modernes n’egalent les anciens, et qu’il y en a beaucoup ou les modernes les surpassentFootnote 75 ». Perrault pria Huygens de lui envoyer un mémoire sur les découvertes les plus importantes du siècle, y compris les siennes, dans les domaines de l’astronomie, des mathématiques et de la mécanique. Il lui demanda aussi des références de travaux à consulter pour approfondir ces questions. Étant lui-même mathématicien, Huygens hésita à discuter des progrès des mathématiques, craignant de paraître présomptueux. Il fit néanmoins la liste des avancées réalisées dans le domaine de la géométrie grâce aux nouvelles méthodes algébriques et nota que : « L’Astronomie n’estoit rien il y a 80 ans au près de ce qu’elle est maintenant. C’estoit des conjectures maintenant nous en scavons le vray. Outre toutes les nouvelles decouvertesFootnote 76. » L’échange avec Huygens a alimenté la réflexion globale de Perrault sur les réalisations de son temps. Le second avait demandé au premier une liste concise de réalisations avec, en quelque sorte, son imprimatur. Il en fit un volume de plus de 300 pages, dernier d’une série de quatre, dans lequel il présentait de manière polémique les progrès les plus importants du xviie siècle dans le domaine de la science et des technologies. On peut donc supposer que Perrault possédait déjà des connaissances historiques assez précises sur ces avancées, qu’il avait consolidées tout au long de sa longue carrière d’homme de lettres.

Aujourd’hui, Perrault est surtout connu pour ses contes (Cendrillon ou Le chat botté, par exemple), mais il fut l’un des auteurs français les plus renommés du xviie siècle. Commis et conseiller culturel auprès du ministre Colbert, il occupa un fauteuil à l’Académie française et s’illustra dans différents genres, de la poésie galante à des manifestes sur la peinture en passant par des panégyriques politiques. En 1687, la lecture d’un de ses poèmes célébrant les réalisations du siècle de Louis XIV relança la querelle des Anciens et des Modernes. Entre 1688 et 1697, Perrault, partisan résolu des Modernes, publia les quatre volumes de son Parallèle des Anciens et des Modernes, dont les trois premiers portent respectivement sur les arts et l’architecture, l’éloquence et la poésie (le deuxième étant celui qui déclencha une réaction virulente de Daniel pour son appréciation de Pascal). Il consacra le dernier volume, publié en 1697, aux réalisations scientifiques et technologiquesFootnote 77.

La querelle opposait les partisans des auteurs canoniques de l’Antiquité à ceux qui, comme Perrault, considéraient les réalisations des Modernes supérieures à celle de leurs illustres prédécesseurs. Malgré l’intensité du débat – Boileau aurait été si indigné par l’éloge des contemporains que faisait Perrault dans le poème lu aux académiciens en 1687 qu’il se mit à hurler jusqu’à en perdre la voixFootnote 78 –, un consensus se dégageait sur les derniers progrès de la science. Les protagonistes de la querelle prenaient soin de distinguer la possibilité du progrès dans le domaine scientifique, où les avancées modernes semblaient incontestables, et dans celui des arts, où coexisteraient différentes visions du changement historique. Ainsi, même Hilaire-Bernard de Longepierre, dont le Discours sur les anciens, publié en 1687, était une réponse directe au poème de Perrault, se félicitait des récentes avancées de « [l]a physique, l’astronomie et de pareilles sciences, dont la perfection dépend du grand nombre d’expériences et de découvertes qu’on fait tous les joursFootnote 79 ».

Néanmoins, Perrault voyait les sciences comme la pierre angulaire de sa défense des Modernes. Bien que son volume sur le sujet n’ait été publié qu’en 1697, il avait consulté Huygens une décennie plus tôt et avait tout d’abord envisagé de publier son travail sur les sciences dans le deuxième volume du Parallèle. Si l’on en croit Perrault, il décida finalement de consacrer ce volume à l’éloquence plutôt qu’à « l’Astronomie, la Géographie, la Navigation, la Physique, les Mathématiques, &c. », car ne pas traiter de sujets comme l’éloquence et la poésie aurait pu laisser entendre que les Modernes avaient à rougir en la matièreFootnote 80. Les positions de Perrault et de Longepierre montrent, d’une part, que les deux camps faisaient la distinction entre les sujets de nature scientifique et la poésie et que, d’autre part, les progrès scientifiques et technologiques faisaient consensus.

La façon dont Perrault classifie de manière polémique l’ensemble des arts et des sciences est particulièrement intéressante. Tout d’abord, la sélection des thèmes scientifiques de son quatrième volume ne se limite pas à la catégorie de l’« histoire naturelle » ou de la « philosophie naturelle » qui avait cours à l’époque moderne. Elle est plus proche de la notion de « science et technologie » telle qu’on l’entend aujourd’hui, englobant aussi bien la cartographie et la navigation que l’horlogerie et les techniques mathématiques, ou encore les observations astronomiques du système solaire et l’invention du microscope (voir annexe 2). La présentation de la « philosophie » suit la division classique de la discipline universitaire (logique, morale, physique et métaphysique), mais, là encore, l’essentiel de la discussion est consacré à des questions d’ordre scientifique, notamment celle de savoir si les animaux ont une âme ou s’ils ne sont que de pures machines – un aspect aussi amplement abordé par DanielFootnote 81. La façon dont Perrault divise son exposé implique une cohérence des thèmes scientifiques et techniques, qui se différencie des questions esthétiques et littéraires abordées dans les autres volumes, mais ne se limite pas aux subdivisions disciplinaires de la philosophie propres à l’enseignement universitaire.

Il est évident que Perrault – comme Daniel ou Bernier et ses co-auteurs avant lui – faisait référence à un canon de découvertes et de problèmes relativement bien établi et partagé par les auteurs français. Ce canon englobait des figures illustres comme Galilée, Descartes, Nicolas Copernic, Johannes Kepler et William Harvey ; des grandes découvertes, comme les montagnes et les vallées de la lune, les satellites de Jupiter, les anneaux de Saturne, l’existence du vide, la circulation du sang et la cartographie de nouveaux continents ; enfin, les instruments et les techniques qui avaient rendu possible ces avancées, notamment le télescope, le microscope, la pratique de la dissection en anatomie et les observatoires (celui d’Uraniborg sur l’île de Ven et celui de l’Académie royale des sciences de Paris). Longtemps commis de Colbert, Perrault n’était que trop conscient de la valeur de certaines de ces découvertes en termes de patronage et, de ce point de vue, son texte manifeste une certaine continuité avec de précédentes histoires de l’art et des inventions, en particulier avec les Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes de Giorgio Vasari (1550) et avec l’encyclopédie gravée Nova reperta de Johannes Stradanus (1590)Footnote 82. À l’instar de la version de Bernier de l’Arrêt, le texte de Perrault mêlait des sujets pouvant apparaître utiles aux yeux de mécènes potentiels, comme les découvertes géographiques, et des avancées dévoilant des vérités sur la nature, comme les dimensions de l’orbite du soleil ou l’hypothèse de la rotation d’autres planètes autour de leur axeFootnote 83. Ce genre de texte pouvait donc s’appuyer sur les traditions de la Renaissance tout en présentant de manière innovante l’image composite d’un progrès scientifique substantiel.

D’autres auteurs ont fait la même distinction que Perrault entre le mouvement scientifique et les changements plus larges dans le domaine de la philosophie. En 1683, le professeur et membre de la congrégation de l’Oratoire, Bernard Lamy, publia ses Entretiens sur les sciences, dans lesquels il donnait son opinion sur les récents développements scientifiques. Suspendu car il avait enseigné les doctrines cartésiennes, Lamy y faisait en toute logique l’apologie de Descartes pour avoir « ouvert le chemin d’une veritable Phisique », rendant ainsi gloire à la France et à l’époque dans son ensembleFootnote 84. À l’image de Perrault, toutefois, sa conception du progrès scientifique ne se limite pas aux développements hérités de Descartes. Il souligne la contribution d’instruments comme le télescope, le microscope et la pompe à air, à laquelle il rend spécifiquement grâce, au prix d’une contorsion intellectuelle, d’avoir confirmé les hypothèses de Descartes. Il admet également que ces conjectures pourraient à leur tour être infirmées et cite en exemple le travail de Marcello Malpighi qui a montré la nature « très imparfaite » de la pensée de Descartes sur la machine humaineFootnote 85.

Le fait que Lamy convoque explicitement les figures de Galilée, Huygens et John Wallis confirme qu’à ses yeux, les changements récents constituent un mouvement ne se résumant pas au cartésianisme. S’appuyant sur les mêmes auteurs, découvertes et instruments que Perrault, Lamy fait également du progrès scientifique un champ à part, doté de sa propre logique, dans le paysage de l’érudition au sens large. « Les Anciens, affirme-t-il, n’en ont presque rien sçû […]. La Morale faisoit toute leur étude. » Même si Démocrite et Épicure sont considérés comme les premiers « phisiciens », leurs connaissances étaient assez limitées. Lamy insiste sur le fait qu’« [i]l faut tout expliquer par la matiere, & par la configuration de ses parties, par le mouvement, ou par le repos ». De ce point de vue, les Anciens, ignorant les lois du mouvement, ne possédaient pas les « principes de la phisique », tout aussi fondamentaux que les principes introduisant les Éléments de géométrie d’EuclideFootnote 86.

