Louable est le dessein de nous donner de l'Europe un visage qui soit vraiment européen, et non plus français, ou allemand, ou italien, conformément à ce qu'on pourrait dénommer le très traditionnel « nationalisme historiographique ». D'autant plus que la collaboration « internationale », requise pour l'élaboration et la réalisation d'une entreprise aussi vaste, fournira une sorte de test en matière de travail d'équipe. Heureuse donc, à ce point de vue encore, l'initiative en question ; patronnée qu'elle se présente, au reste, par des maîtres dont l'autorité ne se discute guère et qui ont noms : Max Beloff, Pierre Renouvin, Franz Schnabel, Franco Valsecchi, avec, pour assumer le secrétariat de ce remarquable comité de direction, Romain Rainero de l'Istituto per gli Studi di Politica Internazionale de Milan.

Les pages de Lucien Febvre que l'on vient de relire ont donc près de vingt-cinq ans. Patiemment reprise depuis lors, c'est seulement en 1957 qu'a été suspendue la nouvelle enquête par correspondance annoncée plus haut. Nous en sommes, à nos propres risques, les premiers exploitants.

Cette enquête porte sur les usages conservés ou remémorés par les « anciens », parfois déjà notés par les enquêteurs au cours de recherches personnelles. Nous avons retenu pour l'ensemble de ces observations la date la plus souvent évoquée : celle de 1914. Elle ne vaut, bien entendu, qu'en général et en gros.

Ce qui distingue cette seconde enquête de la première, avons-nous dit, c'est la densité supérieure de ses points d'observation.

Les franges subdésertiques englobent, avec l'Afrique du Nord, la Méditerranée Orientale, le Moyen-Orient, l'Asie Centrale, une grande partie de la Chine, l'Afrique du Sud, l'Australie, les rivages méridionaux du Sahara ; dans le Nouveau Monde, pour une part, le Mexique, les Etats- Unis, de larges secteurs andins ou sud-américains. Ce sont là d'immenses pays aux maigres ressources végétales. Et pourtant la plupart des premières civilisations sont nées dans ces pays apparemment peu avantagés. D'Egypte aux Indes, et en Chine, en passant par la Palestine, la Syrie, l'Irak, l'Iran et l'Asie Centrale, se situent les grands foyers de l'humanité protohistorique. Vérité générale et donc vérités particulières : en Afrique du Nord, la civilisation punique a précédé de beaucoup Rome ou l'Islam ; en Amérique, le point de départ des civilisations précolombiennes doit être situé dans des zones géographiques analogues.

Le XIe Congrès International des Sciences Historiques, tenu en août 1960 à Stockholm, n'avait fait, dans son programme officiel, qu'une place limitée à l'histoire économique. Cette lacune, qui, dans l'état actuel de la recherche, aurait été, pour le moins, regrettable, a été fort heureusement comblée grâce à l'initiative agissante des professeurs Postan de Cambridge, Sôderlund de Stockholm et Braudel. Cette initiative a abouti à la Première Conférence Internationale d'histoire économique, à Stockholm, les 17 et 18 août derniers. De cette conférence elle-même, des nombreuses, des passionnantes perspectives ouvertes à nos recherches, par les discussions, nous ne dirons rien, dans ce compte rendu à dessein « statique ».

S'IL n'était lui-même responsable du retard, l'auteur du présent compte rendu s'étonnerait que les Annales ne signalent qu'aujourd'hui l'ouvrage capital de François Perroux, La coexistence pacifique . A dire vrai, le délai qui s'est écoulé depuis la publication de ce livre apporte un témoignage supplémentaire de sa valeur : bâti sur les données immédiates de la politique et de l'économie mondiales, ce livre se situe au-delà de l'actualité ; il restera certainement source de réflexion et — il faut le souhaiter — d'inspiration pendant longtemps. Il s'agit d'un véritable essai d'explication économique et politique de notre temps. Le titre de chacun des trois tomes en dit long déjà sur l'ampleur de l'étude : I, « Industrialisés » ou « Non-industrialisés » ? ; II, Pôles de développement ou nations ? ; III, Guerre ou partage du pain ? « Soutenu par une foi inébranlable et raisonnée dans les ressources inépuisables de l'esprit et du c œur humains », l'auteur s'adresse à l'économiste en même temps qu'à l'homme d'Etat, mais aussi à tous ceux qui ont compris qu'aujourd'hui, plus que jamais, le métier d'homme exige de chacun la conscience d'être un citoyen du monde.

Cet article est entièrement écrit dans les marges de deux livres, deux grands livres : Dutck in Brazil (1624-1654) de Charles Ralph Boxer, qui a déjà trois ans, et le Portugal et l'Atlantique au XVIIe siècle de Frédéric Mauro, qui vient de paraître.

