Au cours des années de grande prospérité qui ont précédé la crise, le législateur a introduit dans l’ensemble de nos lois industrielles une série de réformes.

L’expérience de deux années de mise en application de ces lois a démontré que si la plus grande partie des textes nouveaux donnaient satisfaction, certaines dispositions suscitaient des critiques graves et ouvraient la porte à d’incontestables abus.

En outre, les évaluations de dépenses du Ministère de l’Industrie, du Travail et de la Prévoyance Sociale ayant été fortement sous-estimées sur plusieurs points, on s’est vivement préoccupé en 1932 — et il faudra poursuivre energiquement cette étude en 1933 — des répercussions des nouvelles dispositions appliquées sur les finances de l’État.

Nous passerons successivement en revue l’application de la législation existante, les mesures d’exécution prises dans le courant de l’année; nous y ajouterons quelques précisions sur les modifications qui ont dû être apportées à notre législation sociale elle-même.

Les événements économiques intéressant l’agriculture mondiale ayant une répercussion très sensible, directe ou indirecte, sur notre agriculture, il semble indiqué de jeter un rapide coup d’œil sur les premiers avant d’aborder l’exanien de la situation de celle-ci. Cette enquête préalable sur les principaux changements survenus à l’étranger, dans le domaine de la production et des prix des denrées agricoles, sera forcément limitée et incomplète; mais elle fournira cependant des éléments d’appréciation intéressants. Elle contribuera, pensons-nous, à faciliter la compréhension de l’exposé qui suivra. Et si nous n’analysons pas les modifications les plus caractéristiques, apportées en 1932, à la politique douanière, c’est parce que cet exposé mériterait d’être l’objet d’un article spécial.

Par des indications sommaires publiées dans les journaux il y a quelque temps déjà, on sait d’une manière générale que le commerce extérieur du Congo Belge a été en 1931 en forte régression sur les années précédentes. Il s’agit maintenant, à l’aide de la statistique officielle parue récemment, de donner des précisions sur l’importance de ce recul et de déterminer quels éléments de l’économie coloniale en ont été le plus ou le moins affectés. Les chiffres dont nous nous servons, sont les totaux du commerce spécial, pour une vue d’ensemble, d’abord; et, ensuite, pour une analyse plus approfondie, ceux des groupes principaux de marchandises représentant environ 97 % de l’ensemble, tant à l’exportation qu’à l’importation. Ces groupes sont les mêmes que ceux que nous avons étudiés ici l’an dernier pour la période de 1927 à 1930. Ils correspondent aux facteurs essentiels de l’activité industrielle et commerciale de la Colonie. En se reportant à cette étude, lés comparaisons s’établiront aisément. Nous nous bornerons toutefois, en général, à la comparaison entre 1930 et 1931.

Le chômage est, chacun le sait, l’un des aspects les plus graves de la crise actuelle. Pendant l’année 1931, malgré la stagnation générale des affaires dans le monde, l’industrie belge était restée dans une situation relativement satisfaisante, si on la compare à celle régnant en Allemagne, en Grande-Bretagne, aux États-Unis. En 1932, l’équilibre ainsi atteint s’est trouvé détruit par suite des mesures protectionnistes des pays étrangers. L’avantage qu’assurait à la production belge la modération de ses prix de revient était suffisant pour lui permettre de triompher jusqu’à un certain point et au prix de durs sacrifices pour les chefs d’entreprises des droits d’entrée raisonnables qui lui étaient opposés jusqu’alors. Aujourd’hui des murailles vraiment infranchissables sont dressées, et les marchés qu’elles protègent se sont fermés pour nous. Ces murailles seront-elles abaissées quelque jour? Il faut l’espérer, et peutêtre les peuples qu’elles enserrent seront-ils les premiers à le demander…

La bourse a souffert pendant toute l’année 1932 du manque d’activité déjà signalé antérieurement. Il en fut du reste ainsi sur toutes les places du monde, et à tout prendre l’atonie a peut-être été moins grande en Belgique qu’ailleurs. La Caisse de liquidations du comptant de la bourse de Bruxelles faisait mensuellement pour 1.300 millions d’opérations au premier semestre de 1929; elle descendit à 273 millions en juin 1932, et la moyenne de l’année s’établit à quelque 335 millions. Le mouvement du marché à terme a diminué à peu près dans la même mesure. Il y a naturellement forte régression dans les transactions, mais étant donné la chute des cours on pouvait craindre pis. L’examen du détail de ces chiffres révèle l’existence de deux réveils de la spéculation, le premier en mars, le second en septembre. L’un et l’autre furent de brève durée, et suivis d’une rechute dans l’apathie. Mais tout compte fait, le second semestre n’a plus été témoin d’un nouvel effondrement des cours, ce qu’il convient de souligner, car précédemment cette période était ordinairement moins favorable.