Les littérateurs n’étaient pas de simples vulgarisateurs d’une vision historique créée par les hommes de scienceFootnote 87. Tout en s’accordant sur une liste de personnalités et de découvertes canoniques, ils tentaient parfois de la modifier ou de l’enrichir à la marge. Perrault, par exemple, y ajouta les réalisations de son frère Claude, qu’il présentait comme une autorité dans le domaine de la musique antique, et fait référence aux avancées de ses collègues au service de Colbert dans les domaines du dessin physionomique, du jardinage et des feux d’artificeFootnote 88. Dans l’Arrêt, Bernier et ses co-auteurs inclurent des informations anatomiques sur la circulation du sang et de la bile obtenues grâce à la vivisection de chiensFootnote 89. Néanmoins, les éléments les plus significatifs, qui constituaient le socle d’un canon scientifique, faisaient l’unanimité et il existait un consensus sur leur importance, voire sur leur interprétation.

Les hommes de lettres élaboraient leurs textes autour d’éléments fictionnels dans l’objectif de renforcer leur argumentation ou de toucher un lectorat plus large tout en se démarquant du modèle du commentaire académique. Perrault composa son Parallèle comme une série d’entretiens entre trois personnages : un abbé, partisan des Modernes et porte-parole à peine voilé de l’auteur et de ses positions ; un Président de province, favorable aux Anciens ; et un chevalier, représentant une position plus naïve et moins biaisée dans la querelle, bien qu’il se laisse peu à peu convaincre par les arguments de l’abbéFootnote 90. Ce choix esthétique était un dispositif astucieux permettant à l’auteur d’exprimer ses propres arguments. Par exemple, lorsqu’il fait dire au président que la philosophie de Descartes n’est rien d’autre que « l’opinion de Démocrite un peu déguisée », il peut, par la bouche de l’abbé, réfuter ce raisonnement en pointant les différences concernant la divisibilité des « corpuscules » de matière et le rôle de Dieu dans la création de la matièreFootnote 91. Perrault choisit aussi Versailles comme cadre de la discussion érudite, ce qui permet à l’abbé de prendre le château et ses trésors comme preuve de la supériorité des ModernesFootnote 92. Dans l’autre camp, Daniel s’appuie sur les conventions du voyage imaginaire – dont on peut faire remonter le modèle à Lucien de Samosate, lequel fut de toute évidence une source d’inspiration pour le texte – afin d’exposer ses critiques de Descartes au public qu’il visait, à savoir les lecteurs friands de passe-temps légers comme les voyages fantastiques ou la parodie de la philosophie cartésienne. Bernier passe par le langage du droit pour brocarder l’état pitoyable de la philosophie scolastique. Ce mélange attrayant de philosophie, d’histoire et de littérature permit aux auteurs d’afficher leurs positions intellectuelles tout en faisant prendre conscience aux lecteurs de l’importance des changements dans le domaine de la philosophie naturelle. Ce souci de rendre le texte accessible à un public élargi reflétait également des évolutions esthétiques et sociales de plus grande portéeFootnote 93.

On sait combien la publication du texte de Perrault a marqué ses contemporains. Paru dans le petit format pratique de l’in-duodecimo, le texte a sans doute séduit un public similaire à celui de Daniel, constitué de lectrices et de lecteurs aisés désireux de se tenir au courant des événements culturels. Le cadre versaillais, la présence d’un personnage « provincial » (en la personne du Président) et le style didactique des discussions adaptées aux néophytes sont autant d’éléments suggérant que les lecteurs et lectrices du Parallèle l’étaient aussi du Mercure galant, le journal à la mode, ou des contes du même Perrault, dont la publication est strictement contemporaine. En outre, preuve s’il en est de leur succès, les premiers volumes du Parallèle avaient été réédités en 1692-1693, avant même la publication du quatrième volumeFootnote 94. Les nécrologies parues après la mort de Perrault en 1703 retiendront surtout son poème controversé sur le siècle de Louis XIV et sa participation aux débats qu’il avait déclenchés. Même si certains ont pu reprocher à Perrault d’avoir poussé trop loin son apologie des Modernes, ses œuvres ont fourni une exceptionnelle caisse de résonance pour le canon scientifique qui émergea de son vivantFootnote 95.

Les ouvrages de Bernier, Daniel et Perrault sont autant d’exemples qui attestent des affinités intellectuelles, esthétiques et sociales entre la nouvelle science et le monde des lettres. À l’exception notable du Père jésuite Daniel, tous ces auteurs littéraires évoluaient en effet dans un « entre-deux », occupant des fonctions de médiateurs culturels entre différentes sphères. Par ailleurs, le soutien du monde littéraire au mouvement scientifique transcendait les courants : défenseurs des Anciens et partisans des Modernes prenaient position en faveur de la nouvelle philosophie. Ainsi Perrault et Boileau se conformaient-ils, en dépit de leurs positions diamétralement opposées dans la querelle et de leur âpre rivalité personnelle, au nouveau paradigme de l’homme de lettres, le « nouveau docte », soucieux de se démarquer de la pédanterie de leurs prédécesseurs. Quant au jésuite Daniel, dont l’engagement à poursuivre les objectifs de son ordre limitait sa capacité à embrasser de manière explicite la nouvelle philosophie dans son ensemble, il devait néanmoins interpréter le même canon que ses adversaires et sut même trouver des façons de faire novatrices et séduisantes sur le plan stylistique.

Ce que révèle le matériau biographique

À la fin du xviie siècle, de nombreuses revues savantes, éloges posthumes et autres dictionnaires biographiques documentaient la vie des érudits et permettaient à un large public de connaître leurs carrières et leurs réalisations. Ce public, qui ne souhaitait pas nécessairement se plonger dans des discussions philosophiques ardues, était néanmoins soucieux de pouvoir identifier les noms et les personnalités qui avaient marqué les paysages intellectuel, politique et ecclésiastiqueFootnote 96.

Ce matériau biographique donne une idée, certes approximative, de ce que les lecteurs éduqués étaient censés savoir au sujet des protagonistes de la « nouvelle philosophie ». Si les hommes de lettres ont effectivement contribué à construire le récit d’une véritable révolution scientifique, on doit pouvoir constater une certaine continuité des informations à la disposition des lecteurs entre le milieu du xviie siècle et l’apogée des Lumières, période à laquelle ce récit s’était largement imposéFootnote 97. Pour en juger, j’ai examiné l’édition de 1683 du Grand dictionnaire historique de Louis Moréri, la source biographique la plus fréquente dans la France de la fin du xviie siècle, qui a connu 24 éditions entre 1674 et 1759. J’ai comparé la taille des notices de plus de 150 personnalités liées au monde des sciences et les ai classées par ordre décroissant en fonction du nombre de lignes consacrées à chacune d’entre elles. J’ai ensuite répété l’opération avec la dernière édition du dictionnaire, celle de 1759. J’ai également analysé les sections traitant du progrès scientifique dans le Discours préliminaire de l’Encyclopédie de 1751, rédigé par Jean Le Rond d’Alembert – une source majeure pour examiner comment les Lumières ont appréhendé les avancées scientifiques du siècle précédent –, et je les ai réparties en deux groupes, là encore en fonction de l’espace qui leur était consacré dans le texteFootnote 98.

Cette analyse a permis de mesurer la visibilité des acteurs du monde culturel impliqués dans le progrès scientifique avant l’apogée du siècle des Lumières. Dans la mesure où nous ne disposons pas d’informations détaillées sur la paternité et la composition de ces entrées biographiques, ce type d’évaluation quantitative peut conduire à des arguments simplistes ou circulaires ; il est aisé d’écarter les données qui n’entrent pas dans l’argumentation en les assimilant à des exceptions ou à des irrégularités. Toutefois, cela permet au moins d’avoir une idée grossière des informations auxquelles l’élite éduquée avait accès et peut donc constituer un complément utile à des études de cas plus ciblées.

L’examen du classement obtenu (proposé en annexes 3-5) permet de faire quatre observations complémentaires. Premièrement, dès l’édition de 1683 du dictionnaire de Moréri, les noms attendus, des plus illustres aux moins célèbres (en plus grand nombre), sont déjà en grande partie présents, plus ou moins dans l’ordre auquel on pouvait s’attendre compte tenu de leur influence en France vers 1680 : les dix premiers noms incluent Gassendi, Descartes et Galilée ; dans les vingt premiers, on trouve Pascal, Copernic, Tycho Brahe, Paracelse, Pierre de La Ramée et Cardan. On peut s’étonner que Francis Bacon n’apparaisse qu’au-delà du vingtième rang, aux côtés de Mersenne, Giambattista della Porta, Regiomontanus et Gilles Personne de Roberval. Kepler apparaît également plus bas dans la liste qu’on aurait pu le penser, sans doute parce que l’influence de son travail ne fut pleinement reconnue qu’à la fin du xviie siècle. Si l’on ajoute les noms des personnalités décédées après l’impression de cette édition (et qui n’y figurent donc pas), on obtient une liste assez similaire à celle des personnalités incontournables figurant dans le Discours préliminaire de l’Encyclopédie de d’Alembert, près de soixante-dix ans plus tard.