Dans Dutch in Brazil, la critique unanime a salué l'ouvrage d'un très grand historien, rendant hommage à ses qualités de sérieux, de sérénité, de finesse, de pénétration psychologique, d'instinctive élégance, toutes qualités qui marquent l'oeuvre entière du plus grand lusitanisant et d'un des plus grands orientalistes — faut-il ajouter d'un des plus parfaits « honnêtes hommes » de notre temps ? Mais a-t-on bien vu, a-t-on écrit suffisamment ce que ce livre apporte de neuf, de constructif, de décisif pour une meilleure compréhension du Brésil, voire de l'Atlantique et de l'Europe ?

Les mouvements de longue durée, qui sous-tendent toute histoire, même quotidienne, de la vie matérielle, notamment celle de l'alimentation, n'ont encore retenu ni l'attention, ni la passion des historiens français. Aussi bien les deux articles allemands anciens que nous voulons mettre en cause aujourd'hui, sur la production et la consommation de viande en Allemagne, du Moyen Age au XIXe siècle, sont restés à tel point ignorés des érudits français que la thèse présentée en 1871 par Gustav Schmoller, puis mise vigoureusement au point en 1937 par Wilhelm Abel, présente le double avantage et d'une franche nouveauté — et d'une explication globale des fluctuations jusqu'à la révolution agricole du XIXe siècle. Est-il rien de plus précieux en ces domaines de recherche et de découverte, qu'un large schéma préalable, une ligne d'explication, si autoritaire soit-elle, qui permette de se situer, de se reconnaître ?

De quels dossiers disposons-nous?

Aujourd'hui encore il nous manque une géographie historique de l'alimentation: avant 1939 Marc Bloch et Lucien Febvre a l'avaient senti. Caractéristique d'une cuisine s, exerçant une influence certain sur la valeur nutritive et la digestibilité des aliments, la base de cuisson, constituée par telle ou telle graisse, avait retenu leur attention, non sans motif. D'autant que le territoire français, par sa variété, invite à de telles recherches sur les oppositions et les échanges entre régions. N'est-ce pas rejoindre aussi, au delà de l'histoire écrite, la « civilisation traditionnelle », rongée chaque jour davantage par l'oubli et facilement évocatrice d'origines lointaines?

Les historiens ont peu pratiqué jusqu'ici * le livre, maintenant rare, Les Consommations de Paris 3 qu'Armand Husson, chef de division à la Préfecture de la Seine, publia au temps de Napoléon III. Féru de statistiques, désireux de fournir aux « économistes, administrateurs et hommes d'Etat » une documentation digne de ce nom sur l'appétit de Paris, ce haut fonctionnaire a écrit un mémoire passionnant, — du moins pour ceux qu'intéressent ces simples et fortes réalités matérielles 4 : l'extension de la ville, la croissance de sa population, enfin son alimentation de base (pain, viande, boissons) et ses « consommations diverses » (du gibier et de la volaille jusqu'à l'eau, la glace, le tabac), toutes denrées ensuite dûment répertoriées, jaugées en quantités, en prix, et finalem«nt récapitulées en tableaux précis et régulièrement comparées aux postes correspondants des villes de province ou de l'étranger.

Ce n'est point en spécialiste (je n'aurais guère droit à ce titre), c'est simplement en usager de l'histoire des prix que je voudrais ici formuler quelques remarques à propos du rapport du Professeur Hamilton : The history of priées before 1750. J'ai contracté, comme historien de l'économie espagnole, une telle dette envers l'oeuvre entière de E. J. Hamilton qu'il me permettra, j'espère, après tant d'années, de me dire un peu son lointain disciple, et qu'il me pardonnera, j'en suis sûr, si, en lui exprimant certains désaccords, je me montre disciple indiscipliné.

La Commission Internationale d'histoire des mouvements sociaux et des structures sociales s'est attachée, dès sa création, à assurer à ses travaux et recherches un caractère largement international. Souhaitant, en accord avec le Comité International des Sciences Historiques, organiser des études pluridisciplinaires, elle a fait appel en même temps qu'à des spécialistes de l'histoire sociale à des économistes et à des sociologues. Nul doute qu'elle ne persévère demain dans cette voie fructueuse.

Sur le thème choisi pour le Colloque de Stockholm — « Les Mouvements ouvriers en temps de dépression économique (1929-1939). Leurs conséquences d'ordre politique et social. Comparaison internationale » — trente rapports, en cours de publication, furent préparés dans dix-sept pays. Ils furent utilisés pour l'élaboration d'une étude de synthèse, dont l'exposé oral qu'en fit le Professeur Jan Dhondt (Gand) servit d'introduction au Colloque.

On voudrait dans cette note, rapide à dessein, marquer sans plus quelques repères et signaler aux historiens des lectures utiles à leur recherche propre et à la juste interprétation des idées et des affirmations des hommes du XVIIIe et des débuts du XIXe siècles en un domaine difficile et mal exploré.