Dans le monde entier, la situation des finances publiques n’a guère été brillante pendant l’année qui vient de s’écouler, et la persistance de la crise universelle a augmenté partout les difficultés des gouvernants. Au cours de 1932, les points sombres n’ont pas fait défaut dans le tableau de l’économie belge, mais celui des finances de l’État a été sans contredit l’un des plus noirs. En dépit des essais répétés de redressement budgétaire, les dépenses n’ont cessé de dépasser les ressources courantes, et, vivant d’expédients, la Trésorerie s’est trouvée la plupart du temps dans une situation très précaire.

L’année qui vient de s’écouler n’a pas apporté d’amélioration dans la situation défavorable de l’industrie textile belge, telle qu’elle avait été signalée dans les rapports précédents. Cette dépression date du second trimestre de 1928 pour l’industrie lainière, et de la fin de cette même année pour les industries cotonnière et linière; elle s’était accentuée nettement dans le courant des années 1929 et 1930 et fortement aggravée en 1931, particulièrement au moment où la chute de la Livre anglaise et l’application des droits Runciman portèrent un nouveau coup à l’exportation des produits textiles belges.

Dans l’étude que nous consacrions, dès le début de l’an dernier, à la crise charbonnière belge, nous faisions ressortir l’analogie frappante qui nous paraissait exister, sous plusieurs rapports, « entre la crise charbonnière commencée en 1930, et celle qui sévit entre les années 1884 et 1888… ». Et après avoir mis en lumière ces remarquables similitudes, nous faisions allusion « aux grèves et aux troubles de 1886 ».

L’année 1932 est venue apporter à ces perspectives une confirmation que nous n’avons pas désirée. En d’autres termes, elle a vu se produire l’inévitable transposition sur le plan social, de la fâcheuse situation économique dans laquelle nos houillères ont été mises.

Cette situation, dont notre précédente étude faisait apparaître l’exceptionnelle gravité, a encore empiré pendant les six premiers mois de 1932. Devenue franchement intenable, elle a donné naissance à l’explosion gréviste de juillet-août. Cette violente convulsion a eu pour conséquence un certain assainissement du marché belge de la houille, qui s’est traduit par la diminution des stocks au cours du second semestre, et par la consolidation des prix autour de leurs niveaux minima.

A la fin de l’année 1932 la Société Nationale des Chemins de Fer a dû clôturer le plus mauvais exercice depuis le début de la crise et même depuis sa création en 1926.

Les causes de ce résultat défavorable doivent être recherchées avant tout dans la forte régression du trafic ferroviaire au cours de l’année écoulée. L’aggravation de la crise industrielle, la stagnation des affaires, la diminution du commerce extérieur et du transit, la crise dans les ports maritimes, les obstacles de la politique commerciale, le ralentissement de la consommation et le chômage, sont autant de facteurs de dépression dont il faut tenir compte en analysant l’activité de nos chemins de fer en 1932.

C’est une tâche assez audacieuse que d’analyser les statistiques de notre commerce extérieur dans une année aussi anormale, où tous les moyens psychologiques et politiques ont été mis en œuvre dans le monde pour disloquer le mécanisme des échanges internationaux, si durement atteint par la crise générale. Vouloir démêler parmi ces causes de désordre les phénomènes durables, susceptibles de situer la tendance commerciale de notre pays, ce serait s’attacher à résoudre un problème insoluble, du moins aujourd’hui. La tentative d’exploration que l’on trouvera ci-dessous ne veut et ne peut être qu’un essai d’inventaire à vérifier plus tard.