Deuxièmement, la liste des personnalités citées et l’espace consacré à leurs notices sont relativement conformes au biais « intellectualiste » des récits de la Révolution scientifique en vogue dans l’historiographie du xxe siècle. Le voisinage de Bacon, Leibniz et John Locke avec Newton, Robert Boyle, Galilée ou Isaac Barrow, si caractéristique du Discours préliminaire, se retrouve non seulement dans la première édition du dictionnaire de Moréri, mais aussi dans les textes littéraires examinés dans cet article. Le fait que ces sources fassent la part belle à Gassendi, Descartes, Nicolas de Cues et Jean Pic de la Mirandole montre bien que ce privilège accordé à la théorie sur la pratique et l’expérimentation n’est pas qu’un produit de la recherche de l’époque de la Guerre Froide, qui met l’accent sur les aspects théoriques de la science du xviie siècle et minimise les contributions des artisans, mais qu’il se trouve déjà fortement enraciné dans les perceptions du xviie siècleFootnote 99.

Troisièmement, on constate que la liste se partage assez équitablement entre des figures internationales et des personnalités qui s’étaient illustrées dans le champ littéraire français depuis la moitié du xviie siècle. Phénomène valant à l’échelle européenne, l’émergence de cette culture scientifique a mis en relation les savants dans un large corridor urbain et commercial s’étendant du nord de l’Italie aux Pays-Bas et à l’Angleterre en passant par la région rhénane et le nord de la France. C’est la raison pour laquelle la hiérarchie du panthéon scientifique formé par Galilée, Léonard de Vinci, Regiomontanus et Bacon aux yeux des lecteurs français de l’époque est partagée, encore aujourd’hui, dans les différents pays composant cet espace.

Si les travaux de recherche récents ont accordé une grande importance à ces facteurs transnationaux, il convient toutefois de tempérer leur influence en tenant compte de l’effet des contextes locaux sur la perception du mouvement scientifique dans son ensemble. Comme nous l’avons vu, les textes littéraires publiés en France reflétaient le contexte et les tensions propres au royaume, comme la censure de l’œuvre de Descartes ou la querelle des Anciens et des Modernes. De même, l’importance accordée à Arnauld et Fontenelle dans l’édition de 1759 du dictionnaire de Moréri est frappante. Arnauld était un théologien janséniste de premier plan et une figure incontournable du paysage intellectuel français de la fin du xviie siècleFootnote 100. Au-delà de son rôle de secrétaire de l’Académie royale des sciences pendant près d’un demi-siècle, Fontenelle fut l’auteur à succès de nombreux ouvrages de vulgarisation et incarne une autre grande figure du monde littéraire français. Ces deux auteurs illustrent parfaitement les mutations religieuses et culturelles ayant conduit à l’émergence d’une culture scientifique nationale spécifique. Le cas de la France démontre également que le récit sur le progrès scientifique s’est cristallisé avant même que les travaux de Newton – que l’on considère comme l’apogée du mouvement scientifique en Europe – ne soient largement diffusés en France après 1730Footnote 101. Les affinités entre la science et le monde littéraire frayent dès lors de nouvelles voies pour explorer les dynamiques spécifiques des cultures scientifiques nationales, déjà balisées par l’étude pionnière de J. Ben-David en 1971Footnote 102.

Enfin, la chronologie de cette canonisation est importante. Le milieu du xviie siècle est précisément la période à laquelle le mouvement scientifique en Europe semble ralentir, au point que la pérennité de sa dynamique est menacée. Ce mouvement n’a pu trouver un nouveau souffle qu’au prix d’une transformation institutionnelle profonde, dont le point d’orgue fut la fondation de la Royal Society à Londres en 1660 et de l’Académie royale des sciences à Paris en 1666, dans laquelle Perrault fut très impliqué en tant que commis de ColbertFootnote 103. À ce stade, les hommes de lettres et leur lectorat s’intéressaient déjà aux progrès scientifiques ; même si, en tant que tels, ils ne jouèrent pas un rôle direct dans l’institutionnalisation de la science, ils contribuèrent tout de même à faire naître l’intérêt du public et, ainsi, à compenser le ralentissement apparent des nouvelles découvertes. Cependant, au fur et à mesure que des cultures scientifiques différentes se développaient dans les années 1730, la fonction médiatrice du monde littéraire devint quelque peu ambivalente. En s’engageant au service d’un mouvement en perte de vitesse, voire menacé de disparition, les hommes de lettres l’avaient aussi rivé à des cultures littéraires divergentes. Cela entraîna un besoin croissant de concevoir des outils de communication savante, allant de la lingua franca à des institutions internationales, afin de faire contrepoids à ces influences locales. Cette tension mériterait assurément de faire l’objet de recherches plus approfondies, lesquelles permettraient sans nul doute d’en apprendre beaucoup sur la manière dont les hommes de lettres ont façonné la science à l’époque moderne.

Les hommes de lettres ont diffusé auprès de leurs lecteurs le récit d’un progrès scientifique spectaculaire, incarné par un socle de figures prestigieuses, de grandes découvertes et d’instruments de pointe. Les approches complémentaires suggérées dans cet article – analyse du genre émergent des ouvrages de référence, étude de textes particuliers, examen de l’investissement social et intellectuel des hommes de lettres – permettent d’éclairer les modalités de cette diffusion. Mon objectif n’est pas seulement de chercher à démontrer que la perception de la Révolution scientifique au xviiie siècle prend sa source dans une réalité du xviie siècle ; il s’inscrit dans une perspective plus dynamique. Il s’agit d’analyser comment les textes produits par les hommes de lettres ont obtenu du succès auprès des élites et ancré dans les esprits l’idée d’un bouleversement historique en cours. Est-ce parce que ces textes privilégiaient la compilation à l’innovation et la vulgarisation à l’exposé des arguments originels que les historiens des sciences ont eu tendance à les négligerFootnote 104 ? Ces récits sont pourtant révélateurs de l’émergence d’un mouvement scientifique pérenne qui ne s’est pas essoufflé comme d’autres mouvements équivalents dans d’autres contextes. Grâce à ces « passeurs » littéraires, la connaissance de la « nouvelle science » s’est diffusée au sein des élites éduquées du continent et en a amplifié l’incidence globale avant même que la révolution industrielle n’en démontre les applications pratiques. Le risque est grand de négliger ces personnalités et le rôle qu’elles jouèrent dans la mesure où notre regard analytique est principalement tourné vers les hommes de sciences à proprement parler et leurs patronagesFootnote 105. Or il est impossible d’appréhender la dimension culturelle de la Révolution scientifique sans s’intéresser aux hommes de lettres dont l’implication déterminante a permis, selon moi, de faire d’activités véritablement difficiles à comprendre pour leurs contemporains des signes distinctifs de la société moderne qui prenait forme en Europe.

Annexes

Annexe 1 – Exemples de découvertes scientifiques mentionnées dans l’Arrêt burlesque (1671)

Anneaux de Saturne (C. Huygens)

Lunes de Jupiter

Taches solaires

Vénus sur une orbite plus élevée que le soleil

Présence de montagnes, de vallées et d’ombres à la surface de la lune

Étoiles visibles en plein jour (J. Picard)

Passages et brèches dans le ciel à travers lesquels les comètes passent (J.-B. Denis, 1664-1665) ; Petit, A. Auzout et J.-D. Cassini les considèrent comme des objets supra-lunaires

L’air a une pesanteur (B. Pascal, G. Personne de Roberval et autres)

Navigation autour du globe

La Terre tourne autour du soleil

Construction de ruches (par M. Thévenot)

Les animaux sont de pures machines (enseignements de J. Rohault)

Le cerveau (et non le cœur) est le centre du système nerveux

Découvertes dans le domaine de l’anatomie de T. Kerckring et N. Sténon

Circulation du sang (fonction connexe du foie)

On y trouve également des références à de nouvelles publications (Journal des sçavans), des techniques (télescopes, moulins à vent) et des institutions (observatoire de Paris), ainsi qu’une satire générale des principes aristotéliciens.