Fait de culture, l'alimentation est solidairement une donnée biologique. Par suite l'analyse médico-physiologiste se dessine à ses débuts sur l'horizon complexe d'un fonds commun où les phénomènes chimiques de la digestion côtoient non seulement les recettes culinaires et les rêveries gastronomiques, mais aussi les observations morales ou moralisantes. Aussi bien, dès la fin du XVIIIe siècle, existe une problématique biologique de la nutrition, mais il ne saurait être question, pour elle, d'une spécificité de son domaine.

Le rôle des Juifs, et tout particulièrement celui des Marranes de la péninsule ibérique, dans le développement du commerce international et des techniques capitalistes, pour appréciable qu'il ait été, a fait l'objet de surestimations parfois déconcertantes. L'usage même de la langue y a contribué : combien d'auteurs anciens, ont accolé indistinctement l'étiquette de ce Juifs » ou de « Marranes » à tous les manieurs d'argent, et parfois même à tous les marchands ! Sur la foi de tels écrits, maints savants succombèrent à la tentation d'attribuer aux Juifs un rôle prédominant dans le développement du capitalisme en son ensemble ; il n'est que de songer à Sombart. De nos jours, et sans doute par réaction, une tendance à minimiser systématiquement la contribution des Juifs se manifeste chez certains historiens contemporains. C'est pourquoi il faut savoir beaucoup de gré à M. Hermann Kelleubenz d'avoir reconstitué, avec une parfaite précision, la physionomie de l'importante colonie sépharade de Hambourg, et son rôle dans la vie d'affaires de la ville.

D'entrée de jeu, il y a tout avantage à s'en persuader : le secteur de l'histoire alimentaire est l'un quelconque des domaines de la recherche et de l'interprétation historiques, il se présente donc avec les mêmes monotones régularités que les autres. Et il est justifiable très souvent, sinon toujours, des mêmes hypothèses, des mêmes interprétations, des mêmes présentations que les plus classiques et les plus prospectés de nos habituels domaines. Ses éléments sont emportés par les mêmes courants que les éléments les plus nobles de l'histoire.

A l'issue du Quatrième Colloque International d'Histoire Maritime, tenu à Paris en mai 1959, un Groupe International d'Histoire Maritime avait été créé avec pour premier but, en dehors de l'organisation des colloques , l'importante révision du Glossaire Nautique de Jal, déjà suggérée en d'autres occasions et notamment au Congrès de Rome, en 1955. Ainsi constitué, mais de manière provisoire, le Groupe s'est réuni à Stockholm, le 20 août 1960, et, finalement, s'est transformé en Commission interne par décision du Congrès International des Sciences Historiques en date du 28 août, à Upsal.

Avec son audace coutumière, Marc Bloch inaugura, en 1986, son enseignement d'histoire économique à la Sorbonne par l'examen d'un problème alors neuf et qui l'est demeuré depuis : une étude comparée des structures agraires de l'ancienne France et de l'Angleterre, une histoire parallèle du régime domanial de part et d'autre de la Manchel. De ces leçons, le texte partiellement rédigé par l'auteur nous est aujourd'hui livré grâce aux soins de G. Duby. Si incomplet qu'il soit, on y retrouve le talent combiné du professeur, qui sait dégager les grandes lignes, tracer un schéma simplifié, et de l'historien, attentif aux nuances et aux cas concrets. Marc Bloch était là sur son terrain favori.

S'il est une décision politique qui passe pour avoir eu des conséquences économiques graves, c'est bien la révocation de l'édit de Nantes ; des discriminations qui semblent effectives, pendant près d'un siècle, ce sont bien celles qui frappent, dès lors, les « mauvais catholiques ». L'événement a une portée internationale depuis longtemps reconnue. Il marque la conscience européenne et la figure « légendaire » de Louis XIV. Il crée, selon H. Liithy, « cette internationale huguenote d'où est sorti, avec bien d'autres choses, le réseau universel de la banque protestante » ; « Colbert, écrit encore l'économiste suédois J. Åkerman, avait établi un système capitaliste que les huguenots propagèrent dans tous les pays civilisés ». Il est donc bien naturel que les historiens des pays de Refuge restent aujourd'hui très attentifs à ces questions. De Hollande et d'Amérique des thèses nous parviennent qui remettent en balance certains aspects de cette crise.

Les habitants des Etats-Unis d'Amérique consomment presque deux fois plus de sucre que les Français : voilà un fait qui intéresse d'ordinaire l'économie et la politique. Est-ce tout ? Nullement : il suffit de passer du sucre-marchandise, abstrait, comptabilisé, au sucre-aliment, concret, « mangé » et non plus « consommé », pour deviner l'ampleur (probablement inexplorée) du phénomène. Car cet excès de sucre, il faut bien que les Américains le mettent quelque part. Or quiconque a séjourné un peu aux Etats-Unis sait très bien que le sucre imprègne une part considérable de la cuisine américaine ; qu'il sature les aliments ordinairement sucrés (pâtisseries), entraîne à développer leur variété (glaces, gelées, sirops) et s'étend à de nombreux mets que les Français ne sucrent pas (viandes, poissons, légumes, salades, condiments).