Il y a trois mois, nous concluions notre chronique trimestrielle par le jugement suivant : « On peut considérer, grâce à la concordance des divers éléments d’appréciation, que nous sommes entrés depuis quelque temps dans le stade de la dépression proprement dite. Il est prématuré de parler d’une vraie reprise, qui ne s’opérera d’ailleurs que lentement et par à-coups et dont les premiers stades se distingueront à peine de l’état de dépression. »

Une observation portant sur quelques mois de plus a permis de vérifier ce diagnostic, d’en préciser certaines modalités, de mieux déterminer les conséquences de l’évolution qui s’est faite au cours de l’année 1932. Abordant également le problème sur le plan plus étroit des événements des tous derniers mois, nous devrons chercher les raisons et les caractères de l’état languissant des marchés dans un passé très récent, voir en quoi cette conjoncture toute actuelle peut se différencier des événements de la période précédente.

Par suite d’un arrangement conclu avec l’« Instituto di Statistica della Reale Universita di Roma », nous sommes heureux de pouvoir présenter trimestriellement à nos lecteurs, un aperçu de la conjoncture économique de l’Italie. En échange de ces intéressants renseignements, un résumé de nos conclusions paraît dans la « Vita Economica Italiana », revue trimestrielle de conjoncture, publiée sous les auspices de l’« Instituto di Statistica della R. Universita di Roma ».

Au cours de l’année 1932, la production sidérurgique belge a poursuivi la marche régressive commencée en 1930. Jusqu’en 1926 la production de fonte et d’acier en Belgique avait connu un élan remarquable; de la fin de 1926 au début de 1930 l’essor fut moindre : nous trouvons même un léger recul en 1927, suivi d’une avance assez forte en 1929. En 1930 nous sommes ramenés brusquement au niveau de 1926; en 1931 et 1932 la chute continue, coupée par quelques petits mouvements plutôt favorables.

C’est ainsi que la production de fonte est revenue de 4.040.000 T. en 1929 à 2.783.000 T. en 1932, soit donc une diminution de 31 %. Pour l’acier brut le recul est parallèle : nous trouvons 2.758.000 T. contre 4.011.000 T. La. province de Liége fut plus fortement atteinte par les effets de la crise; pendant l’année sous revue, par exemple, la production y a baissé de 15,8 % contre 13,8 % dans le Hainaut, qui cependant avait souffert davantage des grèves de juillet, et possède un nombre moins élevé de hauts fourneaux en activité.

L’industrie belge des peaux et cuirs qui, avec l’industrie textile, a été atteinte très tôt par la crise, a continué à être largement influencée au cours de l’année 1932 par le marasme général. Mais au cours du second semestre la tendance des prix de gros à se consolider a été nettement ressentie sur les marchés des matières premières animales constituées par les peaux brutes, qui sont des plus sensibles à l’état général des affaires; l’avenir peut être entrevu avec une nuance un peu plus réconfortante qu’à la fin de l’année 1931.

La crise économique, comme on devait le prévoir, n’a pas épargné le marché immobilier ni les diverses industries connexes à celle du bâtiment.

Au cours des années 1928 et 1929, la fièvre spéculative avait éveillé dans beaucoup d’esprits par ailleurs très prudents, la tentation fascinante du gain facile et rapide; et ainsi d’importants capitaux furent distraits du marché immobilier auquel ils étaient normalement destinés. Nous trouvons donc ce marché dans un certain assoupissement au moment de la débâcle financière, ou plus exactement, moins actif qu’on ne s’y serait attendu.

Sans doute, les gros immeubles ne restaient pas sans acquéreurs et des transactions s’effectuaient, mais ici comme ailleurs, l’élément spéculatif était prédominant. Le prix de construction des immeubles haussait sans arrêt : les matériaux et les salaires devenaient de plus en plus coûteux. Cette hausse provenait naturellement d’une forte demande, et d’une activité anormale. Mais c’était là le résultat de la politique poursuivie en matière d’immobilisations industrielles et de grands travaux entrepris à cette époque.

Il semble permis de fixer, avec une certaine approximation, la dette hypothécaire de la Belgique. Le montant des prêts est révélé par le droit d’inscription perçu au profit du Trésor au moment même où se prend l’inscription au bureau des hypothèques. L’annuité hypothécaire étant connue, le volume de la dette hypothécaire existante à ce jour s’obtient en multipliant cette annuité par un nombre d’années correspondant à la vie normale des prêts.