Annexe 2 – Exemples de phénomènes scientifiques mentionnés dans le volume 4 du Parallèle des Anciens et des Modernes de Charles Perrault

  • Taches solaires

  • « Grande année » (cycle de 600 ans, au terme duquel le soleil et la lune reviennent au même point)

  • Éclipses (et leur prédiction)

  • « Obliquité de l’écliptique »

  • Mouvements des étoiles fixes, Zodiaque

  • Changements de la taille de Vénus, découverte des phases de Vénus (confirmation des travaux de N. Copernic)

  • Apparition d’une nouvelle étoile en 1572

  • Dimension de l’orbite du soleil : apogée, excentricité et point véritable de l’équinoxe du printemps ; T. Brahe a déterminé ces éléments en utilisant Vénus et non la lune

  • Les comètes sont des astres errants et non des exhalaisons, selon J. Kepler

  • Effet de l’atmosphère sur les observations astronomiques (J. Kepler)

  • Le soleil tourne sur lui-même (observation permise par les taches solaires)

  • Montagnes et cratères à la surface de la lune

  • « Inégalités dans la planète de Jupiter » ; Jupiter a des satellites

  • Anneaux de Saturne

  • Satellites de Saturne

  • Jupiter accomplit une révolution autour de son axe en dix heures

  • La période de révolution de Mars est de 24 heures et 40 minutes

  • Hypothèse selon laquelle d’autres planètes tournent également sur elles-mêmes autour de leur axe

  • Vitesse de la lumière telle que mesurée par les satellites de Jupiter

  • Vitesse du son, indépendante de la vitesse du vent

  • La Voie lactée et les étoiles nébuleuses sont un amas de petites étoiles très proches les unes des autres

  • Observations de Mercure et de Vénus sur le disque solaire, utilisées pour corriger les tables du mouvement de ces planètes

  • Observations de planètes et d’étoiles fixes en plein jour

  • Découverte de nouvelles terres (géographie)

  • Forme ronde (opinion non partagée par certains Anciens et par les Siamois) et taille de la Terre

  • Mesures de certaines zones de la Terre

  • Disponibilité de richesses et de commodités grâce aux découvertes géographiques

  • Système de Descartes (comparaison avec Démocrite et Aristote)

  • Explication mécanique de la digestion

  • Vide

Chaîne de progrès dans le domaine de la médecine : au milieu du xvie siècle, A. Vésale apporte quelques nouvelles connaissances à l’anatomie ; en 1627, G. Asellius découvre les veines lactées ; en 1628, W. Harvey découvre la circulation du sang ; en 1661, J. Pecquet de l’Académie royale des sciences découvre le « réservoir du chyle » ; en 1663, T. Bartholin et O. Rudbeck découvrent simultanément les vaisseaux lymphatiques ; N. Sténon découvre la structure des muscles ; F. Ruysch découvre celle des valves lymphatique ; M. Malpighi découvre celle des viscères ; R. Lower celle du cœur ; C. Virsungius celle du pancréas.

Annexe 3 – Canon dans le Discours préliminaire de l’ Encyclopédie (1751)

Premier groupe :

  • Bacon, Francis

  • Descartes, René

  • Leibniz, G. W.

  • Locke, John

  • Newton, Isaac

Deuxième groupe :

  • Barrow, Isaac

  • Boyle, Robert

  • Galilée

  • Harvey, William

  • Huygens, Christiaan

  • Kepler, Johannes

  • Malebranche, Nicolas

  • Pascal, Blaise

  • Régis, Pierre-Sylvain

  • Rouhault, Jacques

  • Sydenham, Thomas

  • Vesalius, Andreas

  • Viète, François

Annexe 4 – Canon dans l’édition de 1683 du Dictionnaire de Moréri

GroupeNoms (par ordre décroissant en fonction du nombre de lignes)
Premier groupe (70-82 lignes)Gassendi, Pierre Campanella, Tommaso Gessner, Conrad Nicolas de Cues Fracastoro, Girolamo
Deuxième groupe (50-69 lignes)Bellarmin, Robert Galilée Descartes, René Pic de la Mirandole, Jean Léonard de Vinci Casaubon, Isaac Ramus, Petrus [Pierre de La Ramée]
Troisième groupe (30-49 lignes)Paracelsus Pascal, Blaise Tycho Brahe Osiander, Andreas Agricola, Georgius Cardan, Jérôme Copernic, Nicolas Barbaro, Ermolao Cremonini, Cesare Regiomontanus Mersenne, Marin Clavius, Christophorus Porta, Giambattista della Bacon, Francis Ficin, Marsile Clusius, Carolus [Charles de l’Escluse] Acosta, José de Roberval, Gilles Personne de Dürer, Albrecht
Quatrième groupe (1-29 lignes)Peiresc, Nicolas-Claude Fabri de Brunfels, Otto Helmont, Jan Baptista van Kircher, Athanasius Magini, Giovanni Antonio Peucer, Caspar Paré, Ambroise Kepler, Johannes Fuchs, Leonhart Hernández, Francisco Pomponazzi, Pietro Mattioli, Pierandrea Aldrovandi, Ulisse Cavalieri, Bonaventura Bauhin, Gaspard Leoniceno, Niccolò Piccolomini, Alessandro Reinhold, Erasmus

Annexe 5 – Canon dans l’édition de 1759 du Dictionnaire de Moréri

GroupeNoms (par ordre décroissant en fonction du nombre de lignes)
Premier groupe (> 1 000 lignes)Arnauld, Antoine Fontenelle, Bernard de
Deuxième groupe (200-500 lignes)Descartes, René Bernoulli, Johann Leibniz, Gottfried Wilhelm Boyle, Robert Locke, John Nicolas de Cues Tournefort, Joseph Pitton de Sténon, Nicolas
Troisième groupe (100-199 lignes)Tycho Brahe Ramus, Peter [Pierre de La Ramée] Ficin, Marsile Peiresc, Nicolas-Claude Fabri de Hobbes, Thomas Kepler, Johannes Huygens, Christiaan Bacon, Francis Pascal, Blaise Newton, Isaac Halley, Edmond Cesi, Federico Bellarmin, Robert Sennert, Daniel Poullain de La Barre, François Malebranche, Nicolas Léonard de Vinci Fermat, Pierre Bernoulli, Jacques Galilée Torricelli, Evangelista Charleton, Walter
Quatrième groupe (50-99 lignes)Aldrovandi, Ulisse Copernic, Nicolas Clarke, Samuel Fabri, Honoré Fuchs, Leonhart Dee, John Fracastoro, Girolamo Ray, John Sloane, Hans Willis, Thomas Dürer, Albrecht Regius, Henricus Campanella, Tommaso Pardies, Ignace-Gaston Merian, Maria Sybilla Thévenot, Melchisédech Perrault, Claude Boulliau, Ismaël Hevelius, Johannes Wilkins, John Kircher, Athanasius Stahl, Georg Ernst Gassendi, Pierre Gessner, Conrad Pic de la Mirandole, Jean Casaubon, Isaac Rømer, Ole Christensen Viète, François Hooke, Robert Malpighi, Marcello Winkelmann, Maria Paracelsus Glanvill, Joseph Lobkowitz, Juan Caramuel
Cinquième groupe (1-49 lignes)Sylvius, Jacobus Osiander, Andreas Wallis, John Ward, Seth Beeckman, Isaac Muffet, Thomas Agricola, Georgius Sprat, Thomas Stevin, Simon Pomponazzi, Pietro Cardano, Girolamo Oldenburg, Henry Regiomontanus, Johannes Flamsteed, John Lister, Martin Rouhault, Jacques Porta, Giambattista della Brunfels, Otto Mersenne, Marin Varignon, Pierre Régis, Pierre-Sylvain Brosse, Guiy de La Harvey, William Peucer, Kaspar Descartes, Catherine Ashmole, Elias Clavius, Christophorus Cremonini, Cesare Paré, Ambroise Piccolomini, Alessandro Clusius, Carolius [Charles de L’Escluse] Barbaro, Ermolao Lower, Richard Acosta, José Sydenham, Thomas Roberval, Gilles Personne de Alberti, Leon Battista Bauhin, Gaspard Magini, Giovanni Antonio Rheticus, Georg Joachim Helmont, Jan Baptista van Cotes, Roger Harriot, Thomas Barlow, William Oviedo, Gonzalo Fernández Reinhold, Erasmus Cavalieri, Bonaventura Tartaglia, Niccolò Riccioli, Giovanni Baptista Hernández, Francisco Leoniceno, Niccolò Pereira, Benito Scheiner, Christoph Gorlæus, David

Footnotes

*

* Je remercie Naor Ben-Yehoyada, Raz Chen-Morris, Nadine Férey-Pfalzgraf, Netta Green, Shaul Katzir, Dániel Margócsy, Ofer Rom et Oded Zrachia ainsi que les personnes ayant assisté à mes interventions dans les universités de Brown, Cambridge, Haïfa et Tel Aviv pour leur aide, leurs commentaires et leurs suggestions. Je remercie également les lecteurs anonymes de la revue Annales. Histoire, Sciences Sociales qui m’ont fait des remarques particulièrement pertinentes. Cet article a été financé par la subvention 972/17 de l’Israel Science Foundation.

References

1 Joseph Ben-David, The Scientist’s Role in Society: A Comparative Study, Englewood Cliffs, Prentice Hall, 1971 ; Stephen Gaukroger, The Emergence of a Scientific Culture: Science and the Shaping of Modernity, 1210-1685, Oxford, Clarendon, 2006 ; id., The Collapse of Mechanism and the Rise of Sensibility: Science and the Shaping of Modernity, 1680-1760, Oxford, Clarendon, 2010 (il s’agit des deux premiers volumes d’une série qui en compte quatre) ; H. Floris Cohen, How Modern Science Came into the World: Four Civilizations, One 17th-Century Breakthrough, Amsterdam, Amsterdam University Press, 2010.

2 Joel Mokyr, La culture de la croissance. Les origines de l’économie moderne, trad. par P.‑E. Dauzat, Paris, Gallimard, [2017] 2020. Voir également Patrick O’Brien, « Historical Foundations for a Global Perspective on the Emergence of a Western European Regime for the Discovery, Development, and Diffusion of Useful and Reliable Knowledge », Journal of Global History, 8-1, 2013, p. 1-24.

3 Pour des tentatives récentes de replacer ces développements dans un contexte global, voir par exemple Simon Schaffer, « Newton on the Beach: The Information Order of Principia Mathematica », History of Science, 47-3, 2009, p. 243-276 ; Kapil Raj, « Thinking without the Scientific Revolution: Global Interactions and the Construction of Knowledge », in J. B. Shank (dir.), no spécial « After the Scientific Revolution », Journal of Early Modern History, 21-5, 2017, p. 445-458, ainsi que les autres articles de ce numéro ; James Delbourgo, « The Knowing World: A New Global History of Science », History of Science, 57-3, 2019, p. 373-399. Pour une tentative récente de synthèse, voir également James Poskett, Copernic et Newton n’étaient pas seuls. Une nouvelle histoire mondiale des sciences, trad. par C. Frankel, Paris, Éd. du Seuil, 2022.

4 « [A]rt de penser et art d’écrire sont indissociables » chez Fontenelle, et ses réflexions théoriques développent des idées déjà exprimées dans ses travaux poétiques antérieurs : Sophie Audidière, « Fontenelle ou la tendresse philosophe. Introduction », in B. de Fontenelle, Digression sur les Anciens et les Modernes, et autres textes philosophiques, éd. par S. Audidière et al., Paris, Classiques Garnier, 2015, p. 13-58, ici p. 17 et 20 ; Stephen Gaukroger, « The Académie des Sciences and the Republic of Letters: Fontenelle’s Role in the Shaping of a New Natural-Philosophical Persona, 1699-1734 », Intellectual History Review, 18-3, 2008, p. 385-402 ; id., The Collapse of Mechanism…, op. cit., chap. 6 ; John Bennett Shank, Before Voltaire: The French Origins of “Newtonian” Mechanics, 1680-1715, Chicago, The University of Chicago Press, 2018 ; Maria Susana Seguin, « Anciens et Modernes à l’Académie des sciences », in C. Bahier-Porte et D. Reguig (dir.), Anciens et Modernes face aux pouvoirs. L’Église, le roi, les académies, 1687-1750, Paris, Honoré Champion, 2022, p. 179-198 ; Simone Mazauric, Fontenelle et l’invention de l’histoire des sciences à l’aube des Lumières, Paris, Fayard, 2007.

5 Les femmes auteurs avaient un profil social quelque peu différent de celui des hommes auteurs – elles ne recherchaient par exemple pas les mêmes relations de patronage – et leurs liens avec les problèmes abordés dans cet article mériteraient d’être étudiés plus en détail.

6 Voir Peter Burke, « Two Crises of Historical Consciousness », Storia della Storiografia, 33, 1998, p. 3-16, ici p. 7 ; de manière plus générale, voir François Furet, « La naissance de l’histoire », in L’atelier de l’histoire, Paris, Flammarion, 1982, p. 101-127.

7 Pour une analyse générale de la place de la France dans le siècle des Lumières, voir Dan Edelstein, The Enlightenment: A Genealogy, Chicago, The University of Chicago Press, 2010, p. 104-106 ; pour une vision plus nuancée, voir Pierre-Yves Beaurepaire, Le mythe de l’Europe française au xviiie siècle. Diplomatie, culture et sociabilités au temps des Lumières, Paris, Autrement, 2007.

8 Stéphane Van Damme, Paris, capitale philosophique. De la Fronde à la Révolution, Paris, Odile Jacob, 2005.

9 David Wootton, The Invention of Science: A New History of the Scientific Revolution, Londres, Penguin, 2015, p. 6-12 ; voir également Roy Porter et Mikuláš Teich (dir.), The Scientific Revolution in National Context, Cambridge, Cambridge University Press, 1992.

10 M. de V. [Voltaire], Lettres philosophiques, Amsterdam, Chez E. Lucas, au Livre d’or, 1734, p. 139-140.

11 J. Mokyr, La culture de la croissance, op. cit., en particulier p. 107-122 et p. 163-187 sur Newton.

12 Voir, par exemple, Simon Schaffer, « Newtonianism », in R. C. Olby et al. (dir.), Companion to the History of Modern Science, Londres, Routledge, 1990, p. 610-626 ; Margaret C. Jacob, « The Truth of Newton’s Science and the Truth of Science’s History: Heroic Science at Its Eighteenth-Century Formulation », in M. J. Osler (dir.), Rethinking the Scientific Revolution, Cambridge, Cambridge University Press, 2000, p. 315-332 ; ainsi que les travaux de J. B. Shank. Voir l’accent mis par J. Mokyr sur l’importance du « biais de contenu » (le succès des idées de Newton) dans la création du newtonisme, malgré sa reconnaissance du rôle des médiateurs, par exemple : « La tendance à une approche mécaniste fut le fruit de la pensée et des peines de maintes personnes […] qui se servirent des découvertes de Newton d’une façon que lui-même n’eut pas approuvée » (J. Mokyr, La culture de la croissance, op. cit., p. 170).

13 Comme l’illustre le débat autour de Toby E. Huff, Intellectual Curiosity and the Scientific Revolution: A Global Perspective, Cambridge, Cambridge University Press, 2011 ; Ting Xu et Khodadad Rezakhani, « Reorienting the Discovery Machine: Perspectives from China and Islamdom on Toby Huff’s Intellectual Curiosity and the Scientific Revolution: A Global Perspective », Journal of World History, 23-2, 2012, p. 401-412. Je développe encore ce point de vue dans Oded Rabinovitch, « The ‘System of the World’ and the Scientific Culture of Early Modern France », Notes and Records: The Royal Society Journal of the History of Science, 2023, https://doi.org/10.1098/rsnr.2022.0042.

14 Christian Jouhaud, Les pouvoirs de la littérature. Histoire d’un paradoxe, Paris, Gallimard, 2000 ; dans le champ de la philosophie, voir Dinah Ribard, Raconter, vivre, penser. Histoire(s) de philosophes, 1650-1766, Paris, Éd. de l’EHESS/J. Vrin, 2003.

15 Alain Viala, Naissance de l’écrivain. Sociologie de la littérature à l’âge classique, Paris, Éd. de Minuit, 1985, en particulier p. 29-50 et 270-290 ; voir Robert A. Schneider, Dignified Retreat: Writers and Intellectuals in the Age of Richelieu, Oxford, Oxford University Press, 2019.

16 Pour une vue d’ensemble, voir : Emily Butterworth, « Women Writers in the Sixteenth Century » et Elizabeth C. Goldsmith, « Seventeenth-Century Women Writers », in W. Burgwinkle, N. Hammond et E. Wilson (dir.), The Cambridge History of French Literature, Cambridge, Cambridge University Press, 2011, respectivement p. 211-219 et 306-315.

17 Pour des exemples, voir Caroline Sherman, « The Genealogy of Knowledge: The Godefroy Family, Erudition, and Legal-Historical Service to the State », thèse de doctorat, Princeton University, 2008, p. 177-195 ; Oded Rabinovitch, The Perraults: A Family of Letters in Early Modern France, Ithaca, Cornell University Press, 2018, p. 44 ; ainsi que, dans le présent numéro, le compte rendu de Laurence Giavarini, « Oded Rabinovitch, The Perraults: A Family of Letters in Early Modern France et Neil Kenny, Born to Write: Literary Families and Social Hierarchy in Early Modern France », p. 587-591. Ce phénomène semble dépasser le rôle éducatif dans l’aristocratie médiévale décrit par Michael Clanchy, « Did Mothers Teach Their Children to Read? », in C. Leyser et L. Smith (dir.), Motherhood, Religion, and Society in Medieval Europe, 400-1400: Essays Presented to Henrietta Leyser, Farnham, Ashgate, 2011, p. 129-153.

18 April Shelford, Transforming the Republic of Letters: Pierre-Daniel Huet and European Intellectual Life, 1650-1720, Rochester, University of Rochester Press, 2007, p. 77-113 ; R. A. Schneider, Dignified Retreat, op. cit., p. 107-121.

19 Nicolas Boileau, « Satire X », in Œuvres complètes, éd. par F. Escal, Paris, Gallimard, 1966, p. 62-80 ; Charles Perrault, L’apologie des femmes, Paris, Veuve J.-B. Coignard et J.-B. Coignard fils, 1694.

20 René Descartes, Lettre à Desargues, 19 juin 1639, Œuvres de Descartes, vol. 2, éd. par C. Adam et P. Tannery, Paris, J. Vrin, [1964-1974] 1996, p. 553-557, ici p. 554-555.

21 Ibid.

22 Antoine Baudeau de Somaize, Le grand dictionnaire des pretieuses, ou La clef de la langue des ruelles, Paris, chez Jean Ribou, 1660 ; cité dans Geoffrey V. Sutton, Science for a Polite Society: Gender, Culture, and the Demonstration of Enlightenment, Boulder, Westview Press, 1995, p. 103-141.

23 Antoine Baudeau de Somaize, Le dictionnaire des précieuses […], éd. par C.-L. Livet, Paris, P. Jannet, vol. 1, [1660] 1856, p. 59. Voir également G. V. Sutton, Science for a Polite Society, op. cit., p. 104-106. Selon G. V. Sutton, ces 14 cas (sur près de 300) reflètent un intérêt relativement faible pour la philosophie naturelle au sein de la « société polie », intérêt qui allait rapidement se renforcer au cours des décennies suivantes. Il me semble qu’il s’agit déjà d’une présence non négligeable, compte tenu du fait que Somaize s’intéresse en priorité à d’autres détails de la vie des figures qu’il présente.

24 Par exemple, Mercure galant, juill. 1682, p. 361-362 (publication sur la conjonction de Saturne, Jupiter et Mars) ; Mercure galant, juin 1681, p. 260-262 (histoires extraordinaires sur deux femmes enceintes). Voir également Christophe Schuwey, Un entrepreneur des lettres au xviie siècle. Donneau de Visé, de Molière au « Mercure galant », Paris, Classiques Garnier, 2020. Sur le phénomène de l’essor des revues politiques et savantes au cours de la période, voir Jean-Pierre Vittu, « Du Journal des savants aux Mémoires pour l’histoire des sciences et des beaux-arts : l’esquisse d’un système européen des périodiques savants », xviie siècle, 228, 2005-3, p. 527-545 ; Marion Brétéché et Dinah Ribard, « Qu’est-ce que les mercures au temps du Mercure galant ? », no spécial « Auctorialité, voix et public dans le Mercure galant », xviie siècle, 270, 2016-1, p. 9-22.

25 Jacques Rohault, Entretiens sur la philosophie, Paris, Michel Le Petit, 1671. L’ouvrage, structuré comme une conversation entre l’auteur et un amateur qui a dû s’enrôler dans l’armée pour maintenir le statut de sa famille, aborde notamment la physique de l’eucharistie et l’âme des animaux. Sur des sujets comme la lumière et la vue ou encore la pesanteur et le flux et reflux de la mer, voir id., Traité de physique, Paris, Veuve de Charles Savreux, 1671, respectivement vol. 1, p. 264-378 et vol. 2, p. 118-140.

26 Dans Les femmes savantes (1672), les protagonistes échangent au sujet de leurs penchants en matière de science et de philosophie et discutent des mérites respectifs d’Aristote, de Platon et de Descartes, et de leur souhait de réaliser des expérimentations : Molière, « Les femmes savantes », acte III, scène 2, in Œuvres complètes, vol. 2, éd. par M. Rat, Paris, Gallimard, 1956, p. 741-822, ici p. 783-784.

27 Hélène Merlin et Dinah Ribard, « Enfin vinrent Malherbe, Galilée, Descartes… Périodisation littéraire et périodisation culturelle : problèmes théoriques, problèmes historiques », Littératures classiques, 34, 1998, p. 47-71, ici p. 49-51.

28 Nicolas Boileau, « L’art poétique », in Œuvres complètes, éd. par F. Escal, Paris, Gallimard, 1966, p. 157-185, ici p. 160 et 167.

29 Outre H. Merlin et D. Ribard, « Enfin vinrent Malherbe, Galilée, Descartes… », art. cit., voir R. A. Schneider, Dignified Retreat, op. cit., p. 46-50.

30 Lettre de Guez de Balzac à Boisrobert, nov. 1623, Jean-Louis de Balzac, Les premières lettres de Guez de Balzac, 1618-1627, vol. 1, éd. par H. Bibas et K.-T. Butler, Paris, Droz, 1933, p. 143-148, ici p. 147 ; H. Merlin et D. Ribard, « Enfin vinrent Malherbe, Galilée, Descartes… », art. cit., p. 52. Pour une brève discussion, voir également Mathilde Bombart, « Des écritures en polémique : autour de la querelle des Lettres de Guez de Balzac (1624-1630) », Littératures classiques, 59-1, 2006, p. 173-191.

31 Jean-Pierre Cavaillé, « ‘Le plus éloquent philosophe des derniers temps’. Les stratégies d’auteur de René Descartes », Annales HSS, 49-2, 1994, p. 349-367.

32 Jean Du Hamel, Réflexions critiques sur le système cartésien de la philosophie de Mr. Régis, Paris, Edme Couterot, 1692, p. 3-4. La satire la plus féroces des protocoles universitaires chez Molière se trouve probablement dans la scène finale du Malade imaginaire (1673), où Argan devient médecin. Voir également Harcourt Brown, Science and the Human Comedy: Natural Philosophy in French Literature from Rabelais to Maupertuis, Toronto, University of Toronto Press, 1976, p. 91-98.

33 Jean-Baptiste de La Grange, Les principes de la philosophie, contre les nouveaux philosophes Descartes, Rohault, Regius, Gassendi, le P. Maignan, &c., Paris, Georges Josse, 1675, p. 42-44.

34 Ibid., p. 49-65. Dinah Ribard souligne l’importance du passage du cours oral à la forme écrite du livre dans « La science comme littérature à l’époque moderne », Littératures classiques, 85-3, 2014, p. 135-152, ici p. 141.

35 Pascal Duris, Quelle révolution scientifique ? Les sciences de la vie dans la querelle des Anciens et des Modernes, xvie- xviiie siècles, Paris, Hermann, 2016. Voir également Sophie Roux, « De la nouveauté à l’âge classique », in G. Pajonk (dir.), Concepts, cultures et progrès scientifiques et techniques. Enseignement et perspectives, Paris, Éd. du CTHS, 2009, p. 79-90. Plus largement, sur la question de savoir si la science du xviie siècle est davantage caractérisée par l’innovation ou par la continuité, voir John L. Heilbron, « Was There a Scientific Revolution? », in J. Z. Buchwald et R. Fox (dir.), The Oxford Handbook of the History of Physics, Oxford, Oxford University Press, 2013, p. 7-24 ; Stéphane Van Damme, « Un ancien régime des sciences et des savoirs », in S. Van Damme (dir.), Histoire des sciences et des savoirs, vol. 1, De la Renaissance aux Lumières, Paris, Éd. du Seuil, 2015, p. 19-20.

36 Comme l’a remarqué John Henry, les études portant sur le « contenu technique et intellectuel des sciences » permettent de mettre en évidence des continuités avec le passé tandis que les ruptures sont bien plus visibles dans l’histoire sociale du début de l’époque moderne : John Henry, « Science and the Scientific Revolution », in P. N. Stearns (dir.), Encyclopedia of European Social History: From 1350 to 2000, vol. 2, Détroit, C. Scribner’s sons, 2001, p. 77-94, ici p. 78.

37 Voir Roger Chartier, « Le monde comme représentation », Annales ESC, 44-6, 1989, p. 1505-1520.

38 Cité dans Roger Ariew, « Damned If You Do: Cartesians and Censorship, 1663-1706 », Perspectives on Science, 2-3, 1994, p. 255-274, ici p. 257-258 ; Francisque Bouillier, Histoire de la philosophie cartésienne, vol. 1, Paris, C. Delagrave et cie, [1842] 1868, p. 469.

39 Sophie Roux, « The Condemnations of Cartesian Natural Philosophy under Louis XIV (1661-91) », in S. Nadler, T. M. Schmaltz et D. Antoine-Mahut (dir.), The Oxford Handbook of Descartes and Cartesianism, Oxford, Oxford University Press, 2019, p. 755-779, en particulier p. 756-765 ; plus largement, voir Stéphane Van Damme, Descartes. Essai d’histoire culturelle d’une grandeur philosophique, Paris, Presses de Sciences Po, 2002.

40 [François Bernier], Requeste des maistres ès arts, professeurs et régens de l’Université de Paris […], À Delphe [sic], Societé des imprimeurs ordinaires de la Cour de Parnasse [adresse fantaisiste], 1671.

41 Nicholas Dew, Orientalism in Louis XIV’s France, Oxford, Oxford University Press, 2009, p. 131 ; Faith E. Beasley, Versailles Meets the Taj Mahal: François Bernier, Marguerite de La Sablière, and Enlightening Conversations in Seventeenth-Century France, Toronto, University of Toronto Press, 2018, en particulier les chapitres 1 et 2 sur le milieu fréquenté par Bernier dans les années 1670, bien que l’Arrêt ne soit pas abordé.

42 Jean Luc Robin, « L’Indiscipline de l’Arrêt burlesque et les deux voies de la légitimation du discours scientifique », Seventeenth-Century French Studies, 29-1, 2007, p. 101-111, ici p. 107. Sur le texte, voir H. Brown, Science and the Human Comedy, op. cit., p. 102-105 ; Gad Freudenthal, « Littérature et sciences de la nature en France au début du xviiie siècle : Pierre Polinière, l’introduction de l’enseignement de la physique expérimentale à l’Université de Paris et l’Arrêt burlesque de Boileau », Revue de Synthèse, 99-100, 1980, p. 267-295.

43 Boileau réécrivit le texte en 1701, ainsi que l’explique son éditeur du xviiie siècle dans Nicolas Boileau, « Arret burlesque, donné en la grand’chambre du Parnasse […] », in Œuvres de Mr. Boileau Despréaux […], vol. 2, Genève, Fabri et Barrillot, 1716, p. 237-242, ici p. 237.

44 Pour P. Duris, ce texte « donne en effet en creux une première image assez précise des principales figures et découvertes revendiquées par la science moderne dans le dernier tiers du xviie siècle » (P. Duris, Quelle révolution scientifique ?, op. cit., p. 203-209, ici p. 204).

45 [F. Bernier], Requeste des maistres ès arts…, op. cit., p. 7-8.

46 N. Boileau, « Arrêt burlesque… », op. cit., p. 325-330, ici p. 327-328.

47 Ibid., p. 328.

48 [F. Bernier], Requeste des maistres ès arts…, op. cit., préface, p. 3-4.

49 Nicolas Boileau, Œuvres diverses du Sr Boileau Despréaux, avec le Traité du sublime, ou du merveilleux dans le discours […], Paris, Denys Thierry, 1701, p. 292.

50 [F. Bernier], Requeste des maistres ès arts…, op. cit., p. 4.

51 Ibid., p. 9.

52 François Bernier, Abrégé de la philosophie de Gassendi, Lyon, Anyson et Posuel, 8 vol., 1678.

53 Gabriel Guéret, La guerre des autheurs anciens et modernes, avec la Requeste et arrest en faveur d’Aristote, La Haye, Arnoult Leers, 1671 ; Paris, Bibliothèque nationale de France, R-9438, [François Bernier], Requeste des maistres ès arts, professeurs et régents de l’Université de Paris […], Libreville, Jacques Le Franc, 1702 [le lieu de publication et la maison d’édition sont de toute évidence fictifs afin de protéger l’éditeur à l’origine de cette version piratée], p. 13 et 15 pour les mises à jour de la version de 1671. Une édition autonome datant de 1674 existerait, mais il semble impossible de la trouver dans les collections publiques. La bibliothèque Gottfried Wilhelm Leibniz de Hanovre possède un exemplaire (Lr 8049) apparemment publié en 1672, ce qui atteste l’existence probable d’une édition supplémentaire.

54 Arrêt burlesque donné sur requête et par défaut en la grand’chambre du Parnasse Ilinois et Huron [...], s. l., de l’imprimerie de la Cour, 1770 (il s’agit d’une satire de Jacques-C.-François de La Perrière de Roiffé, Nouvelle physique céleste et terrestre […], Paris, Delalain, 3 vol., 1766) ; Requête burlesque, et arrêt de la Cour du Parlement, concernant la suppression du magnétisme animal, s. l. [Paris], s. n., 1785.

55 Comme on peut le voir, par exemple, dans Nicolas Boileau et Jacques de Losme de Montchesnay, Bolaeana, ou Bons mots de M. Boileau […], Amsterdam, Lhonoré, 1742. La version plus courte de Boileau fut également incluse dans une publication d’un adversaire de Descartes, qui l’utilisa pour documenter les nombreuses critiques injustifiées adressées à l’université de Paris par les partisans du philosophe : François Babin, Journal ou Relation fidelle de tout ce qui s’est passé dans l’Université d’Angers au sujet de la philosophie de Des Carthes […], s. l., s. n., 1679, p. 18-19.

56 Je cite l’édition augmentée de 1702 : Gabriel Daniel, Voyage du monde de Descartes, Paris, Nicolas Pépie, 1702. Sur le texte, voir H. Merlin et D. Ribard, « Enfin vinrent Malherbe, Galilée, Descartes… », art. cit., p. 60-68 ; Jean-Luc Solère, « Un récit de philosophie-fiction : Le Voyage du monde de Descartes du Père Gabriel Daniel », Uranie. Mythes et littératures, 4, 1994, p. 153-184 ; Nicolas Corréard, « Voyager dans le monde des idées : le roman de la philosophie naturelle selon Margaret Cavendish et Gabriel Daniel », xviie siècle, 280, 2018, p. 411-432 ; Justin Smith, « Gabriel Daniel: Descartes through the Mirror of Fiction », in S. Nadler, T. M. Schmaltz et D. Antoine-Mahut (dir.), The Oxford Handbook of Descartes and Cartesianism, op. cit., p. 791-803.

57 G. Daniel, Voyage du monde de Descartes, op. cit., p. 346.

58 Ibid., p. 343-353, citation p. 348.

59 Pour une démonstration, voir Laurence Brockliss, « Aristotle, Descartes and the New Science: Natural Philosophy at the University of Paris, 1600-1740 », Annals of Science, 38-1, 1981, p. 33-69. Pour une analyse du débat sur le rapport à la science des universités à l’époque moderne, en particulier dans le contexte anglais, voir Mordechai Feingold, « Between Teaching and Research: The Place of Science in Early Modern English Universities », in M. Feingold et G. Giannini (dir.), The Institutionalization of Science in Early Modern Europe, Leyde, Brill, 2020, p. 3-19.

60 Daniel reconnaît l’existence des lunes de Jupiter dans la description du monde élaboré par Descartes, mais ne dit rien du contexte de leur découverte : G. Daniel, Voyage du monde de Descartes, op. cit., p. 321.

61 Les Jésuites reconnurent l’existence des phases de Vénus en 1611, neuf ans avant d’accepter formellement le modèle tychonique, en dépit de son implication dévastatrice pour les modèles géocentriques : Mario Biagioli, Galileo’s Instruments of Credit: Telescopes, Images, Secrecy, Chicago, The University of Chicago Press, 2006, p. 155, n. 33.

62 C’est le sujet principal du livre 5 (G. Daniel, Voyage du monde de Descartes, op. cit., p. 427-516). Une version antérieure de ce livre a été publiée sous le titre Nouvelles difficultez proposées par un péripatéticien à l’auteur du « Voyage du monde de Descartes ». Touchant la connoissance des bestes […], Paris, Vve de S. Benard, 1693. Le texte a été publié anonymement, mais Antoine-Alexandre Barbier a identifié G. Daniel comme étant l’auteur : Antoine‑Alexandre Barbier, Dictionnaire des ouvrages anonymes, vol. 3, 3e édition, Paris, Paul Daffis, 4 vol., 1872-1879, p. 569-570.

63 G. Daniel, Voyage du monde de Descartes, op. cit., p. 175.

64 Ibid., p. 343.

65 Ibid., p. 342-345.

66 H. Merlin et D. Ribard, « Enfin vinrent Malherbe, Galilée, Descartes… », art. cit., p. 60.

67 M. G. de l’A. [Pierre-Daniel Huet], Nouveaux mémoires pour servir à l’histoire du cartésianisme, s. l., s. n., 1692. Pour éclairer ce qui conduit P.-D. Huet à « jeter l’éponge » et à s’en remettre « à la dérision, à l’hyperbole et aux grossières attaques personnelles » dans les Nouveaux mémoires, voir Thomas M. Lennon, « Pierre-Daniel Huet, Skeptic Critic of Cartesianism and Defender of Religion », in S. Nadler, T. M. Schmaltz et D. Antoine-Mahut (dir.), The Oxford Handbook of Descartes and Cartesianism, op. cit., p. 780-790, ici p. 787.

68 G. Daniel, Voyage du monde de Descartes, op. cit., p. 258.

69 Ibid., p. 254-257 et 271-279.

70 Ibid., p. 261-269, citation p. 268. Pour la biographie de Pascal, voir Gilberte Périer, « La vie de Monsieur Pascal, écrite par Madame Périer, sa sœur », in B. Pascal, Œuvres complètes, éd. par J. Chevalier, Paris, NRF, 1954, p. 3-34, ici p. 4-5 (sur la reconstitution par le jeune Pascal des 32 premières propositions d’Euclide).

71 Gabriel Daniel, Entretiens de Cleandre et d’Eudoxe, sur les Lettres au Provincial, Cologne, Pierre Marteau, 1694, en particulier p. 2-9 pour la critique de Perrault. Le nom de cet éditeur était traditionnellement utilisé pour les versions piratées ou non autorisées.

72 [Pasquier Quesnel], Le roman séditieux du Nestorianisme renaissant [], s. l., s. n., [1693], p. 1 ; [Gabriel Daniel], Lettre apologétique de l’auteur du « Voyage du monde de Descartes » accusé faussement dans un écrit intitulé « Le roman séditieux, etc. » […], s. l., s. n., 1693. Sur le contexte d’ensemble de ces polémiques, voir Jean-Pascal Gay, Morales en conflit. Théologie et polémique au Grand Siècle, 1640-1700, Paris, Éd. du Cerf, 2011.

73 Gabriel Daniel, A Voyage to the World of Cartesius, trad. par T. Taylor, Londres, Thomas Bennet, [1690] 1692 ; Nicolas Malebranche, Father Malebranche his Treatise Concerning the Search after the Truth […], trad. par T. Taylor, Londres, W. Boyer et al., [1674-1675] 1700.

74 Augustin de Backer, Bibliothèque des écrivains de la Compagnie de Jésus, ou Notices bibliographiques, vol. 1, Liège, impr. de L. Grandmont-Donders, 1853, p. 241 ; Francisco Aguilar Piñal, Bibliografía de autores españoles del siglo xviii, vol. 1, Madrid, Instituto de folologia Miguel de Cervantes, 1981, p. 151.

75 Christiaan Huygens, Œuvres complètes, La Haye, Martinus Nijhoff, 22 vol., 1888-1950, vol. 9, p. 301-302. Ni la lettre ni la réponse n’ont été conservées. Les notes utilisées par Huygens pour sa réponse mentionnent la thèse de son correspondant présumé, probablement Charles Perrault.

76 Ibid.

77 Charles Perrault, Parallèle des Anciens et des Modernes en ce qui regarde les Arts et les Sciences […], Paris, Veuve J.-B. Coignard et J.-B. Coignard fils, 4 vol., 1688-1697.

78 Sara E. Melzer, Colonizer or Colonized: The Hidden Stories of Early Modern French Culture, Philadelphie, University of Pennsylvania Press, 2012, p. 125.

79 Cité dans Larry F. Norman, The Shock of the Ancient: Literature and History in Early Modern France, Chicago, The University of Chicago Press, 2011, p. 40 ; voir P. Duris, Quelle révolution scientifique ?, op. cit., p. 251-257 et 262-266 sur le Parallèle de Perrault.

80 C. Perrault, Parallèle des Anciens et des Modernes…, op. cit., préface du vol. 2 (pages non numérotées) ; voir également la préface du volume 4.

81 C. Perrault, Parallèle des Anciens et des Modernes…, op. cit., vol. 4, p. 123-230, en particulier p. 182-230 au sujet de l’âme des animaux et du rapport de cette question à la raison.

82 Voir notamment Ingrid D. Rowland et Noah Charney, The Collector of Lives: Giorgio Vasari and the Invention of Art, New York, W. W. Norton & Co., 2017 et Dániel Margócsy, « The Global Reception of Stradanus and the Political Use of the Nova Reperta », in L. Markey (dir.), Renaissance Invention: Stradanus’s Nova Reperta, Evanston, Northwestern University Press, 2020, p. 115-133. Sur le patronage scientifique, voir Aurélien Ruellet, La maison de Salomon. Histoire du patronage scientifique et technique en France et en Angleterre au xviie siècle, Rennes, PUR, 2016.

83 Pour des interprétations divergentes du conflit entre l’importance de la vérité et l’utilité pour les patrons dans le cas paradigmatique de Galilée, voir Mario Biagioli, Galileo, Courtier: The Practice of Science in the Culture of Absolutism, Chicago, The University of Chicago Press, 1993, en particulier chap. 1 ; Robert S. Westman, The Copernican Question: Prognostication, Skepticism, and Celestial Order, Berkeley, University of California Press, 2011, en particulier p. 436-440. Sur la tension constitutive entre contemplation des vérités naturelles et utilité scientifique, voir Peter Dear, « What Is the History of Science the History Of? Early Modern Roots of the Ideology of Modern Science », Isis, 96-3, 2005, p. 390-406.

84 Bernard Lamy, Entretiens sur les sciences […], éd. par F. Girbal et P. Clair, Paris, PUF, 1966, p. 256. Sur l’interdiction d’enseigner prononcée à l’encontre de B. Lamy, voir Fred Ablondi, « Bernard Lamy, Empiricism, and Cartesianism », History of European Ideas, 44-2, 2018, p. 149-158, ici p. 152-153.

85 B. Lamy, Entretiens sur les sciences […], op. cit., p. 257-259.

86 Ibid., p. 256.

87 Pour une analyse approfondie, voir Roger Cooter et Stephen Pumfrey, « Separate Spheres and Public Places: Reflections on the History of Science Popularization and Science in Popular Culture », History of Science, 32-3, 1994, p. 237-267, et comparer avec Emma C. Spary, Eating the Enlightenment: Food and the Sciences in Paris, 1670-1760, Chicago, The University of Chicago Press, 2012.

88 C. Perrault, Parallèle des Anciens et des Modernes…, op. cit., vol. 4, p. 62, 265, 276 et 290.

89 [F. Bernier], Requeste des maistres ès arts…, op. cit., p. 8. Si Charles Perrault essaye de faire valoir Claude comme une autorité en matière de musique ancienne, ce dernier reste aujourd’hui connu comme architecte et membre de l’Académie royale des sciences.

90 Pour une lecture différente du rôle esthétique de la technique dans le texte, voir Anthony Saudrais, « Le pouvoir de la mécanique et la mécanique du pouvoir. Le progrès technique dans l’imaginaire de Charles Perrault », in C. Bahier-Porte et D. Reguig (dir.), Anciens et Modernes face aux pouvoirs, p. 287-302.

91 C. Perrault, Parallèle des Anciens et des Modernes…, op. cit., vol. 4, p. 178-181.

92 O. Rabinovitch, The Perraults, op. cit., p. 106-110.

93 Sur l’essor de la recherche dans le domaine des relations entre science et littérature, voir par exemple Frédérique Aït-Touati, Contes de la Lune. Essai sur la fiction et la science modernes, Paris, Gallimard, 2011. Voir également les approches mises en avant par Howard Marchitello et Evelyn Tribbles (dir.), The Palgrave Handbook of Early Modern Literature and Science, Londres, Palgrave Macmillan, 2017.

94 Charles Perrault, Parallèle des Anciens et des Modernes, 2e édition, Paris, Veuve J.‑B. Coignard et J.-B. Coignard fils, 2 vol., 1692-1693, publié simultanément avec le troisième volume de la première édition.

95 Pour ses nécrologies, voir Mercure galant, mai 1703, p. 232-253 ; Abbé Tallemant, « Eloge funèbre de Mr. Perrault », in Recueil des harangues prononcées par Messieurs de l’Académie françoise, dans leurs réceptions, & en d’autres occasions differentes, depuis l’establissement de l’Académie jusqu’à présent, vol. 2, Amsterdam, aux dépens de la Compagnie, 1709, p. 591-602 ; Journal des sçavans, 10 mars 1704, p. 174-176.

96 D. Ribard, Raconter, vivre, penser, op. cit. ; O. Rabinovitch, The Perraults, op. cit., p. 17-19.

97 I. Bernard Cohen, « The Eighteenth-Century Origins of the Concept of Scientific Revolution », Journal of the History of Ideas, 37-2, 1976, p. 257-288. Pour une discussion sur l’hypothèse de continuités avec la querelle des Anciens et des Modernes, voir Catherine Fricheau, « Des Modernes aux Encyclopédistes. Le bon sens de l’idée de progrès ? », Dix-huitième siècle, 40-1, 2008, p. 543-559.

98 Louis Moréri, Le grand dictionnaire historique, ou le Mélange curieux de l’histoire sacrée et profane […], Lyon, J. Girin et B. Rivière, [1674] 1683 ; id., Le grand dictionnaire historique […] Nouvelle édition, Paris, Les libraires associés, 1759 ; Jean Le Rond d’Alembert, « Discours préliminaire des éditeurs », in D. Diderot et J. Le Rond d’Alembert (dir.), Encyclopédie, ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, etc., University of Chicago, ARTFL Encyclopédie Project, édition automne 2017, éd. par R. Morrissey et G. Roe, http://encyclopedie.uchicago.edu.

99 Voir, par exemple, la préface de Lissa Roberts et Simon Schaffer à Lissa Roberts, Simon Schaffer et Peter Dear (dir.), The Mindful Hand: Inquiry and Invention from the Late Renaissance to Early Industrialisation, Amsterdam, Koninkliijke Nederlandse Akademie van Wetenschappen, 2007, p. xiii-xiv.

100 Voir A. Viala, Naissance de l’écrivain, op. cit., p. 306, colonne 9 du tableau.

101 Si les érudits français ont découvert Newton assez tôt, ce n’est qu’après 1730 que le scientifique anglais est devenu le symbole de la période de progrès scientifiques : John Bennett Shank, The Newton Wars and the Beginning of the French Enlightenment, Chicago, The University of Chicago Press, 2008 ; id., Before Voltaire, op. cit. Sur Newton dans le contexte de la querelle des Anciens et des Modernes, voir Christoph Lehner et Helge Wendt, « Mechanics in the Querelle des Anciens et des Modernes », Isis, 108-1, 2017, p. 26-39.

102 Pour des exemples illustrant cette question des dynamiques nationales (quand bien même certains sont contestés par des travaux plus récents), voir J. Ben-David, The Scientist’s Role in Society, op. cit., p. 64-65 (sur le déclin de la science italienne au xviie siècle) ou p. 97-100 (sur le fait que le succès de la science française au cours des premières décennies du xixe siècle tient davantage à la dynamique des Lumières qu’aux réformes de la Révolution française ou de Napoléon).

103 H. F. Cohen, How Modern Science Came into the World, op. cit., p. 565-594 ; Domenico Bertoloni Meli, Thinking with Objects: The Transformation of Mechanics in the Seventeenth Century, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 2006, p. 161-165.

104 Peut-être aussi parce que ces textes s’écartaient du modèle du « manuel » qui était, selon la formule de Thomas Kuhn, le principal mode de transmission des nouveaux paradigmes : Thomas S. Kuhn, The Structure of Scientific Revolutions, Chicago, The University of Chicago Press, [1962] 1970, p. 136-143.

105 Pour une analyse d’ensemble, voir par exemple Paul A. David, « The Historical Origins of ‘Open Science’: An Essay on Patronage, Reputation and Common Agency Contracting in the Scientific Revolution », Capitalism and Society, 3-2, 2008, https://papers.ssrn.com/sol3/papers.cfm?abstract_id=2209188#.